De la campagne normande à la région parisienne, aux retraités citoyens
Mme Evelyne Boyard
texte Frederic Praud
Je suis née en 1948, à côté de Dieppe, en Normandie. J’ai grandi dans un petit village qui comptait environ mille cinq cent habitants. C’était la campagne ! Autour de nous, il y avait des prés, de la verdure, la plaine, la forêt, etc. Le village comptait une église et quelques commerces, c’est tout. C’était un bourg typique. Mes arrières grands-parents, des deux côtés, étaient déjà originaires du même coin…
Mes parents étaient cultivateurs. Á l’époque, on faisait encore la traite des vaches manuellement ! On faisait encore les foins avec les chevaux ! Les tracteurs sont arrivés un peu après. Sinon, la vie d’un cultivateur, c’était aussi la basse-cour, les vaches, etc. Il fallait s’occuper à la fois des cultures et des animaux.
Nous avions une petite ferme mais mon père n’en était pas propriétaire. Il la tenait en fermage. Nous étions trois enfants dans la famille. Je suis allée à l’école du village. Je m’y rendais soit à pied, soit en voiture. Il n’y avait pas de bus ! Il existait bien un car, qui venait de très loin, mais il n’allait pas dans la bonne direction…
Á l’école, il n’y avait pas de maternelle. On commençait directement au CP. Il y avait quatre classes de garçons et quatre classes de filles mais nous étions séparés. Le repos avait lieu le jeudi ; pas le mercredi comme maintenant.
Á l’âge de neuf ou dix ans, je n’avais aucune idée concernant mon avenir. Mais une chose est sûre, je ne le voyais pas du tout à Sarcelles ! Certainement davantage dans ma région. Honnêtement, je ne me posais pas de questions. Je crois que mon rêve était d’aller à la ville car l’agriculture ne m’a jamais emballée… Á la ville, il y avait beaucoup plus de commerces, on pouvait faire beaucoup plus de choses ! Il y
avait le cinéma, la piscine, etc. Á la campagne, on n’avait pas tout ça ! Par contre, on bénéficiait d’une liberté que les gens de la ville n’ont pas…
Au village, il n’y avait pas de collège. Á partir du CM2, je suis donc partie en pension à vingt-cinq kilomètres. Á l’époque, c’était loin ! C’était un autre monde ! Là-bas, j’ai d’abord découvert la vie en communauté. Quand on est en pension, on est toujours ensemble ! Aussi bien à l’école qu’après, à la cantine ou dans les dortoirs. J’étais dans un pensionnat religieux mais, ce n’était pas pour entrer dans les ordres ! Pas du tout ! En ce temps-là, ces établissements étaient nombreux alors que dans l’enseignement laïque, souvent, il n’y avait pas d’internat…
Mes parents voulaient que je poursuive un peu l’école. C’était dans la lignée de la famille ! On allait tous un peu en pension pour continuer après le Certificat d’Etudes. Mais, je ne suis pas allée bien loin. J’ai commencé à travailler de bonne heure… Je suis devenue vendeuse, toujours en Normandie. Après la pension, je suis partie dans un autre secteur. J’étais encore à l’école mais je vivais dans un foyer de jeune filles. Ensuite, toujours en foyer de jeunes filles, j’ai travaillé pendant deux ans dans un magasin à Dieppe avant de partir dans un autre comme vendeuse à Rouen.
Je suis arrivée en région parisienne en 1971. J’ai donc vécu mai 68 en province. J’avais alors vingt ans mais j’ai suivi les évènements un peu superficiellement. Moi, j’ai toujours travaillé pendant cette période ! Je n’ai jamais eu de problèmes ! J’habitais à Rouen et il y eut des manifestations mais pas dans le quartier où je travaillais. Il n’y a donc pas eu de changements. Tout s’est passé normalement…
En province, les gens étaient en décalage par rapport à Paris ! Et puis, dans la capitale, ce sont surtout les étudiants qui ont bougé ! Pas les travailleurs ! Du moins, pas au début. Je ne sais pas si mes parents ont eu peur de ce qui se passait. Je serais incapable de le dire…
J’ai travaillé à Rouen pendant cinq ans comme vendeuse et ensuite, j’ai voulu changer, partir ailleurs pour évoluer un petit peu. Sur Paris, il y avait quand même beaucoup plus d’opportunités, beaucoup plus d’ouvertures ! J’ai choisi de venir en région parisienne car ma sœur y était déjà installée. J’avais donc un pied à terre.
