Sarcelles Yazid Louafi né dans les années 80
Sarcelles, c’est les premiers ghettos après la guerre d’Algérie
on achetait des canettes en gros et on les revendait après.
L’été, à treize, quatorze ans, soit on partait au bled, soit en colonies. Tous les ans, tous les deux ans. Ça dépendait quand mon père avait de la tune. Au bled, j’étais l’émigré. Au début c’était rigolo, et puis à force ça commençait à être saoulant. Tu vas au bled, on dit « t’es un émigré ! », tu reviens ici, on me dit « t’es un étranger ». Après je m’en foutais, « c’est bon, Tu peux parler ! ». On m’appelait le Français presque, vu que j’étais né en France. On m’appelait le Français « et alors...qu’est-ce qu’il y a ? ».
Louafi Yazid
Mon père, né en 1934, est arrivé dans un premier temps avant l’indépendance de l’Algérie entre 1955 et 1960. Il a fait la guerre d’Algérie. Il a fait son service militaire en Algérie et est revenu avant l’indépendance. Ils étaient déjà mariés. Ma mère est née en 1946. Tous mes frères et sœurs sont nés là-bas sauf mon petit frère et moi. Nous sommes six enfants.
Nationalité
Tous mes frères et sœurs ont la nationalité française, sauf un de mes grands frères ; il a gardé la nationalité algérienne, et a choisi de garder la carte de résidence. Tous mes frères et moi, avons la double nationalité, mais mon grand frère n’a pas encore fait sa demande de naturalisation. Je suis né français, mais les autres sont nés algériens. Ils sont nés après 1962. Ceux nés avant 1962 peuvent être français directement, mais ceux nés après 1962, non. Mon père a dû arriver entre 1950 et 1960 et ma mère est arrivée dix ans après, en 1965 à peu près. Elle a donc élevé seule les enfants là-bas. C’est pour cela qu’ils n’ont pas la nationalité française. J’ai eu d’autres frères et sœurs mort-nés.
Mon père
Mon père a commencé à travailler dans la fonderie, vers St Denis. Il habitait dans le 17e arrondissement dans un petit studio, tout seul. Avec la chaleur, c’était un métier très dur ! Il avait trouvé son appartement. Il y avait de nombreux bidonvilles à St Denis, Nanterre… Au début il a un peu galéré, mais rapidement il a trouvé avec ses fonds. Il a attendu d’avoir un plus grand appartement et a fait venir sa famille à Paris dans le 17e, puis en 1981, un an après ma naissance, je suis arrivé à Sarcelles. Mon père était donc en France depuis quinze ans.
Ma mère
Ma mère ne parlait pas du tout français. Elle a appris ici, et en suivant des cours d’alphabétisation. Elle est allée à l’école avec les associations de la ville et du quartier des Chardo. Au début, elle ne connaissait rien. C’était comme un bébé qui venait de naître. Maintenant elle tape une discussion normale ! Elle se débrouille super bien ! Elle arrive à lire, à parler, à comprendre, même si elle a un peu l’accent. Nous aussi, on essayait de lui apprendre en même temps. Elle venait avec ses cours et nous on venait avec nos cours ; au début elle apprenait les lettres, l’alphabet et au fil du temps, elle a réussi. Maintenant on parle tous français. Mon père le parle aussi vu qu’il avait été là avant nous ; il avait fait des cours d’alpha dans l’armée française en 1954-55.
Les anciens
Nous, les anciens, on est souvent à leur écoute. Il ne faut pas trop « chercher » l’ancien parce que ça reste une grande personne. Il faut avoir le respect envers les personnes âgées. Je passais mes vacances là-bas, j’allais dans la famille, au village et aux alentours. Il y avait les grands-oncles. On les écoutait parler, ils racontaient des petites blagues, on était à l’écoute des anciens. On avait un bon contact. On les respectait. On n’avait pas trop le choix, un ancien ça reste un ancien, il faut bien lui parler. On a une moyenne d’âge entre quatre vingt dix, quatre vingt quinze ans. Ils vivent vieux chez moi ! Il n’y a pas d’OGM !
Scolarité
J’étais à Henri Dunant aux Sablons. J’ai fait toute ma scolarité ici, de la maternelle jusqu’au lycée. L’école ça me plaisait ! Le primaire, c’était un moment où j’étais assez « droit » dans les études. Je kiffais le primaire ! C’était une bonne école, même si certains instits nous tapaient. J’ai bien aimé le moment de l’enfance.
C’était plus facile pour moi qui étais né ici, que pour mes frères et sœurs nés là-bas, parce qu’ils ont tous eu deux ans de retard. Ils ne parlaient pas très bien le français quand ils sont arrivés. Ils étaient en classe non-francophones. Après ils ont rattrapé leurs cours, mais ils ont tous commencé avec deux ans de retard. En CE2, CM1 ils étaient encore au CP, mais ils ont bien rattrapé !
