Sarcelles : Adama Baradi née en 1992

En cinquième, j’ai décidé de travailler, travailler

En écrivant, je pense à ce que je veux faire plus tard.

J’ai parlé à mon frère. Il est plus vieux que moi. Il s’est dit : « Attends, ma petite sœur elle est plus petite que moi ! Elle est en train de m’expliquer de ne pas aller me battre pour une histoire de quartier ». Mon frère n’est pas parti se battre. Mais le lendemain, quand il a vu le garçon, il était obligé de faire quelque chose parce qu’il avait taggé dans mon bâtiment. S’il n’avait pas taggé dans mon bâtiment, la bagarre n’aurait pas été faite ! Mon frère avait dit à tous ses copains : « Laissez tomber, ça sert à rien. Ils habitent à côté de nous, s’ils veulent se battre, s’ils viennent, c’est eux qui vont nous trouver. Mais ça ne sert à rien qu’on aille les chercher ! Au contraire, laissez tomber ! ». Mais à partir du moment où il avait taggé sur ma boîte aux lettres et dans mon bâtiment, quand mon frère l’a vu au CFA, il l’a tapé. J’ai dit à mon frère : « Tu l’as tapé, t’as gagné quoi ? Tu lui as mis des bleus, il a porté plainte contre toi mais t’as rien eu noté dans ton casier judiciaire, comme quoi t’as tapé quelqu’un. N’empêche que t’as rien gagné ! T’as gagné quoi ? De l’argent ? T’as rien gagné ! ». N’empêche que ce que mon frère a voulu lui faire comprendre, c’est que ce qu’il a fait, ce n’est pas bien. Il voulait ne pas se battre du tout !

Je suis née en 1992 à Saint-Denis et suis arrivée à Sarcelles à l’âge de un an, en 1992. Je n’ai jamais connu que Sarcelles.

Mes parents originaires du Mali

Mes parents sont originaires du Mali. Ils vivaient dans un village à côté de Bamako. Ils se sont connus là-bas et sont venus en France pour travailler. Au début, quand ils sont arrivés en France, mon père n’a pas commencé à travailler tout de suite. Il est allé dans un foyer appelé Pierrefitte. Il vivait à l’intérieur de ce foyer avec la majorité de ses frères. La mairie s’occupait aussi de ce foyer. Elle essayait de trouver du travail à ses occupants. Comme mon père était tout le temps à l’intérieur, qu’il allait à la mairie chercher des documents, qu’il cherchait du travail, ils sont un jour venus lui proposer quelque chose. Il avait suivi des cours de français au Mali ; ils sont venus lui proposer du travail, après lui avoir demandé si c’était vraiment ce qu’il voulait. Ma mère, elle, ne travaille pas.

Nous sommes dix enfants dans la famille. Nous ne sommes pas tous nés ici, quatre sont nés au Mali. Nous avons tout de suite habité ce quartier de Sarcelles, nous n’en avons jamais bougé.

Le Mali, la tradition, la langue, une identité

Je suis allée une fois au Mali. Je ne marchais même pas, j’avais un mois ! Je n’y suis pas retournée. Normalement, je dois y aller pour la première fois cet été (2007), en juillet-août. Je vais voir les frères de ma mère, connaître la vie de là-bas, parce que je ne connais rien ! Mon père m’en parle, mais je ne connais pas grand-chose. Je pense qu’il y aura un décalage entre ce que je vis ici et ce que je vais voir là-bas. Rien qu’à voir à la télé, aux informations, la façon dont ils montrent le Mali, c’est clair qu’il y a du changement par rapport à la France ! C’est important pour moi d’aller au Mali cet été, parce que depuis que je suis toute petite, je n’y suis pas retournée et j’aimerais bien y aller, voir ma grand-mère, ma famille. J’aimerais voir par rapport à nous, à notre façon de parler, d’essayer de réparer les choses, si c’est la même chose là-bas. J’aimerais bien voir pour comparer par rapport à Sarcelles.

J’ai des cousins du Mali, et pour rigoler, ils me disent : « espèce de Française noire ! », vu que je suis née ici et qu’eux sont nés au bled ! À présent ils sont bien ici ! Moi je pourrais leur dire : « espèce de noir qui est en France ! ». Mais au tout début, quand ils sont arrivés, ils me disaient ça. Maintenant, ils ont grandi ici, ils me disent qu’ils rigolaient : « ne le prends pas mal, maintenant, on est dans la même situation que toi ! ». Ça ne me gêne pas.

Pour moi, c’est une richesse d’avoir une double culture. Je n’ai pas de problème quand on me dit que je suis française. Je pourrais même dire que je me sens plutôt française parce que mon pays, c’est mon pays, mais je n’y suis jamais allée. J’y suis allée alors que j’avais un mois. Je ne marchais même pas, je ne savais pas ce que c’était. Donc je me sens plus française. Pour que je dise que « je me sens plus malienne », il faudrait que je connaisse le Mali.

Je connais quelques choses… mon père m’a expliqué. Je lis la carte ! J’ai la carte de l’Afrique entière, et pourtant je ne connais pas grand chose à l’intérieur. Mais je n’ai rien contre mon pays, je me sens seulement plus française ! Je ne me sens pas différente des autres français de ma génération nés en France. Mon père respecte la France, mais je pense que mon père et ma mère sont plutôt maliens. Leur vie a commencé là-bas, ils ont tout fait là-bas, même s’ils vivent ici depuis longtemps. Je ne leur ai jamais posé la question, mais ils diraient qu’ils se sentent plutôt maliens.

Je parle aussi anglais, comme on fait souvent des décloisonnements avec l’école, on part en Angleterre et ils viennent ici ; et aussi en Allemagne. Je parle un tout petit peu allemand, grâce aux cours. Je parle la langue de mes parents depuis que je suis toute petite ! J’ai un petit frère de trois ans, il parle déjà la langue ! La langue de chez moi, je la parle depuis que je suis toute petite. On la parle à la maison et dehors. Quand j’ai des copines maliennes, souvent on rigole, on parle en malien, en français. Je parle ma langue.

