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Que devient le monde rural ?

Monsieur Jonas Blocquel né en 1955 à Radinghem.

samedi 6 mars 2010, par Frederic Praud

Mes parents étaient fermiers dans une petite exploitation de 18 hectares. Les bâtiments venaient de mon grand-père qui élevait déjà du bétail tout en menant une activité de charpentier. Les deux activités étaient liées. Il avait deux garçons. Mon père a investi dans l’agriculture et mon oncle continué dans la charpente. Il avait même installé une petite scierie dans le petit marais. Il sciait les arbres avec une grande scie et deux hommes à chaque bout (comme le faisait mon grand père). Mon oncle a ensuite installé un moteur électrique avec une grande roue. Une bielle entraînait la scie. L’arbre était posé à plat sur un chariot à quatre roues sur rail, qu’un homme poussait pour scier doucement les planches. Je l’ai vu travailler jusqu’en 1965/70, avant sa retraite

Mes parents possédaient 7 à 8 vaches laitières et élevaient du porc en tant qu’éleveurs engraisseurs, entre 60 et 80 porcs dans de petites étables. Ils ne vendaient pas leur production de grain car tout était transformé dans un atelier par un concasseur. La mouture mélangée avec des pommes de terre, cuisait dans un bouillau avant de donner le tout aux cochons. Ils devaient toutefois acheter des aliments de compléments. Tout a évolué à partir de 1960. Les marchands de bestiaux achetaient 10 cochons à la semaine. J’allais avec mon père les peser sur une bascule publique dans des villages extérieurs à Radinghem. Les cochons pesaient entre 90 et 120 kilos. Le marchand avait son gros portefeuille dans sa pochette. Nous pesions les cochons et tout se négociait au café toujours situé à côté des bascules. Ma mère n’était jamais contente quand mon père revenait car, pour vendre deux ou trois porcs, nous étions partis dès 9 heures du matin pour revenir à deux/trois heures de l’après midi et de l’argent avait été dépensé dans les bistros. La plupart du temps, le petit marchand redistribuait les cochons à des bouchers. Le grossiste pouvait en faire un lot qu’il revendait parfois à des marchands plus importants. Il y avait pratiquement un petit marchand de bestiaux dans chaque commune, sauf à Radinghem. Les prix stables étaient négociés et basés sur une référence régionale. La vente des vaches se passait un peu de la même façon.

Nous produisions du lait. Jeune, j’ai assisté à la traite manuelle des vaches. J’ai bien essayé mais il y avait peu de lait dans le seau et beaucoup dans les manches. Mes parents trayaient et versaient le lait dans des bidons en fer de 20 litres. Ils mettaient une sorte de passoire sur le bidon, passoire qui filtrait grossièrement le lait et évitait au foin de se mélanger. Il n’y avait pas de contrôle laitier dans les années 60/70. Les bidons de lait étaient mis à la barrière. Un camion passait les prendre tous les jours et nous remettait des bidons vides. Les bidons étant consignés, un numéro personnel y était inscrit et il nous revenait le lendemain. Le chauffeur chargeait tous ses bidons sur plusieurs étages. Il nous redonnait du lait « sérum » comme nourriture pour les cochons. La laiterie la plus proche vers 1965 était Romescure.

Je revois encore l’installation de la première machine à traire. Elle était un peu archaïque. On se baladait avec le bidon que l’on tenait par une poignée. Nous nous mettions à côté de la vache et commencions par laver les mamelles. Les vaches ont eu du mal à s’y adapter. Les ruades étaient nombreuses et le pot partait. Nous leur mettions un pince-nez et tirions dessus pour les bloquer et éviter les coups. Nous avons ensuite utilisé une entrave que nous mettions entre l’échine et la patte. Lors des traites à la main, il n’était pas rare de recevoir des coups de queues. Il fallait alors maintenir la queue sur le côté opposé.

