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BOURGOGNE - quand les vieux quartiers insalubres ont été démolis, on nous a refoulés sur Sarcelles

Mme Bisson

mardi 13 avril 2010, par Frederic Praud

texte Frederic Praud


Je suis originaire de Bourgogne. Je suis née en 1919 à Sens, dans le département de l’Yonne. Á l’époque, c’était une petite ville de province, tranquille. J’y ai passé une jeunesse heureuse. On vivait entre nous. J’habitais un quartier pavillonnaire où les enfants se réunissaient ensemble le soir. On se baladait, sans penser à rien, sans penser à faire de mal, et on rentrait en temps et en heures à la maison. Il y avait une certaine crainte des parents ! Mon père était employé des Postes et ma mère ne travaillait pas.

J’ai passé les cinq premières années de ma vie en Allemagne, lorsque mon père était dans les troupes d’occupation. Nous vivions alors en caserne mais c’était quand même familial. J’ai donc commencé ma scolarité en Allemagne, dans une école française et après, j’ai continué à Sens, jusqu’à l’âge de quinze seize ans. Á l’époque, les écoles n’étaient pas mixtes, même les collèges et les lycées. Filles et garçons étaient toujours séparés.

Vers onze douze ans, je voulais devenir infirmière mais je suis tombée tout à fait à côté. Sinon, j’aspirais à aller à l’école, à avoir une vie agréable. On envisageait l’avenir comme tous les jeunes, c’est-à-dire merveilleux ! J’ai été obligée de quitter l’école parce que mon père est décédé et je me suis mise au travail… J’avais seize ans. En fait, j’ai repris le flambeau paternel. Je suis rentrée dans les Postes.

Au quotidien, une jeune fille allait en classe la journée et faisait ses devoirs quand elle rentrait. Le mercredi, jour de repos, on nous apprenait à broder et à tricoter. Nous avions très peu de sorties. Á douze treize ans, j’allais au patronage. Il s’agissait d’un lieu de rencontre entre jeunes du même âge, chez les bonnes sœurs. En quelque sorte, c’était la maison de quartier de l’époque, sauf qu’on y allait jusqu’à treize quatorze ans.

De mon temps, il n’y avait pas de délinquants à l’école. On n’avait jamais d’ennuis, dehors non plus d’ailleurs. Les incendies de voitures n’existaient pas ! Il y avait encore très peu de véhicules avant la guerre. Par contre, on en faisait des kilomètres à bicyclette ! C’était avec la marche à pied notre seul mode de déplacement.

Je me suis marié à vingt ans mais on ne m’a jamais encouragé à prendre un mari au plus tôt. D’ailleurs, on a même trouvé qu’à vingt ans, j’étais trop jeune ! Mais, c’était mon choix…

Avoir quatorze, quinze ans dans les années 30s n’avait rien de comparable avec aujourd’hui. Á l’heure actuelle, les enfants ont absolument tout ce qu’ils veulent. Moi en 40, même à vingt ans, je n’avais pas tout ce que je voulais ! Je n’avais pas la télé ; tout juste un poste de radio… Ma première télé, je ne l’ai eue qu’en 63 ! Et puis, on allait travailler. Non vraiment, nous n’avions pas du tout la même vie que les jeunes de maintenant… Ils ont tout ! Ils ont leurs jouets, leur chambre. Nous, il fallait qu’on trime pour acheter des meubles !

Par contre, je pense que nous avions beaucoup plus de contacts avec nos parents. Ils nous demandaient ce qu’on faisait, où on allait. Ils nous questionnaient ! Et, il ne fallait pas mentir. Mon père était au courant de tous mes faits et gestes. Alors, vous pensez, j’avais intérêt à lui dire la vérité ! Il savait tout ce que j’avais fait en ville. Les parents ne se contentaient pas de nous donner des ordres ou des conseils. Il y avait un véritable dialogue. Je parlais beaucoup avec mes parents. C’est peut-être lié au fait que j’étais leur seul enfant mais en tous cas, à table, j’avais le droit de m’exprimer.

Avec mes grands-parents, j’avais également beaucoup de contacts. Je les ai perdus très jeune mais ils venaient souvent à la maison. Je pense qu’à notre époque, il y avait davantage d’échanges intergénérationels…

De Paris à Sarcelles

J’ai vécu à Paris à partir de 1936. J’y ai donc connu les évènements liés au Front Populaire. 1936 a marqué l’avènement des congés payés, la réduction du temps de travail dans les usines et beaucoup d’autres choses. Avant, il n’y avait pas de vacances ! J’ai donc connu mes premières à dix-sept ans mais je suis restée sur place. Nous n’avions pas les moyens de partir ! Ce n’est qu’une fois mariée, vers vingt et quelques années, que j’ai quitté Paris pour les vacances. Mais, je suis allée dans la famille ! Je n’ai pas vadrouillé à droite à gauche.

