Pierrefitte : la banlieue se construit dans les années 60
Mme Andrée Dalarun née en 1921 à Saint-Pierre de Coutances
texte Frederic Praud
Mme Andrée Dalarun
De Saint-Pierre de Coutances à Sarcelles
Je suis née en 1921 à Saint-Pierre de Coutances, en Normandie. Mes parents étaient cultivateurs. Ils n’étaient pas propriétaires et je vous assure que nous n’étions pas riches à la maison ! Ils n’avaient donc qu’un désir. Nous étions deux filles et ils voulaient que l’on s’instruise un petit peu. Alors, comme on était à proximité de Coutances, je suis allée à l’école publique, à l’école laïque, et j’ai continué jusqu’au Brevet.
J’aurais bien voulu être institutrice mais, on a prévenu mes parents qu’il n’y avait pas d’école normale dans le coin, qu’ils allaient devoir mettre leur fille en pension et que ça allait leur coûter tant. Ce n’était pas possible ! Ils n’avaient pas les moyens… Ils ne pouvaient pas payer… Ma mère m’avait proposé : « Ton grand-père était dans les postes. On pourrait peut-être te prendre là-bas ! » Mais je n’avais pas obtenu de place à la Poste… C’est alors qu’une de mes anciennes institutrices m’a dit : « Attends ! Je crois que dans une rue, il y a une espèce de bureau où l’on recherche une employée. » C’était le bureau de l’enregistrement et du timbre.
Je me suis donc présentée mais ça me fichait le cafard parce qu’il y avait des grilles aux fenêtres. C’était comme une prison et ça ne me plaisait pas trop… Mais, j’y suis allée et l’on m’a embauchée… Ça me changeait ! C’était même curieux… On m’a dit : « Tu peux quand même suivre des cours ! » et c’est ce que j’ai fait. Puis, un beau jour, j’ai passé un concours et j’ai été reçue contrôleur des impôts.
Saint-Pierre de Coutances était une petite commune de cent quatre-vingt habitants, dont papa était adjoint au maire. En 45, le général de Gaulle avait décidé que les femmes pouvaient voter et quand il y a eu des élections en 47, j’ai été élue conseillère municipale. Mais à l’époque, il n’y avait pas de campagne électorale ! On a simplement inscrit mon nom sur un papier et voilà… Mais, quand je suis venue en région parisienne après mon mariage en 1950, j’ai évidemment donné ma démission. Les grands-parents de mon mari vivaient dans le même village que moi. C’est comme ça que je l’avais rencontré… J’ai été nommée dans un service, rue des Pyramides à Paris. Alors pour du changement, c’était du changement ! J’étais une fille de la campagne mais j’avais quand même toujours vécu au bord de la ville.
Nous avons d’abord habité Boulogne-Billancourt. Mon mari y était enseignant. Et bien, nous avions un petit studio, à je ne sais plus quel étage, au beau milieu des usines Renault ! Pour quelqu’un qui venait de la campagne, c’était quelque chose ! Ensuite, mon mari a passé un concours pour devenir directeur d’école. Il a été nommé à Pierrefitte.
Seulement, à ce moment-là, il n’y avait pas de moyens de transports faciles ! Or moi, j’avais été un temps tranquille et j’avais essayé de passer mon permis de conduire avec succès. Mon mari ne l’avait pas. Alors, quand on a acheté une petite voiture, je l’emmenais et je restais toute la journée à Pierrefitte.
Á partir de là, on comptait nous installer là-bas car le directeur de l’école était logé sur place. On s’est dit : « Ça va être bien ! On va avoir le logement ! » Mais, celui que mon mari a remplacé en septembre n’a pas trouvé tout de suite d’appartement. Nous n’avons donc pu emménager qu’au mois de juillet suivant… Il a fallu attendre un an ! Je me trouvais enceinte et je ne savais pas où j’allais accoucher. Finalement, j’ai donné naissance à notre quatrième enfant à Boulogne…
Installés à Pierrefitte, c’était formidable ! Notre cinquième enfant, qui s’appelle Pierre, y a vu le jour. Quand il était gamin, il croyait qu’il s’appelait comme ça parce qu’il était né à Pierrefitte. Bébé, je le promenais dans son landau en allant faire mes courses mais un jour, tous le gamins de l’école m’ont sorti :
« - Oh Madame, Madame ! Votre bébé !