La grange était disposée sur la gauche en entrant dans la ferme carrée et les étables sur la droite. Il fallait traverser la cour pour passer de l’une à l’autre... Nous avions toutefois un peu de foin au-dessus des étables, « à chnelles », sur des barres de bois. C’était très dangereux. Le tas de fumier était installé sur le milieu de la cour. La cour était encerclée comme pour toutes les fermes de la région. On reculait dans le tas de fumier et creusions une tranchée dedans pour le charger à la main sur le plateau tiré par le tracteur. On tournait autour du tas de fumier avec des brouettes et des bottes. Le sol de la grange était en terre battue. Le sol des étables était fait en briques à champs posé sur du sable, sur la terre battue. C’était très difficile à balayer car tous les joints étaient mordus. Il était également difficile d’enlever le fumier à la fourche. Nous avons très vite coulé du béton sur les briques pour faciliter ainsi notre travail…

Je n’ai jamais vu de taureaux dans l’étable. L’inséminateur faisait déjà son office. Onze vaches pouvaient tenir dans l’étable. Elles étaient installées deux par deux, sur deux mètres pour deux vaches. Elles étaient séparées des autres par un petit pan de bois, un bas flanc. La quantité de nourriture donnée était pour les deux. Il nous fallait donc toujours mettre des bêtes qui s’accordent ensemble, sinon l’une prenait le dessus, donnait des coups de cornes et mangeait tout. Avant de disposer de l’eau sous pression, il nous fallait apporter deux seaux d’eau pour leur donner à boire. Une allée séparait les vaches et les veaux installés de l’autre côté.

J’aimais les animaux et la ferme. Nous ne leur donnions que les produits de nos 18 hectares. Nous donnions de l’aplatit d’avoine aux vaches et concassions le grain de blé pour les porcs. Nous cultivions un hectare de betterave et tous les jours, ma mère portait des mannes de betteraves aux bêtes. Une manne pour deux bêtes le matin et l’après midi. Les betteraves étaient stockées dans une cave enterrée pour éviter qu’elles gèlent. Nous les rentrions vers la fin octobre. Nous les arrachions à la main, coupions les feuilles, « catrer les betteraves » et les chargions à la main dans les remorques pour les emmagasiner dans cette cave. Nous les rentrions dans la cave par un « soupireau ». L’hiver nous prenions la manne, la remplissions, nettoyons la terre restée dessus avec un couteau et nous repartions avec le tout. Trente mètres et 7 à 8 marches séparaient la cave de l’étable. La manne faisait 40 kilos… Nous passions entre les vaches qui s’énervaient dans l’attente de manger.

Les sacs de blé étaient stockés dans les greniers, au-dessus du corps de logis des maisons. J’ai dormi avec du grain au-dessus de ma chambre à coucher. Nous entendions les rats et les souris grignoter dans le grain. Il est arrivé qu’ils fassent un petit trou dans le plancher et que le grain descende dans ma chambre, un genre de farine concassée. Dans chaque ferme des chiens étaient élevés à prendre des rats. Le soir, mon père prenait sa petite carabine, le chien et essayait de tuer les rats. J’aimais bien y assister. Nous allions à la chasse aux rats…

Dans les années 60, nous avons encore moissonné avec une moissonneuse lieuse mais nous avions des tracteurs. Je n’ai pas connu les chevaux. Mon père a acheté son premier tracteur à ma naissance, un petit Pony Massey Harris rouge, à essence en 1954. Le coût du tracteur et de la charrue revenait à 650 000 francs de l’époque, (6 500 francs de l’an 2000 soit à peu près 1000 euros). Un cochon se vendait alors aux alentours de 40 000 francs donc 14 porcs pouvaient payer ce matériel.

Mon père disait toujours, « nous sommes partis sur un tracteur… l’évolution va comme ça, alors on arrête les chevaux ! » Il les a de suite revendus à des amis car il ne voulait plus en avoir chez nous pour bien passer le cap. Il a eu beaucoup de mal au départ avec son tracteur et a dû acheter tout le matériel adéquat.

Mes parents vivaient de la vente de cochons et de lait. Ils n’allaient jamais chez le boucher, salaient le cochon et mangeaient beaucoup de volailles. Ma mère s’occupait des animaux et de la traite pratiquement seule. Mon père était chargé des champs, de la culture et récolte. Les champs où étaient mis les animaux étaient fermés et entourés de haies. Les barbelés sont venus petit à petit.

