Sarcelles : Romain Abrego né en 1985
En quatrième, troisième, je voulais déjà être archéologue
Certains sont traités presque en héros d’avoir survécu jusqu’au lycée.
Quand j’ai vu ça, Sarcelles était une vieille ville, ça m’a tout de suite passionné. J’ai appris que Sarcelles était une ville, pas juste des bâtiments. Comme l’histoire des bandes ne m’intéressait pas, j’avais l’impression de vivre dans un endroit sans passé. Un truc où l’on a fourré plein de gens avec des passés différents. J’ai l’impression qu’en grande partie, le passé de Sarcelles est ailleurs. Pour beaucoup de gens il est en Algérie, en Afrique, en Amérique, aux Antilles, au Pakistan. Pour beaucoup de gens, le passé de Sarcelles est là-bas.
Romain Abrego
Je suis né en 1985. Mon père vient du Salvador, d’Amérique Centrale, et ma mère des Ardennes. Ils se sont connus à Strasbourg et se sont installés à Sarcelles juste après ma naissance en 1985.
Un grand-père maternel ardennais, prisonnier de guerre en Allemagne
Je connais des anecdotes de l’histoire familiale, pendant la guerre, les anecdotes de mes grands-parents et de mes arrières grands-parents.
Mon grand-père Ardennais a été prisonnier de guerre en Allemagne, dans un camp de travail. Il s’est enfui plusieurs fois et n’a pas été fusillé parce qu’il était grand blond aux yeux bleus. Ça faisait mal aux nazis de le fusiller. Il était d’origine lorraine en plus, ça ne le faisait pas. Je sais qu’il travaillait pour Bayer en Allemagne. Après sa mort, on a retrouvé des carnets où il parlait de sa vie au camp. Tous les jours, le nombre de morts, les bombardements. Ma tante a gardé ces carnets.
Les grands-parents paternels
Du côté paternel, je n’ai pas connu mon grand père, et ma grand-mère non plus. Elle est morte quelques années avant que j’aille au Salvador ; mon grand-père avant. Je sais qu’il était policier. Je sais que j’ai beaucoup d’arrières grands-parents qui ont travaillé au marché, dans la ville dont on est originaire.
Mon père est né en 1944. Il est parti quand il avait dix huit ans étudier à Moscou à l’Université Lumumba, l’université internationale soviétique. Il s’est fait expulser au moment du Printemps de Prague en 1956. Il avait manifesté. Il s’est fait expulser. Il a vécu en Israël plusieurs années et après il est venu en France dans les années 60.
L’arrivée de mes parents à Sarcelles
Mes parents avaient besoin d’un logement le plus rapidement possible. Ils sont arrivés à Sarcelles.
Mon père a fait des études de linguistique. Il a été professeur. Il a travaillé à faire un logiciel d’apprentissage d’espagnol. Il s’est fait arnaquer, et puis là il est bibliothécaire.
Ma mère a travaillé à la Poste au centre de tri. Ensuite elle a essayé de faire une formation d’aide-professeur, elle a arrêté. Elle a travaillé dans plusieurs associations à Sarcelles où elle s’est occupée des jeunes. Ensuite, elle a travaillé à la Goutte-d’Or avec des toxicomanes et là elle travaille au 115 à Nanterre.
Je crois que ma mère a été à La Poste assez tôt. Elle a eu son logement à Sarcelles par la Poste. C’est lié à ça. Nous n’avons pas bougé.
Le seul blanc à l’école
J’ai très peu de souvenirs, mais je me souviens que j’avais deux amis en maternelle, un Martiniquais et un Guadeloupéen. Je me rappelle, quand j’étais petit, j’avais l’impression de vivre aux Antilles. C’était les Antilles beaucoup plus que maintenant. J’avais même appris quelques mots de créole. En primaire, j’étais le seul d’origine européenne. Dans le primaire, pendant plusieurs années, j’étais le seul blanc. Les seuls autres blancs étaient des Juifs. Les Turcs n’étaient pas considérés comme des blancs. Les blancs, c’étaient seulement les Chrétiens.
Le collège, « bastonné » parce que j’étais blanc
Je ne faisais pas de différence jusqu’au premier jour de sixième où l’on m’a bastonné parce que j’étais blanc. Certains m’ont dit : « Il y en a plein qui n’aiment pas les blancs ». Jusque là, sérieusement, je n’avais vu aucune différence.