Pour la tradition, le mariage, ça dépend des familles. Je sais que mon père ne dirait pas à ma sœur : « si je dis que je vais te marier avec lui, tu te marieras avec lui ! ». Par contre, il va lui dire : « essaie de te marier avec quelqu’un qui est comme toi, de ta religion ! ». Mon père lui dirait ça, mais de là à la forcer, non. Si par exemple ma sœur se mariait avec quelqu’un hors du Mali, à la vérité, cela dérangerait un peu mon père ! Mais sinon, mon père ne la forcerait pas. En fait, ça dépend des familles. Il y a des familles où ils n’écouteront pas leurs parents, parce que c’est leur vie, et dans d’autres ils respecteront ce que disent leurs parents.

Mon parcours scolaire

La plupart des jeunes ici sont dehors. L’école, ce n’est pas très important pour eux. Quand je vais en cours le matin, la plupart, je les vois dans le quartier. Ils sont tout le temps dehors. Je pars à l’école le matin à huit heures, je finis toujours à quatre heures. En passant, je les vois dans le quartier.

Si j’essaye de comparer au Mali, je pense déjà que le Mali n’est pas un pays riche, même si l’école existe. Comparé à la France, je trouve qu’il y a plus de gens qui ne vont pas à l’école. Dans ma vie à moi, je vais à l’école et je fais mes devoirs en rentrant chez moi. Mais tout le monde ne fait pas ça ! La plupart, on va les trouver dehors au lieu de faire leurs devoirs, ils vont dire qu’ils n’ont pas le temps, ou quelque chose comme ça.

Moi, par exemple, au début, quand j’allais à l’école, je n’aimais pas ! J’ai redoublé mon CP ; dès le début, je n’aimais pas. Mon frère, quand il rentre, il a toujours des mots, il me demande : « Adama, tu peux signer ? Parce que toi, tu sais faire la signature... ». C’est vrai, j’étais connue. En sixième, quand j’avais des mots, je ne cherchais pas à comprendre, je savais faire la signature de mon père, tout était facile ! Mon nom de famille, c’est Baradi, la signature, c’était « BAR ». Je le faisais… je le faisais. À un moment donné, je suis allée me dénoncer toute seule à mes profs. Je leur ai dit : « Vous savez, tous les mots que vous me donnez, ce n’est pas mes parents qui les signent. C’est moi ».
Ils m’ont dit : « On le remarque, parce que c’est bizarre ! Quand c’était ta sœur qui était là... ». De la sixième à la troisième, quand elle était là, ma sœur a toujours eu les félicitations générales. Ils m’ont dit : « C’est bizarre qu’on voit une Baradi comme ça ! ». J’ai dit : « Mon père ne m’a jamais mis de mot, c’est moi-même qui les signais ».
Après, j’ai dit à mes frères : « Si vous voulez avancer, si vous n’essayez pas vous-mêmes, vous n’irez jamais de l’avant ! ». C’est ce que je leur ai toujours expliqué.

Je suis passée par une troisième générale, qui n’est pas celle de tout le monde, nous ne sommes pas beaucoup dans la classe. Déjà, en faisant ma sixième, en voyant les grands de la cité dont la majorité ne travaillent pas, ne va pas à l’école, n’essaie pas de trouver, je me suis dit : « Si moi j’étais comme ça…en plus j’ai neuf frères et sœurs plus petits que moi, qui viennent derrière, même s’ils savent lire et écrire, ils sont comme tout le monde... avoir neuf petits frères et sœurs, si moi je ne travaille pas, ce n’est pas une idée pour les petits ! Si moi je ne travaille pas, ce n’est pas une image pour eux. Bon, si je me mets au travail, mes petits frères et sœurs vont suivre mon image et ils vont faire la même chose que moi ».

En cinquième, j’ai décidé de travailler, travailler : « J’irai faire une troisième normale, je serai comme tout le monde ! ». J’ai commencé à travailler, mais ce n’était pas au premier trimestre, c’était au troisième trimestre. Mes professeurs m’ont dit : « Dommage que tu n’aies pas commencé dès le premier trimestre... On t’aurait mise dans une cinquième générale ! Mais vu que tu as commencé au troisième trimestre, on verra pour la quatrième ». Et je m’y suis mise. Ma quatrième, je l’ai faite en général, jusqu’à maintenant.

Devenir carreleuse

A la fin de l’année, j’ai décidé d’aller en lycée professionnel. Après ma première année de lycée, je vais essayer d’aller dans un lycée professionnel où l’on peut faire du bâtiment, parce que plus tard je veux être carreleuse. Comme je suis une fille, les gens me disent souvent : « Mais t’es une fille, c’est bizarre ! ». Je ne sais pas, mais c’est le métier que j’ai toujours aimé depuis le CM2, depuis l’école primaire à Pierre et Marie Curie. J’ai toujours dit : « Après ma première année de lycée professionnel, je vais essayer de faire un CAP carreleur ! ».

Jusqu’à présent, nous avons fait deux semaines de stage avec le collège. Moi, j’ai fait un stage en menuiserie parce que je n’ai pas trouvé en maçonnerie. Ce n’est pas parce que je n’ai pas trouvé en maçonnerie que je ne pourrai pas aller dans les métiers du bâtiment plus tard ! Je pourrai trouver carreleuse, ce n’est pas grave. Quand je suis partie, ils m’ont proposé de faire un CFA. Je leur ai dit merci de m’avoir offert ça, mais j’avais décidé de faire une première année de lycée professionnel ; la deuxième année, je viendrai peut-être les voir pour faire un CFA, mais ça ne sert à rien de partir en CFA si j’ai encore les capacités de finir mon année scolaire. Je vais finir mon année scolaire et après aller peut-être faire un CFA, faire la moitié d’un travail et aller au lycée, parce que j’ai besoin d’apprendre encore !

