La petite Pomme

Firouzeh Ephreme - artiste conteuse pour les élèves du lycée professionnel de Senlis

A l’attention du lycée professionnel Amyot d’Inville, Senlis - Août 2012

Bonjour,

Permettez-moi d’abord de remercier le cadre enseignant, en particulier la classe qui nous a reçus et leur professeur, M. Sylvain Beltrame. Le jour où nous sommes venus, il y avait la grève … et ce jour fut une rencontre mémorable.

Firouzeh Ephreme

La petite pomme

Il était une fois des pommiers sauvages qui poussaient sur une vaste terre. À l’extrémité du pays, près du sommet d’une colline, vivait le plus grand de ces pommiers, âgé de trois cents ans. Chaque année, des centaines de visiteurs venaient l’admirer. C’était un tableau vivant plein de vigueur, de beauté et d’allure, et qui forçait le respect des hommes. […]

Un jour, l’arbre entendit les pommes discuter entre elles.

« Quand je serai grande, j’irai vivre dans un royaume merveilleux qui s’appelle bocal, posé sur une haute étagère de bois, et orné d’une jolie étiquette. J’en ai tellement entendu parler, raconta une pomme de couleur rouge, d’un air rêveur.

– Fais gaffe, la sélection est rigoureuse, ironisa sa voisine.

– On dit : “Fais attention”, lui rappela l’arbre.

– Moi, j’irai loin, et je serai un pommier, s’exclama une pomme minuscule.

– Moi aussi, je serai un arbre, mais je resterai ici pour devenir un pommier sauvage. Est-ce que je pourrai rester avec toi ? demanda-t-elle d’une toute petite voix à l’arbre.

– Bien sûr, j’en serai très heureux ! répondit ce dernier.

Pendant ce temps, une petite pomme située tout en haut de l’arbre se balançait. Elle avait une vue imprenable sur le pays, et était la première à sentir les rayons du soleil sur sa peau chaque matin. L’arbre l’aimait beaucoup.

« Qu’est-ce que tu fais ? l’interrogea l’arbre.

– Je veux descendre.

– Ce n’est pas le moment.

– C’est quand ? Je n’ai plus envie d’attendre, grogna la petite pomme.

– Tu es encore trop jeune. Il faut attendre le soleil d’été.

– À quoi me servirait-il ?

– À mûrir. À devenir une belle pomme, sans parasites ni maladies, d’où l’importance du soleil d’été, et d’où ma présence. Ici, tu es en sécurité.

– Mais quand aurai-je le temps de m’amuser, de découvrir la vie et de visiter le pays ? Je suis capable de décider par moi-même. Je n’ai pas besoin de leçon de morale, répéta la petite pomme.

– C’est stupide ! s’emporta l’arbre. Tu parles comme le plus médiocre des hommes, qui n’a que la cruauté et la mesquinerie en exemples, et dont l’éducation ne se résume qu’à des leçons de morale. Je t’enseigne la vie, et c’est à toi d’en saisir le sens afin d’éviter que quiconque te dicte tes actes. Je me demande ce que tu as pu entendre pour évoquer pareille absurdité ?!

– Pour faire quoi ? lui demanda la petite pomme. Pour devenir un pommier sauvage comme toi ? Seul, au milieu de nulle part !

– Je préfère rester sauvage mais libre. Tout réside dans la noblesse de l’acte, loin des mots, loin des murmures, loin de ce que l’on définit comme bon ou mauvais. C’est ainsi que tu pourras juger et différencier la bonté de la médiocrité. Les paroles gratuites et frivoles chantent et sont plus légères qu’une brise, mais elles se révèlent inefficaces, éphémères et malheureuses comme une leçon de morale.

– Et si tu me laissais en juger par moi-même ?! Je me considère assez mûre. Laisse-moi partir, laisse-moi m’envoler…

– Si je te laisse partir, tu ne t’envoleras pas ; tu tomberas, lourdement, sur une herbe froide et visqueuse. Je te retiens avec ma branche ; quant à toi, accroche-toi. Par amour pour toi, je voudrais tant que les choses soient différentes, mais c’est ainsi que ça marche », conclut le pommier sauvage dans un souffle.

