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Les américains débarquent à Alger... novembre 1942

Mme Albert née à Tizi Ouzou

dimanche 19 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Je suis née le 15 mars 1927 en Algérie, à Tizi Ouzou, en grande Kabylie. Mon père était gendarme. Nous avons eu une enfance très heureuse car nous nous entendions bien. Tout le monde était Français. Il n’y avait pas de problèmes, même si nous n’avions pas la vie qu’ont les adolescents d’aujourd’hui avec le cinéma, le sport, les sorties, etc. Nous, nous étions dans nos familles. Notre papa, notre maman, étaient notre vie. Il n’y avait pas plus. C’était une vie calme, protégée… Nous allions à l’école, entrions chez nous, faisions nos devoirs, jouions à la marelle… Nous avions des jeux très simples. J’ai appris à broder, coudre au patronage … On nous faisait faire des petits vêtements pour les vendre et pour que la communauté religieuse puisse vivre avec ce que nous faisions.

Le dimanche, nous allions à la messe. Là, nous y rencontrions tout le monde. Les adultes se retrouvaient ensuite. Nos parents buvaient parfois un petit apéritif. Mon père m’a appris à jouer au billard alors que j’étais toute petite. Mon nez arrivait à hauteur du billard !

Nous n’entendions pas du tout parler de l’Allemagne, d’autant plus que nous n’avions pas la télévision, ni la TSF mais des postes à galène : de vieux postes à radio avec des écouteurs qui fonctionnaient avec une espèce de pierre qu’on appelait la galène. Ça fonctionnait plus ou moins bien. Il ne fallait pas bouger le poste car sinon ça faisait : « Crrrrr ! » et on n’entendait plus rien. Ça durait un quart d’heure… Il n’y avait alors pas de comptes-rendus d’information. Ils diffusaient un peu de musique, c’est tout. Mais cela dit, nous étions très heureux.

Je n’avais pas du tout conscience à l’époque d’être dans un pays « étranger ». Pour nous c’était un mot inconnu. Nous étions en France. Nous sommes allés à Alger lorsqu’il a quitté l’armée. J’avais à ce moment-là 9 ans…

J’ai perdu mon papa à 15 ans. Nous habitions Alger et mon père était en garnison à Tizi-Ouzou. Il y a 150 kilomètres d’Alger à Tizi Ouzou … La moitié du village de Tizi Ouzou était Kabyle. Ils sont venus à son enterrement, m’ont réconfortée et m’ont dit : « Tu sais, la fille du gendarme, si tu as besoin de quelque chose, nous sommes là ». Il n’y a pas plus beau geste que ça. C’était au-delà de la solidarité : c’était l’affection… Vous ne pouvez pas oublier ce geste… Cela fait maintenant 62 ans et cela me gonfle encore le cœur.

Le début de la guerre

L’Algérie était française, avec un gouverneur général mais nous n’avons pas senti la guerre arriver. On s’est tous demandé ce qui nous arrivait quand elle a éclaté le 3 septembre.

Nous avons connu les restrictions après la France car l’Algérie était un pays où il n’y avait pas tout ce qui était produit sur le continent, en particulier, les laitages. Les laitages arrivaient à Alger par hydravion tous les mercredis… Les yaourts, et d’autres choses nous arrivaient par avion. J’aimais bien regarder les avions se poser sur la mer. Le temps de décharger n’était pas tellement long et quand je remarquais une heure après qu’il n’y avait plus rien, je concluais : « L’hydravion s’est enfoncé dans l’eau ! Ce n’est pas possible, il est dans la mer celui-là ! »

Les Allemands occupaient déjà un peu l’Algérie, mais on l’ignorait totalement. C’est après, au fur et à mesure que le temps a passé, que nous avons découvert qu’il y avait des Allemands. Je trouve maintenant cela très ironique, mais ils logeaient dans un hôtel à Alger appelé l’hôtel d’Angleterre !

La guerre a pris un sens différent quand mon frère, plus âgé que moi, est parti combattre lui aussi. Il avait huit ans de plus que moi. Il a été appelé et a embarqué. À ce moment-là, oui, pour nous la guerre a représenté quelque chose : « Mon Dieu, faîtes que nous ayons des nouvelles, etc. » Certains de mes cousins sont également partis. On était très famille.

