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Récit

Les enfants juifs cachés

jeudi 1er avril 2010, par Frederic Praud

Pendant les années 40, j’ai été très longtemps en zone libre dans une institution privée financée par France-Amérique. La maison c’était un très beau château environné de jardins et de potagers. La vie était très agréable. Et là je m’occupais d’enfants parce que j’avais déjà l’âge de m’en occuper, et j’aimais beaucoup. On avait une centaine d’enfants, filles et garçons, petits de 4 ans jusqu’à 15 ans. Nous étions peu de personnel, à peu près cinq à vivre sur place, une institutrice, une femme pour le chant. Ces gens-là étaient les responsables de l’ensemble de la maison. J’étais jeune, très jeune encore. Sept instituteurs ont sauvé des enfants qui étaient prêts pour la déportation, parce que les parents étaient prisonniers ou autre. On appelait ça le nid. C’était super, mais ce mot-là me fait mal, parce que ça c’est trouvé au moment de la guerre, que tous les gens se privaient, tous les gens vivaient très mal. Le travail n’était pas toujours facile non plus. Tout ça, je l’ai su après, en rentrant, en 45-46. Personnellement, j’avais honte de dire que je n’ai pas souffert de la guerre. J’étais gênée, mais c’est comme ça.

Être monitrice, s’occuper des enfants, faire la vie avec eux, c’était intéressant. J’ai fait ça trois ans. Et j’aimais tous les mômes, j’aimais les plus petits et plus grands qui étaient très durs. Le matin, pour la première corvée si l’on peut dire, on allait chercher le lait à la ferme. Il fallait voir les chants et les rigolades dans la rue, parce que ça faisait un petit bout pour y aller. On y allait avec deux trois enfants qui étaient raisonnables, un peu plus que les autres quoi. Avec les bidons et tout et tout, dans une vieille carriole… On n’avait pas le droit de s’habiller en rouge, parce que la ballade passait aussi par les champs. Dans les champs il y avait des taureaux. Les paysans le disaient bien à la direction : « n’envoyez pas les jeunes comme ça, il ne faut pas ». C’était la seule contrainte qu’il y avait, autrement c’était la liberté totale.

Vie rurale

Quand on prenait le lait, le paysan marquait des traits. On payait toujours le lait à la fin du mois. Le pain, c’était pareil. On ne payait rien. On faisait la ballade, on ramenait tout à la cuisine. C’étaient des parties de rigolade, il n’y avait pas de corvée. Cette institution était dans la Creuse.

Le directeur nous laissait voir la vie dans la campagne. J’ai vu quand on tuait le cochon. Ce n’était pas pour moi, parce que je n’aime pas voir le sang. Quand j’ai entendu les premiers grognements, c’était horrible. C’est le cri du cochon qui est affolant. C’est effrayant. Je me suis sauvée. Je ne pouvais pas voir ça, c’est très dur. Ca à beau être un animal, c’est très dur. Je me sauvais « où tu vas toi ? Où tu vas ? » « Tout à l’heure je reviendrai ». Je suis revenue quand c’était fini, alors là j’ai vu le seau. J’ai vu tout ce qu’on a fait. Ah ! ! ! C’était terrible. Ils faisaient le boudin sur place, tout de suite, avec le sang chaud ! Ça se fait comme ça… Mais j’avais assisté… Ah ! ! ! J’ai dit : non, non, non…

J’ai vu autre chose à la campagne qui m’a beaucoup choquée. Un chien mordait les brebis, et tout ce qu’il avait à portée de main. Hop, il se tapait ça. Un jour, le paysan en a eu marre, « il faut en finir avec ce chien ! » « Ne le tuez pas ! Ne le tuez pas ! Mettez le plus loin, donnez le à quelqu’un qui n’aura pas à subir ce que vous avez subi, c’est dommage ». « Non, non, ce n’est pas la première fois et il n’arrête pas ». Je me trouve en face de ce chien, qui n’a pas bougé une oreille, qui n’a pas gueulé, rien dit face à son tueur. « Ah ! », J’ai dit : « non, pas ça ! ». Et finalement il l’a fait. Je ne peux pas voir de choses comme ça.

