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MONS EN MONTOIS - village rural
M. CLOVIS DELETTRE NÉ EN 1934 à Mons
mardi 20 novembre 2007, par
Témoignage de M. CLOVIS DELETTRE NÉ EN 1934 à Mons
Vivre à la ferme avant la guerre
Le village comptait des vaches, et des chevaux car les tracteurs ne sont apparus qu’après la guerre, en 1946. On trouvait. Une seule une ferme qui avait des moutons. A la ferme, on travaillait dans les champs, et on ne vivait que des produits de l’exploitation. On n’allait pas acheter de vivres au supermarché. On jardinait, et on ne mangeait que des aliments issus de la ferme. On utilisait de l’eau du puits, et tout le monde produisait son cidre, car il y avait des pommiers partout. On fabriquait du vin à partir de vignes. Les parents nous faisaient boire très tôt du cidre. D’ailleurs, on commençait « de bonne heure » à boire de l’alcool !
Tout le monde participait à l’entretien des champs. Mes parents avaient cinq chevaux que j’attelais. Un autre servait uniquement à ravitailler la ferme, et les bestiaux… Tout se faisait à l’aide des chevaux, et il y avait beaucoup d’ouvriers agricoles au pays. Les gens travaillaient la terre à la main, que ce soit pour les betteraves, les céréales, etc. On était quatre, cinq personnes à travailler. A la moisson, on se retrouvait souvent à sept ou huit dans la même exploitation. Et, dans les grosses exploitations du canton de Donnemarie, dans certaines fermes, ils étaient quasiment quinze, vingt ouvriers. Leur nombre variait en fonction de la saison, par exemple, la saison du binage (désherbage) des betteraves. Les hectares de betterave à biner était un travail difficile à l’époque. Aujourd’hui on le fait avec des pesticides, des produits, et un seul tracteur suffit à tout arroser. C’est plus simple. Tandis qu’avant, il fallait le faire à la binette : un petit outil tranchant avec un manche. Ils étaient parfois douze travailleurs dans les pièces de betteraves. Ils venaient de Belgique, de Bretagne puis des Espagnols et des Polonais.
Le blé était coupé à la moissonneuse, et mis en bottes. On ramassait ensuite les bottes, on faisait des petits tas de 9 bottes dans les champs. Huit jours après, avec les chevaux, on les chargeait dans les gerbières, et on emmagasinait le tout dans les hangars où ils étaient battus pendant l’hiver. Les gerbes sont des bottes rondes. Les ballots de paille pressée sont carrés et rectangulaire. Les gerbières sont des voitures à chevaux. On participait à la moisson pendant les vacances, c’est pourquoi je n’ai jamais su ce qu’étaient réellement des vacances.
Il fallait quinze jours pour couper le blé, le mettre en gerbe, et le mettre debout dehors. D’ailleurs, il devait rester au minimum huit jours pour qu’il sèche, sans le faire roussir. Si on le coupait une fois mûr, il risquait de chauffer, et de fermenter dans le hangar. Alors, on était obligé de le laisser une huitaine de jours dehors pour qu’il soit à l’air, au soleil, et qu’il perde son feu. On ramassait les bottes, et des personnes les mettaient en rangées pour pouvoir circuler, après. J’avais dix ans quand je faisais cela en 1944. Dans les fermes, c’étaient le travail des enfants que l’on emmenait. On leur faisait ramasser les bottes, même certains enfants du bourg y participaient. On les ramassait à la main. La fourche servait à les monter sur les gerbières.
Les métiers de la campagne
Un laitier passait au village ramasser le lait. Il venait avec un grand chariot et un cheval. On trouvait une fromagerie chez Mme Lombard. Elle a été vendue en 1942. Il fallait récolter les pots de lait tous les matins. Les femmes trayaient le matin de bonne heure. Elles effectuaient aussi une petite traite le soir. Le lait du soir rejoignait celui du matin, et de la veille, dans les pots en fer blancs. Devant les fermes, il y en avait trois, dix, deux, et le laitier savait ce qu’il avait à faire. Il prenait les pots de lait, les mesurait, et après direction la fromagerie que l’on appelait la laiterie. Je ne me souviens d’une laiterie à Villiers Saint Georges.
Dans notre village, on trouvait des coopératives, des groupements d’agriculteurs associés ensemble. Tout le monde allait livrer son grain à la coopérative, et la coopérative le revendait à des négociants pour le distribuer un peu partout dans les moulins. Une personne venait récupérer les peaux de lapin, une dame, « la mère soleil » et un homme des Ormes « Bringer », ainsi que Belhomme de Sognolles.
En cette période, les familles étaient nombreuses : nous étions six enfants, cinq garçons et une fille qui n’était pas du tout choyée par les garçons. Elle était la dernière et faisait la bonne comme si elle n’était pas de la famille. Elle n’a donc pas toujours été gâtée. Elle remplaçait souvent maman.
