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Martinique - Plus tard, en 68, mon mari est parti en métropole pour chercher du travail

Mme Cécile Mnémosine

dimanche 14 mars 2010, par Frederic Praud

Texte Frederic Praud


Une famille nombreuse aux conditions de vie très modestes

Je suis née en 1924 à Rivière Pilote, au sud de la Martinique. Je peux vous dire que les enfants d’aujourd’hui sont vraiment gâtés car lorsque j’étais petite, nous étions dix : cinq filles et cinq garçons. Nous vivions dans une maison avec deux chambres à coucher, un séjour et ce qu’on appelait un « office », pour préparer à manger. C’est tout ce qu’on avait. Dans la salle à manger, il y avait du plancher. Alors, certains de mes frères dormaient dessus avec leur barda, leurs couvertures, et d’autres sur le canapé. Nous les filles, on couchait dans une chambre, pour les trois plus grandes. Quant aux deux autres, elles dormaient dans la chambre de ma mère, par terre, au pied de son lit. Voilà comment on vivait…

Au début, le toit de la maison était en paille et les murs en bambous tressés. Au sol, il y avait de la terre battue. Mais après, au fur et à mesure, on a un peu amélioré tout ça. On a posé du plancher. Enfant, je marchais pieds nus. Je n’avais pas de chaussures, rien du tout… Nos conditions de vie n’étaient pas jojos ! Quand on a dix enfants à nourrir et à envoyer à l’école, ce n’est pas facile ! On allait vendre des légumes et du charbon de bois pour pouvoir acheter de la morue. Mais, on ne pouvait pas manger de poisson tous les jours ! Quant à la viande, n’en parlons pas ! Il n’y avait guère que le dimanche où on avait droit à un petit bout de viande et à de la soupe… Sinon, tous les jours, on ne mangeait que des légumes. Lorsqu’on avait du poisson, c’était vraiment béni !

Quand on allait à l’école, on ne mettait des chaussures que le jour de la rentrée. Après, il fallait les enlever pour ne pas les user… Et concernant les vêtements, on n’en avait pas beaucoup ! Il fallait donc les nettoyer souvent. Comme n’allions pas à l’école le jeudi, on lavait le linge pour être propre en revenant à l’école le vendredi. Le dimanche, on avait la petite robe pour aller à la messe et il fallait l’enlever tout de suite après. C’était comme ça… Mais, nous étions quand même heureux !

Mon père travaillait pour les Blancs. Il était bûcheron, il faisait des planches. C’est comme ça que nous avons pu poser un plancher à la maison. Á l’époque, la vie ne coûtait pas grand-chose. Vingt-cinq francs, c’était déjà beaucoup ! Cela permettait de tenir la semaine. Mais, il fallait se débrouiller pour faire du charbon et aller vendre les légumes pour acheter ce qui manquait ! On mangeait des légumes tous les jours, matin, midi et soir. Il n’y avait pas d’autre solution ! Lorsque ce n’étaient pas des ignames, c’étaient des patates, lorsque ce n’étaient pas des patates, c’étaient des figues, etc. Chaque chose avait sa saison. Ça changeait tous les trois mois…

Une maison proche de la ville mais à la campagne

Nous n’avons jamais eu trop de dégâts à cause des cyclones. Comme nous étions à la campagne, il n’y avait pas beaucoup de vent ! Notre maison est donc toujours restée debout. Certains bananiers tombaient parfois un petit peu mais ce n’était pas très grave…

Nous habitions à Rivière Pilote mais pas dans la ville même, à trois kilomètres. Nous n’étions pas très nombreux dans ce coin-là ! Peut-être une dizaine de maisons… Et toute le monde était dans la même situation, vivait de la même façon. Chacun avait son petit bout de terre à cultiver.

Au début, c’est mon père qui faisait le jardin et après, lorsque mes frères ont grandi, ils ont pris la relève. Alors, quand on pouvait, on allait vendre nos légumes pour acheter de la morue, pour acheter du poisson, pour acheter quelques vêtements…

C’est lorsque j’ai commencé à travailler que je suis allée pour la première fois au cinéma. Je devais avoir dix-huit ans à l’époque. C’était en 42. Chez mes parents, je ne pouvais pas trop bouger ! Sauf quand quelqu’un venait discuter avec eux. Je profitais alors de l’occasion pour sortir mais je regardais le chronomètre, car j’avais plutôt intérêt à être rentrée à l’heure…

Très tôt au travail

J’ai quitté l’école à treize ans parce qu’il y avait quatre enfants après moi et je devais travailler pour aider mes parents à faire vivre la famille. C’était normal pour moi ! Seulement, à ce moment-là, l’école était obligatoire jusqu’à quatorze ans et j’ai arrêté un peu avant, car je suis de la fin de l’année. Du coup, un agent de police est venu chez mes parents pour leur indiquer que je n’avais pas encore l’âge. J’ai donc été obligée de retourner deux mois à l’école, à partir de la rentrée d’octobre et après, je suis partie travailler.