– Regardez-le bien ! Voyez-vous, c’est le dernier fils du chérif ! »
C’est comme ça qu’ils avaient surnommé mon mari… Á ce moment-là, je vois les gosses qui deviennent tout pâle et qui se sauvent ! « Voilà qu’elle sait qu’on l’appelle le chérif ! » Quand j’y repense, j’en ris encore !
Au bout d’un certain temps à Pierrefitte, l’appartement que l’on avait était devenu tout de même juste avec nos cinq enfants. Il n’était pas très grand ! Lorsqu’ils sont entrés au lycée, mon mari allait parfois les chercher à la sortie. Un jour, il a ramené une camarade de sa fille chez elle, à Sarcelles, et il a eu l’occasion de monter dans son appartement. En rentrant, il m’a dit : « Oh dis donc, si tu voyais le logement qu’ils ont, avec un couloir, des placards ! Si on pouvait être logés comme ça… » C’était dans un immeuble du boulevard Camus. Nous avons donc cherché ensuite un appartement à Sarcelles et c’est ainsi que nous sommes venus y habiter.
Évidemment, ce n’était pas pareil mais on avait beaucoup de place ! Les enfants avaient chacun leur chambre ! C’était un F5 ou un F6 ! Nous avons acheté notre appartement en 74 et j’y suis encore aujourd’hui. J’en suis contente car lorsque ma famille vient me voir, je peux les accueillir ! Cinq enfants, avec les conjoints et conjointes, cela fait dix personnes, plus douze petits enfants, cela fait vingt-deux, et avec moi, vingt-trois.
La construction de Sarcelles
Dans les années 60, à Pierrefitte, nous avons vu construire Sarcelles de nos fenêtres d’appartement. Ça nous intéressait ! Nos deux enfants aînés n’avaient qu’un an d’écart et il fallait qu’ils entrent en sixième. Á Pierrefitte, on dépendait de Saint-Denis. Mais, à ce moment-là, nous avons appris qu’un lycée venait d’ouvrir sur Sarcelles et que l’on pourrait peut-être les y inscrire.
Au début, l’un a été inscrit à Saint-Denis et l’autre à Sarcelles. Alors bien sûr, mon mari est vite allé faire inscrire le deuxième à Sarcelles car automatiquement, quand vous avez un enfant dans un établissement, vous pouvez y mettre le suivant. Á partir de là, on s’est forcément attaché à Sarcelles ! Ce devait être en 62 ou 63, puisqu’ils sont nés respectivement en 51 et 52.
En 1959, quand nous sommes arrivés à Pierrefitte, le Grande Ensemble commençait à peine à se construire. D’ailleurs bien plus tard, lorsque mon mari était à la retraite, on a rencontré un de ses anciens élèves qui lui a dit : « Monsieur le directeur, vous vous rappelez ? Une fois, j’ai fait des bêtises et mon instituteur m’a envoyé dans votre bureau. Et quand je suis entré, vous m’avez expliqué : « Tiens, regarde en face ! Tu vois là-bas, le travail que ça demande aux ouvriers ! Vois-tu comment il faut être sérieux et bien travailler ? » Il se souvenait toujours de ça…
Le centre des Sablons venait d’être créé et que ce n’était pas très loin pour moi. Ce que j’appréciais cette proximité ! Là où sont les Flanades, toute de suite à l’entrée, un grand trou avait été creusé pour construire ce qu’il appelait le SUMA. D’ailleurs, cela avait fait un drame à ce moment-là : il y avait un tel chantier qu’un jour, un des enfants qui jouaient là, s’est noyé dans un grand bassin d’eau. Par la suite, on était tellement heureux d’avoir ce magasin où l’on pouvait tout trouver, que l’on a invité des amis de Boulogne-Billancourt à venir nous voir. « Venez ! Comme ça, je vous ferai voir quelque chose que vous ne connaissez pas chez vous ! » Et hop ! Nous voilà partis dans le magasin. Évidemment, j’ai pris un caddie, pour montrer à mes amis mais arrivée à la caisse, un des surveillants m’a dit : « Madame, il faut mettre aussi ce qu’il y a dans les poches ! » J’avais effectivement un paquet de bonbons qui dépassait…
Mes enfants étaient venus avec moi. Ils étaient tout jeunes ! La petite m’a alors annoncé : « Tu sais maman, c’est quand tes amis sont arrivés. La dame, elle nous donné à chacun un paquet de bonbons. Alors moi, je n’ai pas voulu remonter dans ma chambre ! Je l’ai mis ans ta poche ! » Je me suis donc expliquée avec le surveillant, je me suis défendue et après, j’ai dit à mon mari : « Flûte, tu es directeur d’école là et ta femme va passer pour une voleuse ! Nous voilà bien…
Vivre à Sarcelles, une chance extraordinaire
Dans les années 60, il n’y avait pas encore tellement d’étrangers à Sarcelles. En tout cas, cela ne m’a jamais frappée… Je ne me suis jamais posée la question… Pour moi, c’était naturel ! D’ailleurs, les contemporains de ma province natale où je pourrais avoir un pied à terre, me demande souvent :
« - Mais qu’est-ce que tu fais à rester vivre à Sarcelles ?
