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Saint Cyr l’Ecole sous garnison allemande

Mme Pagnoux née en 1931 à Saint CYR L’ECOLE

mardi 21 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frédéric Praud


Je suis née en 1931, à Saint-Cyr-L’école, dans les Yvelines, autrefois département de la Seine-et-Oise. Ma mère restait au foyer et, mon père était ouvrier de l’Etat au Ministère de l’Air. Il n’était pas militaire, mais civil, ouvrier au sein du ministère. Nos conditions de vie étaient modestes mais pas malheureuses. Nous étions locataires dans des immeubles ouvriers. J’ai de très bons souvenirs de ma jeune enfance, des moments heureux avant-guerre. Nous allions en vacances dans la famille. J’avais un oncle boucher en Touraine, à côté de Tours et une tante qui tenait une boulangerie dans la Sarthe. Nous n’allions pas au bord de la mer, mais j’avais tout de même des vacances paysannes intéressantes.

1939 : le début de la guerre

J’entendais surtout les conversations des grandes personnes qui disaient que ça allait mal partout, puis il y eut la mobilisation générale en 1939. J’ai entendu, à la radio, que les Allemands avaient envahi la Pologne. Là, j’étais vraiment perturbée. J’imaginais, à cause des discours qui étaient tenus à la radio, les gens envahis par l’armée allemande. Et quand ils sont arrivés en France, j’avais une peur !

J’avais huit ans en 1939. J’ai vécu la déclaration de guerre, chez cette tante dans la Sarthe. Les Allemands bombardant Saint-Cyr lieu militaire stratégique et nœud ferroviaire, j’avais été évacuée chez cette tante, boulangère. J’ai vécu l’arrivée des Allemands dans la Sarthe.

On voyait des ombres poser des fils dans la nuit … mais c’était peut-être mon imagination. J’ai cru voir que l’on mettait des fils électriques au bord des maisons… J’ai cru que l’on allait faire sauter la maison. C’était une frayeur.

J’ai vu les gens des villes arriver dans les campagnes. Même ma tante, à ce moment-là, parlait de partir, car tout le monde s’en allait sans savoir où. C’était la frayeur... Mais je ne suis pas allée sur les routes. Je n’ai pas vécu ça.

Entre temps, mes parents étaient restés à Saint-Cyr. Un jour, j’ai vu arriver mon père en militaire chez cette tante … mon père qui avait fait la guerre de 14-18. Il avait vingt ans en 1914, il était donc parti et avait fait toute la guerre. Je l’ai vu arriver en 1940 en habit d’aviateur. Cela m’a bouleversée. Du coup, j’ai eu un saignement de nez. Il avait été mobilisé. Ils sont partis en zone libre. Je l’ai revu quand il est revenu en civil en 1941… car il était déjà d’un certain âge. Ma mère était restée à Saint-Cyr. Mais, elle était passée chez ma tante un certain temps pendant l’été.

J’avais peur des soldats allemands. Mon cousin, boulanger, faisait le pain. Il était jeune. Il devait avoir à peine vingt ans. Ma tante avait peur que les Allemands l’emmènent.

Retour à Saint-Cyr

Mon père n’étant plus là mais en zone libre, ma mère avait dû rester quelques mois chez sa sœur avec moi. Nous avons ensuite retrouvé l’appartement à Saint-Cyr. Il avait été occupé par les Allemands pendant que ma mère était partie. Ce n’était pourtant pas luxueux, mais enfin, ils étaient partout. Quand nous sommes rentrées, la table était mise. Il y avait des restes mais ils n’étaient plus dans l’appartement. La vie a donc repris tant bien que mal… sans mon père.

Je suis allée à l’école. J’avais neuf ans, en 1940. Les écoles n’étaient pas occupées par les Allemands mais une quantité d’Allemands vivaient dans Saint-Cyr ! Il y en a eu énormément pendant toute l’occupation !

Je vivais très mal cette occupation. C’était toujours la même chose : j’allais à l’école... D’ailleurs, dans les premiers temps, ma mère m’emmenait à l’école et me ramenait… avec des Allemands partout… partout !

Il n’y avait pas d’oppression à l’école publique, à part défiler en chantant. Un peu plus tard, les Allemands ont entrepris de nous emmener dans les champs de pommes de terre pour ramasser les doryphores qui étaient sur les branches. Ils nous donnaient des boîtes de conserve et il fallait ramasser les bestioles. Je vivais ça comme une obligation. Ce n’était pas un jeu car ce n’était pas appétissant de ramasser ça.