En arrivant, je ne me suis pas sentie perdue ! D’ailleurs ici, je trouvais que c’était très rural. Je ne suis pas venue directement à Sarcelles. J’habitais Saint-Brice et je travaillais à Groslay. Mais Groslay, c’était très très rural ! Il n’y avait pas une différence énorme par rapport à mon village de Normandie. Et puis, entre deux, j’étais passée par Rouen ! J’avais donc eu le temps de m’adapter, d’acquérir les règles. Par rapport à Rouen, Paris est un peu plus grand mais le système est le même. Á la campagne, bien sûr, il y avait des gens qui ne sortaient jamais de chez eux. Mais moi, je faisais partie de ceux qui avaient déjà vu autre chose. J’étais déjà venue dans la capitale avant de venir y travailler. C’était complètement différent…
Vingt-sept ans à Sarcelles
Je suis arrivée à Sarcelles en 1979. J’ai acheté un appartement à Chantepie, en copropriété. Mais, je n’aimais pas spécialement la ville ! Je m’y suis installée tout simplement parce que j’avais trouvé le logement qui me convenait. J’aurais très bien pu me retrouver ailleurs qu’à Sarcelles ! Cela aurait pu être à Groslay, à Saint-Brice, etc.
Á l’époque, la ville n’avait pas bonne réputation mais on parlait davantage du Grand Ensemble que du Village, dont nous faisons quand même un peu partie. Mais, j’avoue que des gens ont été très surpris que j’achète à Sarcelles ! « Ah bon, tu as acheté à Sarcelles ! »
Á ce moment-là, je travaillais toujours à Groslay, en face. Pourtant, c’était complètement différent ! J’y suis toujours allée en voiture ou à pied. C’était tout droit ! Il me suffisait de redescendre sur la nationale1 où il y a Shell, de traverser et j’y étais ! Par contre, le temps d’aller à la gare et de remonter jusqu’à Groslay, le trajet était beaucoup plus long en train ! Au début, je n’ai donc pas eu de problèmes liés aux transports en commun. Je ne les ai connus qu’après, lorsque j’ai travaillé sur Paris, et encore, car j’habite à dix minutes de la gare de Saint-Brice.
Je venais souvent au Grand Ensemble quand les Flanades ont été construites ! C’était très joli ! C’était de toute beauté ! Dans le centre des Flanades, il y avait des commerces partout et de beaux commerces ! Cela n’avait rien à voir avec maintenant ! Et encore, actuellement, c’est mieux qu’il y a quatre cinq ans. Á l’époque, c’était quand même délabré… D’ailleurs, je n’y allais plus du tout… Mais, depuis que je ne travaille plus et qu’il y a Leclerc, j’y reviens plus souvent… Cela a redonné un petit quelque chose…
Pendant toute une période, j’habitais à Sarcelles sans participer du tout à la vie de la ville. Je sortais beaucoup en dehors et je retournais souvent chez moi, en Normandie. En fait, je connaissais très peu de gens sur Sarcelles et ils vivaient tous au Village. Je ne connaissais personne au Grand Ensemble… C’était un autre monde…
Aujourd’hui, je connais pas mal de mes voisins. De toute façon, on connaît quand même un peu les gens de son quartier, automatiquement ! Et parfois, grâce à une personne de chez nous, on rencontre quelqu’un qui habite un peu ailleurs ! Mais, la vie culturelle de Sarcelles n’a pas été ma tasse de thé pendant un long moment… Á Sarcelles, il y a parfois des agressions, des incidents, mais pas plus que dans les autres villes. Malheureusement, je pense que l’on a trop souvent tendance à exagérer la réalité notamment par rapport à la presse… Par contre, je vis ici depuis plus de trente ans et je trouve que Sarcelles est devenue très sale. Et puis, il y a un grand manque de respect des uns vis-à-vis des autres.
