Récit de vie
"Au pas des caméléons : un témoignage de François Tabsoba"
édition Limitrophe
"Cette fiche fait partie du répertoire de la bande dessinée migrante créé par Paroles d’Hommes et de Femmes. Ce répertoire est destiné aux enseignants, éducateurs, associations, collectivités qui souhaitent utiliser la BD ayant pour thèmes la migration, l’altérité, l’intégration, comme une source de lien social et d’action éducative"
Au pas des caméléons :
Un témoignage de François Tabsoba
Propos recueillis par : Caroline Fontana
Illustrateur : Olivier Marabeouf
éditeur : Limitrophe
2005
Thématiques : Témoignage, sans papier, immigration, « vie » d’un clandestin, migration africaine, politique, rapatriement.
L’histoire :
À Kholog Naba - Ouagadougou - un Burkinabé raconte à une amie française sa vie de clandestin en Europe, plusieurs fois emprisonné pour refus d’embarquement, rentré de son plein gré. Son récit se mêle au journal de l’étrangère et à l’évocation de Thomas Sankara par d’anciens membres des comités de défense de la révolution.
François est Burkinabé. Il part pour la France en 1991 pour une formation professionnelle, 4 ans après la mort de Thomas Sankara. A la fin de sa formation il est invité à rentrer chez lui mais décide de rester « coûte que coûte ». Sans-papiers, il entame alors un périple à travers l’Europe du Nord.
Avis de Lionel :
Cet ouvrage est un témoignage fort qui nous rappelle une réalité que nous ne connaissons pas. Le dessin en noir et blanc, un peu abstrait, colle bien au récit. Le tout est une BD émotionnellement forte à lire et à comprendre.
Récit de François Tabsoba- extrait
François est Burkinabé. Il part pour la France en 1991 pour une formation professionnelle, 4 ans après la mort de Thomas Sankara. A la fin de sa formation il est invité à rentrer chez lui mais décide de rester « coûte que coûte ». Sans-papiers, il entame alors un périple à travers l’Europe du Nord.
« Quand je suis arrivé à Paris, je suis venu par l’intermédiaire d’une amie, mais elle ne m’a pas expliqué… Puisque je l’ai connue à Ouaga, si elle m’avait expliqué au départ, je me serais méfié davantage, vraiment, j’aurais fait plus attention, je n’allais pas débarquer comme ça ! Cette amie m’a dit qu’en France il y avait des écoles pour aveugles. Elle était kinésithérapeute. Elle m’a dit que je pourrais approfondir mes études mais sans me montrer les difficultés qui existent là-bas, qui sont les papiers. Moi je n’ai pas trop pensé à ça. Elle m’a trouvé un stage mais elle ne m’a pas expliqué.
En janvier 1991, elle m’a fait un certificat d’hébergement et mon directeur m’a fait les papiers pour que je puisse aller étudier en France. Comme j’avais la foi, vite, j’ai pris mon billet d’avion. Je suis allé à l’ambassade et j’ai démissionné de l’administration même, du gouvernement. C’était facile pour moi le visa ! J’ai eu un visa de six mois, un visa touristique. C’était possible pour les fonctionnaires qui travaillaient, parce que, ceux qui travaillent, ils pensent qu’ils vont revenir ! Ils ne savaient pas que j’avais démissionné, sinon je n’allais pas bouger ! Une semaine, ça a commencé à dégénérer. Ma copine habitait avec son copain et puis tout ça. Je suis descendu avec cinq mille francs français, j’avais à peine cinq mille francs en poche ! J’ai acheté des colis, envoyé des trucs… En fait, je croyais que la culture ressemblait. Ici, quand tu es étranger, même si tu souffres, tu ne vas pas dormir dehors. Moi j’ai cru en cette mentalité, donc tu vois ?
En Afrique, on est entouré et c’est l’essentiel. On oublie souvent qu’on est pauvre. Quand ils m’ont foutu dehors, j’ai compris que c’était autre chose. Je me suis retrouvé dans une situation difficile. Je suis allé chez mon ami Issaka et je lui ai dit : « Voilà Issaka, toi, tu es avec ta femme. Je comprends, votre maison et tout cela… Les gens ici veulent être à l’aise. Si tu peux mettre mes affaires dans ta cave, au moins ça, que je vienne de temps en temps prendre une douche… » Lui n’était pas opposé, mais sa femme ne m’a pas soutenu. Elle a cru que j’allais mourir ou retourner par force !
J’ai dormi à La Villette parce que je n’avais pas de maison. J’ai tourné dans tous les squats à Paris. Ça ne se passait pas bien. En fait, j’ai vu que les squatters ont un problème psychologique. La plupart, ils sont trop mal dans leur peau. Je les voyais plus mal que moi ! Des jeunes qui veulent se shooter… moi je ne suis pas fait pour ça ! Je galérais, c’est bien vrai, mais je cherchais juste à passer la nuit et repartir. Sinon, comme l’Afrique est solidaire, quand tu pars dans les foyers, tu vas trouver des Maliens qui sont dans dix mètres carrés avec dix personnes qui dorment dedans ! Mais la plupart des foyers africains en France, ce sont des Maliens, et les Maliens et les Burkinabés ont une histoire… Donc tu vois, je ne pouvais pas dormir là-bas. Un Burkinabé ? Ah non ! Je pouvais juste manger : je rentre, je paye dix francs ma nourriture, je mange bien, et je sors. Je joue du djembé, je gagne du fric, j’enlève, je bouffe, j’envoie une partie à ma famille.
Actuellement, il y a des Maliens ici, les gens comprennent, mais ceux qui sont en Europe, c’est différent, ils ne savent pas. Ils sont restés là-bas et peut-être que leurs parents ont été victimes de la guerre… Moi, je n’ai jamais dormi dans un foyer, donc tu vois, mais j’ai dormi dans des châteaux, même les Français n’ont jamais dormi là !
Six mois ou huit mois après que je sois arrivé, Issaka est décédé. Issaka n’avait pas fait l’école mais c’était un percussionniste de taille ! Sa femme le coinçait beaucoup parce que c’était un beau mec. Il n’avait pas le droit de causer avec ses copines. Et là, sixième étage et voilà, il s’est suicidé ! Et la première personne que sa femme a contactée, c’était moi. J’étais à La Courneuve, j’ai pris le métro, vite, je suis descendu à Crimée, et là, j’ai vu les pompiers en arrivant. Il s’était jeté du sixième étage avec le corps du djembé, il s’était balancé dehors !
Issaka, c’est moi qui l’ai enterré, cimetière de Montmartre. J’ai appelé son père, il a donné l’instruction. Il a dit que ce n’était pas la peine qu’on ramène le corps, il nous a demandé de l’enterrer là-bas et il m’a indiqué les sacrifices à faire. J’ai prié et ils ont tous pleuré derrière mon dos.
Je n’avais jamais tapé le djembé avant de monter en Europe. C’est à La Villette que j’ai commencé à apprendre, avec les Blancs. Après, je jouais du matin au soir ! C’est l’aventure qui m’a rendu comme ça. Je voyais les gens qui jouaient dans les squats gagner dix francs, dix francs… Moi, je n’étais pas artiste, tu vois, et je n’avais même pas dix francs ! Qu’est-ce que je pouvais trouver en cherchant du travail ? Qu’est-ce que je pouvais faire pour me nourrir ? Il fallait que j’entre dans le djembé ! »
Extrais, p43-47 du livre Au pas des caméléons : un témoignage de François Tabsoba, pris du site : www.limitrophe.net