Pour moi, l’occupation, c’était l’oppression… et le manque de nourriture. Pour se ravitailler, c’était catastrophique ! Même avec les tickets de rationnement, il fallait faire la queue ! Ma mère faisait la queue pendant des heures devant un commerçant pour s’entendre finalement dire : « Ah, bien non, je regrette, pour aujourd’hui, c’est fini. Je n’ai plus rien à vous vendre. » …et c’était reporté à une date ultérieure.

Il y eut un battement de temps avant que mon père ne revienne pendant lequel je ne sais pas trop comment ma mère s’est débrouillée… Une fois revenu, il a repris son poste au ministère mais sous la direction des Allemands. C’était ça ou ne pas travailler et laisser la famille sans revenus.

L’occupation

On a eu le couvre-feu. A huit heures du soir, il ne fallait plus circuler dans les rues. Si on circulait, ils vous embarquaient à la kommandantur.

On entendait parler de la Résistance, mais comme nous avions peur que les Allemands posent des questions et que les enfants parlent à tort et à travers, tout se passait en dehors de la présence des enfants. Les adultes ne parlaient pas de ça en leur présence.

Je me souviens d’avoir vu quelques enfants, quelques camarades, avec l’étoile jaune, mais je n’ai pas assisté personnellement à des arrestations et je n’en ai pas vu disparaître. J’avais demandé à mes parents ce que cela signifiait. Ils m’avaient répondu que pour reconnaître les enfants israélites, on les obligeait à porter cette étoile.

Saint-Cyr étant vraiment une ville de garnisons – il y avait énormément d’Allemands - je pense que les israélites sont partis très tôt. Il n’y avait pas un seul endroit où il n’y avait pas d’Allemands… Ils avaient remplacé les Français dans les casernes de Saint-Cyr. De mes fenêtres, je voyais les cours de l’école militaire, et ils étaient tout le temps là, comme les élèves de Saint-Cyr auparavant.

Mes parents avaient peur de la police. Au couvre-feu, si les fenêtres étaient mal garnies, ils venaient et montaient, parfois accompagnés d’Allemands. Comme mon père écoutait Radio Londres, nous avions peur quand on entendait frapper !

Noël …1942 était la pire année. Nous n’avions pas de chauffage. L’hiver 42 a été très rigoureux. Je me souviens que la serviette de toilette était toute raide…gelée ! Nous étions plein d’engelures. Nous avions la gale du pain comme on l’appelait parce qu’on avait du pain fait avec je ne sais quoi. Nous avions plein de gale entre les doigts. Cet hiver-là a été très dur. En face de notre immeuble, des appartements étaient habités par des Allemands, des femmes allemandes. Comme il n’y avait pas de réfrigérateur à l’époque, elles mettaient leurs victuailles sur le bord des fenêtres. Il y avait des saladiers d’œufs, et nous, nous n’avions rien du tout !

Trouver à s’habiller et à se nourrir était un vrai travail parce qu’on passait son temps à faire la queue chez les commerçants. Les mamans rafistolaient les vêtements des enfants comme elles pouvaient : elles rallongeaient les manteaux, les robes, elles détricotaient… Je me souviens avoir détricoté des pull-overs et les avoir re-tricotés avec des laines différentes pour essayer de faire quelque chose.

1943 : L’espoir

Mon père travaillant au ministère était entouré d’Allemands. Il y avait des SS bien sûr, mais aussi des militaires allemands qui faisaient la guerre, comme pouvait la faire n’importe quel soldat, et qui partaient sur le front russe. Ils en avaient une frousse ! Mon père me racontait ça. D’ailleurs, l’espoir est venu à peu près à ce moment-là car malgré tout, on les savait très préoccupés par ce front de l’Est. Je me souviens que mon père mettait des petits drapeaux sur la carte d’Europe pour marquer l’avancée des Russes et le recul des Allemands, avant que je ne parte à la campagne. Les Allemands ne pouvaient pas être partout à la fois. De plus, les bombardements s’intensifiaient.

Il y a eu des bombardements terribles à Saint-Cyr. Nous allions alors dans les caves toutes les nuits… Toutes les nuits, il fallait partir, descendre dans les abris, les caves. Nous n’avions plus d’école. Les cours étaient donc dispensés chez des particuliers. Un cours se passait dans une pièce chez une personne, un autre dans une autre pièce. Mais après, on ne pouvait même plus… Saint-Cyr a été pratiquement rasé.