Je me suis déjà demandée « si je peux aller plus haut, pourquoi faire un CFA alors que j’ai une bonne moyenne ? ». Mais j’avais prévu bien avant d’évoluer, ce que j’allais faire de ma vie ; dès que j’ai eu les capacités de suivre des cours normaux comme tout le monde ici. En CM2, je me demandais : « Si je finis par aller en cours normal, comme tout le monde, qu’est-ce que je ferai ? ». Comme en CM2 on faisait tout le temps de la mosaïque, au Centre aussi, je savais déjà ce que je voulais faire et que j’allais me battre jusqu’à ce que j’y arrive, jusqu’au bout ! Comme je veux être carreleuse, je pensais que dans mon village au Mali, je pourrais construire des choses. Je ne sais pas si c’est réaliste ! Mais j’avais cette idée en tête, j’ai encore le temps.

J’aime bien écrire, j’écris tout le temps ce qu’il s’est passé dehors. En écrivant, je pense à ce que je veux faire plus tard. Ce n’est peut-être pas sûr que ça se passe, mais j’écris quand même, parce que j’aime bien écrire et j’aime bien lire.

Le lien avec le village au Mali

Un monsieur part tout le temps au Mali pour aider les gens qui n’ont pas beaucoup d’argent et mon père leur donne toujours de l’argent. Il va aussi dans les magasins, faire les courses, acheter des gâteaux, beaucoup de choses pour les envoyer là-bas ! Mon père part tous les mois et demi. Il est revenu il y a deux semaines et il repart au mois de mai. Il part tout le temps pour voir comment c’est, si ça a changé. Il envoie tout le temps des choses là-bas, même s’il a sa famille ici.

Ma vision de Sarcelles

Pour moi, Sarcelles est une ville comme toutes les autres, sauf que je trouve qu’à Sarcelles, les jeunes font plus attention qu’ailleurs. J’habite à Sarcelles, mais je bouge beaucoup. Je vais souvent avec ma mère dans des fêtes ou des choses comme ça. Quand je vois des jeunes se taper dessus, ailleurs comme à Saint-Denis, on ne verra jamais une personne leur dire : « Non, ça ne sert à rien de vous battre ! ». Avant, ici aussi c’était comme ça, il n’y avait que de la bagarre. Je trouve maintenant que les jeunes sont plus matures ici ! Par exemple, quand il y a une bagarre, il y en a toujours forcément un ou deux pour dire : « C’est bien, c’est bien, continuez ! », mais autour, on voit toujours plus de personnes essayer de les séparer et dire : « Ne vous battez pas, ça sert à rien, ça va vous mener nulle part ! ». Même moi avant quand il y avait des bagarres, j’étais dehors à dire : « Ouais, c’est bien, si elle t’a cherché faut la taper, faut lui casser la gueule, faut faire ça, faut faire ça... ». À un moment donné, j’ai pensé que si tout le monde se tapait dessus, si tout le monde faisait la même chose, on n’arriverait jamais à évoluer.

Mes copines, je suis tout le temps avec elles, quand elles commencent à se bagarrer pour des petits trucs, je leur dis toujours la même chose : « Si tout le monde est là à se taper dessus, à dire celle-ci elle m’a regardée de travers, celle-ci elle m’a fait ça, on n’arrivera jamais à évoluer. Soit on se réveille maintenant, et plus tard on sera tranquilles, on va travailler et on se connaîtra encore, soit on reste comme on est mais personne ne va avancer. ».

Sarcelles, en fonction des jeux et tout ça, moi, j’aime bien. La seule chose que je n’aime pas ici, c’est que les jeunes ont besoin qu’on explique des choses aux petits pour les comprendre eux-mêmes ! Pourtant, on pourrait s’adresser directement à eux et non pas aux petits. On pourrait s’adresser directement à eux ! Nous les jeunes, nous n’avons pas le sentiment de faire partie d’une communauté. Pour nous, nous faisons partie de Sarcelles !

Les jeunes et leur avenir : l’école

Je parle beaucoup avec les gens du collège. Par exemple, quand je les vois tout le temps en train de se battre dans le collège, je leur dis : « Écoutez, ce que vous faites, ça sert à rien ! Moi, j’étais comme vous et, à force de faire la même chose que vous, je n’avançais jamais. À un moment donné j’ai réfléchi et je me suis dit, bon, soit je me mets au travail, soit je reste dans ce que j’ai, mais plus tard il ne faudra pas que je vienne me plaindre en disant, Ah ! À l’école on m’a rien appris ! Ou quelque chose comme ça ».

Les jeunes, maintenant, me disent toujours : « Toi tu te fatigues pour rien ! T’es là, t’es deuxième de classe... ». Je suis deuxième de classe, c’est un garçon qui est avant moi. J’ai 17,35 de moyenne générale. Ils me disent toujours : « Travailler, ça sert à rien, ce n’est pas ça qui va te donner du boulot plus tard ! ». Après je leur explique, « Sans l’école, si je ne savais ni lire, ni écrire, en ce moment-là, je ne serais pas ici. J’aurais rien trouvé, je ne serais même pas à l’école ! ».

Un garçon de ma classe ne vient à l’école que pendant le sport. On a sport tous les mardis, le mardi après-midi et le vendredi. À part ces cours, dans la semaine, il ne vient pas. Et quand on a des évaluations à faire chez nous, un devoir noté, il m’appelle toujours et me demande :
« - Adama, ouais, ce n’est pas possible que ton devoir, tu le fasses en deux ?
 Non, ce n’est pas possible, je suis désolée. On est tout le temps en cours et je te demande : Fais quelque chose, fais quelque chose ! Tu ne veux rien faire. Et maintenant, tu m’appelles pour me demander de faire tes devoirs ! Si c’est moi qui fais tes devoirs, le jour où on aura une évaluation sur place, tu vas venir en cours, tu n’arriveras pas à la faire, tu vas dire quoi ? C’est Adama qui m’a fait ça, c’est Adama ? Je peux t’aider si tu veux. Viens chez moi, on fera les devoirs ensemble, je vais t’expliquer. Mais je ne peux pas te les faire !
 Ouais, franchement t’as raison. C’est n’importe quoi, ce que je dis, mais aide moi ! ».