Un de mes cousins a ainsi rejoint l’Angleterre dans le groupe aérien Normandie-Niémen et un autre est parti comme mon frère dans les tanks, mais je ne sais pas si, en Algérie, nous avons pleinement réalisé qu’ils pouvaient se faire tuer. Nous étions un peu en dehors. En France, et c’est tout à fait normal, c’était totalement différent, car la guerre avait une présence en ce moment-là.

Le dialogue parents-enfants

Il faut être honnête et reconnaître que maintenant, les jeunes ont beaucoup plus de maturité que celle que nous avions au même âge. On ne parlait pas devant nous. Il n’y avait rien de tout ça. Nous ne nous posions pas de questions. Il n’y avait aucun dialogue sur le conflit. Ils ne parlaient de tout ça qu’entre adultes. Nous étions en réalité peut-être super protégés.

Les bombardements

Mers-el-Kébir était le port de guerre de l’Algérie. Là, étaient regroupés tous les bateaux militaires français. Ils ont tous été détruits. Les Anglais ont coulé la flotte française en Algérie. Ce n’était pas par vengeance, mais par calcul. Pour ne pas qu’elle ne tombe aux mains des Allemands. Il y a eu beaucoup de morts. Comme on était gosse, je ne sais pas si nos parents ne nous cachaient pas un peu tout ça… La seule chose que l’on comprenait, c’est que nous étions privés de pain et de produits laitiers…

Les Italiens sont arrivés après les Allemands. Quand ils sont entrés en guerre avec l’Allemagne, nous avons eu droit aux bombardements. Les Italiens étaient à Oran, mais je vivais à Alger, un peu plus loin. Les bombardements ont eu lieu quand les Américains ont débarqué à Alger.

L’occupation au quotidien

Mon père partait à quatre heures du matin faire la queue devant la boucherie avec son petit ticket. Et avec ça, nous avions juste de quoi ne pas mourir de faim.

Nous n’avions rien du tout pour la lingerie. Nous, les filles, grandissions et nous développions. Mon premier soutien-gorge a été réalisé avec des mouchoirs de mon père ! J’en avais replié un en losange… ma première lingerie. Je ne sais pas si ça marcherait maintenant !

À l’heure du couvre-feu, certaines rues de Paris étaient totalement fermées à la circulation : on y empêchait les gens, et les voitures, de passer. Mon mari, qui est Parisien, me l’a raconté. Il s’est retrouvé en Algérie parce qu’il avait été convoqué pour le S.T.O. Au lieu de cela, il a préféré partir et rejoindre l’Algérie.

En tant qu’adolescents, on acceptait ce qui se passait. On avait notre petite vie tranquille et on ne demandait rien d’autre. On pensait que ça allait durer tout le temps comme ça. De surcroît, nous ne connaissions pas en Algérie de lois aussi racistes que celles qu’a connues la France pendant la guerre.

J’ai commencé à travailler très tôt. Je me suis mise au travail quand j’ai perdu mon père à 15 ans. En pleine guerre. J’ai donc travaillé cinquante ans dans ma vie …

L’Italie a déclaré la guerre à la France. Elle a alors envahi Tripoli et la Tunisie, de façon à pouvoir prendre à revers l’Algérie, colonie française, et pouvoir ainsi contrôler tout le bassin méditerranéen et toute la marine de guerre qui se trouvait là. Il y a eu des combats atroces. Un tas de Français sont morts là-bas.

Beaucoup d’évènements m’ont touché personnellement pendant cette période : le décès de mon père, bien sûr, le départ de mon frère à la guerre, celui de mes cousins… On vivait toujours dans l’appréhension d’apprendre la mort de quelqu’un qui nous était cher. On craignait pour leur vie, mais on continuait à vivre quand même…
J’ai commencé à travailler à 15 ans, en 1943, dans l’administration, et plus précisément, dans le service du contrôle des prix, lequel s’occupait du marché noir. Tous les hommes étant partis à la guerre, l’administration avait besoin de personnel ».

Le débarquement des Américains

Les Américains ont débarqué à Alger en novembre 42. La police et l’armée françaises sous l’autorité de Vichy ont résisté aux Américains.

Cette nuit-là, j’ai demandé à une copine de m’accompagner et nous sommes descendues toutes les deux sur le port pour voir qui étaient ces Américains, ce qu’ils faisaient et à quoi ils ressemblaient. Nous étions inconscientes. Mon père n’étant plus là et mon frère étant à la guerre, j’ai inconsciemment profité d’une certaine liberté que je n’aurais jamais dû avoir. Ainsi, je suis donc allée voir ce que c’était, comment ça tapait… On entendait : « Ta ! ta ! ta ! ta ! ». On se disait : « Tiens ! Ils vont les mettre à la porte. Ça y est. Ils viennent pour nous défendre, nous libérer. » Ça a duré toute la nuit. À 10 heures du matin, on était encore là-bas ! On a fini par les voir de près ces Américains, eux et leurs bateaux.