Mais la petite pomme était pressée. Elle s’agita tellement qu’un beau matin, elle tomba sur le sol, bien avant l’heure.

« Salut, toi, dit une mauvaise herbe au pied de l’arbre. Je suis l’herbe.

– Bonjour, répondit la petite pomme.

– Dis donc, je sens déjà que tu es une pomme spéciale.

– Tu crois ?

– Ouiii.

– Pour quelle raison ?

– Je viens de te complimenter, et tu oses mettre mes paroles en doute ? se fâcha l’herbe.

– Non, pas du tout. Je souhaitais simplement savoir pourquoi, demanda la pomme.

– Parce que tu es courageuse. Tu es la seule qui soit descendue comme une grande. Bravo. Je me permets même de m’incliner devant toi », ajouta l’herbe.

Quelques secondes passèrent, et l’herbe se tenait toujours debout.

« Qu’est-ce que tu attends ? l’interrogea la pomme.

– Quoi ?

– Pour faire ta révérence ! Tu as dit que j’étais courageuse !

– Ah ouiii ?! »

Soudain, une petite brise se leva, et l’herbe s’inclina.

« Voilà qui est fait, s’empressa de dire l’herbe. Mais attention, il ne faut pas trop en demander, sinon on risque de ne pas être ami !

– D’accord, murmura la pomme. Et que fais-tu de tes journées ?

– Silence. Je profite.

– À faire quoi ?

– Justement, à ne rien faire, répondit l’herbe, tout en adoptant soudainement un air songeur. Oui, j’ai tout compris ! Méga million catastrophe. Tu as la maladie des pommes. Tu poses des questions. Cette maladie frappe surtout les arbres sauvages, mais ne t’en fais pas, je veille sur toi.

– Tu crois ? demanda la pomme.

– Encore une question absurde. Tu m’agaces, dit l’herbe, consternée. Tu sais quoi ? Désormais, tu demandes la permission de parler. Crois-moi, c’est mieux. »

La petite pomme se tut. Quelques instants s’écoulèrent, puis l’herbe commença à s’ennuyer.

« Ce n’est pas la peine de faire la tête. Détends-toi. Roule et viens vers moi que je te présente l’escargot, ordonna l’herbe à la petite pomme.

– J’arrive tout de suite. »

Les jours suivants, une amitié sans faille sembla relier les trois amis. Parties de rires et longues discussions secrètes étaient à l’ordre du jour. Le pommier sauvage les observait, ne sachant quoi penser. Et si le monde avait changé, que tout était devenu différent ? Plus de légèreté et moins de contraintes ? Mais même avec cet optimisme ambiant, il y avait quelque chose qui n’allait pas. Le pommier sauvage mit en garde la petite pomme.

« Sois prudente, lui conseilla-t-il.

– Tu as vu mes nouveaux amis. Regarde comme l’herbe est heureuse. Elle a toujours la tête en l’air, épanouie, lança la petite pomme.

– La mauvaise herbe n’a rien dans la tête et n’a aucune responsabilité à assumer. Elle pousse partout sans problèmes, ce qui n’est pas notre cas. As-tu réfléchi à cela ? […] Écoute, pomme, que veux-tu ? Que désires-tu ? Que puis-je faire pour toi ? Depuis que tu nous as quittés, je ne vois aucun changement, si ce n’est que je te sens triste.

– Je vais bien. »

Le pommier sauvage cherchait constamment à discuter avec la petite pomme, mais celle-ci refusait de parler sous prétexte de ne pas avoir assez de temps. Par moments, elle défendait ses amis et se vantait de mener une belle vie.

« Mais toi, comment vas-tu ? demandait l’arbre.

– Bien.

– Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

– Reste près de moi, murmura la petite pomme, un jour.

– Je ne bougerai pas », répondit l’arbre, le cœur lourd.

Depuis ce jour, l’arbre faisait tout pour rendre le moral à la petite pomme. Il riait, bavardait et agissait comme si rien ne s’était passé, mais la petite pomme n’était plus la même. Depuis peu, l’été était au rendez-vous, et les fruits grandissaient, mais l’état de la petite pomme s’aggravait. Flétrie, elle était mal en point.

« Tu savais que c’était fini pour moi. Tu l’as su dès le premier jour.