J’ai été voir le principal. Je les ai dénoncés. Ils l’ont refait. Je suis allé de nouveau voir le principal et ils ont arrêté, parce que par rapport à leurs critiques, je m’en suis pas mal foutu. Beaucoup d’amis sont venus vers moi, pour me défendre. Ensuite j’ai su que c’étaient des idiots et qu’il ne fallait pas que je me laisse faire.
Les plus maltraités étaient les Pakistanais, les Indiens. Ils parlaient moins bien le français. Tous les autres étaient là depuis deux générations, ils savaient parler français. Les Pakistanais venaient juste d’arriver, ils ne parlaient pas un mot de français, les « pounde », les « dux », les « paki », tout ça… Dans la cour de récré les plus isolés étaient les Pakistanais, ensuite c’étaient les Tamouls.
La vie de quartier
A la maternelle, on venait jouer ici à la place de la MJC. On jouait au foot derrière l’immeuble sur la pelouse ; elle était plus propre…avant. On évitait de passer là, parce qu’il y avait des jeunes avec leurs pitbulls au coin de la rue Rodin. Au moment où je suis passé au collège, eux, sont venus migrer ici, et nous, on n’est plus venus jouer. Moi aussi j’avais grandi, je pouvais donc aller tout seul au stade, et puis un peu plus tard, au lac.
Au collège, il y avait des bagarres. Entre temps je m’étais habitué, il y en avait une par jour. Après ça passe au-dessus, ce sont les affaires des autres…
Les Affaires des autres…
Au bout d’un moment, on en a ras le bol de ça. En sixième j’ai eu un ami ghanéen. Il s’appelait Khojo, parce qu’il était né un jeudi. Ça m’a toujours fait marrer. Il était éwé du Togo ou du Bénin ; c’est une ethnie où l’on donne le nom du jour où l’on naît. Il voulait séparer les gens à chaque fois qu’il y avait une bagarre : « Laisse ! On s’en fout ! ». Il ne comprenait pas que les autres restent immobiles. Il n’était pas né là. Il venait juste d’arriver et il ne parlait pas encore très bien le français ; il l’apprenait avec moi et des amis. Nous on disait : « arrête ! Tu vas te recevoir un coup ! Ça ne sert à rien... ».
Rêve d’ado, archéologue
En quatrième, troisième, je voulais déjà être archéologue. C’était trop loin… Je vais prendre des informations pour voir s’il y a du boulot, mais il faut prévoir des solutions au cas où il n’y en ait pas. J’ai interrompu momentanément mes études, et je vais les reprendre. J’ai continué après la troisième jusqu’en terminale. Ceux qui sont à Anatole France vont à la Tourelle. Comme j’étais le seul inscrit en latin, ils m’ont envoyé à J.J. Rousseau pour que je puisse faire mes études.
Les quartiers de Sarcelles
J’ai fait une journée à la Tourelle, deux ans à Rousseau et trois dans un lycée à Paris, le lycée autogéré. C’est un lycée totalement à part, à Vaugirard.
Pendant un certain temps j’étais en contact avec des gens du vieux Sarcelles, avec des gens de la Secte. C’est de là que vient le Secteur A, le Ministère Amer, Doc Gyneco. Ce dernier n’était pas sarcellois, mais il traînait avec des gars d’ici, du quartier. A la construction de Sarcelles, sur les plans, c’était le secteur A, d’où le nom. Le Coop, ça vient du magasin la Coop ; après ils ont continué en Cop killer (tueur de flics). Le seul quartier à avoir gardé son nom ancien, c’est les Sablons.
Le brevet à Anatole France
Je suis animateur deux fois par semaine avec l’association « Ensemble ». Je passe mon BAFA là-bas. Par rapport à Anatole France, où l’on était que des métèques ; même moi qui étais le seul blanc de la classe, je suis d’origine centraméricaine, c’est pour dire ; j’ai vu qu’il y avait des Français portant encore des noms français, comme ceux de la télé. Les seuls qui portaient des noms français ici, étaient les Antillais.