J’avais 17, 18 ans à ce moment-là. Le village s’appelaient Mairsat, un petit village bien tranquille. Il y avait un ou deux hôtels pour les petits bourgeois du coin qui se réunissaient pour le thé. C’étaient loin d’être des misérables. Et nous, dans notre cocon là, on mangeait de tout. On avait un énorme potager. On était privés de rien.

On travaillait gratuitement avec le couvert d’assuré. Quand les plus grandes dont je faisais partie, voulaient se faire quelques sous, un peu d’argent de poche, elles allaient chez les paysans. On proposait de la main d’œuvre, pour la cueillette des pommes, pour la cueillette des légumes, les quelques légumes que nous on n’avait pas. Comme récompense, le paysan nous donnait un peu d’argent, un petit peu, surtout pas grand-chose. Mais on avait du beurre en retour, du bon pain qu’ils faisaient, des œufs, un tas de choses.

Ils ne nous faisaient pas faire les foins, mais j’y assistais. J’adorais ça. C’était la grande fête. Pour les foins, tous les paysans des alentours viennent donner un coup de main dans la gaieté, dans la joie. Le soleil tape sur la tête à tomber ! Avec d’autres camarades, on regardait faire. C’était formidable de voir l’entraide qu’il y avait entre eux. Ils n’étaient pas payés… Quand la journée commençait à ne plus être supportable, ils dressaient une table un peu plus loin. Ils ne pouvaient pas la faire la java parce qu’ils étaient vraiment tués, par leur travail et par la chaleur. Mais c’était une ambiance tellement agréable, naturelle. C’est ça la vie.

Tout le monde se connaissait. On regardait tout ça, c’était bien. Je pense souvent à cette vie, les gens sont près l’un de l’autre. Ils s’entraident sans arrière-pensée. Nous on était jeunes, on voyait ça autrement. Nous avions une autre optique que ces gens-là qui se lèvent aux aurores et qui se couchent à des heures indues. On ne sait pas, on n’imagine pas.

Apprendre à penser

Quand Pétain a dit : travail famille et patrie. On disait la vie c’était le travail, le travail c’est la liberté. Dans la rue du village où on passait, on nous faisait obligatoirement chanter : Maréchal nous voilà. Les enfants ne savaient pas ce qu’ils chantaient, forcément. Ils étaient contents de chanter. Ils chahutaient dans le village à droite à gauche. Il fallait les prendre par-ci, par-là, viens ici, viens là. Ils ne savaient pas ce qu’ils chantaient. Mais les personnes âgées qui les faisaient chanter n’étaient pas toutes illettrées. Elles savaient très bien que tout ça c’était abominable.

Elles le savaient bien et nous on ouvrait une bouche comme ça. Tout le monde chantait, tout le monde chahutait. On ne savait pas qu’est ce qu’on chantait. Il ne faut pas tromper les enfants comme ça. Il faut de bonne heure leur expliquer qu’est ce que c’est que ce maréchal finalement, qui il est… Il faut carrément leur dire la vérité. Il ne faut pas mentir à un enfant. Il faut leur dire comment c’est, même si ça ne leur plaît pas.

À la libération, ma sœur se trouvait à l’hôtel de ville quand ça bombardait encore, quand ça tirait. Les allemands étaient encore là. Et il y avait toute une foule de personnes allongées par terre, pour éviter de recevoir les balles. Elle me disait : « c’était affreux, affreux, et j’étais là et je voyais ça. » Moi je voyais l’herbe qu’elle n’avait pas vue…Ça m’a fait un drôle de coup de voir la libération de Paris à la télévision, pas de voir le Général Leclerc sur son char qui passait dans Paris alors que tout le monde faisait des hourras, hourras. Moi j’ai vu les gens qui étaient par terre, qui avaient peur, qui étaient accroupis, et qui recevaient des fois quelques balles. C’est tout ce que j’ai eu comme impression de la libération.
À la libération, je n’étais pas encore sur Paris. On n’en parlait pas tellement. On savait seulement une chose. Nous avions une très grande carte de géographie et chaque ville qui était prise par les allemands était notée par le directeur. S’il y avait une fille polonaise, une autre russe, il disait voilà : « Ca a été pris, il y a peu de jours à tel endroit ». On suivait l’actualité par cette carte que le directeur montrait aux enfants, à tout le monde. C’est comme ça qu’on avançait avec la politique. Mais la seule chose qu’on savait réellement, c’est qu’on avait un Maréchal de France qui n’était pas à la hauteur. On ne pouvait pas faire plus bas que ça. C’est tout ce qu’on savait. On ne savait pas autre chose…