– Et bien, figurez-vous que c’est là que je veux mourir… Vous ne pouvez pas savoir la chance qu’on a de vivre à Sarcelles ! Quand je descends de chez moi, j’ai le monde entier à ma porte ! »
C’est vrai ! Je connais des gens de tous les pays et de toutes les religions ! C’est extraordinaire quand même ! J’apprends des choses que je n’aurais jamais lu dans les livres ! Et en plus, il faut voir l’amitié des gens ! Les services qu’ils peuvent vous rendre ! Malheureusement, maintenant que mon mari est décédé, je suis toute seule et je vais dans certaines associations. Mais, si je ne vais pas là où j’ai l’habitude d’aller pour une raison ou pour une autre, on me téléphone tout de suite dans la journée pour savoir pourquoi : « Tu n’es pas venue ! Tu n’es pas malade au moins ? » Ou alors, si je veux venir à un spectacle au Village, j’ai toujours des voisins qui n’habitent pas très loin de chez qui me disent :
« - Andrée, as-tu pris un billet ?
– Oui, oui !
– Et tu sais bien que tu arrives dix minutes avant ! On t’emmène et on te ramène ! »
Dans mon bâtiment, je suis au cinquième. J’ai des voisins charmants au huitième ! Ils ont mes clés et quand je m’en vais pendant les vacances, ils viennent arroser toutes mes plantes et relever mon courrier. N’est-ce pas incroyable ?
Dans les années 60, on a peut-être parlé de « sarcellite » mais cela ne m’a pas marqué. Franchement, l’image de Sarcelles à l’extérieur ne m’a jamais gênée ! En fait, je crois que la sarcellite vient des gens qui se moquaient un peu de la banlieue, des banlieusards, quelque chose comme ça…
Le jeune François Pupponi
Le maire actuel de Sarcelles, François Pupponi, est allé au lycée avec mes enfants. Je l’ai connu tout petit ! D’ailleurs, je lui dis toujours (je me permets de le tutoyer) :
« - Tu ne peux pas me tromper sur ton âge ! Je sais que tu es exactement entre mes deux fils.
– Oui, tu as raison… »
Son père était enseignant et avait été nommé dans l’école de Pierrefitte où mon mari était directeur. Et à ce moment-là, Pierrefitte n’était pas une ville très grande ! L’Education Nationale y envoyait plein de gens mais ils ne pouvaient pas être logés. On les envoyait donc sur Sarcelles. C’est comme ça que son père a obtenu une maison aux Sablons et qu’il est né là-bas. Alors forcément, on a eu un peu la même vie !
Une famille dispersée mais soudée
Aujourd’hui, aucun de mes enfants n’habite Sarcelles mais mes trois fils sont dans la région : un à Paris, un à Saint-Denis et un à Chantilly. Quant à mes filles, il y en a une en Bretagne et l’autre à Castelnaudary, dans le Midi. Ils se sont mariés avec des personnes d’origine très variées ! J’ai une belle-fille camerounaise, la femme de mon derniers fils et j’ai des petits-enfants magnifiques. Je suis très contente ! Je suis triste que mon mari ne soit plus là mais mon bonheur, c’est de voir combien tous mes enfants s’entendent bien entre eux et sont contents de se retrouver. D’ailleurs pour ça, j’ai encore un petit pied à terre en Normandie et comme c’est en bordure de mer, ils sont contents d’y venir l’été.