Les décisions d’achats étaient prises par mon père. Les femmes avaient beaucoup de mal à faire entendre leur voix dans les petites exploitations. J’ai beaucoup de respect pour ma mère à cause de tout ça… Elle a énormément travaillé. Les femmes étaient très courageuses… Elles portaient des ballots de bottes de paille, de foin… Nous commencions juste à avoir une petite botteleuse à foin tirée par le tracteur. J’ai assisté à la fin « des cahots » de foin roulés à la main.

Enfant, j’avais pour ami Jean Michel Descamps… Son père a gardé le système d’exploitation traditionnel jusqu’en 1980. Il avait toujours voulu conserver les chevaux et travailler manuellement.

Les semailles se faisaient encore à la main. J’aimais bien le faire avec un sac attaché à une corde passée autour du cou. Nous prenions des poignées de grains dans ce sac. Nous portions plus tard un bac en tôle attaché avec un genre de bretelle et muni d’une ouverture en ferraille. Peu de temps après l’arrivée du tracteur, les semoirs ont remplacé l’homme. Pendant quelques années, le tracteur ne faisait que labourer et herser. La herse à chevaux était alors traînée avec une chaîne. Je montais sur le tracteur et suivais mon père qui semait à la main. Il fallait couvrir le grain. Nous passions un rouleau par temps sec.

Nous avons utilisé un petit semoir à betterave que l’on tirait ou poussait à la main… ou avec un cheval. Il était en bois, avec une roue de fer et une courroie qui entraînait une petite boule pour laisser tomber les graines par une petite trappe. Nous semions un rang. Nous avons ensuite eu un semoir tiré par le tracteur. Le semoir à roues de fer semait quatre rangs distants de 50 cm. Pour la nourriture du bétail, nous mélangions les betteraves avec des rutabagas. Le rutabaga était souvent semé à la main avec « une arbraquette », une binette. Une fois levés, on les arbraquait, les dédoublait pour ne laisser qu’une graine tous les 50 centimètres. Nous semions la moitié d’une mesure de rutabagas, 0,21 hectares. Nous utilisions une serpe pour les couper puis un « coperacine » pour les couper en lames. Nous les ramassions, les mettions dans les mannes et donnions le tout au bétail. Nous cultivions également de la pomme de terre… cuite dans des bouillaux sur un feu de bois...

Les moissons s’organisaient par maisons. Quatre ou cinq personnes aidaient mes parents au moment de la moisson, souvent des femmes sans travail qui venaient à la journée pour une pièce de monnaie. Elles venaient « cahoter ». Je tirais les lieuses avec le petit tracteur, mon père était monté sur la lieuse pour activer les manettes. La lieuse disposait d’une scie et la récolte tombait sur la toile puis dans un lieur mécanique. Les bottes tombaient par terre. Les personnes, dont ma mère, ramassaient les bottes une à une et les mettaient en V par dix bottes… « des cahots » l’épi en l’air avec pour affaiter le cahot, deux bottes la tête en bas pour créer un fil d’eau. A quatre heures, tout le monde s’asseyait par terre et nous mangions une tartine de pâté, « du pain d’alouette… ». J’aimais bien ce pain d’alouette. Les cahots restaient là pendant une dizaine de jour. Nous allions les chercher avec un plateau en bois et des fourragères, tiré par le tracteur. Mon père chargeait les bottes et ma mère arrangeait le tout pour créer des lits de bottes. Certains fabriquaient des « moueilles », des meules… Nous en avons peu fait et engrangions plutôt. Nous reculions le plateau au milieu de la grande porte dans l’allée centrale de la grange au milieu des « taux » installée de chaque côté. « Ch’tau là », un espace distinct pour les gerbes de blé, un pour les gerbes d’avoine, les gerbes d’orge. Nous engrangions tout jusqu’à décembre.