Travailler à la ferme,
La saison des labours était le temps où les fermiers labouraient chez eux. M. Delettre avait des frères qui labouraient avec le brabant, un outil qui servait à retourner la terre. C’était plus moderne que la charrue qui n’avait qu’un socle. Le brabant en comportait deux. Il était en général tiré par deux chevaux.
En hiver, dans les fermes, les hommes coupaient le bois à la hache et au passe-partout, sans tronçonneuse. Le passe- partout est une grande lame. On était à deux, un à chaque bout, et on coupait des gros arbres avec. Nous étions gosses, on ne rechignait pas à la tâche et on faisait ce que l’on pouvait…
Chez nous, la coopérative avait acheté une batteuse qui s’installait sur place, et il fallait mettre les bottes dedans. L’homme qui mettait les bottes était l’égreneur, tâche dangereuse.
Il y avait plus d’arbres qu’aujourd’hui dans les champs. On avait d’ailleurs remembré les terrains pour faire des grandes pièces (parcelles de terre). Comme à l’époque tout était exécuté à la main et avec des chevaux, on trouvait des petites pièces. Ces morceaux de terre (champs) étaient plus petits, souvent bordés de pommiers, séparés par des haies. Les arbres qui se situaient au fond servaient à faire de l’ombre aux ouvriers. A quatre heures, quatre et demi de l’après-midi, un goûter était organisé (l’été seulement). Les ouvriers arrêtaient de travailler, et pendant un quart d’heure, ils mangeaient à l’ombre, sous un arbre et buvaient un bon coup de cidre « quand il n’était pas trop vinaigré ».
Le quotidien d’un enfant et son éducation
Je me réveillais à sept heures, sept heures et demie. L’école commençait à neuf heures. Parfois, les élèves rentraient le bois, et le mettaient à l’abri. Pendant les cours, l’établissement accueillait une quarantaine d’élèves. L’espace était divisé en deux, séparé par un grand rideau.
On savait lire en sortant de l’école ! L’école était mixte, les garçons et les filles étant mélangés. J’ai eu une maîtresse stricte, alors tout le monde se comportait bien. Si on n’était pas sage, on recevait des punitions. La maîtresse pouvait nous demander des devoirs supplémentaires à faire. Normalement, tous les enfants n’avaient rien à faire en rentrant de l’école, mais, moi à l’époque, il fallait que je rentre du bois pour nous chauffer la nuit, et pour le lendemain. Et, le midi après déjeuner, j’avais trente niches de lapins à entretenir, nettoyer et leur donner à manger parce que ma mère avait six gosses, et elle ne pouvait pas tout faire. On en avait du travail….
Avant huit ans, on savait bien lire. La maîtresse nous donnait des devoirs. C’était cela le plus dur pour moi car il fallait que je fasse mes devoirs en plus du travail que je devais effectuer le soir. Et la maîtresse me punissait si je ne connaissais pas bien ma lecture le lendemain matin. C’était des leçons d’histoire, etc. On apprenait tout par cœur.
Depuis septembre 1939, les gens des villes qui risquaient d’être bombardées, venaient se réfugier dans le village. Certains disposaient d’une tante ou grand-mère, soit ils avaient de la famille, ou une maison de campagne. Les enfants suivaient leur scolarité à Paris ou en banlieue parisienne, mais par peur des bombardements, les familles venaient se réfugier ici. Cela renforçait donc les effectifs de nos classes, mais avant cette période nous étions approximativement une trentaine, dans le cours préparatoire 1 et 2, le cours élémentaire 1 et 2, le CM1 et CM2, et le Certificat d’Etudes. Toutes les sections étaient mélangées, et parfois les grands aidaient à apprendre à lire aux petits. L’époque est devenue dangereuse. Des gens de Paris, de la région ou d’ailleurs, qui venaient à la campagne pour être plus en sécurité. Les villes étaient à la merci des bombardements, ce qui n’était pas le cas des campagnes.
L’exode en mai 1940
Un mot d’ordre a circulé nous informant de l’arrivée de l’armée allemande. Il fallait se sauver parce qu’ils allaient tout envahir, et que l’on serait tué. Du coup, nous sommes partis dans une voiture à cheval. Nous étions cinq enfants que l’on a entassés dans la voiture, avec le peu de linges que maman avait mis de côté parce que l’on savait quand on allait partir, mais on ne connaissait pas notre date de retour. Et nous ne sommes finalement partis que huit jours. Nous sommes descendus à Serbonne à côté de Pont. Là, les Allemands commençaient à arriver en masse, et prétendaient qu’ils allaient faire sauter les ponts à Sens, à Montargis, et on nous a donné l’ordre de ne pas bouger et d’attendre. Finalement, on est revenu sur nos pas. On est retourné à Mons au bout de huit jours. On n’a pas a été mitraillé sur les routes, mais à Serbonne, sous un hangar. On a couché huit jours sur de la paille. On nous a fait allonger le long des murs, dans des sortes de parcs, et tout le monde était allongé là pour se protéger. Quand on entendait les bombes, tout le monde pensait : « Ca y est. On est foutu. » Puis, finalement cela ne s’est pas trop mal passé. Or, on ne pouvait pas s’échapper. Il fallait essayer de se cacher le long d’un mur car, en pleine nature, on risquait de se faire bombarder.