Mes parents ont décidé de me faire partir à la campagne. Je suis alors retournée dans la Sarthe, dans une petite ferme, cette fois-là. Ma tante a dit : « On va la mettre chez des gens qu’on connaît dans une petite ferme ». Là, je ne manquais de rien au point de vue nourriture. Je mangeais à ma faim. Il n’y avait pas de superflu mais enfin… Comme il y avait trois vaches, la fermière avait du lait. Elle l’écrémait, récoltait la crème et on faisait le beurre au baratier. Je l’aidais. On ramassait les pommes, les fruits dans les champs etc. C’est un bon souvenir. Là, c’était sympa… enfin, sympa…

A la campagne, les voisins n’étaient pas proches géographiquement. J’étais protégée, excepté le fait que je n’avais pas mes parents. Je n’avais pas beaucoup de nouvelles, car les bombardements s’intensifiant, la correspondance était pratiquement nulle. Là, je n’allais pas à l’école. J’avais d’autres camarades mais plus âgés que moi. Lorsqu’il y avait un mariage, ils montaient une chaumière dans les prés et on allait danser. J’avais treize ans à l’époque, en 1944. Alors, aller danser à treize ans avec les plus grands était extraordinaire !
Dans les fermes, ils tuaient le cochon et se le partageaient entre fermiers chacun à son tour. Je ne me souviens pas avoir vu d’Allemand à la campagne. J’étais dans une petite exploitation. Il y avait trois vaches, un âne, un cochon et deux chèvres.

Je ne savais pas si j’allais revoir mes parents… Ils n’ont pas pu rester à Saint-Cyr parce qu’ils ont été sinistrés mais ils ont été hébergés au Chesnay, à côté de Versailles. S’ils n’ont pas été tués, c’est le destin… parce qu’ils auraient très bien pu rester sous un bombardement. Il ne restait presque plus rien de Saint-Cyr.

La libération

J’étais toujours dans ma ferme au moment de la Libération. La Sarthe a été libérée par les Américains, pas par l’armée française. La fille de la ferme était un peu plus âgée que moi et j’allais danser avec elle ! Les Américains étaient principalement de race noire. On ne les voyait pas dans le village. Ils passaient sur la route nationale pour aller au Mans. Nous sommes donc allées à pied sur la route nationale qui était encore éloignée, parce qu’on savait qu’ils arrivaient. Je me souviens que nous sommes allées les voir passer. C’était vraiment formidable ! Ils nous jetaient du chocolat et des bonbons !

Je n’ai pas trop senti de changements à la Libération parce qu’à la campagne, là où j’étais, je ne voyais pas d’Allemand ou très peu.

Quelques temps après, mes parents sont venus me chercher mais il a fallu attendre que les transports se rétablissent. Je suis remontée au Chesnay, puisque mes parents habitaient là. Il y avait une pénurie de logements avec les sinistrés. La mairie réquisitionnait des logements. Les gens que nous remplacions devaient être partis je ne sais où. Ils avaient donc mis les meubles de ces locataires dans une pièce avec les scellés et on occupait deux pièces.

La vie reprenait mais on sentait toujours une dureté pour se nourrir. Ce n’est pas revenu comme ça d’un seul coup. Mais j’avais retrouvé mes parents ! J’étais très heureuse. Et je suis repartie à l’école primaire. J’ai passé mon certificat d’études, puis j’ai continué au cours complémentaire. J’ai ensuite passé mon brevet commercial et j’ai commencé à travailler.

Le jazz, j’en ai entendu parler. Mais j’étais trop jeune. J’habitais le Chesnay, c’était pour ainsi dire Versailles – et le jazz, ça se passait à Paris. Si j’avais dansé sous les chaumières dans la Sarthe, ce n’était plus du tout ça en ville !

A partir de la Libération, nous avons connu de nouveaux produits : notamment les réfrigérateurs. Cela a vraiment été un bouleversement dans la vie, dans le quotidien.

Message aux jeunes

La guerre est quelque chose d’épouvantable. Il ne faut pas revivre ça. Je ne pense pas que l’on revive cela avec les Allemands. En tout cas, je ne retiens pas d’animosité contre eux. De plus, ce n’est pas parce qu’on n’est pas de même religion ou qu’on n’a pas les mêmes opinions qu’on doit se battre. Nous sommes tous égaux. Nous cherchons tous à être le mieux possible.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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