Après voir terminé les semailles de blé, l’automne arrivait et les animaux rentraient à l’étable. Les exploitants qui n’avaient pas leur batteuse faisaient venir un entrepreneur et battaient tout de suite. Nous avions notre propre batteuse installée au milieu des « taux » et commencions à battre plus tard. Je revois dans notre cour un ancien mécanisme de battage avec pinions, une roue où tournaient des chevaux… Le renvoie d’angle installé dans la cour, repartait dans la grange pour actionner la batteuse sur « cht’aire de grange ». Mon père a vite démonté ce mécanisme. Nous avons commencé à battre avec un petit moteur à essence puis un moteur électrique installé sur la petite batteuse.

Mon père a également fait l’entreprise de battage chez les voisins. Il a ensuite acheté un tracteur plus gros pour faire fonctionner la batteuse à partir d’une poulie. Nous calions la batteuse… une grosse poulie et une courroie actionnaient cette batteuse. Deux hommes jetaient les bottes du tau sur le tablier de la batteuse, en haut. Deux personnes « engernaient » dans la batteuse. Deux autres récupéraient les gerbes, un « ch’lieur ». Deux réceptionnaient le grain dans des sacs en jute. Ils soulevaient les sacs à deux et le balançaient sur une épaule du gars qui passait bien souvent dans la maison, dans la salle à manger et remontait l’escalier menant au grenier. Il laissait le sac ou pouvait le verser en vrac dans des bacs. Lors de bons rendements de récolte, il fallait mettre des appuis au sommier des maisons qui descendaient un petit peu.

L’évolution de Radinghem

A ma naissance Radinghem était à son plus bas en nombre de population. L’école voyait donc de moins en moins d’enfants. Je vais à l’école publique à Radhingem, du CP, à 6 ans, jusqu’au Certificat d’Etudes primaire que j’ai obtenu. Nous avions un seul instituteur pour une seule classe jusqu’en CM1. On passait encore le certificat d’Etudes quand je suis entré à l’école mais cet examen a disparu avant que j’aie l’âge de le passer.

Enfant, j’ai évolué avec le matériel agricole et j’ai toujours aimé l’agriculture. Vers 12/13 ans je voulais être agriculteur. Je rêvais que mon père reprenne une ferme importante ailleurs mais il ne voulait pas trop investir. Il ne voulait pas emprunter d’argent et il aurait désiré que je fasse autre chose. J’étais fils unique et ma mère souhaitait fortement que je reste à la ferme. Entre 14 et 16 ans, vers 1971 je continue mes études à l’école agricole pour obtenir un CAP agricole car je souhaitais rester totalement dans l’agriculture et agrandir la ferme. Mon père avait déjà travaillé pour d’autres agriculteurs en tant qu’entrepreneur et j’aimais bien aller travailler chez les autres. Je voulais donc continuer dans ce sens… Nous avons eu une petite moissonneuse batteuse que nous utilisions chez les voisins. Je le poussais à créer son entreprise… Ce qu’il a fait.

J’avais 13 ans en mai 1968. J’étais content car des arbres avaient été abattus à la tronçonneuse et installés sur la route alors que je devais aller au collège privé à Fruges. J’y allais avec Jean Michel Truite. Il n’aimait pas trop l’école comme moi et nous étions bien contents. « On va être en retard. » Arrivé à Saint Bertulphe, j’ai été surpris de voir des graffitis sur tous les murs… Mes parents commençaient à avoir des soucis. Ils n’avaient plus de sucre, plus d’essence. Un oncle de mon père devait partir à un enterrement sur Bapaume, près d’Arras. Il n’avait pu y aller faute de carburant. Mai 1968 n’a rien changé pour nous. Cet incident de parcours n’a pas eu de conséquences.

Le CAP agricole se faisait à Fruges. Nous étions quelques jeunes agriculteurs de Radinghem pour une formation dispensée à 15/16 élèves. Nous avions deux jours de cours par semaine. Monsieur Blond assurait les cours dans les locaux de l’ancienne gendarmerie de Fruges. Il fut l’un des premiers à donner des cours d’enseignement agricole. Nous étions ses premiers élèves. Nous n’abordions pas l’aspect gestion mais essentiellement la culture, les labours, les engrais, les saisons, les semis…

Le CAP agricole n’était pas obligatoire pour s’installer. Je me suis installé en 1979 en tant qu’exploitant. J’étais auparavant aide familial depuis 1971. Un aide familial à la ferme n’avait pas de revenu. Il était couvert au niveau social par la MSA. Nous étions nourris, habillés, assurés par les parents. Les jeunes n’avaient pas d’indépendance. Les parents achetaient la voiture, payaient l’assurance. Dans le milieu agricole, un jeune travaillait et ne pouvait rien faire sans les parents. Je devais tout demander à mes parents.

