MMe Duculy née en 1915

Enghein au quotidien pendant le 20ème sicèle

Madame R, née en 1915

Mes parents ne sont pas d’Enghien, mais j’y suis née en 1915 et j’y ai toujours habité. Je me qualifie de véritable Enghiennoise. Mon père a travaillé au Casino comme inspecteur des jeux, du moins à la fin de sa vie. Il a commencé au Casino en 1908, jusqu’à la fermeture. Il a d’abord fermé pour la guerre 14 pour réouvrir beaucoup plus tard. Mon père observait les joueurs qui rentraient pour voir s’ils n’étaient pas interdits de Casino. Un jour, il voit rentrer un de ses neveux. Il savait qu’il n’avait pas le droit d’être là et il lui a dit de sortir, tout neveu qu’il était.

Ma mère était employée auxiliaire aux PTT. Mon père était beaucoup plus âgé qu’elle. Il avait fait la guerre de 1870. Il avait vu une grande photo faite dans les années 30, avec tous les combattants de 1870 qui habitaient Enghien. C’était quelque chose d’avoir un ancien combattant de la guerre de 70. Il n’a pas fait la guerre de 1914. J’ai perdu mon père en 32 et ma mère en 65.

J’habitais sur la grande rue, ce qu’on appelait "la grande route", l’avenue Général de Gaulle. Un tramway remontait ou redescendait la grande rue. Il a été remplacé par l’autobus. Il y avait de nombreux petits métiers. Tous les matins un marchand de fromage de chèvre passait avec une petite chèvre. Le rémouleur passait avec sa petite clochette, les gens l’appelaient de la rue. Les chanteurs de rue nous égayaient. Nous jetions des pièces par la fenêtre. Nous les jetions dans un morceau de papier. Ce n’étaient pas forcément des chanteurs connus, seulement des gens qui chantaient. Un marché se tenait la grande place. A chaque marché, les bâches étaient montées puis enlevées après. Il n’y avait pas de marché couvert. Ils l’avaient démoli pour construire l’autre en 1926.

L’octroi d’Enghien existait encore. C’était un peu comme une frontière. Les marchands s’arrêtaient, descendaient de leur voiture. Les contrôleurs leur donnaient un papier. L’argent était pour l’Etat. J’allais à l’école avec la fille du monsieur qui tenait le bureau d’octroi. Il y en avait un sur le pont des chemins de fer et un autre sur la limite d’Enghien / Epinay. Je crois que c’était destiné au transport des marchandises. Un jour on l’a supprimé, je ne sais pas pourquoi.
Un petit train allait d’Enghien à Montmorency. C’était un train poussif avec une vieille loco, des wagons à impérial, à étage. Quand on voulait vraiment s’amuser, on allait là-haut. On savait quand il arrivait parce qu’on entendait toc, toc, toc. Le train se mettait en marche. C’était follement agréable de le prendre au moment où les cerises étaient mûres. Il y avait beaucoup de cerisiers à Montmorency. Alors quand nous montions à flanc de coteaux, nous regardions les cerisiers de chaque côté. Le dimanche, de nombreux promeneurs prenaient ce petit train.

Un homme a marqué la ville. L’abbé Hénoque était un patriote formidable. Il venait à l’église d’Enghien pour faire les sermons. A la guerre 39-45, là il venait beaucoup plus souvent. Il faisait des sermons enflammés, alors on tremblait tous. Nous disions : « Il va se faire arrêter, il va se faire arrêter ». Rien ne l’arrêtait, les gens applaudissaient à la fin des sermons. Un jour les allemands sont venus pendant qu’il faisait un sermon de ce genre là. Ils l’ont embarqué. Il est allé à Auschwitz ou Buchenval, je ne sais pas quel endroit, mais il en est revenu. C’était un vieillard formidable, il doit être mort maintenant. Si bien que la ville avait décidé un jour de donner son nom à la place de l’église. L’abbé Hénoque a été dénoncé à la suite d’un sermon extraordinaire par une femme qui tenait un commerce de luxe à Enghien. On l’a su mais on ne pouvait rien y faire.

J’allais à l’école publique. On ne sentait pas de différence entre les élèves du public et du privé mais on ne se regardait pas beaucoup. Nous ne nous connaissions pas, parce que nous n’avions pas de raisons de nous connaître. Le catéchisme n’était pas aux mêmes heures. Même à Paris il y a des écoles privées et des écoles publiques où l’on ne se fréquente pas tellement. Quand les jeunes se fréquentent c’est qu’ils se connaissent par un autre biais souvent. Ce qui n’existait pas tellement quand nous étions jeunes. Les jeunes se connaissent grâce à des associations.