Je suis même allée jusqu’à visiter un sous-marin qui était là-bas, parce que je voulais voir comment des hommes pouvaient vivre dedans et ce que cela représentait. Je suis ressortie de là en me disant : « Un jour, tu t’installeras dans un sous-marin ma fille ! Ce qu’on y est bien ! Tranquille ! » Voilà le problème… On ne pensait pas aussi que ça pouvait tuer…

Les Italiens nous ont bombardés de nuit quand nous avons eu les Américains et les Anglais. Ils savaient que les Américains dormaient dans les écoles et ils bombardaient donc les écoles. Il n’y avait pas d’enfants. La mienne, qui était pourtant au centre d’Alger, a été complètement détruite et une cinquante d’Américains ont été tués. C’était affreux car on les connaissait…

La libération de la France

Le débarquement des Américains ayant réussi, les jeunes autour de nous se sont engagés pour libérer la France. Ce fut le cas de certains de mes amis. La libération de la France était pour moi importante car c’était mon pays ! Mon père était né à Castres. C’était notre pays… Nous étions tous prêts… Je regrettais de ne pas pouvoir m’engager. C’était une armée magnifique : les Goums marocains, les tirailleurs sénégalais, les tabors et ce que vous appelez maintenant les Pieds-Noirs, les Spahis, les chasseurs africains… Ils ont fait Monte Cassino… le Sud de la France. Nous étions tenus au courant grâce à chacun car la plupart d’entre nous avaient soit des amis ou de la famille dans cette armée et l’information nous revenait…

Quand on a annoncé que la guerre était terminée entre la France et l’Allemagne en 1945, cela a été une fête inimaginable ! Nous avons tous quitté les bureaux et nous sommes allés faire la fête en bas. On a chanté la Marseillaise ! Je ne peux pas vous dire… C’était fou ! Du délire ! Et je crois que l’on est bien resté deux ou trois jours sans se coucher.

De Gaulle et Leclerc

Pour moi, de Gaulle était un militaire. Je préférais Leclerc. Il était plus apprécié. En tout état de cause, c’est lui qui est venu en Algérie lorsque le gouvernement français y a été déclaré. Leclerc a vraiment été un homme adulé… Il y avait aussi Darlan, mais il a été assassiné par un fanatique. Giraud a été le militaire qui a poursuivi la bataille en France. Il est parti avec les troupes, il a reçu une balle… On a même pensé que… Enfin bref, je ne dirai pas ce qui a été pensé en Algérie…

Nous avons entendu de Gaulle quand il est venu en Algérie, vers 1943. Giraud avait plus d’importance pour moi que de Gaulle. Ce n’était pas une question de politique, mais c’était un homme qui était là : sur le terrain. Alors que l’on considérait le général de Gaulle comme quelqu’un qui avait quitté la France. C’était une voix, mais une voix qui n’était pas restée en France pour défendre les Français. Nous avions cette image.

Libération et désillusions

Il y eut des exécutions à Alger… ceux qui avaient fait du marché noir… Nous avons connu en Algérie les mêmes développements humains qu’en France. Mais deux ans plus tôt.

On a peut-être attendu beaucoup de la libération, et elle n’a pas répondu à notre attente… même pour nous, de l’autre côté. On avait cru que cette libération rendrait la vie un peu plus facile, qu’il y ait plus de rapports humains et désintéressés. Mais cela n’a pas existé sauf au moment où l’on s’est tous embrassés parce que la guerre était finie mais bien vite, on a retrouvé toutes les contraintes de la vie. Les prisonniers sont revenus. Nous ne savions pas si nous allions retrouver les nôtres…

Finalement tout ce qui a été fait, tous ces morts ont été inutiles puisqu’on continue, puisqu’il y a des guerres partout. C’est affreux ! Les gens ne s’acceptent pas.…

Message aux jeunes

Je vais leur demander d’être très tolérants les uns vis-à-vis des autres, de ne pas perdre de vue non plus qu’ils ont une jeunesse heureuse, quoi qu’ils puissent penser, par rapport à tant de personnes malheureuses. Aimez-vous les uns, les autres.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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