J’ai repris l’entreprise de mon père en 1982. Le CAP m’a permis d’obtenir des aides des banques. On a commencé à en parler en 1979 mais le diplôme était encore facultatif pour obtenir un prêt. J’ai alors voulu acheter un tracteur à mon compte mais il fallait avoir 18 hectares pour obtenir le prêt aux jeunes. Le CAP est devenu indispensable en 1980. Je n’ai pas pu avoir d’emprunt au Crédit Agricole car nous avions 17,80 hectares. Le Crédit Mutuel nous alors l’a donné et je suis resté avec cette banque. Je suis monté à 36/37 hectares dans les trois ans qui ont suivi en reprenant les exploitations des petits agriculteurs qui arrêtaient.

J’ai ensuite surtout développé l’entreprise et boisé une grande partie de mes terres. Il me reste 7 à 8 hectares exploitables. Vers 1975, mon père s’est engagé sérieusement dans la location de matériel agricole comme entrepreneur agricole avec une botteleuse, une presse pour ballot plat. Les agriculteurs attendaient ce matériel pour récolter, foin, paille, grain. Le travail du sol n’induit pas de gros investissements. Ils continuaient avec des charrues traditionnelles. L’investissement dans le matériel de récolte représentait beaucoup d’argent, je m’y suis pleinement lancé. J’ai investi dans la presse, le ballot cube rectangulaire. Personne n’était équipé en matériel d’où une énorme demande. On n’entendait pas parler de CUMA.

Vers 1970, nous avons démarré l’entreprise avec une moissonneuse batteuse. Son utilisation nécessitait deux personnes, une au volant et une autre à mettre les grains en sacs sur le côté, sacs que nous laissions par terre. Le client les ramassait ensuite. Vient ensuite la moissonneuse batteuse avec la trémie que l’on dévidait dans la remorque. Tout restait familial. Mon père conduisait la machine mais j’ai quand même conduit notre deuxième machine. Nous n’avons commencé à voir du personnel qu’à partir de 1982.

Les ensilages de mais et d’herbes ont commencé dans les années 1975 pour bien évoluer dans les années 82. Je fournissais l’ensileuse. Personne ne voulait en acheter jusqu’à aujourd’hui. Quelques moissonneuses batteuses ont été achetées par les CUMA. A Radinghem, la grosse exploitation travaille en CUMA mais les exploitations de 50 hectares ont leur propre matériel ce qui me semble une bonne chose. Je travaillerais de la même façon.

En 1979, nous étions une vingtaine d’exploitants sur la commune pour 5 en 2001. La moyenne d’âge était de 55 ans, ceux nés entre 1920 et 1930. Leurs enfants sont partis dans tous les corps de métiers, beaucoup comme salariés. Ils ne pouvaient pas rester dans des petites exploitations d’une moyenne de 7/8 hectares. Nous étions dans la moyenne haute. La ville de Radighem compte seulement 300 hectares exploitables avec une ferme de 180 hectares à l’époque. Le remembrement est venu en 1982 au moment où les petites exploitations disparaissaient. Les enfants partaient… Les parents cédaient leurs terres en demandant une petite arrière fumure… Ils percevaient des indemnités viagères de départ, l’IVD, une pension minime pour attendre leur retraite. Ils cédaient leur exploitation mais pouvaient avec l’IVD garder une parcelle d’un hectare. Comme la retraite agricole de l’époque ne représentait rien, ils devaient vivre sur eux-mêmes avec leur petit coin de pâtures, quelques porcs, des volailles…

La récolte de betterave s’est mécanisée, la machine à un rang, trois rangs, l’effeuilleuse passait avant, puis l’arracheuse et une troisième machine pour charger dans la remorque. Je n’ai jamais travaillé dans la betterave mais plutôt dans tout ce qui est récolte destinée à l’alimentation des animaux : fauchage, brassage des foins, récolte de céréales. Dans les années 75, tout le monde n’avait pas de tracteur avec prise de force, ce qui nous permettait de travailler dans les fauchages. Cette demande spécifique a baissé avec la modernisation des tracteurs.

