Angers meurtrie et bombardée

Madame Bousquet née en 1934 à Angers

texte Frederic Praud


Je suis née en 1934 à Angers, une ville de 100 000 habitants.

En juin 1939, ma tante habitait à vingt mètres de la gare principale d’Angers. J’étais avec elle alors que mes parents étaient à faire des courses quand les Anglais sont venus bombarder la gare. Ma tante m’a prise à bras le corps dès que nous avons entendu la première bombe tomber. On s’est accroupie et elle m’a protégée de son corps. Mon père et ma mère étaient également, au même moment, dans des quartiers qui avaient été bombardés.

La quiétude villageoise sous l’occupation

Ma tante a quitté Angers et m’a emmenée dans un village sur les bords de la Loire au sud d’Angers. Nous habitions dans une petite maison au centre du village.

Les Allemands occupèrent le village, ils logeaient chez les habitants.

Un chirurgien dentiste allemand habitait en face de chez ma tante. Il nous montrait des photos de sa famille ; la guerre n’était pas son affaire. Les autres gars étaient obligés de l’appeler le matin, car il n’était jamais prêt.

Le médecin major était installé dans la ferme d’à côté où se faisait la visite médicale. On voyait alors tous les soldats allemands torse nu passer et attendre leur tour. On nous disait alors de na pas rester là, les gens vivaient dans la crainte.

Parfois des soldats nous donnaient des gâteaux secs que nous acceptions avec joie, mais les parents n’étaient pas d’accord et nous disaient de nous méfier.

Mais la pression était toute autre quand nous revenions à Angers. Des femmes allemandes, des grandes blondes étaient soldates dans l’armée allemande et nous en avions peur.
Angers ville occupée

J’allais à l’école… mais j’allais faire la queue auparavant. Maman qui ne travaillait pas, prenait le relais à l’heure d’entrer en classe pour obtenir des harengs saurs, des pommes de terre. Elle me dit un jour : « Le charcutier doit avoir de la graisse ». Je suis allée en chercher mais une fois qu’elle a voulu l’utiliser pour faire des frites, la graisse a dégagé une mauvaise odeur… On l’a mise sur le bord de la fenêtre pour ne l’utiliser qu’en cas d’extrême urgence…

Ma tante faisait des pommes de terre cuites avec du Saindoux. C’était bon ! Elle vivait avec un vétérinaire à la retraite. Il avait encore des médicaments surtout de la farine de moutarde qui soignait la toux par des cataplasmes. Quand les fermiers étaient malades ou leurs animaux, nous échangions les médicaments et la farine de moutarde contre du pain, des volailles, du beurre.

Nous n’avions pas l’argent pour faire du marché noir… aussi tout était rationné. J’ai fait ma communion en 1944, on m’a fait comme cadeau un gigot et du pain blanc très rare, fabriqué par un ami. Nous avons tout partagé religieusement.

Nous n’avions plus de savon, ou du savon de très très mauvaise qualité. Le linge blanc est devenu bis pendant la guerre.

Nous étions obligés de nous calfeutrer dans l’appartement. Nous n’avions pas de volets et maman avait mis des couvertures devant toutes les fenêtres pour que l’on ne voie pas la lumière.

Nous avions droit à un morceau de pain de telle taille, surtout pour nous les enfants, mais nous le laissions à papa. Il n’avait pas le droit à autant de pain que moi. Il pesait quarante-quatre kilos à la fin de la guerre. Il n’avait également pas eu le droit à un bon de chaussures pendant les quatre ans de guerre. Maman, par contre, avait un bon de chaussures mais pas à la taille de papa. Elle s’est arrangée avec le marchand pour que papa puisse bénéficier du bon et avoir des chaussures.
Papa en tant que peintre disposait "d’un camion", son seau à peinture et "de clarinettes", ses outils. Nous avions essayé de trouver du charbon de bois que nous avons fait brûler dans le camion pour faire cuire des aliments. Nous n’avions pas toujours du gaz.

Je rêvais que je mangeais des bonbons, du bon chocolat et des gâteaux. Cela me manquait ! Nous avions juste droit aux barres de chocolat : une pellicule de chocolat avec de la crème à l’intérieur… C’était la fête quand nous recevions le bon ! Je mangeais ça avec du pain.

Jules, un bon ami

Après avoir fait divers travaux, une dame avait payé papa en nature aves un lapin vivant. Mes parents voulaient m’attendre pour le manger et le laissait en liberté dans l’appartement. Il allait voir mes parents dans le lit. Nous l’avons tué avec regrets. Maman a dit à papa : « Tu le tues ». Ce fut certainement le seul lapin qu’il a tué de sa vie. Maman et moi, nous étions à ce moment-là chez la voisine, nous avons entendu le lapin crier…Pauvre Jules ! Nous l’avions appelé Jules et cela nous faisait mal au cœur de le sacrifier.

Une autre dame avait donné un poulet plein de poux. Il avait fallu le brosser avant de le tuer.

Mon grand-père était antimilitariste, comme mon père né en 1898 qui n’avait pas été appelé parce qu’il avait soit-disant les pieds plats. Mon père était peintre en bâtiment et ténor. Il travaillait à l’époque aux Etablissements Brisset, un grand centre d’alimentation. Mon père allait travailler auparavant dans tous les départements limitrophes des Pays de la Loire… mais la guerre a fait disparaître l’activité de peinture et papa a dû faire autre chose, des petits travaux de menuiserie, un peu de tout.

1944, Angers bombardé

Nous prenions le car pour aller à la campagne. Il fallait encore faire la queue. Le car bondé marchait au gazogène et une fois dans la rue Voltaire à Angers, rue avec une pente légère, le car essoufflé reculait au lieu d’avancer, puis repartait… Les gens avaient pris l’habitude de prier au moindre événement, au moindre bombardement ; et dans le car, ils priaient.