Son devoir, je ne veux pas mentir, je l’ai fait plusieurs fois, au début de l’année. Il me l’a donné, mais je lui ai dit : « Si tu veux être comme moi, je vais arrêter de faire tes devoirs. ». Il vient tout le temps chez moi et je lui explique, on fait les devoirs ensemble. Sa moyenne était de 3,35 au début de l’année. Il a toujours eu des avertissements. Depuis que je l’ai aidé, au deuxième trimestre, il a eu la moyenne, 10,55 ou 11 et quelques ! Mes profs m’ont dit « Si la majorité des gens étaient comme toi, franchement, ça irait bien ! ».

Pour moi, être jeune, cela veut dire pouvoir prendre le temps. Ça ne sert à rien de vouloir se précipiter vers les choses. On est jeune, donc faisons nos études, et pensons au travail après. On est jeune, on a le temps et la seule chose qui me vient en tête c’est finir mon école, mes études, au lycée professionnel. Si quelqu’un me proposait un travail maintenant et me demandait de quitter l’école, je dirais non. Je finirais mes études d’abord et après je reviendrais le voir. Même si mon père me trouvait un travail et me disait d’arrêter l’école, je dirais non. Je dirais « je finis l’école », j’irais jusqu’au bout et je travaillerais après.

Les grands se sont réveillés

Sincèrement, quand je regarde chez moi, être une fille ou un garçon n’a rien à voir avec le fait de traîner dehors. Si on le veut, on doit aller jusqu’au bout ! Ça dépend simplement des personnes. Ça n’a rien à voir avec le fait d’être un garçon ou une fille ! Si vraiment la personne veut faire quelque chose de sa vie, elle va aller jusqu’au bout. Si une personne veut se laisser aller, que quelqu’un fasse les choses pour elle, que l’on fasse tout pour elle, ça se passera comme ça.

Au début mon père me disait : « Vas-y Adama, travaille, travaille, travaille ! ». Et moi je lui répondais : « Je m’en fous de l’école ! Je m’en fous de l’école ! Je m’en fous de l’école ! ». Mes parents ont tout fait pour m’aider. À un moment donné, ils m’ont laissé. Ils m’ont dit : « Tu veux pas faire ? On va te laisser ! Mais de toute façon, plus tard, c’est toi qui n’auras pas de vie ; c’est toi qui n’auras rien ». Et c’est moi qui me suis poussée toute seule ! Ce n’est pas en essayant de pousser les gens que ça marche.

Ici, à un certain moment, des gens venaient avec des micros. Ils demandaient aux jeunes comment était la vie pour eux, si c’était dur, s’ils avaient besoin de plus de personnes pour venir leur expliquer des choses. Pourtant on voit des gens, même des grands, qui disent aux jeunes : « Faites ça de votre vie, arrêtez d’être là en train de faire vos trucs de délinquance ! ». Ils n’écoutent pas. C’est à la fin qu’ils réalisent qu’ils n’ont rien eu quand ils étaient jeunes. Si tu ne fous rien quand tu es petit, que tu ne cherches pas, ce n’est pas quand tu es grand que ça va s’arranger. Les gens ici se disent : « Là, j’étais petit, j’ai rien fait mais je suis sûr que quand je vais grandir ça va être facile à trouver du boulot ». Et quand ils grandissent, en troisième, ils se disent : « Je n’ai pas trouvé de lycée... Si je n’ai pas de lycée, comment je vais faire pour trouver un travail plus tard ? ». C’est là que les jeunes commencent à se réveiller.

Mon parcours à moi était pareil. Mais, je pense qu’ici, à Sarcelles, par rapport à avant, les grands sont plus réveillés. Avant, on voyait à la télé, il n’y avait personne, les gens étaient dehors, à côté des bâtiments. On voit encore ça, mais par rapport à avant, je trouve que les gens dehors, rigolent et s’amusent. Ils ont peut-être des petits trucs entre eux, mais ça ce n’est rien par rapport à avant ! Avant, on voyait tout le temps des bagarres, des bâtiments cassés, des choses comme ça. Moi, la vie à Sarcelles, par rapport à avant, je la trouve meilleure maintenant.

La vie de quartier : le Centre

Mon père m’a toujours dit : « Quand il y a des choses au Centre, des fêtes, vas-y ! ». Avant, ils faisaient bibliothèque, on venait lire ici. Mon père m’a toujours dit : « Si tu sais où tu vas, si ça t’intéresse, vas-y ! ». Il ne m’a jamais empêchée. J’ai toujours participé aux activités du Centre. Même ma mère est allée à la fête du quartier, elle est venue me regarder faire le spectacle de danse que nous avions fait avec notre prof de danse. J’ai toujours participé aux choses du Centre. J’ai toujours dit à mes frères de participer, mais eux ne participent que pour les fêtes, les choses comme ça. Quand il y a des activités, quand il y a des choses à faire, quand il faut parler, jamais ils ne sont venus. Mais je sais que plus tard ils vont finir par être comme moi : ils vont réaliser que plus il y a de gens derrière eux qui leur disent « Fais ! Fais ! Fais ! », qui ne les laissent pas, plus ils vont continuer. C’est la même chose pour mes grands frères. J’ai juste un frère, plus grand que moi, nous sommes du même père, de la même mère ; il est toujours là, à dire à mon père : « Là je vais sortir pour aller au Centre », mais il n’y va pas, il est dehors, tout le temps, tout le temps dehors ! Quand je le vois, je lui dis : « Là tu vas sortir pour dire que tu es allé au Centre, et regarde où tu es ! », et il me répond : « Toi, vas-y, laisse moi, laisse moi ! ».

C’est pour ça que je suis tout le temps dehors, quand il y a des trucs au Centre par exemple. J’aime bien participer. On voit les petits, par exemple, ceux qui sont dans l’école, dire : « Ouais, mon frère il est là en train de me dire : Moi, je m’en fous de l’école ! Si maintenant je suis footballeur, je rentre à l’ASCS... ». On leur explique : « Petit, tu vas pas être footballeur comme ça ! Faut pas croire ! Allez, t’as décidé de faire du foot, le Centre il t’aide, tu crois que si tu veux faire du foot, tu vas rentrer comme ça ! Tu veux être footballeur ? Va à l’école, fais ce que tu fais à l’école ! ».