Pour ma classe, dans nos années, c’était facile d’être professeur au lycée. Au collège les deux premières années, on était la meilleure classe, calme, travailleuse, motivée, puis ils ont remixé les classes. C’est parti en vrille. J’ai été remixé dans la pire classe d’Anatole France. C’est marrant, j’étais dans la classe avec le taux le plus bas de réussite du brevet ; l’année où Anatole France était au plus bas dans la réussite du brevet du Val d’Oise ; et le Val d’Oise était le dernier au niveau français. Et je l’ai eu ! J’en suis fier… On était deux ou trois à l’avoir eu dans la classe. Beaucoup arrêtaient après la troisième parce que beaucoup arrivaient au brevet à l’âge du Bac.
Intimidation
Il y a une période où j’ai eu peur, c’était en primaire. J’avais peur des grands parce qu’ils avaient des chiens.
Je me souviens d’une fois très précisément. C’était à l’époque où l’on ne s’était encore jamais adressé la parole. Un des chefs nous fait : « baisse les yeux ! ». D’habitude je les baissais, il suffisait qu’on me le dise, mais là, non. Il a dit : « baisse-les ! ». Et moi je les ai levés ! C’était par pur esprit de contradiction. J’ai vu que je n’avais rien fait et à partir de ce moment là, je passais, tranquille. L’intimidation n’a pas marché.
Les amis du quartier
Certains sont partis en BEP, je ne les ai pas retrouvés après, pour la plupart. Une fois que j’ai découvert le vieux Sarcelles, je passais plus de temps là-bas qu’ici (quartier MJC). C’est quand même plus sympathique de se balader là-bas qu’ici. J’allais me promener au vieux Sarcelles avec les gens que j’avais rencontrés au lycée. Les amis que j’avais ici sont tous partis. Et ceux qui étaient juste copains au bout d’un moment…Ici dans le quartier, sérieusement, je n’ai pas vraiment de relations.
Horizons… partir de Sarcelles
J’avais dix sept ans quand je suis parti à Paris. Certains sont traités presque en héros d’avoir survécu jusqu’au lycée. Ça se voyait dans leur attitude : « Il est courageux …il a souffert il est là maintenant…c’est bien. ». Ils n’ont pas tout a fait tort…pas d’avoir survécu… mais il y en a beaucoup de Sarcelles, toutes générations confondues, qui ne sortent jamais de Sarcelles. C’est le pendant du pragmatisme. Ils ont une vue rétrécie. Pour eux, Sarcelles c’est leur vie, leur but, leur objectif, leur horizon. Pour certains c’est carrément leur quartier, pour d’autres c’est Sarcelles… quand même.
A l’adolescence l’identité, c’est le quartier. Je connais une personne, elle travaille, elle est intégrée et en voiture, elle ne sort jamais de Sarcelles : Je ne connais pas, je ne sors pas. Je trouve ça hallucinant !
C’était ça mon rêve…partir de Sarcelles.
S’inscrire à la fac à Paris
Quand j’ai eu mon bac, quand je me suis inscrit en fac, il était hors de question que ce ne soit pas Paris. Je tenais absolument à aller à Paris. Je sortais de Sarcelles. Beaucoup de Sarcellois ne sortaient pas. C’est vrai. Mes copains partaient en vacances. Moi ce n’était pas pour les vacances, je ne rêvais pas de partir au bout du monde. C’était juste partir à Paris, parce qu’il y a une richesse qu’il n’y a pas ici. C’est lié aux livres. Pour trouver un livre ici, c’est parfois la croix et la bannière. Alors qu’à Paris, il y a la Fnac, il y a tout. On y va, on achète et voilà, alors que s’il faut commander, il faut attendre une semaine.
Les vacances au bled, mais quel bled ?
Pour les vacances j’allais dans les Ardennes, sauf celles d’été. J’allais chez mes arrières grands-parents, les parents de ma grand-mère maternelle, en Vendée. Ils n’étaient pas Vendéens d’origine.
J’ai fait les Ardennes, le bled. On m’a raconté une histoire. Depuis que je suis petit, on me dit que je suis salvadorien. Mes deux copains antillais, eux, ne disent pas « on va bled », ils disent, « on rentre au pays ». À chaque vacances où ils allaient au pays, je disais à mes parents : « mais pourquoi moi je n’ai pas de pays ? ». Je ne pouvais pas rentrer au pays à ce moment-là, parce qu’il y avait la guerre… « Pourquoi on y va pas ? ». J’avais cinq ans.