Nous nous faisions à la présence des Allemands…. mais la peur est venue avec les bombardements en 1944.

Les bombardements étaient réguliers mais n’étaient pas toujours au centre de la ville. Un soir, mon père nous a dit : « Cette nuit ce sera pour nous ! » Il a décroché les tableaux et les cadres qui auraient pu nous blesser en tombant si nous n’avions pas le temps de descendre sur le bord de la rivière, seul endroit pour nous protéger un peu. Nous n’allions pas dans une cave mais sur les bords de la Maine, de la rivière. Tous les gens des quais étaient descendus et nous étions tous allongés sur les bords de la Maine. Maman a cru me protéger, durant le bombardement, en me tenant dans ses bras mais dans la précipitation, c’était notre voisine qu’elle protégeait.

Les vitres de notre appartement étaient détruites mais l’immeuble était encore debout. Mes parents n’ont pas voulu que je reste en ville. Je suis partie avec maman dès le lendemain et nous avons fait seize kilomètres à pied avec les valises pour nous rendre dans le petit village où j’avais l’habitude d’aller, à Denée, sur les bords de Loire.

Arrivées dans ce village, ma tante nous a dit qu’il fallait partir ailleurs car tout le monde était évacué. Les Américains arrivaient. Nous sommes reparties sur les routes avec nos valises… Nous nous cachions car les véhicules et les gens étaient mitraillés sur les routes.

Deux personnes du village n’ont pas voulu l’évacuer… Ils ont été fusillés par les Allemands au moment de leur départ précipité.
Monsieur Jassner, habitant du village, servait d’interprète entre les Français et les Allemands. Il a rendu des services aux habitants quand il y avait des petits différents avec les Allemands. Après l’exode, les habitants du village revinrent. A l’arrivée des Américains, l’une des premières choses qu’ils ont faite, c’est de dénoncer M. Jassner comme collaborateur. Mais, leur surprise fut grande quand les Américains en serrant la main de monsieur Jassner, le remercièrent pour tout ce qu’il avait fait. C’était un agent de renseignement pour la Résistance et les Alliés !
A la fin de la guerre, il quitta le village avec sa famille, sa fille était une de mes camarades.

Maman et moi étions donc réfugiées dans un autre village des coteaux du Layon alors que mon père était resté à Angers. Nous habitions sur les bords de la Maine. Les Allemands avaient détruit tous les ponts sur la rivière afin que les Américains ne puissent pas entrer dans le centre de la ville. Mon père n’a pas pu rentrer dans l’appartement pendant un certain temps. Il est resté ainsi près de son lieu de travail. Il couchait dehors avec les autres employés. Quand il a pu rentrer, il a découvert notre appartement sans cloisons. Le souffle de l’explosion des ponts avait détruit certains murs. Pendant plus d’un an, des couvertures ont servi de cloisons pour pouvoir fermer les pièces de l’appartement.

Maman, après l’arrivée des Alliés, m’a laissée dans le village de Layon pour rentrer à Angers. Elle a dû traverser la Loire aux Ponts de Cé, sur des ponts de cordes qui bougeaient. Elle entendait de l’autre côté du fleuve les mines qui explosaient. Les Allemands avaient miné la ville avant de partir.

Je suis rentrée deux mois après quand des ponts de bois furent construits. J’avais auparavant vu des Américains qui nous donnaient des chewings gums que nous, enfants, nous passions et nous partagions.

Même après le départ des Allemands, il n’y avait toujours rien à manger… et rien pour aller à l’école, pas de bons papiers, de bons crayons.

Un armistice bien arrosé

Mes parents n’étaient pas très fêtards mais la Libération, le 8 mai 1945, a été marquée. Mon père a monté le drapeau bleu blanc rouge sur le haut du dôme dans le centre où il travaillait. Il a arrosé le drapeau. Il est rentré à la maison et s’est endormi. Une trentaine de coups de canons ont été tirés du château près de chez nous mais il n’a pas été réveillé pour autant !

Tous les habitants des quais avaient un drapeau bleu blanc rouge à leur fenêtre. Nous étions les seuls à arborer un drapeau avec le marteau et la faucille ! C’était mon père…

Le mari de notre institutrice, un franc-maçon avait été déporté. Quand les trains de déportés libérés des camps arrivaient en 1945, la maîtresse nous demandait :
« Les enfants, vous voulez bien que j’aille voir aux trains s’il y a mon mari ?
  Oui, oui maîtresse !"
Il n’est jamais revenu. Cela nous a touché !

J’ai vu très peu d’enfants porter l’étoile jaune à Angers. Nous n’avions pas conscience de ce fait. Nous ne savions pas dans la vie de tous les jours qui était juif ou pas. Nous vivions tous ensemble.

Je ne suis allée qu’une fois en Allemagne mais je n’étais pas à l’aise quand j’ai passé le Rhin : « Je suis chez eux ! » J’ai également été très mal à l’aise quand la guerre du golfe a été déclarée… Je ne peux plus entendre ce bruit des avions… La guerre marque les enfants !

Dans cette guerre, les pires ne furent pas toujours les Allemands mais les miliciens français qui ont aidé les SS à faire leurs atrocités en dénonçant leurs compatriotes et en torturant eux-mêmes.

Comme a dit Prévert : « Quelle connerie la guerre ! »

Message aux jeunes

Nous sommes tous des êtres humains, n’avons pas la même couleur de peau, la même couleur d’yeux mais nous sommes tous égaux.
Il faudrait que certains hommes cessent de se considérer comme des êtres supérieurs qui peuvent imposer des lois aux femmes au nom de doctrines fallacieuses.