On ne peut pas être aidé en ne faisant rien du tout. C’est en le voulant, c’est en se poussant nous-mêmes que quelqu’un peut nous aider. Là, je me suis mise à expliquer à mes petits frères et sœurs que s’ils ne faisaient rien, ils ne pouvaient rien attendre. Par exemple, là, mes petits frères ne sont pas au Centre. Ils sont beaucoup, ils sont jeunes. Mon père travaille, ma grande sœur est chez moi. C’est ma demi sœur, mais c’est pareil ; elle a vingt et un ans, mais elle ne les a pas inscrits au centre. Je leur ai dit que si c’était moi, si j’avais dix-huit ans, je serais allée inscrire mes petits frères ! Ils seraient au Centre maintenant, ils ne seraient pas dehors ! Là, ils sont dehors, devant le Centre, en train de regarder les petits jouer. Je n’aime pas les voir comme ça, mais je ne peux rien y faire !

Normalement, j’avais une compétition de danse, mais j’ai dit à mon prof de danse que j’arriverais avec trente minutes de retard, parce que je devais venir ici. Sincèrement, mes petits frères, si j’avais pu les inscrire, je l’aurais fait tout de suite. Tout de suite ! Je leur donnerais ma place pour aller à la pyramide avec les collégiens et moi je resterais dehors parce que je sais que moi, en restant dehors, je trouverais quelque chose à faire. Je serais chez moi, en train de lire des livres. Eux ne sont pas intéressés par ça ; pour le moment je les laisse. À un moment je leur dirai : « Arrêtez de penser à dehors ! Dehors, on peut y aller quand on veut ».

Mon père ne nous interdit pas d’aller dehors. Ce qu’il nous interdit, c’est d’aller dehors et de faire des conneries ! Mes petits frères sont dehors. J’ai vu leur animatrice qui m’a dit que mon père devait venir les inscrire. Quand je vais rentrer, je vais lui rappeler qu’il doit venir les inscrire. Voir mes petits frères comme ça dehors, ça ne me plaît pas ! Après, c’est chacun sa vie, mais je sais que quand ils vont grandir, ils vont finir par être comme moi !

Les grands, les petits, l’entraide

J’ai quinze ans, mais je traîne avec des filles qui n’ont rien à voir avec moi. Elles ont neuf, dix ans. Ça me plaît d’être avec les petits parce que je peux leur expliquer des choses. Les grands, ils ne veulent rien écouter. On essaye de leur expliquer mais ils ne veulent rien écouter. Quand ils voient l’avis des petits, ils se disent : « Attends ! Les petits ils sont comme ça, nous on est plus grands qu’eux. On pourrait plus qu’eux ». C’est ça qui fait se réveiller les grands. J’ai essayé d’expliquer aux grands, mais en expliquant aux grands, ils étaient tout le temps là, en train de dire : « Ouais, mais ça sert à rien, ça sert à rien ! Toi, tu vas à l’école mais ce n’est pas parce que toi tu as une moyenne bien que nous on aura ce que t’as ! ». Je leur réponds : « Non, ça veut rien dire ! Moi, l’année dernière, j’ai bien eu les félicitations alors que dans mon caractère, c’était clair que si on me faisait quelque chose, j’attaquais direct ! J’allais à la bagarre, je ne cherchais pas à discuter. Dès qu’on me disait un mot de travers, direct je cherchais à gifler la personne ! ».

Il y a beaucoup de petits dans ce quartier. Si on commence à se taper dessus, à dire que l’école c’est nul, alors que les petits sont autour de nous, les petits, quand ils auront des petits frères et des petites sœurs, ils vont leur dire la même chose ! « Ouais, l’école c’est nul, n’allez pas à l’école ! ». Alors moi, je me suis dit qu’en expliquant aux petits ce qu’il ne faut pas faire, si les petits ne le font pas, les grands vont se dire : « Mais c’est bizarre, on ne voit pas les petits faire des âneries ! Pourquoi nous on fait des âneries ? ». Et c’est là que les grands se disent : « Bon, on va évoluer, quand même ! ».

Les mots pour le dire

Par exemple, quand il y a des fêtes, on voit qu’il y a du monde. Quand on fait des choses comme ça, comme aujourd’hui, il n’y a personne. On m’a demandé direct : « Adama, ça t’intéresserait de venir te présenter, expliquer ta vie ? ». J’ai dit : « Non, franchement, moi ça me gênerait pas. Et quand il m’a demandé, autour de moi, il y avait plein de jeunes. Il leur a demandé, il leur a demandé, il leur a demandé : Vous ne voulez pas ? ». Direct, les jeunes ont dit : « Non, nous on n’a pas le temps, on n’a pas le temps... ». J’ai dit : « Vous n’avez pas le temps ? Au lieu d’aller faire des bêtises dehors, venir perdre dix minutes à expliquer aux gens comment vous êtes, pour qu’ils puissent faire un journal de ça, pour que les gens derrière vous, soient comme vous, ça vous coûterait rien ! ». Même le grand, Papou, ne voulait pas venir. Je l’avais vu dehors et on m’avait dit :
« Ouais, demande-lui de venir ! ». Il m’a répondu : « Non, moi je veux pas venir. Ça ne m’intéresse pas !
 Papou, Papou, viens, tu vas perdre dix minutes, dix minutes ! Au lieu d’aller faire dix minutes de délinquance dehors, dix minutes tu vas expliquer ce que tu sens, ce que t’aimerais qui change, ce que tu voudrais expliquer aux plus petits que toi. Ça ne va rien te coûter ».