On avait peur des soldats allemands surtout dans la rue. On en avait peur, et on se cachait.
Dans le village, tout se passait bien avec les Allemands des premières troupes d’occupation et ce jusqu’en 1941 environ. Il leur fallait un point de commandement, et donc tous les gradés des alentours venaient aux renseignements, et repartaient. Les contacts étaient plutôt bons. On travaillait, mais comme ils avaient besoin de se nourrir, on travaillait pour eux. On ne devait surtout pas s’en plaindre même si on n’était même pas payé.
Ils nous ont réquisitionné des chevaux, et amenaient tout à Fontainebleau. Nous en avions cinq, et ils nous en laissaient juste quatre pour que l’on puisse travailler, puis leur donner ce dont ils avaient besoin. Ils prenaient uniquement ce qu’ils avaient besoin, fourrage, avoine, en particulier.
Tout a commencé à bouger après 1941. Nous en avions assez que les Allemands nous prennent les chevaux, le blé. En tant qu’agriculteurs, des gens, des civils, venaient parfois nous réclamer quelque chose, et on leur donnait, on savait qu’ils en avaient besoin. Il fallait bien les nourrir les gens !
S’engager dans la Résistance, défendre sa patrie
A l’époque, je ne savais pas vraiment que la Résistance s’organisait au village. Mon père y participait, et ne voulait pas qu’on aille divulguer des informations. Mon père ne disait rien chez nous. Il aidait les résistants quand ils en avaient besoin, quand ils faisaient des parachutages. On a fait appel à lui de nombreuses fois pour aller enlever les traces dans les champs. Il était obligé d’y aller avec les chevaux, et avec une herse pour niveler la terre, et ôter les impacts et les traces. C’est pourquoi mon père ne racontait rien. Au moment de la guerre, il ne parlait pas. On l’a su qu’après. Les parachutages s’effectuaient sur la route de Meigneux, à la Pierre. C’était surtout là. Mais parfois ça déviait légèrement, et ils venaient sur Mons. C’était systématique, le matin de bonne heure, une personne passait à la ferme, et disait : « Faut aller effacer à l’endroit. » Les avions amenaient des armes pour les résistants. Les avions parachutaient de gros caissons avec des armes à l’intérieur, et certaines fois de l’argent.
Enfin, la Libération…
On avait tous des radios mais on ne pouvait pas tout assimiler. J’avais dix ans quand les Anglais ont débarqué. On pensait qu’ils venaient nous libérer, qu’ils allaient refouler les Allemands, et qu’on allait retrouver notre liberté un peu. Pour moi le débarquement impliquait qu’ils traversent la mer. Il fallait que ce fût préparé pour que toute l’armée puisse parvenir d’Angleterre jusqu’en France. On n’avait jamais connu la mer. Eux devaient la traverser et ça nous paraissait énorme. On se représentait la mer, immense… Aujourd’hui avec tous les moyens à notre disposition, traverser la mer n’est rien du tout. Pour moi enfant cela représentait presque un rêve. Notre institutrice ne nous parlait pas du débarquement. On n’a pas abordé ce sujet en classe. Elle ne s’écartait pas du programme.
Quand on a su que les Américains se trouvaient à Donnemarie, nous sommes montés dans le clocher sonner la cloche, et taper dessus. C’était la fête. Les Allemands n’étaient pas loin. La veille au soir, les chars allemands remontaient. Dans mon lit, les murs tremblaient à leur passage.
Nous n’avons pas aperçu les alliés, il fallait descendre à Donnemarie pour les voir. Ils sont passés à Mons après. Une fois les Américains arrivés, nous nous sommes retrouvés libres. Mais auparavant, nous étions occupés par les Allemands, et on en avait peur.
Pour moi, la liberté, c’était de bien vivre, d’avoir la tranquillité autour de soi… Vivre sans la peur que nous avions ressentie à cette époque. On était gamins et on tremblait tous les jours. La liberté signifie faire ce que l’on veut.
Message aux jeunes
Continuez à étudier, à travailler pour plus tard avoir un métier en main parce qu’il faudra bien, un jour, travailler. Vous êtes petits, aujourd’hui c’est l’école ; mais plus tard, il faudra rentrer dans la vie active. Sans cela on n’a pas d’argent.