J’étais servante dans les maisons. Je faisais le ménage, le repassage, à manger, je m’occupais des enfants, etc. J’étais bien sûr chez des gens qui avaient les moyens ! J’ai notamment travaillé chez une institutrice, chez des commerçants, chez un docteur…

Dix-huit ans en Guadeloupe

Ensuite, en 1950, je suis partie en Guadeloupe car on y trouvait plus facilement du boulot. J’ai laissé mon fils aîné avec mes parents parce qu’ils voulaient le garder. Mais je l’ai récupéré quand ils sont morts. En tout, j’ai vécu dix-huit ans en Guadeloupe après avoir passé vingt-six ans en Martinique. Entre les deux îles, il n’y a pas vraiment de différences. C’est à peu près pareil. Mais, il faut avouer que Guadeloupéens et Martiniquais ne font pas bon ménage. Moi par exemple, on me traitait de sale Martiniquaise ! On me disait : « On ne veut pas de toi ici ! Retourne dans ton pays ! »

En Guadeloupe, j’ai continué à travailler comme servante à Pointe-à-Pitre et quand j’ai eu mes deux enfants, le patron m’a fait une proposition. Il avait un commerce. Il mettait du vin en bouteilles. Il m’a expliqué : « Á partir de maintenant, tu ne resteras plus à la maison. Tu vas venir travailler au magasin avec nous. Comme ça, tu auras plus de temps libre pour tes enfants. » J’ai donc commencé à mettre du vin en bouteilles.
Je démarrais à huit heures le matin et je finissais à midi. Puis, je reprenais jusqu’à dix-sept heures. Après, je pouvais m’occuper de mes enfants que je mettais chez la nourrice.

Plus tard, en 68, mon mari est parti en métropole pour chercher du travail. Il a trouvé un poste à l’Education Nationale. Il était planton au Ministère. Et quand on lui a donné un appartement à Sarcelles, avenue Paul Valéry, je l’ai rejoint avec les enfants. De Pointe-à-Pitre, je suis donc venue ici directement.

Á l’époque, un organisme dont j’ai oublié le nom, aidait les Antillais à venir en France. C’était le truc des DOM-TOM. Ils m’ont payé le billet d’avion ; l’aller mais pas le retour. En plus, ils m’ont donné un peu d’argent, quelque chose comme trois cents francs.

Arrivée en métropole : Sarcelles

Nous sommes arrivés en hiver, le 11 janvier 1969. Nous avons pris l’avion le 10 au soir et nous avons atterri le lendemain. Lorsque j’ai vu la neige, ça m’a fait une drôle d’impression ! Par contre, mon dernier fils est descendu le jour même, jouer avec la neige dans le parc derrière. Il avait onze ans. Á l’époque, j’avais déjà eu mes quatre enfants. Mon fils aîné avait fait son service militaire en France et il n’était pas reparti. Quand je suis arrivée, il vivait donc déjà ici, à Créteil. Quant aux trois autres, ils ont continué leur scolarité au collège et au lycée.

Au début, je n’ai pas vraiment eu le temps de découvrir la ville car j’ai commencé à travailler dix jours après notre installation. J’ai trouvé tout de suite du travail à Paris, dans le VII ème arrondissement. Nous habitions au bout de l’avenue Paul Valéry, près de la gare. Elle existait déjà en 68 ! J’y prenais le train tous les matins et je descendais à l’école militaire, où j’étais employée en cuisine à la cantine. J’ai travaillé à Paris pendant vingt-quatre ans. Je n’ai donc pas vraiment connu Sarcelles durant cette période.

De longues journées de travail

Le week-end, je n’avais pas plus de temps libre ! Il fallait bien que je lave mon linge, que je m’occupe des enfants et de mon mari ! Et puis, on ne gagnait pas beaucoup ! Á la cantine, je touchais quatre francs cinquante de l’heure. Je travaillais le lundi, le mardi, le jeudi et le vendredi. Le mercredi, il n’y avait pas école ! Je n’étais donc pas payée car je n’avais pas un salaire fixe. Mon service terminé, j’allais en plus faire du ménage chez les gens ! Je commençais en cuisine à sept heures du matin et à midi une heure au plus tard, c’était fini ! Alors après, il fallait bien trouver autre chose ! Sinon, ça ne faisait pas beaucoup d’argent…

Entre temps, j’ai trouvé à faire des remplacements dans les écoles. Je ne gagnais que trois francs cinquante de l’heure mais j’y allais tous les jours, pour quelques heures de travail. Ensuite, quand on m’a proposé un poste à sept heures dans une école, je me suis empressé de le prendre car là au moins, vacances ou pas, j’avais mon travail.