Mais de nos jours, c’est bien différent ! Dans le temps, quand j’habitais à Coutances, on était à douze kilomètres de la plage et mes parents n’avaient pas d’auto ! Alors, papa nous emmenait au bord de la mer peut-être une fois par an ! Et en voiture à cheval ! Lorsque je raconte ça à mes petits-enfants, que je leur dis : « Vous savez, moi, je n’ai jamais eu de maillot de bain. Quand on allait à la plage, ce n’était pas pour se baigner ! On se trempait un peu les pieds dans l’eau mais ça s’arrêtait là … », ils ont du mal à me croire… Á l’époque, la vie était quand même très différente !
Évidemment, lorsque mes enfants étaient jeunes, je les emmenais en vacances en Normandie et aujourd’hui, ils sont très très contents de s’y retrouver… C’est pour ça que je souhaite rester à Sarcelles car j’ai quand même bien des possibilités ! Mes garçons, je les vois régulièrement mais mes filles, moins souvent, parce qu’elles sont trop loin.
Améliorer Sarcelles
Le marché de Sarcelles est sensationnel ! J’ai une belle-fille qui habite Paris, dans le XVI ème arrondissement, et elle ne rêve que d’une chose, venir ici au marché. Elle me dit toujours : « Il y a tellement plus de choses ! » Il faut dire que beaucoup de gens viennent à Sarcelles pour le marché ! Moi, je n’y fréquente que la boucherie charcuterie car j’ai été malade il y a quelques temps et la doctoresse m’a conseillé de ne manger rien d’autre que du jambon. Mais, je ne peux pas en trouver dans mon quartier. Je suis obligée d’aller au marché…
J’aimerais bien avoir aussi près de chez moi une boucherie charcuterie traditionnelle. Seulement, on m’a dit que ce n’était pas possible parce que personne ne voudrait venir s’installer dans le quartier… Enfin, j’ai quand même de la chance ! Par exemple, si je veux du pain, j’ai le choix entre un boulanger juif, un boulanger turc et un boulanger traditionnel. C’est extraordinaire ! C’est un sacré avantage !
Bref, s’il y avait quelque chose à améliorer à Sarcelles, pour moi, ce serait ça : avoir un boucher traditionnel dans mon quartier. Mais, tant que je pourrais me déplacer, j’irais au marché ! D’ailleurs, j’irai demain matin car j’ai des enfants qui viennent manger. En même temps, j’irai à la messe parce que je suis chrétienne. Je dis toujours en riant que ma viande est bénie car je l’emmène à l’église Jean XXIII ! Là-bas, il y a beaucoup d’Assyro Chaldéens. Dans mon quartier, mon marchand de journaux est également assyro chaldéen et il est extraordinaire !
Sur tout le 93, il y a une association interreligieuse et un jour, un médecin de Pierrefitte, qui la connaissait bien, m’a dit : « Ecoutez, c’est très intéressant ce qui se passe là-bas. Toutes les religions peuvent se retrouver. », etc. Alors, il m’a envoyé des papiers et j’en ai donnés à toutes les communautés de Sarcelles : les Juifs, les Protestants, les Evangélistes, les Catholiques, les Assyro Chaldéens. Ici, il y a tout ! Je ne suis allée qu’une seule fois car participer à une réunion à Saint-Denis… Rentrer à onze heures et demie du soir, ce n’est quand même pas possible ! L’autre fois, ce monsieur m’a relancé en me disant :
« - Vous devriez être capable de créer ça sur Sarcelles.
– Non ! Je sais que le maire fait déjà beaucoup de rencontres. Et puis, vous savez, je ne me sens plus en mesure de prendre encore des responsabilités à mon âge ! »
Á Sarcelles, j’ai vu arriver toutes les communautés, notamment les Assyros Chaldéens. Je suis d’ailleurs allée visiter la cathédrale qu’ils ont construite ! Elle est très belle ! Elle se trouve sur la route de Saint-Brice.
Comme mon mari était directeur d’école, il participait à des rencontres entre enseignants laïques mais d’origine chrétienne. Aujourd’hui, je continue à faire partie de cette association qui est sur le 93. Mais, ça me donne l’occasion de rencontrer du monde ! J’ai eu une vie associative bien remplie !