Aujourd’hui, je retourne assez souvent dans l’Yonne car j’y ai conservé des relations amicales. Malheureusement, Sens est devenue une ville morte, complètement déserte, à tel point que si je revenais en arrière, je voudrais plus y vivre… Ça change de Paris pendant quelques jours ! C’est certain ! Mais s’y installer, c’est autre chose… Je préfère largement Sarcelles. Il faut dire que ça fait quarante ans que j’y suis ! Alors, j’y suis habituée.

Dans les années 40s, on ne parlait pas de la banlieue. Paris était vraiment séparée du reste. Nous vivions à tel endroit, normalement, comme tous les Parisiens. La banlieue, c’était un peu la campagne. Je suis venue à Sarcelles pour la première fois en 1967. Par contre, je l’ai vue construire. D’ailleurs, lorsque je passais sur la Nationale 16, je me disais : « Mon Dieu ! Pourvu que je ne vienne jamais dans cette ville ! » et finalement, je m’y suis installée quelques années après.

Mais en dehors de ça, dans les années 50-60s, on n’en entendait pas parler. C’était vraiment la ville dortoir même si aujourd’hui, elle l’est un peu moins. Les gens partaient le matin et rentraient le soir. Il n’y avait pas de commerces ni rien du tout et l’avenue du 8 mai n’existait pas.

Avant, les gens habitaient Paris ou les banlieues et quand les vieux quartiers insalubres ont été démolis, on nous a refoulés sur Sarcelles. C’était la ville nouvelle ! Jusque-là, je vivais à Bagnolet mais c’est un coin qui n’a pas été détruit. J’ai été obligée de partir parce qu’on vendait la maison. J’habitais un pavillon et je me suis retrouvée en appartement.

Sarcelles d’hier à aujourd’hui

En 67, lorsque je suis arrivée, il n’y avait pas encore de gare à Sarcelles ; seulement une petite baraque, une halte. Ceux qui travaillaient à Paris devaient donc aller à Pierrefitte pour prendre le train. Et comme à ce moment-là, il y avait encore des chantiers et de la boue partout, ils laissaient bottes et vélo à la gare de Pierrefitte et les retrouvaient le soir. Maintenant, ce ne serait plus possible ! On ne retrouverait rien du tout… Mais, les bottes étaient indispensables ! On était crottés jusqu’au genou ! On mettait donc nos chaussures dans un petit sac et on les enfilait qu’une fois arrivés à la gare. L’avenue du 8 mai n’existait pas ! Moi, j’allais faire mes courses place André Gide, alors que j’habitais sur le boulevard Albert Camus, et il fallait mettre les bottes pour traverser la rue !

Mais comparé à aujourd’hui, Sarcelles était beaucoup plus propre. On respectait tout… Par contre, à l’époque, il n’y avait aucune aide pour les mères de famille. Ça n’existait pas encore… On avait droit aux allocations familiales comme tout le monde mais il n’y avait pas de nourrices à domicile ou de crèches ; seulement une halte à Joliot-Curie, où on pouvait laisser les enfants quelques heures pendant qu’on allait faire les courses à Paris.

En 68, pendant les grèves de mai, on allait travailler avec les cars militaires. On les prenait le matin, un vrai bonheur, et on les reprenait le soir à la gare de l’Est ou ailleurs, là où on pouvait les prendre. Moi, je travaillais à proximité ; donc ça allait très bien ! Je prenais le car vers six ou sept heures pour rentre. Par contre, on était serrés comme des sardines là-dedans ! Je devais aller à Paris tous les jours car dans mon boulot, ne faisant pas grève, j’avais été réquisitionnée d’office.

Je n’ai eu qu’un enfant, une fille, et aujourd’hui, j’ai une petite fille et un arrière petit-fils. J’ai élevée normalement ma fille. L’heure, c’était l’heure ! Même quand elle avait dix-sept dix-huit ans, Il ne fallait pas qu’elle arrive en retard ! Sinon, elle avait droit à une paire de claques. Á l’époque, j’habitais Bagnolet, qui était à peu près comme Sarcelles actuellement. Elle est allée à l’école là-bas et ça s’est très bien passé.

Depuis que je suis à Sarcelles, je vis toujours dans le même appartement, rue…………….. Mais, j’ai quand même changé les meubles ! Comme tous les parents, je voulais pour ma fille une vie normale, c’est-à-dire qu’elle réussisse, qu’elle aille plus haut que moi.

Je ne vois aucun avantage particulier à vivre à Sarcelles. J’y suis restée parce que ça coûte trop cher d’habiter ailleurs ! Et puis, de toute façon, je n’ai jamais aimé changer. Ici, je me suis trouvée bien ; donc je suis restée. Mais aujourd’hui, Sarcelles est devenue trop sale. Il n’y a plus d’entraide entre voisins. Les gens ne savent plus dire bonjour, ne savent plus dire pardon, ne savent plus dire merci, etc.

Message aux jeunes

La jeunesse doit relever Sarcelles. Nous, on ne peut plus rien faire ! Comme dans d’autres villes, c’est désormais aux jeunes de remplir cette mission et nous comptons sur eux… Et puis, il faut qu’ils écoutent davantage les anciens car ils sont la sagesse. Quand on leur dit quelque chose, ce n’est pas pour leur faire une remontrance ! C’est simplement pour leur bien…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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