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Mali - j’ai grandit là bas mais mon père m’a appelée ici...

Mlle Youna Timéra

samedi 10 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Mlle Youna Timéra

Enfance au Mali

Je suis née en 1984 à Ségou, au sud de Bamako, la capitale du Mali. Je suis arrivée en France en 2003. J’ai grandi dans un petit village qui s’appelle Banère. Ma mère est morte quand j’avais un an et je ne sais pas ce qu’elle a fait dans sa vie… Quant à mon père, il vivait déjà en France lorsque je suis née… En l’absence de mes parents, j’ai donc été élevée par mes grands-parents.

Le village pour moi c’était bien même si là-bas, il n’y avait pas grand-chose… Je suis venue en France à l’âge de dix-neuf ans pour y rejoindre mon père. C’est lui qui m’y a amenée parce qu’il ne trouvait pas bien que je sois toute seule. Ma mère était décédée et mes grands-parents étaient aveugles. Ils ne voyaient rien du tout. J’ai une grande sœur et un grand frère mais je n’ai pas été élevée avec eux. Ma sœur aînée est allée vivre dans un autre village après son mariage et mon frère est parti étudier dans une école arabe assez loin de chez nous… Il est arrivé en France avant moi, il y a environ sept ans. Il a aujourd’hui vingt-cinq ans et travaille. ,

Je ne suis pas allée à l’école française. Par contre, j’ai fréquenté l’école coranique de six à huit ans avant de commencer à travailler comme couturière. Je vendais au marché pour gagner des sous. Il fallait que je me débrouille ! Mes grands-parents étaient trop vieux et ils ne pouvaient rien faire… De huit à dix-neuf ans, j’ai donc travaillé sur le marché et je me suis occupée d’eux…

Arrivée en France et difficultés d’adaptation

Jusqu’en 2003, je n’ai jamais pensé venir un jour en France. Cela ne faisait pas partie de mes rêves…En arrivant, je ne parlais pas un mot de français. Je me suis inscrite à l’Association des femmes africaines de Mme Dembélé pour suivre des cours d’alphabétisation et fin 2004, je suis allée à la mission locale pour recevoir pendant un an une formation de linguistique. Aujourd’hui, je prépare le concours d’aide-soignante.

Mais au début, quand les gens me parlaient en français, je ne comprenais rien ! En plus, à l’école, le prof n’était pas gentil avec moi ! Alors, en rentrant à la maison, je pleurais tout le temps et je disais à mon père :
« - Je veux retourner au bled !
  Non, tu vas rester ici. Ne t’inquiète pas, un jour viendra où tu comprendras… »
Heureusement, les choses se sont peu à peu améliorées… Et puis, parler plusieurs langues m’a beaucoup aidé, : le soninké et le bambara, etc. Du coup, si je croise une autre Africaine, on peut toujours communiquer.

Ce qui m’a le plus frappée en arrivant ici, c’est que les gens s’ignoraient entre eux. Lorsque j’ai pris le train pour la première fois avec mon père, pour aller à la préfecture, j’ai été très étonnée ! Personne ne disait bonjour à personne ! Les gens ne se regardaient même pas en face ! Alors, j’ai demandé à mon père :
« - C’est quoi cette histoire ?
  Tu sais, ici c’est comme ça… On ne dit pas bonjour…
  Ah, non ! Je ne vais quand même pas supporter ça ! Je vais rentrer au bled !
  De toute façon, un jour viendra où tu comprendras… »
Depuis, j’ai compris…

Je suis arrivée directement à Sarcelles, dans le quartier Watteau, où j’habite toujours actuellement. Là-bas, en descendant l’escalier, certains voisins ou voisines te disent bonjour et d’autres pas… Il y en a qui ne te regardent même pas en face ! J’ai beaucoup de mal à m’habituer à la vie ici… Je me sens comme une prisonnière… Je ne peux pas sortir parce que je ne connais pas bien la langue et mon père fait attention. Il me bloque encore souvent la route… En Afrique, j’avais une liberté totale ! Personne ne me disait : « Ne fais pas ci, ne fais pas ça ! » Je gérais, qui décidais que telle ou telle chose n’était pas bien…

Je n’ai pas eu de problèmes pour avoir des papiers. On a fait les démarches et je les ai obtenus trois mois plus tard. Mais, je n’ai pas la nationalité française. Je ne l’ai pas encore demandée… D’ailleurs, mon père ne l’a pas non plus…

Racisme et discrimination

Le racisme, je le ressens tous les jours ! Je travaille dans une maison de retraire et parmi les personnes âgées, une dame ne peut pas voir les Noirs. L’autre jour, quand je suis rentrée dans sa chambre, elle m’a dit :
« - Je ne vous aime pas ! Sale Noire !
  Mais madame, vous croyez que moi je vous aime ? Pas du tout ! »

Tous les jours, j’y ai droit ! Elle me traite de sale Noire, de salope, etc. Une fois, elle m’a dit : « Vous êtes moins belle que ma fille ! » et je lui ai répondu : « En tout cas, je suis plus belle que vous ! Et puis, si vous n’êtes pas contente, votre fille n’a qu’à venir s’occuper de vous ! » Franchement, ça lui a brisé le cœur !!! Trèves de plaisanteries, de toute façon, que l’ont soit blanc ou noir, on est tous pareils. Pour moi, il n’y a pas de différence…

Message aux jeunes

Il faut écouter ses parents. Moi, je ne suis pas allée à l’école et quand je vois que certains ont des diplômes mais ne trouvent pas de travail, ça me fait mal au cœur… Pour autant, il ne faut pas baisser les bras, ne pas se décourager. Il faut étudier au moins jusqu’au Bac…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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