L’entrée dans le monde du travail

Et pour moi j’en n’ai pas souffert tout de suite après la guerre, parce que je ne me trouvais en province. Je n’ai pas su ce qu’étaient les privations, faire la queue pour du pain, faire la queue pour le lait. Ça me fait mal au cœur de le dire, mais c’est la vérité. Je n’ai pas souffert de l’après-guerre directement. J’ai commencé à souffrir quand je me suis dit : ma fille, il faut commencer à grimper, à travailler. J’avais ma grand-mère à la maison, comme ça se faisait dans le temps. C’était plus humain et naturel. « Maintenant il faut rentrer dans le circuit. Il faut travailler et ça va être difficile ». Parce tout ce que j’avais connu était à peu près agréable jusque-là. Je ne me plains pas trop, j’ai commencé tard à rentrer dans le circuit à 24 ans, 25 ans. La difficulté a été de se procurer des papiers comme il faut pour travailler.

Quand j’ai commencé à travailler, c’était le bagne, à tout point de vue, des transports terribles s’ajoutant à la fatigue du travail et mal payé. Par la suite je suis arrivée à gagner ma vie très correctement, mais j’ai galéré pour ça. Alors Paris, c’est bien… pour les riches. Celui qui a les moyens de visiter, de tourner, de virer, de tout faire, c’est le paradis. Mais celui qui doit se lever très tôt, et dans la bousculade des transports, quels qu’ils soient, c’est l’enfer. Ça l’a toujours été, même dans les années 50… Je me suis levée aux heures de pointes, mais à crever !

J’ai alors travaillé dans la fourrure. Et dans la fourrure, c’est très malsain. Vous travaillez avec des aiguilles. Ça je n’ai jamais pu l’oublier, j’avais tous les doigts entaillés, parce que les aiguilles sont à bouts carrés ! Ça fait comme une lame, et le dé était troué à force. J’avais mal aux doigts. On nous obligeait à boire du lait pour désinfecter, parce que c’est insupportable. Mais, c’était bien payé, il fallait bien travailler. Vous respiriez et vous avaliez des poils. Et vous ne regardiez pas à retenir une cliente qui vient au moment de la fermeture. Mais bon, c’était ça.

Il y a eu le droit de vote en 45, mais certains ne votent pas. Je ne comprends pas qu’on ne vote pas. Il faut voter. Il y a des pays qui se battent, qui s’entre-tuent pour voter et vous les laissez ne pas voter, alors ça ne va pas. Il faut voter, quand on a la liberté de dire ce qu’on veut, il faut voter. Moi j’ai voté à Paris, pas en 45, après, la première année. En 45, j’étais encore avec les petits oiseaux, à la campagne. J’étais contente de l’avoir fait parce que je devais le faire. Il faut voter, c’est aussi votre liberté.

La majorité ne changeait rien pour le travail, ça ne changeait rien pour l’opinion que les gens avaient de vous. On savait qu’on était majeur, c’est tout. On avait deux, trois ans de plus que les gens qui votent aujourd’hui. Ça s’arrêtait là. Il n’y avait pas de sens à la majorité. Qu’est ce que ça changeait ? Ceux qui travaillaient, travaillaient. Ceux qui étaient malheureux étaient toujours malheureux. Qu’est ce qu’on pouvait décider ? La liberté de quoi faire ? Parce que quand vous travaillez, vous travaillez, il n’y a pas de changement. Que vous gagniez votre vie ou pas, la majorité ne va pas apporter quelque chose d’extraordinaire.