Une vie familiale active
Mon père a travaillé à St Denis, à Renault, chez Citroën, comme ouvrier dans l’automobile. Il a toujours eu du boulot. A l’époque, il y avait toujours du boulot. Il a quand même travaillé quinze ans dans la fonderie. Ma mère ne travaillait pas. Elle a commencé à travailler en 1989-90 quand j’avais treize ans et mon petit frère six ans. Tout le monde allait à l’école à ce moment-là. Elle avait passé le diplôme d’assistante maternelle. Elle gardait les enfants.
Mon père faisait les trois-huit. C’est galère ! On savait qu’on allait le voir la journée, l’après-midi, les autres jours, on ne le voyait pas. Comme nos parents ne savaient pas vraiment lire et écrire, ils déléguaient aux grands frères la tâche de nous suivre sur le plan scolaire. Le plus grand a aujourd’hui trente-cinq ans et le plus jeune, vingt-deux ans. Dans l’école, même après les cours il y avait l’étude durant une heure trente. Le père ne comprenait pas l’appréciation, mais dès qu’il voyait le E ou le D, c’est sûr, tu t’en prenais une ! C’était le père qui l’a donnait.
Origines
Notre mère nous demandait de discuter en kabyle, en berbère, à la maison pour ne pas perdre notre langue maternelle puisque déjà, on parlait français à l’école. L’arabe, je le comprends vite fait, je le parle vite fait ; je voulais l’apprendre, mais on a eu un prof assez fou avec une association. J’ai lâché l’affaire. Lui, c’était plus dans l’intégrisme. Ça nous « tapait » !
On dit que le kabyle est fier. Moi, je me considère algérien, de la région de Kabylie, comme certains disent : « je suis d’origine bretonne » pourtant ils sont français. Tout le Maghreb, si l’on regarde bien l’histoire, a été pris par les Berbères, ça allait jusqu’au Cap-Vert. Ensuite les Arabes d’Arabie Saoudite se sont mélangés aux Berbères. Ils avaient la même façon de vivre. J’ai appris ici l’histoire de mon pays d’origine en regardant sur les livres et puis la famille une fois de temps en temps. J’essayais de savoir et de comprendre.
Préadolescence
Avec la préadolescence et l’adolescence entre treize et seize ans, là vraiment des gens nous insultaient en disant « sale arabe ! Sale maghrébin ! ». Vers neuf, dix ans on se courait après dans les escaliers. On faisait un peu de bruit. C’est là que le voisin sortait. Entre amis, on faisait des petits concours ; pas pour être le plus fort, mais pour être dans un petit clan, c’était « tu rentres dans les ronces ! Tu sautes d’un arbre de trois mètres ! ». On se lançait des défis un peu farfelus. Être ado, c’était un peu jouer les gros bras. Les conneries de gamins !
Il y a eu un mort aux sablons dans les années 90, j’avais une dizaine d’années. J’avais vu que c’était un peu chaud. Tous les soirs, bombes lacrymogènes, coups de feu ! C’était la maison, direct. Je m’en rappelle comme si c’était hier. Pareil avec les flics. Ça a été une époque. A dix ans, je flippais et mes parents me faisaient faire attention. Pas de sortie le soir après vingt heures. Dès que tu sortais des cours, tu pouvais rester dehors une heure ou deux heures, mais je voulais moi-même rentrer. Le décès était dû à un coup de couteau. On se connaissait tous à la base et puis après il y a eu cette connerie qui a été faite. Je le vivais mal. C’était un truc qui n’aurait pas dû arriver. Je ne pense pas qu’il y avait un motif quelconque. On le vit mal parce qu’on habite tous dans la même ville. On se connaît tous.
Le collège
J’avais un prof de techno, il était sensé écrire le français correctement, mais dès le premier cours, il faisait plein de fautes d’orthographe au tableau ; là on l’a scotché direct. ! On se foutait un peu de sa gueule : « t’es prof et tu ne sais même pas écrire le français ! ». C’était à Jean Lurçat. Ça se passait bien avec certains profs et d’autres étaient trop nuls !