– Dès l’instant où tu m’as quitté. Sans connaissance ni expérience, tu étais encore trop petite pour affronter le monde, souffla le pommier sauvage.

– Merci pour tout.

– Tu seras toujours ma petite pomme.

– Pourtant, je souhaitais devenir une grande pomme. Je ne sais pas comment cela a pu arriver. Tu me pardonneras, un jour ?

– Et qui me pardonnera à moi ? dit l’arbre… Et s’il n’y avait rien à pardonner ?

– Alors, pourquoi cette situation inconfortable ? Et pourquoi est-ce que je me sens si triste ?! » demanda la petite pomme.

L’arbre marqua une pause.

« Est-ce que je t’ai raconté l’histoire de la petite mare ? demanda-t-il.

– Oui, au moins une dizaine de fois, mais j’aimerais l’entendre encore… C’est étrange, je ne me rappelle plus la fin…

– Sous le soleil brûlant de l’été, la petite mare se réduisit du jour au lendemain. Tout le monde la croyait morte, même son fidèle ami, le petit renard, mais la petite mare était plus intelligente. Silencieusement, comme une bête qui allait hiberner, elle battit en retraite et s’enfonça dans la terre en attendant les premières gouttes de pluie. Des mois passèrent, et le petit renard et d’autres bêtes avaient grandi. Un matin, suite aux pluies intenses, la mare fit son retour. Mais elle ne reconnut pas le renard qui, à son tour, passa à côté d’elle sans lui dire bonjour. Alors…

– Si tu me racontais l’histoire depuis le début ? demanda la petite pomme.

– Entendu », accepta l’arbre.

L’été touchait à sa fin. La pomme aux traits rouges qui souhaitait connaître le royaume bocal avait quitté le pays. Et la petite pomme minuscule qui désirait devenir un arbre avait réussi à trouver une place idéale mais croquée par une bête affamée, elle avait cru, pendant un instant, que ses rêves allaient partir en fumée.

« Ah, regardez-moi. De quoi j’ai l’air ! s’exclama-t-elle, désormais réduite à un trognon.

– Ridicule mais vivante ! Les événements que nous croyons heureux ne font pas forcément notre bonheur, et les plus terribles ne causent pas toujours notre perte, répondit sa sœur.

Quant à celle-ci, un soir, elle interpella un ours de passage.

« Je peux vous accompagner ? demanda-t-elle.

– Si tu n’as pas peur de traverser la rivière ! dit l’ours.

– J’adore la rivière. Au revoir ! s’écria la pomme en s’éloignant.

– Au revoir », répondit l’arbre.

Et avant qu’elle s’éloigne totalement, les premières brises de l’automne secouèrent les branches du pommier sauvage qui perdit soudainement ses feuilles.

L’arbre continuait à parler avec la petite pomme qui, pendant ce temps, clouée au sol, ne parlait plus, ne se souvenait plus de ses amis et n’avait plus la force de répondre au pommier sauvage. L’année suivante, l’arbre refusa de donner des fruits.

Quelques saisons plus tard, un petit pommier sauvage sortit de terre. Encore fragile, rien ne semblait faire obstacle à sa soif de vivre, ni les bourrasques, ni le froid, ni la chaleur de l’été. Il allait donner naissance au pays des pommiers sauvages étendu du nord au sud.

Fin


« Mieux vaut tard que jamais ! »

Bonjour,
Permettez-moi d’abord de remercier le cadre enseignant, en particulier la classe qui nous a reçus et leur professeur, M. Sylvain Beltrame. Le jour où nous sommes venus, il y avait la grève … et ce jour fut une rencontre mémorable.
Au mois de mai dernier, M. Beltrame nous avait informé que certains d’entre vous avaient débuté une vie professionnelle. Bonne chance à tous.