Quand on prenait le métro de très bonne heure, on voyait les clochards qui avaient passé la nuit sur les bancs et puis que je t’attache avec une ficelle le truc pour retrouver mes affaires. « Toi, tu veux le mégot ». C’était un vrai cinéma, mais ils étaient au chaud. Ils n’étaient pas malheureux. Ils ne gênaient personne, mais alors ils se bagarraient entre eux. Ils se prenaient des paires de baffes. J’ai vu un pauvre qui prenait les lunettes de quelqu’un. Ils se volaient entre eux. C’était terrible. Ils fermaient le métro, mais aux premières heures on voyait toujours ces gens…là. Et pourquoi pas, ils avaient le droit de se chauffer. En 52, 53, j’ai connu un médecin qui a sauvé des gens couchés carrément dans la rue dans le froid, des enfants et des mères. C’était un autre monde. Aujourd’hui on ne peut pas s’imaginer que tout ça a existé. Cette privation que les gens ont endurée…

J’ai vu pour la première fois la mer, à Noirmoutier bien après la guerre. ‘C’est ça la mer ?’ Comme il faisait mauvais temps l’horizon, le ciel, se confondait avec la mer. C’était gris ! Alors : "c’est ça la mer ?" J’étais déçue, mais après je me suis rattrapée.
Les guinguettes

Avec ma copine, nous allions à Nogent, au Moulin Brûlé, danser au son de l’accordéon. C’était joyeux. C’était sympa. On se payait une menthe, une citronnade et c’était la fête avec un cornet de frites. C’était le moment d’être heureux avec peu de choses. Avec ma copine, on rentrait quand on voulait. On sortait comme on voulait : la liberté. Ma mère ne me surveillait pas, j’aurais bien voulu voir ça ! Ha ! Non, je l’avais mise un peu au pas ou elle faisait semblant. Des fois, elle disait : « mais tu rentres tard ! » Je lui répondais : « ah oui, j’ai loupé le métro ». Ce n’était pas vrai. Même mes sœurs me disaient : « Mais tu sais, avec moi elle n’aurait rien toléré, mais avec toi je ne sais pas. Elle cède. Elle ne dit rien, tu rentres, tu sors ». Une jeunesse, ce n’est pas 25 ans ou 30 ans après, c’est maintenant qu’il faut profiter.

Pour aller à Nogent, il y avait des autobus et le train. Prendre le train à la Bastille était une partie de plaisir. Des trains en bois même pas confortables, ni rien. On n’irait pas maintenant, mais nous étions heureuses. Oh la, la ! Nous passions un bon après-midi ou des fois une bonne soirée. C’était merveilleux, merveilleux avec peu de choses mais tout y était, le cœur, l’envie, le plaisir, tout y était.

À Nogent, quand on sortait, c’étaient les garçons qui payaient. Longtemps après la fille a payé sa place. On y était tous les dimanches et puis quand on avait terminé ça, on allait manger une petite friture. Comme on s’était bien dépensées, on rentrait à Paris. On se racontait ce qu’on avait fait, qui on rencontrait. C’était merveilleux. Et le travail de la semaine paraissait plus facile. Parce qu’on avait quelque chose à dire : « on a rencontré untel, on a vu untel. On a fait ça, on n’a pas fait ça »

J’avais déjà jaugé la personne qui me proposait de danser. Si elle ne me plaisait pas, si elle avait un regard qui ne m’intéressait pas, je refusais. Je restais assise. S’il se présentait quelqu’un qui justement me tapait dans l’œil, c’est avec celui-là que j’allais danser. Naturellement tout le monde fait ça. Je ne l’ai pas inventé. J’en parle maintenant parce que je suis âgée, mais quand j’étais jeune, pourquoi me serais-je empêtrée les pieds, les jambes et tout le restant, avec un bonhomme qui ne m’intéressait pas ? Ça ne me disait rien du tout. Je ne voulais pas et j’en ai vu qui en faisaient autant.