« Dans le pays », personne n’est surendetté dans l’agriculture. Nous agissons avec un comportement conservateur. Certains autres villages se sont endettés dans les années 80/90. L’instruction agricole amène aujourd’hui les jeunes à ne pas faire n’importe quoi. Les banques n’ont pas toujours surveillé dans ces années-là ! Elles poussaient à l’investissement mais ont changé d’attitude depuis. Les fermes ont disparu par le vieillissement de la population et pas par le surendettement des agriculteurs.

J’ai vécu le passage de la majorité de 21 ans à 18 ans. Nous avons commencé à voter sous l’impulsion des parents. Le monde agricole était purement à droite. Il ne voulait absolument pas voir la gauche, « ces gens-là au pouvoir ! » Quand les premiers instituteurs, les premiers professeurs, ont pris le pouvoir en 1981, j’entendais dans les fermes, « mon dieu qu’est-ce qu’on va avoir… C’est fini ! On ne va jamais s’en sortir ! Dans trois ans, on n’existera plus… Ce n’est plus la peine de travailler. Ils vont tout nous prendre. »

J’ai remarqué que depuis 1982 au démarrage de mon exploitation et pendant toute l’époque Mitterrand, j’ai bénéficié de la plus belle évolution de ma vie jusqu’en 1992/1993. Mon entreprise a évolué positivement pendant toute cette période. Mitterrand a travaillé pour ceux qui n’ont pas voté pour lui. Finalement, n’importe quel homme politique travaillera toujours pour avoir les voix de l’autre et je me considère aujourd’hui sans étiquette… Je ne respecte pas un parti politique mais les hommes et suis très ami avec le Maire de Fruges. Je ne suis pas encarté mais respecte les hommes qui ont beaucoup de capacités.

Le village

Le village était peu animé. Je n’ai jamais connu d’organisation associative mais seulement de petits groupes de deux ou trois personnes pour faire nos bêtises de gosses. J’allais au football à Fruges. Tout le monde partait dans les villes aux alentours. Sans jeunesses, sans enfants, il n’y avait pas moyen d’organiser quelque chose donc les garçons de Radinghem se retrouvaient à Fruges. Nous venions souvent jouer dans l’enceinte du château, dans le parc. On trouvait encore des cerisiers dans le jardin, cerises que nous venions chaparder étant enfants.

Nous avons tous eu des mobylettes et savions nous en servir…. Les ducasses avec les bals montés sur parquets avec une toile au-dessus se terminaient dans le pays. J’y suis peu allé. Il y eut parfois deux parquets au moment de la Sainte Apolline à Radinghem. Les petits balistes qui montaient les chapiteaux ont tous disparu quand la nouvelle réglementation sur les entrées les a taxés. Rien n’était déclaré auparavant. Il n’y avait plus de moyens de sorties pour les jeunes de ma génération. Nous allions dans les villes, à Saint Pol. Après un passage à vide, les discothèques ont remplacé tous ces bals. Elles n’existaient pas du tout dans les années 70/75. Je n’y suis jamais allé…

Le curé de Radinghem a toujours été moderne. Il a aidé beaucoup de monde et organisé les principales fêtes du village. Tout est venu de lui et le Maire de l’époque a suivi. Il a fait vivre le village avec ses kermesses, ses fêtes. J’ai fait mon baptême de l’air avec lui. Les enfants de Radinghem aimaient bien ce curé très diplomate et pas du tout gendarme… Il savait prendre les jeunes. Quand nous allions au catéchisme, nous jouions au football avec lui. Nous étions proches de lui et acceptions tout ce qu’il pouvait nous proposer. Il ne portait plus de robe de prêtre et était moderne par rapport aux autres curés des communes environnantes.

