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Et si on parlait un peu d’art dans les Comores ?

Être peintre à Mayotte

Marcel Séjour

mardi 19 juin 2012, par Jean Paul Colomb

« On n’est bien qu’ailleurs »

Le père de Marguerite Yourcenar

Un panneau en contreplaqué vieilli est cloué au dessus de la sonnette d’entrée. En lettres de peinture bleue, un simple Marcel est tracé à la main. Nous sommes à Cavani, quartier coincé entre Mamoudzou et M’tsapéré. Une silhouette ronde, des cheveux argent, des yeux bleu lagon clair, Marcel Séjour nous accueille dans son atelier. Sous les tôles encore fraiches de la nuit, une forêt de tableaux peuple l’espace de l’artiste. Sur les toiles de format moyen, femmes, hommes, animaux, végétaux, en couleurs et en noir et blanc : la vie mahoraise est omniprésente.

Mayotte via l’Australie

Tout a commencé dans le grenier de la grand mère : « Je me revois feuilleter les piles de journaux rapportés de je ne sais où par mon grand père. J’étais fasciné par les peaux noires, par ces corps exposés, ces hommes et ces femmes dénudés… Puis, c’est resté en sommeil jusqu’à mon séjour en Afrique beaucoup plus tard… »

Marcel Séjour est né en Anjou « Un pays trop doux pour peindre ! », où il fait ses études secondaires. Après une École supérieure de commerce à Nantes, son diplôme en poche, il part pour l’Australie au début des années soixante dix : « … histoire de mettre 20 000 km entre ma mère et moi, comme ça elle ne pouvait pas débarquer sans prévenir ! ». Parti pour deux ans, Marcel Séjour va rester quinze ans sur le continent australien : d’abord statisticien à Melbourne, dans une chaine de grands magasins puis cuisinier : « … de la cuisine française, bien sûr, jusqu’à 30/40 couverts par service… ». Ensuite, il gère deux restaurants, ce qui lui permet de s’offrir 14 mois de vacances. C’est la découverte de l’Afrique : Égypte, Soudan, Kenya, Tanzanie.

L’écriture surgit lors de ce passage en terre africaine : « Les mots viennent assez naturellement mais ils me font davantage souffrir que les traits… J’écris, quand je suis en colère… Et cette colère s’épuise avec l’épuisement du sujet et ça libère ! Le pamphlet me convient assez… ». Dans upanga, mensuel mahorais, Marcel donne régulièrement ses mots d’humeur, c’est la rubrique La case à Marcel.

À Lamu, sur la côte kenyane, Marcel se pose six mois : une pause écriture, quelques romans, un journal… De retour en Australie, surgit Robert K. peintre : « …t’as besoin d’une gomme et d’un crayon… tu dessines… ça te plaît, tu gardes… ça te plaît pas, tu gommes… ». C’est la découverte du dessin, de la peinture. Marcel va lâcher les casseroles pour le crayon et le pinceau. « Quand j’ai commencé à dessiner, à peindre, je ne savais rien ! Je suis autodidacte ; tableau après tableau, j’ai appris mon métier : être capable de travailler uniquement poussé par le désir ! Maintenant, j’ai mon métier mais ça ne suffit pas ! C’est l’envie qui vous dirige : peinture, peinture… tous les jours ! Je suis fragile en dehors de mon atelier ». D’abord les paysages : l’immensité des horizons australiens se retrouve sur les toiles de Marcel qui apprend son nouveau métier… Dur de vivre de sa peinture, et les dernières années australiennes sont de plus en plus précaires : « Je vivais dans des endroits de plus en plus sordides, je menais une vie de bâtons de chaise… ».

Une réaction s’impose : riche de son anglais, Marcel rentre en France en 1987 et passe avec succès le concours qui lui ouvre les portes de l’enseignement de l’anglais. Passage par les Ardennes, l’Anjou, avant d’arriver à Mayotte en 1993. « C’est le hasard, j’aurais pu obtenir un poste à Saint Pierre et Miquelon ! Mayotte, je suis tombé dedans et ça ne me lâche pas ! Ici, je suis un doux. En Afrique, je ne faisais que passer, à Mayotte, je vis au milieu des hommes, des femmes, des enfants… » Très vite, la nécessité de passer à l’acte et le besoin de reproduire sur la toile sont les plus forts… Mayotte, c’est un peu l’Afrique : « Le corps noir a perdu de sa fascination mais la couleur de la peau, sa représentation me fascinent ! » Un millier de tableaux vont naître dans les ateliers de Marcel, d’abord dans des villages avant de se poser dans la banlieue de Mamoudzou, la "capitale" de Mayotte.