Je me suis toujours dit : « tant que je suis jeune, tant que je suis assez raisonnable, il faut assumer ». La guerre s’est passée là-bas en Creuse. Mais quand j’ai vraiment voulu voir ce qu’était le plaisir, avoir quelques heures à profiter en dehors du travail, ou c’était les ballets, le théâtre, ou c’était le bal. Je n’allais pas là où il y a du chiqué. Pas de baise main, j’ai horreur de tout ça. Ce n’est pas naturel.

Alors ma mère, qui était rigolote dans son genre, me disait toujours : « tu ne rentres pas tard ? » « Non, je te promets que non ». Bon. Quand je rentrais je pensais : « Elle n’a rien entendu, elle m’abandonne ». J’enlevais les chaussures, parce qu’il était assez tard, et alors elle me disait « c’est toi ? » Je répondais : « qui tu veux que ce soit ? Ça ne peut être que moi. » Je faisais bien, bien attention, et puis au bout de cinq minutes, elle me demandait : « est-ce que tu sais l’heure qu’il est ? » - « Bien sûr que je le sais. C’est l’heure que tu dormes, parce qu’après tu auras du mal à te lever demain matin » Moi j’étais aussi fraîche qu’un gardon vous savez. J’allais travailler. Je baillais des fois dans le métro, « Oh la, la, comment vais-je faire la journée. Ça ne fait rien, j’ai passé une bonne soirée… C’est bien comme ça »

Oh ! Il y avait quand même des voyous dans certains bals. C’était dans la Rue de Lappe. J’y suis allée, j’ai vu, c’est pour ça que je vous en parle. « Où vas-tu ? » –« À la boule ». Il y avait une boule argentée qui tournait, tournait. Le fond de la pièce était un peu tamisé, bien rouge. Un fond qui attirait les danseurs. Ça donne aussi quelque chose à l’ambiance. Il y avait également des gens très bien que j’étais étonnée de voir là. J’y allais avec ma copine ou un copain mais jamais seule. Certains étaient des voyous de métier, je pourrais dire, de profession. Vous payiez pour eux, et si vous ne vouliez pas, vous pouviez déjà dégager parce que c’était votre fête après, une drôle de fête… Mais il faut tout voir pour avoir une idée de ce qu’il y a autour de vous, de comment et qui vit à côté de vous. Tout est cloisonné. On ne sait rien, ce que l’on va vous dire ne suffit pas. Il faut le vivre.

Une double passion le mari et les timbres

J’ai rencontré mon mari à Paris, dans un cercle de philatélie et ça a continué jusqu’à son décès. C’est très intéressant, j’ai beaucoup appris avec la philatélie. J’ai voyagé avec la philatélie. Ça touche à tout. Vous êtes chez vous et vous êtes déjà parti dans tel pays. Nous nous sommes surtout intéressés à la France et les pays limitrophes, l’Autriche, l’Allemagne, l’Italie. Avec mon mari, on s’était associés.

À Paris, nous allions aux Champs Elysée, à la bourse aux timbres. On échangeait dans la rue, on achetait. Je connaissais beaucoup de monde, des amis philatélistes. On avait notre café restaurant. C’est vraiment intéressant comme activité… On se donne rendez-vous chez le copain ou la copine qui vous propose les timbres que vous voulez acheter. Attention les valeurs changeaient tous les jours. C’est comme la bourse, un jour c’est à tel prix, le lendemain… Il faut acheter en temps et en heure. Il y avait deux catalogues spécialisés dans les valeurs. Un jour nous sommes tombés sur un faux timbre. Nous nous en sommes aperçus lors d’un voyage en Autriche. Nous sommes tombés sur le derrière.

Avant d’aller voyager, on l’avait fait expertiser : « il est bien, ils sont bien tous les deux ». Les collections faisaient parfois deux timbres. Alors nous sommes partis rencontrer un client en Autriche.