Beaucoup d’élèves arrêtaient en quatrième, troisième c’est vrai. On vit dans une ville en difficulté. Tu mets trente personnes dans une classe, trente fous ! Quand j’allais au collège, je voyais mes potes, ou les jeunes de mon âge avec leurs marques, leur Nike, leur Lévis 501 d’un côté ; d’un autre côté, je pensais que je venais d’une famille nombreuse et mes parents n’avaient pas trop de moyens. Pendant les vacances scolaires j’allais travailler au marché. En parallèle, il m’est arrivé au cours d’une petite période, (ce n’est pas que j’avais pété un plomb) d’aller vendre un peu de truc, quoi ! Ce n’est pas normal… ça a été une petite période. Je me suis rendu compte que ce n’était pas un bon chemin. Ça reste toujours un peu honteux d’en avoir deux et l’autre trois. Il y a l’éducation. J’ai été éduqué d’une certaine manière, j’ai essayé de penser, et j’ai vu que le marché rapportait un peu. J’ai réussi à me payer des vêtements, et puis il y avait une période où j’avais besoin de beaucoup plus d’argent. L’été, tu vas faire un truc comme ça et puis ça va. Après la lucidité revient. Ça ne sert à rien.
Vacances
L’été, à treize, quatorze ans, soit on partait au bled, soit en colonies. Tous les ans, tous les deux ans. Ça dépendait quand mon père avait de la tune. Au bled, j’étais l’émigré. Au début c’était rigolo, et puis à force ça commençait à être saoulant. Tu vas au bled, on dit « t’es un émigré ! », tu reviens ici, on me dit « t’es un étranger ». Après je m’en foutais, « c’est bon, Tu peux parler ! ». On m’appelait le Français presque, vu que j’étais né en France. On m’appelait le Français « et alors...qu’est-ce qu’il y a ? ».
Tensions
A la fin des années 90, Sarcelles c’était un peu chaud. Je ne racontais pas tout à mes parents. C’était l’époque du secteur A, ça venait de commencer. C’est une maison de disque avec Stomy Bugsy, Doc Gynéco, les premiers rappeurs.
Si je sortais avec une fille ou j’allais dans un autre quartier, je disais que j’habitais Sarcelles. Il y a eu une époque comme ça quand j’étais ado. Quelquefois pour draguer, j’étais obligé de mentir. « A Sarcelles, ce sont des jeunes voyous qui n’ont rien dans la tête ». Après, au fil du temps je commençais à parler avec la personne et elle voyait que je n’avais pas cette étiquette alors que j’habitais dans cette ville là.
La réputation de Sarcelles
Sarcelles a une histoire. Sarcelles, c’est les premiers ghettos après la guerre d’Algérie où l’on a fait venir les pieds-noirs. Sarcelles sera toujours inscrit. Tu vas à Marseille, on connaît Sarcelles. Tu changes même de pays, on connaît Sarcelles. En Algérie, ils connaissaient Sarcelles. A Sarcelles, je ne vais pas vous mentir, on est assez en famille. Mon père est arrivé au début, puis après avec les connaissances, il voyait avec les autres pour les faire venir. Maintenant dans notre village tout le monde connaît Sarcelles et même dans les autres villes d’Algérie. Ils en parlent à la télé, ils en parlent dans des chansons.
Tontine
On se fait une sorte de quête tous les ans. La tontine. Toute personne de plus de seize ans, donne quinze euros par an, ça va dans une grande caisse ; comme ça nous avons construit le château d’eau pour l’eau courante dans le village. On le fait avec nos propres moyens parce que l’état ne nous aide pas du tout. Si quelqu’un est blessé, c’est payé par tout le village. On prend dans cette caisse. Avant ce n’étaient que les garçons, maintenant on fait aussi appel aux filles, pour avoir un peu plus d’argent ! C’est la caisse commune de tout le village.
Les études
On arrête l’école à dix-sept ans parce que l’on ne trouve pas de lycée. Moi je voulais continuer. J’avais raté mon BEP d’un demi point. J’avais eu mon CAP. Je savais que l’on pouvait passer sa première année de bac ; pendant la première année de bac, on passe le BEP en candidat libre et après la seconde partie le bac. J’ai fait tous les lycées d’Ile de France. Aucun ne voulait de moi. J’ai dû abandonner. J’avais juste dix-huit ans. Je n’avais pas le choix. Pourtant je voulais continuer ! Je voulais aller jusqu’en BTS. Comme j’ai fait un peu d’électro technique, je travaillais en tant qu’électricien. J’ai fait des stages. Pendant les vacances scolaires, j’ai fait mon stage ; le mec me prenait pour travailler avec lui à Sarcelles.
Petits boulots
J’ai trouvé plein de petits boulots : manutentionnaire, chauffeur-livreur. J’ai fait les marchés. On allait voler du maïs dans les champs de maïs du Mont de Gif. On les vendait froid. Là, c’était du vrai maïs pour manger… tu allais là-bas, tu les ramenais chez toi, tu les faisais cramer ; on vendait des canettes avec de la glace, on achetait des canettes en gros et on les revendait après. C’est quand même du boulot ! On était trop jeune et puis on n’a pas le droit de vendre à la sauvette comme ça ! Les flics dans la rue, ils te voient, c’est comme si tu vendais ta barrette de shit pour eux ! C’était pareil ! Si on se faisait choper, soit on nous prenait les trucs, soit il fallait courir. En bout de course on laissait les trucs.