Durant les vacances, j’envoyais deux de mes enfants en colonies. Par contre, ma fille n’a jamais voulu y aller. Pour qu’elle ne reste pas toute seule, l’un de mes garçons partait donc au mois de juillet et l’autre au mois d’août. Pendant ce temps-là, j’allais faire les colonies pour mon mois de vacances. Je n’avais pas un moment de répit ! Mais, il fallait bien acheter les livres et les fournitures pour la rentrée…

Retours en Martinique

Je ne sais plus exactement quand je suis rentrée en Martinique pour la première fois mais longtemps après. Je crois que c’est en 79, un truc comme ça. Quand je suis passé titulaire à l’école, il fallait travailler pendant deux ans sans prendre de vacances pour pourvoir cumuler ses congés ! Ce n’était donc pas facile…

Les Antilles ne manquaient pas du tout à mes enfants. Ils se sont bien adaptés ici ! Aujourd’hui, lorsque mes enfants y vont en vacances, ils y restent un mois maximum, sauf mon fils aîné, qui est déjà la retraite et qui y retourne un peu plus souvent. Et oui, j’ai un fils de soixante ans ! Il ne faut pas oublier que je suis née en 24 ! J’ai même un petit-fils qui a déjà trente six ans. En tout, j’ai quinze petits-enfants et onze arrière petits-enfants. Ils vivent tous en France. Aucun n’est allé s’installer aux Antilles. Ils y vont juste pour les vacances.

J’ai pris ma retraite en 89 et en 90, je suis partie en Martinique en croyant que j’allais rester. J’ai passé un an sur place mais après, j’ai voulu rentrer. Ce n’était plus pareil… Peut-être que si j’avais trouvé maison, les choses auraient été différentes ! Mais j’ai cherché sans succès… J’avais encore quatre sœurs et un frère là-bas ! Seulement, je ne pouvais pas vivre définitivement chez eux. Même si c’est la famille, on n’est pas à l’aise. Je suis donc repartie… Dorénavant, j’y retourne de temps en temps, pour deux où trois mois…

Sarcelles aujourd’hui : moins de respect et plus de violence

Au début, je trouvais que Sarcelles, c’était du gâteau ! Par exemple, lorsque je dormais le soir, ma fille était complice de ses frères qui sortaient et rentraient en cachette. Ils n’ont jamais eu de problèmes. De ce point de vue, il me semble que Sarcelles s’est beaucoup dégradée… Dans mon quartier, il y a maintenant tellement de vacarme avec les petits jeunes ! Avant, il n’y avait pas tout ça ! De ma fenêtre, je les voyaient jouer au foot alors qu’aujourd’hui, ils sont toujours en train de se chamailler, en train de se battre… Ce n’est donc pas pareil ; c’est plus violent…

Certains de mes petits-enfants vont bientôt avoir vingt-huit ans et quand leurs copains faisaient quelque chose qui n’était pas bien, je les disputais et tout le monde m’obéissait. Mais, cela ne m’empêchait pas de faire des gâteaux le dimanche et de leur proposer : « Montez chercher votre gâteau ! » Il y avait des Africains, des Algériens, le monde entier ! J’en faisais pour toute la bande.

Et bien une fois, lorsque je suis sortie aux Antilles, Steeve m’a dit : « Mamie, tu sais quoi ! Quand tu parlais aux grands frères, ils t’obéissaient. Mais ceux-là, il ne faut rien leur dire… » Ça se voit ! C’est une autre génération… Je trouve qu’il y a moins de respect… Mais, on ne m’a jamais dit quoi que ce soit ! Si j’affirmais le contraire, je mentirais ! Ici, que ce soient les grands ou les petits, tout le monde m’appelle Mamie, Mamie, Mamie, Mamie. Tout le monde ! Pourtant, je sens bien que les choses ont changé, que c’est différent… Rien qu’entre mes petits enfants, Steeve et Frédéric, et les petits jeunes de maintenant, ça n’a plus rien à voir…

Guadeloupéens et Martiniquais à Sarcelles

Á Sarcelles, il y a beaucoup d’Antillais mais je ne sais pas si l’opposition entre Guadeloupéens et Martiniquais se retrouve ici parce que franchement, je reste dans mon petit coin. Tout ce que je peux dire, c’est que les amis de mes enfants étaient tous guadeloupéens et qu’il n’y a jamais eu de problème avec eux. Ils sont toujours restés bien jusqu’ici…