Je suis très peu allée au patronage. Je n’étais pas obligée. J’étais également enfant de Marie. Nous faisions notre communion solennelle, qui à l’époque était la première communion, à 11 ou 12 ans. Nous étions croyants mais pas pratiquants. Par contre j’ai eu une marraine très pratiquante. Elle a tenu l’orgue de l’église d’Enghien pendant vingt ans ou vingt-cinq ans. C’était une famille très pieuse, alors ma marraine s’occupait bien de mon éducation religieuse. C’était une amie. Maman était très croyante, mon père n’en parlait pas. J’ai fait ma communion en robe blanche.

Le Casino et la madelon

Devant le Casino étaient installées des petites boutiques pour que les gens puissent vendre leurs colliers, leurs objets. Quand ils étaient en train de jouer certains perdaient tout, ça arrivait souvent. Comme ils avaient quand même le vice, il fallait qu’ils récupèrent cet argent. Ils vendaient tout ce qu’ils avaient, bijoux et autre chose aux petites boutiques qui étaient là. C’était le même personnel au Casino d’Enghien qu’à Nice. C’était la même direction. Ici le Casino était ouvert l’été et là-bas ils étaient ouverts l’hiver.

Pendant la guerre 14/18, tout un bataillon de soldats est venu au Casino d’Enghien pour se remettre. Ils avaient été blessés. On les a amenés là en convalescence. Et c’est là que l’on a entendu pour la première fois la Madelon. Tous les soldats qui étaient au Casino en convalescence se sont mis à chanter la Madelon, qui était une toute nouvelle chanson. Après on les a renvoyés sur le front. C’est ce qu’on m’a raconté, j’avais trois ans à la fin de la guerre. Maman m’en parlait encore après. Les soldats qui ont quitté le Casino pour aller sur le front ont tous été tués peu de temps après.

Le Casino a servi de centre de convalescence jusqu’à la fin de la guerre. Il n’a réouvert ses portes qu’en 1930, parce qu’il n’avait pas eu l’autorisation d’ouvrir avant. Monsieur Patenotre des Noyers, Maire d’Enghien pendant longtemps, a réussi à faire réouvrir le Casino et l’établissement thermal surtout, parce que l’un ne va pas sans l’autre. Beaucoup de gens venaient de Paris pour faire la cure.

Travail

Quand j’ai eu mon certificat d’études, mes parents n’étaient pas riches. A ce moment là les parents ne payaient pas beaucoup d’études aux filles, sauf dans les familles très aisées. Après mon certificat d’étude on m’a donc orienté vers des études commerciales. J’ai continué ces études commerciales le temps d’avoir mon diplôme de sténodactylo, de comptabilité, et après j’ai travaillé, à 15 ans. J’ai travaillé tout de suite, mais sur Paris, je suis rentrée dans une compagnie d’assurance. C’était à une époque où on ne trouvait déjà plus de place, en 1930.

C’est par relation que j’ai eu cette place qui n’était pas formidable. On était content quand on trouvait du travail. Je n’ai pas tellement bien démarré ma vie active en ce sens que j’avais un travail ni très bien rétribué, ni tellement intéressant. J’y suis quand même restée des années. La crise en 30-31 ça s’est senti partout. C’était le chômage. Cette situation désastreuse a duré jusqu’à la guerre 39/45.

Quand j’ai commencé à travailler, ils inauguraient la semaine anglaise, donc j’ai travaillé le samedi jusqu’à midi et j’avais l’après-midi libre. Et il n’y avait pas tellement longtemps que je travaillais, lorsqu’il y a eu la semaine américaine. Donc nous avions le temps libre complet, les samedis et dimanches.

Il y a eu également plus de vacances en 1936, et des augmentations de salaire. Pendant notre heure de déjeuner, nous allions aux Galeries Lafayette, voir les vendeuses derrière leurs grilles. Il y avait beaucoup de grandes compagnies d’assurance dans ce secteur. Tout ça était en grève, mais sur le tas. Ils étaient tous sur leur lieu de travail. On allait les voir, on allait discuter.

