Fruges, Fauquembergues...
Madame Berthe Poirier née en 1910 à Verchocq
Ma tante maternelle de Fruges était concierge avec son mari au château de Radinghem. Ils devaient conduire « Monsieur » à cheval. Son mari est mort d’un coup et elle est restée là bas avec deux petits-enfants avant de se remarier avec quelqu’un de Fauquembergues. Il n’y avait rien pour se distraire à Radinghem. Les habitants de ce village venaient se ravitailler où vendre leurs œufs, leurs beurres, leurs lapins sur le marché de Fauquembergues. Radinghem comptait beaucoup de petits agriculteurs qui vivotaient. Ce n’était pas un pays cossu, ni fort fréquenté. Un gros fermier de Radinghem avait voulu me fréquenter mais je n’ai pas voulu de lui. J’avais beaucoup de prétendants. Radinghem était fort arriéré, pas comme Fauquembergues…
Mon père était charpentier. Il avait des amis à Radinghem et travaillait pour eux mais pas pour le château… Maman était née à Fruges dans la grande ferme de Rébu. Elle est descendue à Sonval et s’est mariée avec papa.
Nous avions peu de jeux, la corde et… courir. Nous n’avions pas de beaux jouets car nous n’étions pas riches… Nous n’avions pas grand-chose. Nous participions aux bals de Sainte Catherine, de la Saint Nicolas et nous organisions des soirées récréatives ou théâtrales. Avec quatre ou cinq jeunes filles, nous avions formé une petite troupe de théâtre. J’aimais bien ça ! Nous allions répéter le soir. Il y avait « un monde » pour la séance…. et une réception formidable.
Je me suis mariée à 20 ans avec un Monsieur de Fauquembergues, un cultivateur qui charroyait les arbres. Les terres appartenaient à mes parents, il était donc normal que je reste dans la culture. J’ai eu un bon mari, un bon fermier qui travaillait bien la terre. Il est venu cultiver nos terres. Nous vivions bien…
J’ai rencontré mon mari à la maison. Nous nous sommes mariés trop jeune. J’avais 20 ans et n’ai pas profité de la vie car mon mari était fort casanier. Il aimait bien rester avec moi et pas sortir mais moi… j’aimais bien danser ! Il n’aimait pas aller au bal parce qu’il avait peur qu’on lui prenne sa fiancée.
Le notaire est venu faire un contrat de mariage à la maison. Le marié et la mariée écrivaient quelque chose chacun de son côté. Mes parents m’ont organisé un beau mariage, un samedi dans leur ferme… une grande journée. Cela ne durait pas longtemps. Nous avions reçu 85 personnes. Les mets avaient été préparés par des cuisiniers. Après le repas, nous dansions dans la région aux sons de l’accordéon de musiciens du pays. Maman était passée faire une quête auprès des invités pour payer ces musiciens. Le mariage continuait un peu le lendemain mais nous préparions nous mêmes les victuailles. La mère achetait une belle robe à la mariée. Je n’ai jamais vu de messe de mariage le dimanche…
Nous étions très amis avec mes parents qui vivaient dans une maison séparée. Ils avaient leurs chevaux et nous, les nôtres. Mon papa et mon mari étaient de bonnes personnes. Comme j’étais fille unique, maman aimait beaucoup son beau-fils. Tout le travail se faisait ensemble, de la même manière pour les chèques. Mon mari a toujours été sérieux et a continuellement travaillé honnêtement
Nous avons habité Fauquembergues et possédions une dizaine d’hectares, trente mesures. Nous faisions de tout, volailles, beurre, lait, pommes de terre, betteraves à sucre, betteraves fourragères. Nous livrions les betteraves à sucre à la bascule à Fauquembergues puis à une coopérative agricole à Pont d’Ars. Nous étions bien payés. La vente du lait de nos sept vaches à des petites familles et du beurre à des établissements, nous rapportaient le plus. Ils venaient chercher le lait le matin à la maison. Tout le monde arrivait dès sept heures. Il en venait également au soir. Nous vendions des sacs de pomme de terre de 25 kgs/50kgs et du lait battu qui purgeait bien… les vieux l’aimaient fort. Je fabriquais du bon beurre à la baratte et de bonnes gaufres…Nous vendions les œufs car nos poules pondaient bien dans leur grand pâturage. Le marché aux volailles et aux bestiaux se tenait à Fauquembergues pour tout le pays. Nous vendions nos marchandises à un intermédiaire car nous avions beaucoup de travail à la ferme.
Je m’occupais de la ferme car mon mari faisait aussi « le charroie » des arbres à la scierie. Il attelait l’arbre à un diable qu’il tirait avec des chaînes. La scierie en faisait des planches de constructions. Nous possédions trois chevaux partagés avec un camarade de mon mari. Les chevaux travaillaient beaucoup et assuraient tous les travaux de la ferme. Mon mari était un bon travailleur.
L’électricité est arrivée en juillet 1928 à la maison. C’était un événement. Nous ne pouvions pas croire que la lumière était installée et nous étions heureux d’avoir cette électricité qui a été montée au départ par la commune de Fauquembergues. Nous nous étions bien aidés avec les quinquets ….., deux par pièce de la maison mais cela ne luisait pas fort ! Nous utilisions des lampes pigeons, des lampes à carbure. Nous allions dans les étables partout avec des lanternes.
La personne la plus importante du village était Monsieur le Maire. L’instituteur avait peut-être des droits mais ce n’était pas le chef. Tout le monde n’avait pas affaire avec l’instituteur ! Monsieur le greffier faisait les papiers de Monsieur le Maire. L’instituteur était souvent secrétaire de Mairie. On respectait également Monsieur le curé…Mon institutrice était bien, gentille. J’étais bien avec elle. Je travaillais bien et avais été reçue première du canton à 12 ans et demi.
Nous vivions bien dans la ferme pendant le conflit 39/45 et de nombreuses personnes des villes venaient s’y approvisionner. Mes parents devaient loger trois allemands dans la maison, un adjudant, un commandant et un soldat. Ils étaient corrects avec eux et maman ne leur faisait pas de mal non plus.
Vous pouvez retrouver l’intégralité des témoignages sur le monde rural du pays des 7 vallées, Radinghem, dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/nous-entrerons-dans-campagne-pays-7-vallees-pas-calais-au-cours-20eme-siecle.htm