Je dis alors à mon mari : « Tu vas voir que ça va être magnifique, ne te décourage pas. On a le bon truc là… » J’ai attendu à côté du bureau, mon mari discutait avec un vétérinaire, notre client. Il prend, il prend la pince, et tout le bazar qu’il faut pour bien vérifier, enfin tout était vérifié. Et à la fin de la conversation, qu’est ce qui est arrivé ? Le pire : « C’est un faux que vous avez… C’est un faux ». Il y en avait pour plus de cinquante tickets, à l’époque. Mais ce n’est pas possible, « C’est monsieur untel qui nous l’a vendu ». Ils se connaissent entre eux. Ca avait été tellement dur à avaler qu’on est rentrés le nez bien par terre, parce qu’on était persuadés par les experts. Je consolais mon mari. « Ne te fais pas de mauvais sang. On va s’en remettre ». –« Mais tu te rends compte qu’on devait aller là et »… - « Bon, laisse ça de côté. On va s’en remettre. On va faire autre chose. On ira voir à la campagne s’il y a de l’herbe… » Je vous dis pas la correction que le bonhomme a eu pour nous avoir vendu ça ! On s’est fait rouler mais alors d’une façon ! Mais on apprend tellement… Les timbres, c’est une passion, une passion et en plus ça m’a fait rencontrer mon mari. Ça va de pair, si on aime, on a la passion.

Une fois, il nous est arrivé une petite tuile mais ce n’était un peu de ma faute ça. Il me donnait le plus sale boulot à faire, quand il fallait dégommer les timbres pour leur donner de la valeur à la vente. Même si c’était pas cher, il fallait vendre. Il y a des choses à garder et il y a des choses à vendre. Lui triait et contrôlait. J’étais installée dans la cuisine et je préparais une casserole pour dégommer les timbres, les laver, les nettoyer pour les présenter au client. On ne peut pas présenter n’importe quoi. La fenêtre était grande ouverte dans la salle à manger. Il y a eu un coup de vent, tous les timbres étaient sur la table, hop !, Par la fenêtre, envolés ! J’ai ri, mais j’ai ri à en mourir d’ailleurs, « Oh c’est pas marrant ! Et qui va aller les chercher ? » Je réponds : « oh, pas moi, sûrement pas. Il y en avait sur toutes les fenêtres des personnes qui habitaient en bas, au-dessous » Je ris encore quand les voisins nous ont demandé « Qu’est ce qui est arrivé ? Qu’est ce que c’est ? » –« C’est rien on ramassera tout ça ». Mais, on gagne sa vie avec ça. C’était un travail… passionnant. Et franchement je ne vois pas ce qu’on aurait pu faire d’autre. Mon mari était un très bon comptable.

L’éducation sentimentale

Jeune, j’allais me promener au bois de Boulogne. Et figurez-vous qu’un jour avec ma copine, je dis : « regarde, le buisson bouge. Il y a quelqu’un derrière, on va voir ». Et j’avais vu un couple s’embrasser. Je dis : « je te parie qu’après ça la femme va être enceinte… la fille va être enceinte ». Parce qu’ils s’embrassaient, c’était pas méchant. C’est l’époque qui était comme ça. Je pensais « Qu’est ce que c’est s’embrasser ? C’est bien ? » mais « Après ça elle va être enceinte ». Je croyais que le baiser suffisait parce qu’on cachait tout. Et combien d’année il a fallu pour que tout soit vu au grand jour ? La contraception, on ne savait pas ce que ça voulait dire. On en parlait entre nous à mots couverts, quand il se passait un accident.

Mais c’était tabou, on peut dire le mot. Il ne fallait pas le dire, il ne fallait pas le savoir, sauf quelques-unes une qui se confiaient à une copine, plutôt qu’à un copain bien sûr. « Qu’est ce que tu penses ? Voilà, je me trouve enceinte, qu’est ce que je peux faire ?’ Ça n’existait pas la contraception. Alors les jeunes personnes allaient se faire avorter à l’étranger.

Celles qui le faisaient surplace, on les appelait ça les faiseuses d’anges. C’étaient des femmes qui avaient vocation de vous libérer de ça, avec une drôle de façon. Vous pouviez être très malade après. Ça existait comme ça. De mon temps, j’ai connu ça. J’ai souvent entendu ça. On était vraiment en retard tellement on ne savait rien, pas d’un train, mais de tout un convoi. On faisait des bêtises mais on ne savait rien, on ne savait pas. Les parents ne le disaient pas et il ne fallait pas dire aux parents, tout était caché. Enfin tout se faisait au noir, tout était caché. C’était une drôle de jeunesse.

