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JUTIGNY - la discipline à l’Ecole
Mr Bernard HUGE, né en 1939 à Jutigny
mercredi 21 novembre 2007, par
Mes parents étaient agriculteurs
Je suis né en 1939 à Jutigny, où j’ai habité jusqu’en 69. Mes parents étaient de petits agriculteurs. Ils se sont agrandis un peu et ils ont fini agriculteurs.
On travaillait la terre avec des chevaux. C’était le moyen de traction pour les outils : charrettes, tombereaux, canadiens, herses…Un tombereau ressemble un peu à la charrette, le châssis est relativement le même. Attelé à un cheval, le tombereau est composé de deux grandes roues et d’une caisse. Nous y mettions des betteraves pour les vaches, de la terre, de l’herbe, du fumier. Nous emmenions ça tout le long des terres. Il n’y avait que des machines manuelles, actionnées manuellement. Il n’y avait pas encore de moteur thermique, mais un moteur électrique pour actionner le coupe racines (pour les betteraves fourragères cultivées sur les terres de l’exploitation).
Pour les animaux, il y avait la mère la vache, le père, le taureau et les petits veaux. Mais aujourd’hui, il n’y a plus le père. Avant, le veau était élevé au lait de la mère. Il buvait vraiment du lait. Aujourd’hui, il boit du lait mais pas le même ! D’un petit veau, on faisait une génisse, une vache à trait ou un taureau.
Nous avions à peu près huit vaches laitières. Elles étaient traites le matin et le soir. Le laitier passait à cinq heures du matin. Il fallait donc que ce soit fait de bonne heure ! Le rôle des femmes était d’aller traire les vaches. La femme de l’agriculteur, la fermière, avait cette mission là. La ferme comptait trois chevaux, des porcs, des lapins, des poules et des canards. Ces petits animaux servaient à l’alimentation de la maison. Nous n’allions rien acheter dans les grandes surfaces ! Il n’y en avait pas ! Nous travaillions en autarcie, de façon à ce que nous ayons l’alimentation sur place.
Le porc, les lapins, les poules et les canards étaient nourris avec du blé, de l’orge, de l’avoine. Tous ces produits étaient cultivés sur l’exploitation. Les pommes de terre étaient pour les porcs. Un ou deux d’entre eux étaient réservés à la consommation personnelle, c’est-à-dire à la famille.
La mobilisation en 39
Mon père a été fait prisonnier par les Allemands en 40 (sans avoir commis de délit), au début de la guerre. Il a été libéré en 1945. J’ai été cinq ans sans le voir... Il y a eu au moins vingt-cinq prisonniers comme mon père dans le village. Les hommes du village ont été réquisitionnés. Ils réquisitionnaient des hommes d’un âge très actif pour qu’ils soient aptes, face à toutes les tâches à effectuer en Allemagne. Certains ont été réquisitionnés pour le STO. Il y eut également quelques volontaires.
Juin 40 : l’Exode
J’avais un an lors de l’Exode. Mes parents sont partis. Sous l’effet de la psychose, de la panique, tout le monde a essayé de partir dans la direction de l’éventuelle zone libre. Nous sommes partis pour être dans une zone plus tranquillisée, parce que les occupants, les Allemands, arrivaient. Tout le monde craignait d’être contraint par des choses imaginables. Mon père prisonnier, je suis parti avec ma mère et mes grands-parents.
Ils sont partis jusqu’à Vinneuf, dans l’Yonne, mais ils se sont aperçus que c’était un peu trop la panique et que cela ne servait à rien. Ils avaient emmené le cheval, la charrette et quelques provisions. Je me rappelle que ma mère me disait : « Oui ! On est allé dans les pâtures. Il y avait des vaches. On a trait le lait et puis on te l’a donné…On te l’a donné et c’est comme ça qu’on a vécu un peu ! »
Ils sont finalement revenus après quelques mois. Ils sont revenus à leur domicile et ils sont restés pendant la guerre à la maison, sans avoir de craintes ni quoi que ce soit. Il fallait quand même se cacher, ne pas se montrer. L’hiver, la nuit venant très tôt le soir, nous fermions les volets afin qu’on ne voit pas la lumière. Nous ne sortions pas la nuit, par crainte de se faire voir.