Ma mère s’est faite arrachée son sac. Juste en bas de la maison. Elle rentrait. Là-bas tu cries au voleur ! Les gens n’aiment pas trop ça.
Être adolescent à Sarcelles
Être adolescent à Sarcelles pour moi, à mon époque, ça a été le tremplin de ma majorité, pour voir les choses, faire la différence entre le bien et le mal. Quand tu es adolescent tu t’aperçois que tu peux aller soit dans le bon chemin, soit dans le mauvais. Après il y a l’éducation.
Se poser
J’ai ma préférence pour la France. Je suis bien ici. J’ai peut-être mon petit projet de repartir un peu plus tard au pays, ou faire en parallèle un petit truc là-bas. J’avais fait le tour de l’Europe avec les jeunes d’un foyer. J’ai travaillé comme animateur et comme directeur d’une maison de quartier à Sarcelles. J’ai vu le Danemark, la Norvège, les personnes sont assez accueillantes, chaleureuses. L’inconvénient est qu’il fait froid. Maintenant mes parents ne vont pas trop tarder à faire des allers-retours puisqu’ils sont à la retraite.
Les parents s’en vont, l’épouse arrive
Mes parents ont acheté une maison là-bas. Le terrain nous appartient. Il vient des arrières, arrières, grands-pères, on a une ancienne maison et puis une nouvelle. Mon épouse est algérienne. Quand je vais là-bas, c’est la femme qui vient chez l’homme ! Donc elle vient chez mes parents. Maintenant que l’on est en 2007, on fait la part des choses. Elle est du sud. Elle habite Biskra. Elle est venue me rencontrer à Sarcelles. Je travaillais avec sa cousine, donc nous avons fait connaissance et puis voilà !
La police
J’étais dans mon hall quand je me suis fait contrôler. Je suis allé chercher mes papiers. J’ai sonné à l’interphone pour qu’ils me les envoient par la fenêtre. « Non, non ! Tu ne sonnes plus, j’ai vu que t’as pas de papiers, il faut que tu écartes bien les jambes ! ». Le flic m’a dit : « non, tu vas faire tes deux, trois heures de vérif au poste et après je te lâche ! ». Ils m’ont gardé au poste deux heures pour vérifier mon nom, mon prénom, le nom de mon père, le nom de ma mère, ma date de naissance. C’est un coup à s’énerver ! Avec ta carte d’identité, ils ne te fouillaient pas !
Lorsque j’étais animateur dans la structure où j’étais, aux Sablons, les flics rentraient dans la structure, courser les petits alors qu’ils étaient en train jouer devant nous, ou en train de fumer des cigarettes ; bien sûr, juste pour un petit contrôle, parce qu’il y a du monde ! Ils savent très bien que c’est une structure d’animation ! Les jeunes, dès que ça part, ça commence à gueuler. Voilà un petit contrôle qui n’a pas lieu d’être. Ce n’est pas un hall ! C’est une structure d’animation ! Ça entre, ça ressort, il y a des bancs devant, c’est pour s’asseoir ou quoi ?
Je ne bois pas d’alcool et je ne mange pas de cochon, je ne supporte pas. Mais à une époque, je ne vais pas vous mentir, j’ai consommé du shit. J’avais le paquet de tabac, et j’avais de quoi faire deux, trois petits joints. J’étais en voiture. J’avais oublié que j’avais caché ma petite barrette dans mon permis ! Et je me suis fait contrôler. Les policiers m’ont demandé mes papiers. Je leur ai dit : « tenez, tenez », le flic a ouvert, il a regardé ses collègues : « c’est bon pour cette fois ». Il l’a mis dans sa poche !
L’âme de Sarcelles
Ce que j’aime bien à Sarcelles, c’est la vie en communauté avec toutes les ethnies. Sarcelles, c’est comme un petit village. On se connaît presque tous. On sait d’où tu viens. J’aime bien cette ville et depuis très longtemps, maintenant je travaille pour à la mairie de Sarcelles, depuis 1999. On peut se parler facilement.
Message aux anciens et aux jeunes
Je souhaite dire un petit merci pour ce que les anciens ont pu faire, essayer de reproduire les bonnes choses qui ont été faites. Mais ils ont beaucoup souffert.
Aux jeunes je dirais : « Essayez de vous en sortir, essayez d’arrêter de galérer, de faire des conneries qui ne servent à rien ».