Pour autant, je pense que les différences existent encore. Je ne dis pas que les Martiniquais sont meilleurs que les Guadeloupéens ou inversement ! Il y a des bons et des mauvais des deux côtés. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac…

Je ne saurais pas dire si les Antillais élèvent leurs enfants avec plus de dureté que les autres. En tous cas, concernant les miens, je sais que mon fils aîné a sorti un jour à ma fille : « Suzy, j’espère que tu n’élèveras pas tes enfants comme maman nous a élevés… » Alors moi, j’ai dit : « Heureusement que je vous ai élevés comme ça ! » Les jumeaux de ma fille, je m’en suis occupé de la même manière que mes enfants et aujourd’hui, ils ont beaucoup de respect pour moi. Dès qu’ils ont un problème, ils viennent me trouver pour faire la part des choses…

Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières pour élever mes enfants à Sarcelles. Au début, mon dernier fils Jean-Luc allait à l’école Pasteur, ma fille Suzy, au Haut du Roy et mon deuxième fils Patrick, à Anatole France. Comme je n’avais pas les moyens de les envoyer à la cantine, je leur préparais à manger le soir pour le midi. J’avais le marché à mes pieds mais je n’avais le temps d’y aller que le dimanche. Dans la semaine, j’achetais tout ce qu’ils me fallait dans le VII ème et je remontais avec mes courses. Ensuite, Suzy est allée à l’école à Paris et Patrick à Gonessee. Ils avaient une bourse qui leur permettait de manger à la cantine. Ils prenaient la cantine sur la bourse et me donnaient le reste.

Départ à la retraite

Á mon travail, je n’ai pas eu de problèmes liés au fait que j’habitais Sarcelles. J’étais bien à la cuisine de l’école ! Il n’y a qu’à la fin que j’ai eu des soucis avec la dernière directrice, une fille qu’on venait juste d’embaucher. Mais, je ne me suis pas laissée faire ! J’ai même été convoquée chez elle par l’inspecteur. Il m’a dit : « Vous savez Madame Mnémosine, trop c’est trop ! » et il m’a lu toutes les lettres que la directrice lui avait écrites. Je l’ai donc écouté attentivement puis je lui ai parlé franchement : « Monsieur l’inspecteur, dites-moi tout de suite que la directrice veut que je m’en aille ! Vous savez, j’ai eu connu avant elle Madame Chevalier, Madame Georget, Madame Angla, et elles n’ont jamais eu à se plaindre de moi. Alors, si celle-là me trouve des défauts, c’est dommage mais elle s’en ira avant moi… » Je n’ai pas bougé ! Même si elle est partie après moi. Mais, je le faisais exprès car j’étais sur la fin. J’étais tout près de la retraite…

Et finalement, lorsque je me suis arrêtée dix jours parce que j’étais fatiguée, une collègue m’a téléphoné. Á l’école, tout le monde m’appelait Mamie ! Elle m’a dit :
« - Tu sais Mamie, la directrice va faire une fête pour toi ! Pour ton départ ! Elle a déjà tout prévu !
  Ce n’est pas vrai ! »
Ce fut une belle fête. J’ai eu plein de cadeaux de la part des parents dont j’avais gardé les enfants en maternelle : des Portugais, des Espagnols, des Chinois, etc. Il y avait tout le monde ! Des élèves qui étaient désormais au collège, Monsieur le maire, etc. La directrice m’avait même dit : « Vous pouvez inviter vos enfants à venir ! » Pourtant, elle avait tout fait pour que je parte ! Mais, comme je suis butée… Il n’y avait pas de raison !

Á Sarcelles, je n’ai pas connu de moments difficiles. Je ne voyais pas le temps passer ! J’avais une vie bien remplie ! Depuis que je suis à la retraite, je m’occupe de mes petits-enfants. Il y en a tellement ! Même ma fille ! Le soir, elle passe souper avant de rentrer chez elle ! Je lui prépare sa gamelle pour le lendemain…

Message aux jeunes

Il faut qu’ils tiennent le bon bout, qu’ils ne se laissent pas influencer par les autres, qu’ils ne fassent pas pleurer leurs parents et qu’ils soient honnêtes, afin de marcher la tête haute… Pour améliorer Sarcelles, il faudrait que chacun se tienne à carreaux, pour ne pas se battre, tomber dans l’alcool ou la drogue et faire des bêtises. Á partir de là, tout le monde pourra vivre en paix, la main dans la main… La paix est la seule chose qui manque ici… Alors, pas de rancune, pas de haine !


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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