Il y eut un garde champêtre dans la commune mais je ne pense pas qu’il ait fait peur à quelqu’un. Il avait toujours un képi mais était assez souriant et sympathique avec les enfants. Il n’y a plus de garde-chasse depuis très longtemps dans la commune, depuis Monsieur Boucher qui gardait le parc. Cela ne passait pas toujours avec nous quand nous avions de 7 à 11 ans… L’emplacement actuel du lycée agricole était boisé. Une prairie appartenant au domaine était divisée en sept parcelles de 20 ares qui faisaient l’objet d’une vente publique du foin au profit de Forster. Le notaire venait et la vente se faisait à la criée. La vente ne rapportait rien mais les agriculteurs se partageaient ça entre eux. Le domaine était interdit de chasse. Le garde chasse faisait son travail et s’occupait également du jardin du domaine. Il venait travailler en vélo. Quand nous voulions cueillir des cerises dans ce jardin, nous commencions d’abord par chercher le vélo du garde. Comme nous allions faire une bêtise, nous essayions d’abord de cacher son vélo pour qu’il ne puisse pas nous rattraper. Bien souvent, nous mettions le vélo à plat et prenions la pompe que nous jetions dans les douves du château. Nous allions ensuite au jardin. Il nous voyait et nous partions en courant. Il allait pour prendre son vélo et …..ne pouvait pas nous suivre. J’ai toujours connu un parc boisé et une petite prairie. Nous aimions bien venir dans ce bois où nous trouvions des marronniers, des châtaigniers. Notre plaisir était de ramasser les châtaignes par terre. Le château n’était pas notre centre d’intérêt.

Les gardes chasses sont depuis lors employées par des sociétés de chasses privées non domiciliées sur Radinghem.

J’ai connu deux cafés à Radinghem dont l’un servait de cabine téléphonique pour la commune. Le téléphone était noir. Madame Patou tirait sur une table chromée…. Et demandait quelqu’un… Cela durait un moment et nous arrivions au bout d’un certain temps à avoir la personne en ligne. Son mari était forgeron retraité. Je ne suis pas allé dans ce dernier café car j’avais 4/5 ans au moment de sa fermeture. La mairie a racheté la dernière licence de café du village à Cambrousse, en face du restaurant le fournil. Cet ancien magasin avait une licence IV. Elle a été rachetée par liquidation judiciaire.

Le maire

Le rôle d’un maire dans les années 60 était de s’occuper de ses chemins. C’était plus simple administrativement. Il était proche du citoyen. Le rôle du conseil était de tout faire pour les agriculteurs qui représentaient alors plus de la moitié de la population, l’entretien de cette voirie là, de ce pont là…

J’ai toujours connu la famille Debuire comme Maire jusqu’en 1989… Il marquait les enfants et les jeunes. Nous étions éduqués comme ça. S’il devait venir à la maison, mes parents m’avertissaient, « tu resteras tranquille ! Tu ne feras pas de bêtises… »

C’était pire avec l’instituteur car nous en avions franchement peur. Une fois que l’on s’était fait avoir, nous devions faire attention à tout nos actes. De son école, il nous regardait repartir dans le village. Nous commencions parfois par ramasser des morceaux de terres dans les fossés, les douves et nous nous les envoyions. Nous entendions alors l’instituteur siffler un bon coup de là-haut. Tout le monde était figé… « Ça y est, nous sommes vus… » Le village n’avait pas besoin de gendarmes. Tout le monde s’enfuyait mais le lendemain, il nous demandait de rester le midi et de manger du pain sec. Je suis resté plusieurs fois manger du pain sec à l’école et il ne fallait pas que j’appelle mes parents car ils me répondaient « c’est bien fait pour toi. Tu n’avais qu’à être sage ! ». C’était pareil pour tous les jeunes… On ne pouvait se plaindre nulle part car tous les parents étaient avec l’instituteur…

Le maire n’était pas le gendarme mais il était respecté. Il était toutefois distant avec la population ce qui n’est plus possible aujourd’hui. La demande est autre.