Hier, quand je l’ai vu, je lui ai demandé de venir. Il m’a dit : « Non, c’est chaud ! Moi, regarde ce que j’ai fait, j’ai fait que de la délinquance, que des trucs comme ça... ». J’ai répondu : « C’est pas grave. Ta délinquance, tu l’as faite et maintenant t’es quoi ? T’es en train de chercher du boulot ! ». Il vient au Centre, il demande à Assia de l’aider. « Tu fais quoi maintenant ? Tu regrettes ce que t’as fait, viens ! ». Il m’a répondu : « Ouais, je vais venir, si je suis réveillé ! ». Là, il dormait, mais il a quand même dit qu’il allait venir. S’il ne vient pas, moi, ça ne me gênerait pas qu’il ne soit pas venu, parce que j’en ai parlé avec lui. Lui, s’il raconte sa vie, c’est un parcours. Il était dans la même école que moi, il écrivait sur les murs. Il habite à Sarcelles-aux-Rosiers. Mes professeurs me demandaient toujours : « T’habiterais pas par hasard à côté de chez Papou ? ». J’ai dit : « Si ». Mais c’est bizarre, parce qu’il était tout à fait le contraire de Papou ! Il m’avait dit ça un jour : « Adama, quand je pense que toi tu travailles, moi j’étais là-bas, je faisais rien du tout ! ». Obligé, les profs ils étaient en train de me dire :
« - Tu connais pas Fassoud Biré, Fassoud Biré ?
 Si, je le connais, il habite à côté de chez moi, c’est même mon voisin.

En montrant son parcours, j’essaye d’expliquer à mes profs qu’il a changé. Maintenant, il n’est plus comme avant. Ils me disent : « Si tout le monde, la majorité, pouvait être comme toi, ne pas avoir honte de dire comment ils étaient avant ! ». Avant, j’étais comme lui, je ne travaillais pas. Je disais aux petits : « Ouais, franchement, l’école ça sert à rien ! Jouez dehors et puis l’école... ». Même mon petit frère, quand il arrivait en retard, je lui disais : « T’es arrivé en retard, tu t’en fous ! Mon père va te demander pourquoi t’es arrivé en retard, tu lui diras que c’est parce que tu t’es levé en retard et puis c’est tout ! ». Pourtant, on a des réveils chez moi, on a tout !

Je n’ai pas vraiment de contact avec les aînés, avec les gens plus âgés. Aujourd’hui, c’est la deuxième fois que j’ai l’occasion de parler devant eux. Une fois, ma déléguée de classe devait aller parler en réunion de ce que pensait la classe, si elle voulait un changement. Elle était déléguée, elle était élue mais elle n’a pas voulu y aller parce qu’elle ne voulait pas parler devant tout le monde. Ses moyennes n’étaient pas bonnes, mais quand il s’agissait de dire la vérité elle le faisait. Au dernier moment, elle a dit qu’elle n’irait pas. Je ne mange pas à la cantine, contrairement à elle, alors je n’avais pas le temps de manger et d’aller à la réunion. J’ai dit que ce n’était pas grave, que je rentrerais chez moi l’après-midi et je suis allée à sa place.

Il y a peu de moments où les jeunes peuvent rencontrer les anciens pour parler, et je pense qu’il faudrait qu’il y en ait plus. On pourrait écrire ce genre de témoignages et les donner aux plus petits. Si on fait quelque chose comme ça une deuxième fois, je pourrais aller voir des gens plus grands que moi, qui ont dix ou vingt ans de plus que moi et je sais qu’ils participeraient.

Le discours des médias

Pour moi, c’est important d’être malienne. Avant, quand je regardais les informations, ils montraient tout le temps des images du Mali. Un jour ils sont venus ici, avec le centre. Farouk avait prévu quelque chose pour demander leur parcours aux gens et ils disaient tout le temps : « Les noirs et les Arabes, c’est eux qu’on trouve tout le temps dehors, à la rue, en train de faire ça ! ». Ça m’énervait ! Pourtant, quand on regarde, la majorité des personnes qui travaillent et qui disent quelque chose... Je ne suis pas raciste, je n’essaye pas de dire que les Français ne foutent rien, mais quand je vois qu’à la télé ils sont en train de dire : « Les noirs et les Arabes », je me dis que ce n’est pas vrai pour tout le monde ! La majorité des noirs et des Arabes disent aux gens : « Travaillez, travaillez, travaillez, travaillez ! ». Eux, ils vont voir deux ou trois personnes en délinquance, en train de tagger des bâtiments, ils vont tous nous mettre à l’intérieur, dans le même sac ! C’est parce qu’ils ne connaissent pas les différentes personnes. On peut ramener par exemple quelqu’un du Mali, eux ne vont pas le connaître et ils vont dire : « Lui, il vient du Mali, il est comme ça, on le sait direct ! On n’a pas besoin de le regarder ou de lui demander son parcours ! ».

Pourtant, tout le monde n’est pas comme ça. Je peux le dire, j’ai deux frères comme ça. Ils ne tapent pas, mais ils ne sont pas à fond dans l’école ! L’école ne les intéresse pas, mais ils y vont quand même. Ils sont toujours là, en train de dire : « Les noirs et les Arabes », mais si une seule fois ils se posaient avec eux... ! En plus, la plupart des gens qui disent maintenant de travailler, sont des gens qui ont eu un parcours difficile et qui se sont réveillés. C’est pour ça que ça me gêne. J’aime Sarcelles, mais quand je vois le discours sur les noirs et les Arabes à la télé, ça me dérange. Parce que la plupart des gens qui nous expliquent, qui nous disent : « Réveillez-vous, arrêtez d’être comme ça ! », sont des noirs et des Arabes. Ils expliquent à leurs frères, à leurs sœurs : « Moi j’étais comme ça, mais toi tu vas pas être comme ça. Réveille-toi ! ». Ça me dérange quand ils disent ça à la télé, mais sincèrement, autour de moi, ce n’est pas parce qu’eux disent cela qu’ils vont me rabaisser ! Si j’ai décidé d’être carreleuse, j’irai jusqu’au bout, et puis c’est tout !