Je n’ai jamais fait la grève de ma vie. De par les circonstances, je n’ai jamais travaillé dans une maison qui faisait grève. Comme je n’étais pas spécialement pour la grève, je trouvais ça bien. Dans ma première place, au sein de la compagnie d’assurance, j’ai eu une de mes collègues, une jeune fille, qui n’est pas venue travailler un premier mai. Elle a été renvoyée. Quand je pense que maintenant on donne la journée du premier mai aux gens qui travaillent…

Enghien au quotidien

Enghien était envié par tout le monde, notamment son champ de course. Il n’y avait pas de boutiques aux alentours, il fallait rentrer dans le champ de course. Maintenant on a construit des parkings. A la place des immeubles en face du champ de course, c’était un bois marécageux, le bois Jacques. Ils l’ont asséché un jour.

Quand j’ai travaillé dans les produits pharmaceutiques, dès le 30 ou le 31 du mois, trois ou quatre personnes, venaient demander un acompte sur le nouveau mois. Le temps qu’ils remboursent tout ce qu’ils devaient, ils n’avaient plus de sous. On leur donnait un nouvel acompte, un acompte qu’on ne leur devait pas puisqu’ils avaient travaillé deux/trois jours. Ca c’est dans les années 50.

Au cours du temps, on a démoli les vieilles maisons pour en construire des plus grandes et des plus modernes. Des particuliers habitaient ces grandes propriétés, j’en connaissais. Il y avait notamment une belle maison à côté du Casino.

Il y avait un appariteur à la mairie mais il n’y avait pas de garde champêtre. J’ai connu des suisses à l’église, habillés comme des gardes du Vatican. Ils avaient un costume chamarré avec une sorte de bicorne. Quand il y avait mariage, le garde Suisse était devant l’église avec son sceptre. Il tapait par terre devant les mariés comme ou théâtre. Ils dépendaient de l’église. Ils avaient un métier, une profession et faisaient ça en plus. A chaque grande messe solennelle, on voyait les Suisses.

Des étals étaient installés sur la petite promenade autour du lac. Des marchands vendaient le poisson qu’on avait retiré du lac. On louait des barques, des canots pour naviguer sur le lac. Quand le Casino a été réouvert, ça n’a rien ramené à la ville d’Enghien, aux commerçants. Les gens qui viennent jouer, viennent en voiture. Il y avait surtout un service de car entre la Madeleine à Paris et ici. Certains joueurs venaient quand même par le train. Il y a la vie du Casino et la vie de la ville. Ce sont deux choses différentes. Nous ne sommes pas du tout mêlés à la vie du Casino. La ville d’Enghien n’a jamais profité des joueurs.

Les Casinos, comme Forges les Eaux par exemple lequel n’est pas très loin de Paris, voulaient que le Casino d’Enghien ferme. Ils voulaient que se reproduise ce qui était arrivé dans les années 20. A tant de kilomètres de Paris on n’avait pas le droit d’ouvrir un Casino. Mais le Maire d’Enghien a réussi à faire balayer cette loi et le Casino a été réouvert. Mais il peut de nouveau refermer pour les mêmes raisons, parce que les Casinos de Forges les Eaux et même plus loin, les Casinos de Dieppe, de Deauville, sont contre le fait que nous en ayons un à Enghien. Ca leur retire de la clientèle.

Le jardin des roses était magnifique au cours de ce siècle. Le kiosque à musique était abrité par un énorme arbre, avec tout autour des petits arbres. Nous mettions des chaises à côté. L’orchestre du Casino jouait ici. Le théâtre marchait trois fois par semaine, dont au moins deux fois pour des opéras ou opérettes. Il fallait donc qu’ils aient un orchestre. L’orchestre venait le dimanche dans le kiosque à musique rejouer tous les airs de la pièce qu’ils avaient interprétés la veille au soir. Ca a duré tous les dimanches mais ce fut interrompu par la guerre.

Il y avait un bal où tout le monde allait, tout à fait en haut d’Enghien, au coin de la route de Saint-Leu. Il y en avait un autre situé à l’entrée d’Epinay. C’est là que la bonne jeunesse allait. C’était un peu le genre de jeunesse dorée que nous avons eu certaines années. Ils étaient tous inscrits à la société nautique. Ils aimaient bien monter et redescendre la grande rue avec une raquette à la main. Et puis il y avait des bals pour tout le monde. Il y avait aussi l’hôtel de la paix, qui a été démoli. Il était situé à peu près où est le Prisunic. C’était ce qu’on pouvait appeler un hôtel chic, mais si on le voyait maintenant ça n’aurait rien d’un hôtel chic. Il y avait également un dancing le samedi et le dimanche, c’était déjà mieux que les autres.