Forster a vendu ses terres et propriétés. Un avocat en a racheté près de 90 %. Le conseil régional est propriétaire du terrain où s’est installé le lycée agricole. Le terrain était disponible pour l’implantation des bâtiments du Lycée. Il fallait trouver une exploitation ou un propriétaire prêt à vendre 40 hectares. Forster était prêt à tout vendre et un arrangement a été trouvé avec la famille Debuire pour récupérer des terres sur Radinghem. Les premiers travaux du Lycée ont commencé en 1982 alors que je venais de me mettre à mon compte. J’ai alors travaillé sur les terrassements de la ferme du lycée avec des entreprises de Travaux Publics. La construction du lycée a démarré en 1984 pour ouvrir ses portes en 1986.

Nous avons voté en 1988 pour les élections municipales. Je me suis présenté et j’ai été élu au conseil municipal. Monsieur Debuire étant malade depuis trois ans, le premier adjoint a assuré les fonctions de Maire pendant six mois. J’ai pris la suite en 1989 après une autre élection.

Pendant 20 ans, le village s’est totalement effondré et la population est revenue dans les années 1990.
L’école du village a fermé en 1975 et un bus passait prendre les enfants. Elle a ensuite réouvert un moment puis refermée définitivement. Une petite commune comme la nôtre ne peut plus gérer seule un établissement scolaire. Nos compétences sont petit à petit absorbées par la communauté de commune. Il nous faut une école moderne, instructive… Il faut penser aux enfants et travailler en commun avec les autres Maires du canton. Tout se regroupe actuellement sur Fruges.

La commune ne bénéficiait pas de la taxe professionnelle d’entreprises importantes seulement de deux artisans menuisiers dans les années 70. La première entreprise importante est arrivée en 1982. Avant d’être élu Maire, je travaillais déjà avec le patron de l’entreprise Sivianord. C’était un ami à qui j’ai demandé d’installer une agence sur la commune pour que nous puissions bénéficier de sa taxe professionnelle et il a accepté. Nous avons eu les laboratoires en même temps. Le lycée ne paie pas de taxe professionnelle.

Nous sommes la commune qui bénéficie de la plus grosse taxe professionnelle du canton près Fruges… De la même manière, l’installation d’éoliennes dans les communes du canton rapportera énormément à chacune d’entre-elles. L’investissement d’environ un milliard de francs pour environ 100 machines rapportera énormément au canton près de 4 millions de francs répartis sur l’ensemble du budget de la communauté de commune. Chaque commune aurait donc moins de dépenses à assurer.

Nous avons un problème de manque de terrain à bâtir alors que nous avons des demandes d’installation de résidences principales. Les gros propriétaires peuvent alors faire la pluie et le beau temps. Il faut négocier. La commune ne peut pas acheter du terrain à bâtir pour le viabiliser et le revendre après. C’est un trop gros investissement.

Une communauté…. De communes

Nous n’allons pas vers une disparition des petites communes mais plutôt vers une égalité entre toutes les communes et des villages. Un village peut évoluer ou mourir très vite. La communauté de commune va permettre d’équilibrer les choses. Les gens aiment bien construire dans un milieu rural mais pour évoluer dans un canton, il nous faut être puissant, être ensemble pour faire venir des entreprises. Les gens ne font pas construire près des usines, mais veulent se retirer dans la petite commune d’à côté d’où une augmentation de la population. Le partage de la taxe professionnelle voté en octobre 2001 va se faire progressivement entre les communes sur une période de 12 ans.

La communauté de commune prend de plus en plus de compétences pour mieux répartir les fonds générés par le développement économique du canton. La mairie garde toujours son utilité.

Le « pays » n’est pas physiquement déterminé. Le pays de sept vallée n’a pas de base économique et le canton de Fruges n’est pas forcément tourné vers ce pays. Cette logique de développement n’était pas programmée par mon prédécesseur. Je suis arrivé en même temps que les lois sur la décentralisation. Les années 80 ont vu la disparition de nombreux maires élus depuis la libération.

Vous pouvez retrouver l’intégralité des témoignages sur le monde rural du pays des 7 vallées, Radinghem, dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/nous-entrerons-dans-campagne-pays-7-vallees-pas-calais-au-cours-20eme-siecle.htm


Voir en ligne : Radinghem intégralité de l’ouvrage

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