Quand les gens vivaient ensemble, ou deux hommes ensemble ou deux femmes, on disait : « t’as vu ?, T’as vu celle-là elle a embrassé une fille, tu te rends compte… » Et quand on voyait deux hommes, « ah !, C’était horrible ! ». Ils ne se cachent pas dans la rue, ils peuvent faire ça chez eux. Je me souviens une fois place de la Bastille, j’avais fait faire une petite promenade à ma mère, et il y avait deux personnes qui s’embrassaient, de sexes opposés, mais des gens âgés… Ha ! Ha ! Elle n’était pas contente, je lui dis : « tourne la tête, laisse les s’aimer », « non, regarde ! , regarde ! » Elle était furieuse. Elle verrait ça aujourd’hui, mais elle tomberait de voir ce qui se passe, ce n’est pas possible. Je ne lui laisserais pas la télévision. Je supprimerais le poste si elle était là. C’est horrible ce qu’on voit quand même… C’est démesuré tout ça. On a beau dire la liberté, elle a bon dos la liberté…

Le 20ème siècle

Avec tous les événements que tout le monde a pris à travers la gueule, tout ce qui s’est passé de ce siècle comme horribles choses, comme événements insupportables, les gens ne communiquent pas mieux, n’essayent pas de comprendre, d’être plus souples, d’être plus agréables, plus gentils, de ne jamais rejeter son prochain. Il faut tenir compte de cette leçon. La misère et les plus grands malheurs c’était toujours pour le bas. C’est ceux-là qu’il faut aider, et ne pas mettre de côté. Il faut en tenir compte de toutes les horreurs pour ne pas les renouveler pour les enfants à venir, ça il faut en parler, il faut crier ça. Il n’y a pas à avoir de discrimination, Dieu a fait le monde pour tous les enfants de la Terre. Il n’a pas dit : toi ci, toi ça…Je suis très logique, et je voudrais que les enfants comprennent cette leçon très dure. Il ne faut pas qu’ils remettent ce que nous avons fait comme bêtise, comme horreur.

En 1968, les ouvriers ont emmené une grande part de révolte, et ça a porté, parce que les gens en avaient peur de çà. Au mois de mai, je suis descendue dans la rue, j’ai manifesté avec les étudiants… J’ai laissé mon travail. Je les ai vus de ma fenêtre. Ils étaient boulevard du Temple à Paris. J’ai dit à mon patron « Monsieur, demain je rattraperai le temps perdu. Je regrette, mais je participe avec les étudiants ». J’ai laissé mon travail et je suis descendu dans la rue pour être avec les étudiants, je faisais corps avec les étudiants, j’étais d’accord sur ce qu’ils voulaient, ce qu’ils disaient c’était cohérent… Et même mon médecin qui n’habitait pas loin m’a lancé « ça y va, on est d’accord ! ». Les étudiants avaient raison. Ça n’était pas exagéré. On leur devait la liberté de parler, d’agir et de tout faire. Je les ai trouvés formidables, ils étaient très bien suivis par la base. Bien sûr, ils ont défendu tout le monde à chaque fois qu’ils ont pu, haut et fort. Et les gens de la haute, de la politique reculaient ! Reculaient l’un derrière l’autre. Absolument, c’était comme ça. Et avec un tel enthousiasme. Il y avait toute leur vie. Il y avait tout leur espoir. On a compris que la liberté de parole et d’action, ça existe aussi. C’était un tournant très important. Je l’ai vécu comme ça. Sauf une chose que je n’ai pas appréciée quand ils ont occupé la Sorbonne, ils ont fait des choses incroyables. Là, je n’étais pas d’accord, c’était dommage. C’était gâcher tout parce que les trois quarts des français étaient avec les étudiants…

Je n’ai également pas apprécié la politique du Général de Gaulle. À un moment donné, il y a eu un flottement terrible. Quand on se débine en Allemagne pour demander des conseils à un tortionnaire qui a fait des ravages en Algérie, je ne suis pas d’accord pour que quelqu’un se débine comme ça.

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