Ce n’était pas vraiment la jeunesse dorée de Paris qui venait ici, parce que Enghien avait sa propre jeunesse dorée. La ville n’avait pas besoin d’aller la chercher ailleurs. Il n’y avait pas beaucoup d’immeubles d’habitation, mais de grandes propriétés où se retrouvait cette jeunesse dorée.

La différence sociale entre les gens était énorme, même entre les enfants à l’école. Beaucoup ont comme moi grandi à Enghien. Toute la période de travail je n’ai pas vécu dans cette ville. C’était ma ville dortoir. J’ai retrouvé tout ce monde là quand j’étais à la retraite. Quand je suis rentrée en résidence, il y a un tas de gens que je connaissais, avec qui je parlais, et qui ne m’auraient jamais adressé la parole avant. Maintenant tout le monde se connaît, tout le monde se parle. Mais Enghien c’était la ville bourgeoise dans le mauvais sens du terme. Ce n’est plus ça maintenant, les populations se sont brassées.

Je n’ai jamais vu personne se baigner dans le lac d’Enghien. Je l’ai toujours connu boueux. La piscine on ne l’a eue que quelques années. Elle était très peu fréquentée. Ils ont construit une piscine en plein air, alors qu’avec notre climat je ne sais pas ce que ça peut donner. De plus elle était très chère… Les gens d’Enghien même n’allaient même pas se baigner.
Il n’y avait pas vraiment de magasins de luxe. Les personnes aisées n’achetaient pas à Enghien. Nous avons quand même toujours eu des magasins un peu mieux que ceux des petits patelins autour. Ils venaient faire leurs courses à Enghien, encore aujourd’hui.

Avant la guerre39/45, nous avions tous les ans des courses automobiles sur la jetée du lac, alors là il y avait des belles voitures, « de belles Mesdames »… J’y allais toujours pour voir ça. Ça a repris après de temps en temps, mais enfin ce n’était plus comme avant la guerre.

La première préoccupation, juste après la guerre, était de pouvoir acheter de quoi manger, comme partout… Nous étions tellement heureux d’être libérés. Il n’y a pas eu de modification subite, ça s’est fait petit à petit. Nous avions toujours notre train qui nous mettait à la gare du Nord. Les trains se sont modernisés. J’ai commencé à travailler avec les vieux wagons en bois et les wagons sans couloir. Il y avait alors deux banquettes et toujours beaucoup de monde pour aller travailler. Les gens restaient donc debout entre les jambes. Aujourd’hui de nombreuses personnes ont une voiture pour aller travailler, tous ces gens là avant prenaient le train.

Les dernières années où j’ai travaillé. J’avais ma voiture. Le soir je mettais autant de temps que si j’avais pris un moyen de locomotion public. Mais après une journée, le fait de sortir de mon travail et de m’asseoir dans ma voiture toute seule m’enlevait je ne sais pas combien de fatigue, même parmi les embouteillages.

Je suis restée vivre à Enghien alors que je travaillais à Paris. Mais j’avais tous mes amis à Paris. On sortait le soir, je rentrais chez moi sur le coup de 11 heures du soir. Je n’étais pas très rassurée dans Enghien. C’était noir, on ne voyait personne. On ne trouvait pas de place pour se garer en rentrant.

Les bals du 14 juillet dans les années 50 attiraient beaucoup de monde. Les cafés en principe organisaient la fête. Nous avions un très beau feu d’artifice De même qu’après la guerre il y avait toujours la fête de la libération, avec de grands bals. J’aime bien l’ambiance d’Enghien. C’est à la fois la ville et la campagne. On s’habille ici comme si nous étions en vacances.

Nous allions au cinéma, au théâtre, dans les bals de société. A Enghien comme dans beaucoup de villes, il y avait de nombreuses sociétés, comme les anciens combattants. Elles avaient une cagnotte pour leur fonctionnement et, une fois par an en hiver, elles donnaient un bal. Le bal avait lieu dans la salle des fêtes qui a été changée depuis. Alors nous, jeunes filles, nous faisions faire de belles robes du soir, des robes longues. Nous allions au bal toujours accompagnées de nos mamans et c’est comme ça que l’on pouvait rencontrer les garçons.