Mayotte et la peinture

« Il ne peut pas y avoir art s’il n’y a pas désir ! » affirme Marcel avec force. Avant de poursuivre : « L’artiste est un handicapé : il ne peut pas utiliser les mêmes moyens que les autres pour vivre. L’art nécessite d’acquérir une technique ; pour travailler dans l’art, il faut se soumettre à une discipline d’apprentissage. Ici beaucoup de gens sont capables d’apprendre mais peu sont capables de faire… Il faut quitter les Comores pour être un artiste ! Le premier Mahorais qui réussira en peinture sera un Mahorais qui se sera fait ailleurs qu’à Mayotte ! » Marcel observe que la pression sociale est forte sur ce confetti du Canal du Mozambique : « … ici comme tout est petit, tout est village : l’artiste veut être aimé de son vivant et l’artiste va vite virer politique ! »

Installé depuis près de vingt ans sur une des îles de l’archipel des Comores, Marcel affine son regard et affirme encore : « Mes rapports sont ambigus avec Mayotte… Les relations ne sont pas simples ! Et ça ne va pas s’arranger ! Surtout depuis 10 ans ! Ici, à Mayotte, je me sens toujours étranger ! Mais je suis assez bien accepté par les Mahorais, je donne une bonne image de Mayotte ! Je fais un travail qui ne sert à rien et je gagne pourtant assez d’argent pour payer le loyer et entretenir une voiture… » Marcel fait alors le constat que les enfants et les adultes sont très peu attirés par la peinture. « L’art est considéré comme un acte gratuit. Comment accepter de travailler pour rien ? Si je prends des cours chez toi, Marcel, combien tu me paies ? » Il n’y a pas la motivation de créer dans la population mahoraise, souligne l’artiste. Absence de curiosité ? Rareté de l’artisanat ? « Pas d’art sans artisanat ! » ponctue Marcel !

Que faire ? Une éducation à la beauté ? Qui doit s’occuper de la beauté s’interroge Marcel ? « La recherche de la beauté, ici, c’est le domaine des femmes : masque, vêtement, maquillage, tresses… » Et d’évoquer l’époque où l’on apprenait en regardant le maître « …loin du "à quoi ça sert ?". De nos jours, le mot maître est rayé du vocabulaire, on ne veut plus en entendre parler ! »

De Mayotte à Grande Comore ?

« Aujourd’hui, j’ai mon métier : je maîtrise la peinture, le dessin j’en suis moins sûr, mais Hokusaï n’a-t-il pas dit, ça y est, je sais dessiner, à 70 ans ! » confie Marcel. « Je ne contrôle rien ! Je suis heureux d’avoir une peinture qui se vend relativement bien ! Mon travail est fini, soigné… » Pour lui, l’avenir de l’art, dans cet archipel des Îles de la Lune, passe par l’enseignement du dessin confié à des maîtres chinois. « Le dessin chinois, c’est du karaté : vingt coups de pinceau ! C’est du sport ! » dit-il en souriant !

Dans La case à Marcel (sa rubrique parue dans le n° 51 de upanga du 16 mai 2012), sous le titre Et si on parlait un peu d’art dans la région ? Marcel Séjour propose en conclusion, une piste pour sensibiliser les jeunes Comoriens à l’art : « Le changement arrivera sans doute plus par le dessin que par la peinture. Peut-être alors conviendrait-il de se passer des profs d’art plastique et de les remplacer par des gens sachant dessiner. Des artistes chinois par exemple, fort calés dans ce domaine et auxquels il serait difficile de dire que le dessin, la peinture sont des "trucs de M’zungu" (métropolitains blancs). »

Depuis deux ans le noir & blanc règne sur les toiles de Marcel, avec quelques taches de couleurs… « Je glisse doucement vers l’abstraction, depuis un an environ… et encore c’est du concret étiré à sa limite… » À travers les cloisons en tôle délimitant l’antre du peintre, on entend les enfants jouer et rire… L’avenir ? Une exposition (Le Noir et le Blanc) avec Baba M’baye du 8 au 23 juin 2012 au Comité du tourisme de Mamoudzou. La vie quotidienne du département français tout neuf est là, sur la plupart des toiles. « Ailleurs, je pourrais peindre des paysages, de grands espaces, ceux de Madagascar, d’Australie… j’aime ce côté vaste, coloré, sec que je ne retrouve pas ici… » murmure Marcel, comme pour s’excuser ! « Je prépare également une exposition en Grande Comore, dans une galerie tenue par une comorienne, c’est une graine d’espoir… »

Assis sous le manguier de la cour, depuis plus de deux heures, face à l’atelier grand ouvert, on perçoit chez Marcel la forte envie de rejoindre ses pinceaux. Quelques mots encore, des mots liés à l’histoire récente de l’archipel comorien : « L’identité de Mayotte est comorienne, une identité que les Mahorais refusent ! Le choix de l’indépendance des trois îles sœurs ? Cette expérience de l’indépendance leur coûte mais être indépendant ça laisse dans l’esprit une possibilité de poser des questions qu’être dépendant interdit… Me poser à Moroni ? Pourquoi pas ? J’ai un fils adoptif, né à Anjouan… ». Le bleu lumineux du lagon s’intensifie dans le regard de cet angevin généreux à la peau claire : « La peinture : c’est une obligation, un devoir si je ne dessine pas je me sens coupable ! J’aimerais peindre encore 1000 tableaux … ». Marcel Séjour est déjà devant son chevalet, debout… Le pinceau navigue dans un paysage en noir et blanc, vide… Mais dans les ombres ou la lumière, le peintre sait déjà où s’animeront les silhouettes à la peau noire…

Contacts

Marcel Séjour

 téléphone mobile : 06 39 67 68 75

 courriel : marcel.sejour@wanadoo.fr

 site : http://Comores-mayotte-art.blogspot.com

La case à Marcel : www.upanga.com

Portfolio

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