Le regard des autres

Souvent, quand je prends le train, je vois des gens qui regardent. Souvent, il y a des garçons qui par exemple tirent la poignée pour que le train freine. Un jour, j’étais dans le train avec ma mère. Là, c’était bizarre. Ils disent « les noirs et les Arabes », mais là, c’était un Français qui avait tiré le truc avec ses copains. C’était un des nouveaux trains, alors les portes se sont ouvertes. Il y a des trains où elles ne s’ouvrent pas ! La police est passée dans les wagons, ils les ont attrapé direct. Un des policiers a dit : « Encore vous ! ». Il y avait un noir, un Arabe et un Français à côté et il a dit : « Encore vous ! ». Moi, ça m’a donné envie d’aller voir le policier et de lui dire : « Tout le temps, vous dites nous, nous ! Mais là c’est tout le contraire, c’est vraiment un Français qui vient de tirer le truc ! C’est des copains... ». Le garçon à côté de moi me regardait, on lui a demandé si c’était quelqu’un qu’il connaissait. C’était un copain à mon frère, il s’appelle Saïd. Il me regardait, il m’a dit : « Adama, laisse tomber, ils vont m’emmener au poste, je vais sortir du poste vu que je n’ai rien fait ». C’était tout bizarre. Ce n’était pas lui qui avait tiré, et direct quand le policier est arrivé, il l’a regardé et il a dit : « Encore vous ! ».

Je me suis dit que ce n’était pas grave de toute façon. Même si on en parle et on en parle, ça ne change pas. C’est toujours nous qui prenons tout, c’est toujours les noirs et les Arabes. Mais au bout d’un moment je sais que nous serons tous égaux, et ce sera la même chose. Ce ne sera plus « les noirs et les Arabes » et ce sera tout le monde dans le même sac quand il y aura une bêtise ! Je sais qu’un jour ou l’autre ça va changer et c’est pour ça que je laisse tomber.

Je pense que les insultes ne viennent pas de l’intérieur de Sarcelles. Ceux de Sarcelles ont l’habitude de bouger, d’aller voir d’autres villes pour voir comment les choses se passent à l’intérieur, à force de les voir et de leur demander : « Vous venez d’où ? ».

Je suis allée à Epinay-sur-Seine parce que ma cousine habite là-bas. Un copain de ma cousine m’a demandé d’où je venais. Il ne me l’a pas demandé d’une façon menaçante, mais à la façon dont il m’a parlé, j’ai senti que ça le dérangeait quand je lui ai dit que je venais de Sarcelles. C’est parce qu’à la télé, ils voient souvent des mauvaises images de nous. Et il m’a dit : « Toi tu viens de Sarcelles, mais c’est bizarre, t’es calme. D’habitude, les gens qui montent ici, c’est pour venir se battre dans notre cité ! ». Mais ça fait longtemps qu’on n’a pas vu des choses comme ça, parce qu’à Sarcelles ils ont réfléchi, ils se sont dit : « La bagarre ça mène à rien, on va se battre, on gagnera rien, à part être blessé, mettre des gens à l’hôpital, dans le coma, on gagnera rien ! ». Il m’a dit : « Non mais c’est bizarre, parce que d’habitude, les gens qui montent ici, c’est plus pour venir se battre... Non, mais c’est normal, parce qu’elle, c’est une fille ! ». Mais son copain lui a dit : « Il y a pourtant bien des garçons, des filles qui montent ici, qui ne viennent pas pour se battre ! Ils vont voir leurs cousins, leurs cousines et il n’y a pas de bagarres. ».

Plus on va vers l’avant pour aller voir d’autres cités, pour voir si c’est comme nous, plus ça les gêne et plus ils montrent une mauvaise image de nous. Moi, je n’ai pas du tout une mauvaise image de Sarcelles !

Les conflits entre quartiers

Ce n’est pas dans Sarcelles que je suis confrontée à tout ça, c’est quand j’en sors. Ici, je prends le train, je prends le bus et c’est rare que j’entende des choses comme ça, même quand je vais dans des quartiers. En plus, cette histoire, ce n’était pas ici, c’était à Epinay. Ce n’était pas ici du tout ! Villiers, pour moi, c’est dans Sarcelles. On est tous pareils ! En fait, à Villiers, ils n’aiment pas mon quartier, alors ils étaient venus pour se battre il y a un mois. Mon frère était chez moi le soir, et il disait : « Demain il y a Villiers, Rosiers qui vont se battre ! ». Je lui ai dit : « Attends, je ne comprends pas. Villiers, ils n’habitent même pas à cent mètres de nous. Pourquoi se battre ? On habite dans le même quartier ! - Parce qu’eux, ils n’aiment pas ci ou ça... ».

C’est toujours pour des gamineries comme ça ! Mais on est tous pareils. Ils se disent : « Quartier, quartier, faut qu’on aille se battre ! Quartier, quartier, faut qu’on aille faire ça ! ». Ça ne sert à rien. Mon frère disait : « Demain, faut qu’on aille se battre ! ». Je lui ai demandé pourquoi et il m’a dit : « Parce que soi-disant, Villiers ils nous aiment pas, ils veulent se battre avec nous. On a rendez-vous et on va se battre ! ». Je lui ai dit franchement : « Si tu vas te battre, ça sert à rien, rien, rien, rien, rien ! ». Mon frère ne voulait pas se battre, mais ils sont venus chez moi. Ils sont venus tagger dans mon bâtiment. Comme il est venu tagger et que mon frère le connaissait, il ne pouvait pas laisser passer.

J’ai parlé à mon frère. Il est plus vieux que moi. Il s’est dit : « Attends, ma petite sœur elle est plus petite que moi ! Elle est en train de m’expliquer de ne pas aller me battre pour une histoire de quartier ». Mon frère n’est pas parti se battre. Mais le lendemain, quand il a vu le garçon, il était obligé de faire quelque chose parce qu’il avait taggé dans mon bâtiment. S’il n’avait pas taggé dans mon bâtiment, la bagarre n’aurait pas été faite ! Mon frère avait dit à tous ses copains : « Laissez tomber, ça sert à rien. Ils habitent à côté de nous, s’ils veulent se battre, s’ils viennent, c’est eux qui vont nous trouver. Mais ça ne sert à rien qu’on aille les chercher ! Au contraire, laissez tomber ! ». Mais à partir du moment où il avait taggé sur ma boîte aux lettres et dans mon bâtiment, quand mon frère l’a vu au CFA, il l’a tapé. J’ai dit à mon frère : « Tu l’as tapé, t’as gagné quoi ? Tu lui as mis des bleus, il a porté plainte contre toi mais t’as rien eu noté dans ton casier judiciaire, comme quoi t’as tapé quelqu’un. N’empêche que t’as rien gagné ! T’as gagné quoi ? De l’argent ? T’as rien gagné ! ». N’empêche que ce que mon frère a voulu lui faire comprendre, c’est que ce qu’il a fait, ce n’est pas bien. Il voulait ne pas se battre du tout !