Bonjour KARAKURT Orhan,

Merci pour votre lettre. Les hommes ne sont pas si différents, et la proximité géographique les rapproche quant à leurs façons de vivre, de voir le monde et de s’exprimer. Par exemple, lorsqu’on évoque le nom d’Alexandre le Grand, c’est tout de suite le mot Eskandar qui nous vient à l’esprit puisque dans nos pays respectifs, nous le connaissons sous ce nom.
Au collège et en cours d’histoire, nous apprenions qu’Alexandre était un conquérant cruel qui a brûlé des bibliothèques immenses et anéanti une grande civilisation en Perse. D’ailleurs, on attribue la première déclaration des droits de l’homme à Darius le Grand, le roi perse. À cette époque, le droit et le respect de l’autre étaient les seuls moyens d’assurer la paix entre tous. Élève, je ne comprenais pas l’importance de ces simples mots.

Concernant la présence des intervenants lors de la présentation de votre projet, c’est une très bonne idée !

Je vous souhaite de réussir dans vos projets.

Firouzeh Ephreme


Bonjour Paolo,

La douleur fait partie de l’homme et faut croire que celui-ci est un menteur dans l’âme. Consciemment ou inconsciemment, il repousse ses peines immenses et s’accroche à ses petites joies pour pouvoir continuer à vivre. Je vous raconte une histoire que ma mère nous racontait :
"Jadis en Perse, un jeune roi tomba gravement malade et sut qu’il allait mourir. Alors il pensa à sa mère dont le chagrin était immense. Après réflexion, il souhaita la voir, et lui demanda qu’après sa mort, elle invite tout le royaume, à l’exception de ceux qui n’avaient jamais connu de chagrin suite à la perte d’un être cher. ’

Quelque temps plus tard, on enterra le jeune roi, et sa mère ordonna qu’on dresse les tables et qu’on fasse venir les gens. Quelques jours passèrent et malgré des tables bien garnies, personne ne se présenta au palais. Elle en demanda l’explication, et comprit qu’elle n’était pas la seule à souffrir de la perte d’un être cher.

Merci encore pour votre lettre.

Firouzeh Ephreme


Bonjour Mohamed,

Le plaisir de vous rencontrer était réciproque. En générale, en lisant les lettres des filles que l’idée d’une histoire me vient en tête, mais vu que vous n’étiez que sept garçons et de nationalités différentes, je n’étais pas en manque d’idées. Cependant, j’avais débuté l’histoire de « la petite pomme », grâce au dessin fait par une jeune fille pour son école d’art, avant de recevoir vos lettres. Je me suis donc dépêchée de la terminer, et je la dédie à votre classe. Je n’ai reçu vos lettres qu’au mois de juillet dernier.
Je suis assez maladroite à l’oral, mais je voudrais remercier ceux qui se sont déplacés l’année dernière à l’occasion de la journée bilan de « Paroles d’hommes et de femmes ».
En vous souhaitant de réussir dans vos projets,
Bien à vous,
Firouzeh Ephreme


Bonjour Meadi et Mangrana,

Merci infiniment pour vos lettres. Je vous souhaite de réussir tout ce que vous entreprendrez.

Firouzeh Ephreme


Bonjour Kilian,

Nous ne sommes pas égaux devant la nature. Certains possèdent une belle voix, d’autres ont des dons incroyables, et d’autres encore la faculté de comprendre vite. Cependant, ces gens-là sont rares.
Être vivant signifie que nous possédons le droit à la vie mais aussi le devoir de vivre, et la vie va au-delà des simples notes d’écoliers. Que nous soyons bons élèves ou pas, l’école a une mission : elle doit nous procurer la chance de devenirs égaux. Je pense sincèrement que l’école protège, préserve et nous aide à grandir.
Pour ma part, je n’étais pas brillante à l’école et mon père qui était lui-même professeur de littérature persane, nous encourageait beaucoup.

En vous souhaitant de réussir dans vos projets,

Firouzeh Ephreme


Merci à tous et à votre professeur, Mr Sylvain Beltrame.

P.S : Je voulais juste ajouter un dernier mot concernant la violence. La violence est un acte lâche qui peut s’exercer d’une manière physique ou morale, et il y a plus de victimes qu’on le pense.
Un abruti tape, mais celui qui manie la rhétorique, serait capable de faire dix fois plus de ravage. On parle souvent d’amour, mais ce sont la cruauté et le mal qui nous tracent, qui nous font souffrir et qui nous blessent au plus profond de nous-mêmes. Il nous reste l’école pour crier qu’il existe un autre monde, que nous pouvons passer à autre chose. C’est possible.