Je pense que Sarcelles a évolué comme beaucoup de villes de banlieue, qu’elle n’est pas pire que les autres mais personnellement, je pense que mon quartier est moins bien que lorsque je suis arrivée. Il y a un manque de respect des jeunes par rapport aux gens qui y habitent. C’est : « Moi, j’arrive, je mets ma musique. Je me gare n’importe où », etc. Les autres ont aussi le droit de vivre ! Donc, je trouve qu’en trente ans, les choses se sont dégradées… Mais, ce n’est pas spécifique à Sarcelles ! Je crois que c’est un changement de mentalité général…
Ce qui me révolte un peu, c’est l’image que les gens se font de la banlieue. On a toujours l’impression que ceux qui y vivent sont débiles ou ont tué quelqu’un. Ce n’est pas parce qu’il y a des problèmes dans certains quartiers avec certaines personnes que tout le monde doit être mis dans le même sac ! Et puis, c’est pareil dans les villes de province ! Même dans les petites communes ! Quand on revient dans sa famille, on s’aperçoit qu’elles ont des problèmes identiques, simplement, à une échelle plus petite.
S’il y avait quelque chose à améliorer à Sarcelles, ce serait la propreté… Vous n’avez pas fait trois pas que vous trouvez des papiers, des bouteilles, etc. Mais, c’est avant tout un problème d’éducation, à la fois des enfants et des parents ! En fait, la spécificité de Sarcelles est d’avoir accueilli toute le monde, avec les qualités et les défauts de chacun. C’est une ville qui évolue ! Par exemple, en ce moment, il y a beaucoup de constructions au niveau du Village ou encore à Chantepie. La plupart du temps, ce sont des gens de Sarcelles qui rachètent à Sarcelles.
J’ai une amie qui vient d’acheter un appartement dans le quartier juif. Alors, je le connais maintenant un peu plus ! Elle habite au niveau de la place Guynemer et là-bas, il n’y a pratiquement que des Juifs ! En face et sur les côtés, il n’y a que des commerces juifs ! D’ailleurs, ça criait de partout dimanche dernier parce qu’il devait y avoir un mariage ! C’étaient des jeunes en voiture avec des rubans, de la musique, et ça faisait du bruit ! Mais bon, on ne se marie qu’une fois et si ça s’arrête là, ce n’est pas grave… De toute façon, tout le monde dit : « Si on habite par là, on est tranquille. » C’est pour le calme du quartier que mon amie a acheté ici ! Je pense pas qu’il y ait de gros problèmes. Du moins, je ne crois pas ! Je ne le connais pas suffisamment ! Mais, c’est vrai que j’y viens en voiture le soir et je n’ai pas de soucis…
Je suis retourné au marché de Sarcelles il y a presque un an. Mais, j’avoue que l’on est tellement les uns sur les autres que ce n’est pas très agréable… Il faudrait sans doute venir de très bonne heure parce que c’est bondé sur les coups de onze heures… Le mardi et le vendredi, ça va encore mais le dimanche, il y a trop de monde ! Il est tellement célèbre ce marché ! Les gens arrivent de partout ! Le RER est plein de Parisiens qui viennent le fréquenter.
Message aux jeunes
Il faut se respecter les uns les autres, respecter la vie, respecter les gens… Il faut accepter le changement… Tout le monde doit s’adapter ! De toute façon, on peut essayer des choses et si ça ne va pas, on peut toujours revenir en arrière ! Mais, il faut aussi que les personnes qui sont là depuis très longtemps acceptent que leur vie change, comme d’ailleurs ceux qui viennent d’arriver. Le problème, c’est qu’actuellement, beaucoup de gens émigrent en France parce qu’ils pensent trouver l’eldorado ! C’est davantage une question économique qu’une question de colonies.
Aujourd’hui, des Sarcellois ne supportent plus de vivre à Sarcelles alors que d’autres s’y trouvent très bien. Je crois que ça dépend beaucoup de l’entourage de chacun, du fait d’appartenir ou non à des associations, de connaître ou non des gens différents. En général, ça se passe beaucoup mieux quand on est ouvert sur les autres … Mais, certaines personnes ne voient que le côté négatif alors qu’il y a également beaucoup de choses positives, même si tout n’est pas rose…
Les efforts à fournir ne concernent pas seulement les jeunes. En tant que retraitée de fraîche date, je peux dire que les personnes âgées ne sont pas toujours faciles ! Elles ne respectent pas toujours les choses non plus… Parce qu’elles ont l’âge de leur côté, elles se permettent de tout faire et de tout dire. Moi, je ne suis pas d’accord ! Il y a même des moments où je me dis : « Ça ne m’étonne pas que les jeunes ne respectent pas !. Le respect concerne toutes les générations, de 1 à 77 ans, comme Tintin…