La coupe du Monde de foot en 1998 à Sarcelles
J’avais treize ans. C’est la première fois que j’ai vu des copains dire qu’ils étaient fiers d’être français. Les gens avaient un fond de sentiment français. Dans mon quartier, à part les Antillais, tous ceux d’origine d’algérienne, tunisienne, c’était la première fois que je les voyais parler de la France en bien.
Le jour même, je n’étais pas chez moi, j’étais en Vendée. J’étais en Vendée dans un petit bled à Jard sur mer (cinq mille habitants) par rapport à ici. Moi j’étais pour le Brésil personnellement. J’étais sûr à 100% que le Brésil allait gagner. Donc je n’allais pas encourager une équipe qui allait perdre ! La France a gagné 3-0. Je suis revenu quelques jours après.
Avant, les Français c’étaient les autres…les blancs. C’est une façon de parler. Moi comme j’étais blanc, j’étais un vrai français, les autres n’étaient pas vraiment français. C’était quelque chose d’un peu hybride. Pas Français, pas totalement Algériens. C’étaient les Sarcellois d’origine algérienne. C’est une identité très forte. Sarcellois d’origine étrangère. C’est très fort.
Identification à un quartier
Vers quinze, seize ans je m’identifiais encore par rapport au quartier. J’étais des Lochères. Du « grand ensemble ». Je ne pouvais pas me sentir de la Secte, parce que ma famille était en conflit avec la bande qui a donné le nom au quartier. En fait, la bande est une suite d’individus qui se sont relayés. Je me souviens de ceux qui étaient là avant, ce n’étaient pas les mêmes. On voit défiler les visages. Seulement un ou deux sont là depuis longtemps. Ceux qui sont là, ce ne sont pas les mêmes que ceux qui me faisaient chier quand j’étais petit.
Le quartier
Toute ma logique tourne autour du quartier et de la volonté de sortir du quartier. Le quartier, j’ai appris ça quand j’étais petit, c’était le territoire d’une bande. Quand j’ai grandi, je me suis aperçu que ce n’était pas que ça.
Mais c’est quand même restait beaucoup ça, l’image d’un quartier à Sarcelles. Le quartier n’a pas besoin de ces bandes. Maintenant quand je vais aux Sablons, je discute avec les petits qui viennent des territoires des grands frères. Les quartiers, c’est les territoires où trainent ceux que l’on appelle les grands frères. Les limites bougent.
Les conditions de l’épanouissement
Quand j’étais petit, je passais toutes les vacances dans les Ardennes. Il y a eu des années où j’allais quasiment toutes les semaines au cinéma à Paris. J’ai vu une dizaine de fois « Le roi et l’oiseau » à Paris. A chaque fois que ça passait, on y allait. On allait voir des musées, parce que je viens d’une famille d’intellectuels.
Les gens avec qui je trainais depuis le primaire, parce que des groupes se forment en primaire, ont tous fait des études. Il y a une dynamique de groupe. Ceux qui étaient dans ma classe à Sarcelles formaient un groupe de six, sept. Ils ont fait des études générales et font tout ce qui leur plaît. C’est surtout ça. Si on n’ouvre pas leur champ de vision, ils ne peuvent pas savoir ce qui leur plaît.
Franck Pouget était venu dans ma classe. C’était un passe-temps de venir à la MJC. J’aimais bien, mais ça ne me faisait pas rêver. C’était un passe-temps. C’était un groupe assez sympa, on s’amusait. Le groupe n’était pas lié au quartier. Il y en a qui venaient des deux tours près de la gare, de Watteau, des Assyro-Chaldéens,
L’ouverture est ailleurs
J’ai aujourd’hui vingt deux ans et à quinze ans, quand j’ai eu la chance d’aller au lycée à Paris, je me suis rendu compte. Par rapport à l’ambiance de Paris, j’ai trouvé l’ambiance de Sarcelles extrêmement chiante. Moi ma passion, c’était la librairie, les musées, aller boire un coup. Sarcelles, les endroits pour aller boire un coup, il n’y en a pas des tonnes ! Après sept heures du soir, on se demande ce que l’on fait dehors. A part l’été où l’on peut aller jouer au foot, dans le quartier, à partir de sept heures du soir le seul intérêt, c’est ceux qui tiennent les murs. Ici c’est l’ennui. L’ouverture est ailleurs.