La présence des Allemands
Je n’ai vu des Allemands qu’à la Libération où ils ont défilé, mais j’étais un peu trop jeune pour savoir. Ma mère me cachait un peu, pour éviter que je ne dise quelque chose ou quoi que ce soit. Nous ne savions pas…
L’impact de la guerre sur les fermes
Pour les Allemands, le cheval servait à tracter les pièces d’artillerie. Ce moyen de traction manquait aux agriculteurs. Nous ne pouvions donc pas exécuter les travaux comme ils auraient dû l’être. Il y avait moins de rendements !
Ils prenaient ce qu’ils voulaient, en fonction de l’importance de l’exploitation. Ils prenaient une vache, un veau, un cochon et même parfois des œufs. Il fallait compter. C’était la restriction.
Nous, dans les fermes, nous n’avons pas souffert du manque de nourriture pendant cette guerre. Mais les difficultés étaient là !
La discipline à l’école
Nous avions une tenue à l’école : la blouse grise pour tout le monde, garçons et filles ! Il fallait qu’elle soit propre. Pour bien respecter la tenue, la propreté, le respect, la stabilité de l’individu, nous avions des lignes ! C’était : « Demain, il faudra vous laver les mains… » Sinon, il y avait des lignes à faire. Il nous faisait remarquer quand nos mains n’étaient pas propres. Nous avions peut-être cinq ou dix lignes à faire : « Je dois me laver les mains tous les jours avant d’arriver à l’école… » L’instituteur vérifiait l’état général des élèves.
Je faisais des bêtises, comme beaucoup d’ailleurs ! C’étaient des petites farces, comme tirer la manche du voisin pour qu’il rigole un peu, pour qu’il se fasse un peu tirer les oreilles, mais sans plus ! Cela n’allait pas loin… Chacun savait mettre une goutte d’eau ou bien du gel sur une chaise en dure. Pas sur une chaise empaillée, bien sûr, parce qu’elle n’est pas étanche. Nous ne l’avons fait qu’une fois, parce que nous en avions eu des répercussions…
On claquait notre pupitre quand le silence était trop grand. C’était trop calme. Et d’un seul coup, tout le monde redressait la tête… « Qui c’est ? » Nous faisions attention pour ne pas avoir de punitions et il ne fallait s’en vanter à la maison ! Le maître venait chez nous et expliquait : « Il a fait ça ! Il a fait ça… » Alors, badaboum ! Il y avait encore une punition à la maison. Le père ou la mère demandait : « C’est vrai ce que tu as fait ça ? Ce n’est pas bien ! » Les parents, à la maison, étaient comme le maître. Nous nous tenions à carreau au maximum !
L’instituteur, Monsieur Lepeytre, avait l’originalité d’avoir une marguerite : une petite trique en bois, là sur le côté. Quand ça n’allait pas, il la cognait sur la table et le silence revenait. Il ne s’en est pratiquement jamais servi pour nous taper dessus ! Il nous faisait peur avec. Tout le monde obéissait !
Nous n’avions pas de stylo bille, mais nous utilisions un porte-plume. La plume et l’encrier étaient sur la table. Il fallait faire attention à ne pas faire de tâches ! A chaque tâche, c’étaient des lignes ! Il fallait tremper un petit peu, doser, puis écrire et s’appliquer. Nous écrivions sur du papier comme aujourd’hui. Les cahiers n’avaient pas les mêmes formes, mais ils avaient la même texture. Nous avions un crayon de papier, une gomme, la règle, quelques crayons de couleurs. Nous avions le cahier de dessin, le cahier de sciences naturelles, le cahier d’écriture, le cahier pour les problèmes, le cahier pour les opérations et le calcul mental bien sûr. Nous écrivions sur le tableau, sur une ardoise et sur des cahiers en papier.
Les cours de morale
Le matin, il fallait écrire la morale. L’instruction civique se faisait soit à l’oral, soit par écrit.