Je trouve que Sarcelles, par rapport à avant, ça a grave changé ! Il n’y a plus de problèmes comme avant. Maintenant, ils s’entendent. Avant, ils ne s’entendaient pas du tout ! Maintenant, quand il y a des fêtes, ceux de Villiers montent. Il n’y a plus de bagarres comme avant. Je suis vraiment contente de comment est Sarcelles par rapport à avant ! Pour moi, si je sors, si je vais dans une autre ville, dans une autre cité, c’est comme si j’étais à Sarcelles. C’est la même chose. Après, c’est la cité qui voit si elle ne veut pas m’accepter parce que je viens de là-bas. Mais nous, nous avons toujours demandé au centre de faire des sorties hors d’ici, pour prouver aux gens que nous ne sommes pas racistes, que ça nous intéresse de bouger. Après, ça dépend si les cités nous acceptent ou non, si ça ne les dérange pas que l’on vienne les voir. Partout où je vais, j’entends la même chose : « ça ne nous dérange pas d’aller ailleurs. Après, ça dépend de comment les autres vont nous accepter sur leur territoire ».

Et les améliorations ?

Je trouve que pour les jeunes, le Centre c’est bien. Il y a même des plus grands qui ont besoin de parler avec des gens, mais ça les dérange un peu. Ils se disent : « On est grands... ». Normalement ce sont les petits de notre âge qui demandent de l’aide, pour trouver des stages. Les grands n’osent pas s’exprimer, ou venir ici.

La seule chose que je demanderais à Sarcelles, je demanderais qu’ils rajoutent des bureaux. Je ne dis pas que le Centre, ce n’est pas bien. Pour moi, par exemple, c’est très bien ! Par exemple quand j’ai cherché mon stage, je suis venue ici, j’ai regardé sur Internet et je l’ai trouvé. Je me suis déplacée à Carrefour, je suis partie voir le monsieur. Mais je trouve que ce qu’il faudrait aux jeunes, ce sont des bureaux pour qu’ils aillent s’expliquer. Certains vont se dire que s’ils vont au Centre, ils vont parler à des gens comme nous, qui ont vécu comme nous, on les connaît et ils vont penser : « C’est la honte pour nous, on est petits comme ça ! ». La seule chose qu’il faudrait rajouter, ce sont des bureaux pour qu’ils puissent s’exprimer. Sinon, il ne manque rien du tout ici ! Il faudrait qu’ils puissent dire ce dont ils ont besoin, pourquoi ils se sentent mal en eux-mêmes, ce qu’ils n’aiment pas, s’expliquer, dire ce qui leur manque. Même s’ils ont fait de la délinquance, il faudrait les aider à chercher du travail. Au Centre aussi ils aident.

Je suis tout le temps dehors, et les grands m’appellent souvent Kamel Ouali, parce que j’ai l’habitude de faire des spectacles avec les petits ! Quand je sors de là, les grands de la cité m’appellent Kamel Ouali. Ça ne me dérange pas, parce qu’ils savent que j’ai voulu faire quelque chose de ma vie et que j’ai fait quelque chose de ma vie ! Maintenant, quand je vois des jeunes comme ça, je pense que ce qui leur manquerait ce sont des bureaux où ils pourraient eux-mêmes s’exprimer entre eux. On pourrait leur demander si ça ne leur plairait pas de faire une réunion seulement entre eux, les jeunes. S’il y avait des animateurs jeunes comme eux, avec qui ils pourraient s’exprimer, je suis sûre que les jeunes parleraient !

Un jour, Farouk avait fait une réunion pour que les jeunes puissent participer, dire ce qu’ils aimeraient que l’on rajoute ici. Ils n’ont pas beaucoup parlé, ils étaient assis là, ils se regardaient tous. Par contre, je vois que quand ils font des réunions avec Mamadou au centre, à la Pyramide, ils parlent beaucoup ! Il faudrait faire plus de réunions entre les jeunes, je pense qu’ils parleraient beaucoup plus ! Il faudrait trouver les bons interlocuteurs, les animateurs qui pourraient les aider à parler.

Un message pour les jeunes en dehors de Sarcelles

Si je devais présenter ma ville, je ne mettrais pas de photos ou d’images. Si on montrait des images aux jeunes qui n’habitent pas Sarcelles, ils verraient par exemple un arbre avec un petit tag à côté. Ils verraient le tag et se diraient : « Ah non, il y a des tags, c’est une cité délinquante ! ». Pourtant, on peut aller partout, dans des pays ou dans des villes où ils sont riches, et on trouvera quand même un tag !

Ce que j’écrirais dans le journal, ce serait de leur dire de ne pas juger ce que l’on n’a pas vu. Venir voir la chose et après dire ce qu’on en pense ! Il y a des gens qui vont entendre Sarcelles et tout de suite, rien qu’à cause de ce qu’ils ont vu à la télé, diront : « Ah non, on ne vient pas parce que c’est dangereux là-bas ! ». Moi, je leur dirais s’ils pensent que Sarcelles est un quartier où il ne faut pas venir, que ce n’est pas bien, qu’ils ne doivent pas juger ce qu’ils n’ont pas vu !

Venez, venez voir ! Même les gens qui ont fait de la délinquance pourront vous expliquer que Sarcelles n’est plus comme avant ! S’ils veulent venir faire un tour chez nous, ça ne nous dérangera pas de les accueillir. On leur expliquera comment on a vécu ici, depuis qu’on est tout-petits, et comment c’était même avant notre naissance ; parce que mes parents et mon grand frère m’ont un peu expliqué. J’aimerais leur montrer que la manière dont ils pensent à propos de nous est faussée. J’aimerais écrire le contraire de ce qu’ils pensent. Une seule phrase : « Ne jugez pas ce que vous n’avez pas vu. Venez voir, et jugez après ».