Ce serait peut-être bien que nous ayons des réunions interreligieuses, avec toutes les religions. Je pense que ce serait intéressant ! Ça ouvre quand même des horizons différents ! Je crois également que certaines activités peuvent permettre aux jeunes de bien s’entendre entre eux. Par exemple, mon fils fait de la musique et il affirme que jouer ensemble permet de créer des relations solides. Et bien, j’en ai eu la preuve ! J’ai rencontré une fois un jeune. Je ne sais pas de quel pays il était mais il avait soi-disant donné un concert ici. Moi, je n’y étais pas allée mais je lui ai demandé :
« - Comment ça se fait ? Vous faites partie d’une association ?
– Non, non. Nous sommes simplement un groupe de jeunes. On s’est mis à jouer de la musique ensemble et on s’entend très bien… »
C’est vrai que le fait de se retrouver ensemble, pour faire une chose commune, ça crée des relations ! Pendant ce temps, les jeunes ne sont pas là à se bagarrer entre eux !
Message aux jeunes
Il faut aimer la vie ! Il y a plein de choses bien qui se font et il faut qu’ils en profitent ! Le soir, je vais m’occuper bénévolement des jeunes enfants non francophones et c’est vraiment intéressant de voir à quel point ils sont sympathiques et combien ils ont besoin de se rencontrer entre eux ! Je les récupère à leur sortie du collège. D’ailleurs, concernant leur scolarisation, il faudrait que les choses soient pensées autrement ! Quand ils arrivent en France avec des parents étrangers qui ne parlent pas la langue, ils sont mis dans des classes qui ne correspondent pas à leur niveau mais à leur âge, si bien qu’un enfant de seize ans se retrouve en troisième sans savoir parler le français. C’est quand même aberrant !
En général, lorsqu’ils arrivent, ils vont spontanément vers la personne qui est disponible. Et bien, un des enfants venait d’assister à un cours d’histoire sur le Moyen Age et on lui avait parlé des gisants. Vous vous rendez compte pour un gamin qui ne sait pas un mot de français ! Je sais que pour les profs, ce n’est peut-être pas facile mais un jour, j’ai dit à un inspecteur que j’avais rencontré du temps de mon mari : « Écoutez, ces enfants-là qui arrivent, il faudrait qu’ils aient au moins dans la journée la possibilité de recevoir un cours pour apprendre le français ! » Je comprends parfaitement qu’on ne veuille pas les mettre avec des petits du CP qui ont cinq six ans ! Ce serait les humilier… Mais, il faudrait quand même qu’on leur accorde un cours spécial ! Sinon, comment voulez-vous qu’ils comprennent…
Nous, on essaie des les aider du mieux possible ! On les fait lire, on leur montre comment prononcer les mots, on leur explique ce qu’ils veulent dire… Nous sommes quatre ou cinq à faire ça. C’est mon rôle de mamie de quatre-vingt ans ! D’ailleurs un jour, il y a quelques temps, j’étais arrivée dans les premières. Certains enfants étaient venus de très bonne heure et j’avais commencé à en faire travailler quelques-uns. Lorsque mon amie qui était en retard est arrivée, elle les a trouvés tous en train de jouer. Elle leur a dit : « Tiens, vous jouez maintenant ? Vous avez travaillé ? » Là, l’un d’eux qui était très paresseux lui a répondu :
« - Oui Madame, j’ai travaillé !
– Ah bon ! Et avec qui ?
– Bah, avec la vieille !
Moi, j’ai trouvé ça extraordinaire ! Quand on ne parle pas le français, « âgée », ça ne veut rien dire ! Tu es vieux ou vieille mais pas âgée ! Alors, je ris parce que maintenant, quand j’arrive, je dis aux femmes qui font l’accueil : « Ne Bougez pas, voilà la vieille !!! » L’ambiance est vraiment très sympathique… Par exemple, il y en a un dont les parents sont soi-disant séparés et il faut qu’il aide son père à faire la cuisine. Et bien, l’autre jour, il est venu avec un livre de cuisine et il a fallu que je l’aide à lire les recettes !
Je trouve ça vraiment passionnant… Je pense que lorsque l’on arrive à un certain âge et que l’on ne peut plus faire grand-chose, c’est bien de parvenir encore à s’occuper de cette manière. Déjà, ça m’oblige ! Il faut y aller de cinq heures et demie à six heures et demie. Et puis, c’est intéressant !
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