Nous ne mangions pas à l’école. Nous rentrions manger à la maison sur une table, comme aujourd’hui ! Nous avions quand même une table et des chaises.
Nous ne faisions pas de sorties scolaires à Jutigny. Nous avions quelques petites missions, rapporter des feuilles d’arbre, les coller sur un cahier. Puis, nous décrivions de quelle essence il s’agissait. Il n’y avait pas de voyages scolaires.
Les premiers, deuxième et troisième prix arrivaient au 14 juillet. C’était la fête. Bien sûr, c’était organisé. Les prix étaient donnés en fonction de leur niveau. Le premier avait parfois deux prix.
La fête de Noël marquait beaucoup, avec des petites scènes théâtrales. Je jouais le malade. J’avais autour de moi quatre ou cinq filles parce qu’il y avait beaucoup de filles dans ma classe. Elles jouaient le rôle des soignantes, des aides-soignantes, des médecins… Mais c’était après la guerre, bien sûr…
Noël en famille mais sans mon père
J’étais bien sûr au courant que mon père n’était pas là. Ma mère me mettait au courant. Je savais qu’il était prisonnier. C’était la réalité. Nous ne fêtions pas Noël à la maison. Nous marquions Noël ! Je mettais des chaussures dans la cheminée, par tradition . Il n’y avait pas de sapin, pas de guirlandes. Le lendemain matin, j’avais deux tranches de pain d’épices, une orange, quatre ou cinq crottes en chocolat et voilà. C’était Noël…C’est tout.
Les bombardements de 44
Nous ne nous rendions pas compte de ce qui se passait. Nous entendions mais à cet âge là, on ne peut pas se rendre compte parce que l’on ne mesure pas l’importance de la situation. Le site de Jutigny n’était pas ciblé par les bombardiers. Le dépôt de Longueville, le dépôt SNCF était la cible. Jutigny n’était pas visé et il n’y a pas vraiment de grandes histoires…
L’arrivée des Américains et la Libération
Malgré mon jeune âge, j’ai vu le défilé des Américains… J’ai été surpris par les chewing-gums. Je ne savais pas ce que c’était qu’un chewing-gum ! Un chewing-gum… J’en ai défait un. Je l’ai mis à la bouche et j’ai dit : « Qu’est-ce qui se passe ? C’est du caoutchouc ça ! Ca ne fond pas ! » Ils m’ont dit : « Non ! Non ! Ca se mange comme ça ! » C’était bon. Bien sûr ! Parce que nous n’avions jamais goûté à ça ! Il n’y avait pas tout ça dans le placard ! C’était vraiment une fois de temps en temps !
Le retour de mon père
Il est arrivé après la Libération. C’était une grande émotion... Je n’ai pas connu mon père à ma naissance. Ma mère me disait : « Ton père est prisonnier et il va revenir ! Mais quand ? On ne sait pas ! » Je me contentais de ça, parce que je n’avais quand même pas la maturité d’une personne adulte !
Il est revenu en militaire, en tenue de prisonnier. Ma mère m’a dit : « C’est ton père ! » J’avais cinq ans. Je veux bien… Dire que j’ai sauté à son coup… Non ! Je ne savais pas. J’étais là, en admiration devant lui, mais c’est tout ! Il était également ému parce qu’être cinq ans prisonnier sans voir sa famille, personne, et revenir dans sa maison… Une séparation si longue est dure !
Nous nous regardions l’un l’autre. Nous nous disions : « Bah oui !... » L’image de son retour est celle là…
Pourquoi les hommes se font-ils la guerre ?
C’est une question vaste. La guerre est un mot affolant. La guerre ne devrait pas exister. Se faire la guerre, c’est inhumain. C’est inhumain… La guerre, je dis non ! C’est affreux…
Message aux jeunes
Je voudrais que les jeunes prennent conscience de ce que veut dire la guerre, que c’est une situation très grave. Il faut qu’ils réfléchissent bien à ce que ça veut dire et ne pas la faire, entre voisin et même en général ! Il ne faut pas se faire la guerre entre soi. Qu’il y ait des différences, cela se comprend, mais faire la guerre, non !