Etre vigilant dans les quartiers
C’est vrai que j’avais peur de ceux qui tenaient le mur, des jeunes avec les chiens. J’ai toujours fait attention. Quand des cons t’ont déjà lancé des cailloux, c’est normal après de faire attention. Je n’ai pas peur automatiquement dès que je vois un banlieusard, et ce n’est parce que je suis formaté pour lire dans la personne, dans ses vêtements, dans ses gestes… franchement non. Je connais ceux là parce que je connais leurs têtes. C’était comme ça quand j’étais petit. Je n’arrive pas à voir les autres quartiers. Je connaissais ce quartier, Paris, les Ardennes, la Vendée…mais pas les autres quartiers de Sarcelles.
Je n’étais pas plus vigilant dans les autres quartiers. Les rapports que j’avais quand j’allais au judo près de la place André Gide aux Vignes Blanches par exemple ; ici quand j’étais petit, on parlait toujours des Vignes Blanches comme d’un quartier où il fallait faire attention, parce que ça bastonnait entre ici la MJC et Vignes Blanches, la MJC et les tours.
On me disait d’être vigilant partout, mais je ne l’étais pas. J’étais plus vigilant dans mon propre quartier finalement, par rapport à ceux-là. Je n’étais pas vigilant par rapport à tout le reste. Même si j’avais peur, j’étais tête en l’air, j’oubliais d’être vigilant.
Faire attention ce n’est pas avoir peur. Je fais attention pour éviter d’avoir peur. Je ne cherchais pas à connaître les gens des autres quartiers. J’allais au judo (Vignes Blanches), à l’atelier d’arts plastiques (derrière le quartier juif). Il y avait des bagarres entre Anatole France et Chantereine. Il y avait des conflits entre tout le monde. Le pire c’est qu’on a appris à vivre avec les précautions qu’il faut pour ne plus avoir peur.
J’ai pris une certaine distance par rapport à ceux qui sont là, mais par rapport aux autres ça reste encore. Paris c’était neutre. Paris c’était les musées, les cinémas, les distractions.
Les coups de feu
En 1992-93, j’avais sept, huit ans, je sentais dans le quartier une violence beaucoup plus forte. Quand j’avais quinze, seize ans je sentais beaucoup moins de violence.
Il y a eu un coup de feu dans mon coin. Personnellement dans ma vie, j’ai entendu un coup de feu où il n’y avait rien, et un autre dans mon hall, où ils ont tiré sur Mustapha Dia (le créateur de la marque). Il a reçu une balle dans les fesses dans mon hall. Ils ont tiré dessus. Ils sont partis. Les jeunes sont restés à côté : « Ah ! C’est lui qui s’est pris un coup ! ». Mustapha a trainé beaucoup avec des jeunes qui traînaient dehors. Apparemment il y a eu des histoires d’argent et puis son attitude a fâché beaucoup de personnes qui l’ont aidé au début. Beaucoup de jeunes l’auraient aidé pour monter son truc et il les a tous lâchés.
Par contre, des morts, il y en a eu plusieurs. Il y a eu Junior, il y a eu des personnes qui se sont suicidées sur les rails.
Ça ne me déplairait pas de rester à Sarcelles, dans cet appartement. Ça ne me déplairait de rester, c’est petit, mais à Sarcelles, ça ne me déplairait pas de rester. Pourtant je n’ai aucun attachement pour y vivre.
L’âme de Sarcelles
L’âme de Sarcelles c’est peut-être une façon d’être, le contact aux autres. Pour moi c’est quelque chose de tout à fait normal de ne pas avoir peur des gens des cités. Définir c’est difficile, je baigne dedans.
Message aux anciens
Je voulais sortir de la logique des quartiers et j’ai lu un livre sur l’histoire de Sarcelles. Quand j’ai vu ça, Sarcelles était une vieille ville, ça m’a tout de suite passionné. J’ai appris que Sarcelles était une ville, pas juste des bâtiments. Comme l’histoire des bandes ne m’intéressait pas, j’avais l’impression de vivre dans un endroit sans passé. Un truc où l’on a fourré plein de gens avec des passés différents. J’ai l’impression qu’en grande partie, le passé de Sarcelles est ailleurs. Pour beaucoup de gens il est en Algérie, en Afrique, en Amérique, aux Antilles, au Pakistan. Pour beaucoup de gens, le passé de Sarcelles est là-bas.
Messages
1. En quatrième, troisième, je voulais déjà être archéologue, 10 juillet 2010, 01:19, par rachid
je trouve ce texte très beau vous écrivez très bien bravo !