Pas de Calais rural
Des habitants marqués par la guerre
Mme Maquet née en 1925
Madame Maquet née en 1925 à Radinghem
Papa est parti sept ans à l’armée. Il a été rattrapé par la guerre après voir fait son service militaire. Nous étions une famille nombreuse, de 11 enfants avec une différence d’âge importante entre celle née avant la guerre 14 et ceux nés après… Maman était enceinte quand il est parti faire son service. Ils se sont mariés par procuration. Ma mère devait se débrouiller… Mon père a eu deux frère tués lors de cette guerre. Nous respections beaucoup le 11 novembre, les services à l’église et toutes les cérémonies liées à la guerre 14. Mes parents étaient de petits agriculteurs qui possédaient deux chevaux. Mon père allait faire la moisson chez Monsieur Debuire.
A l ‘école, les garçons et les filles étudiaient dans la même classe mais les garçons étaient installés d’un côté et les filles de l’autre. Nous y allions vers 5 ans jusqu’au Certificat d’Etudes. Les garçons portaient une blouse grise et les filles une blouse à carreau boutonnée derrière. Maman nous les confectionnait. Elle avait appris la couture auprès de son père tailleur de métier. Elle nous confectionnait presque tous nos vêtements. Nos portes plumes et cahiers étaient donnés par la commune. Il fallait en prendre soin… L’instituteur vérifiait la propreté des élèves quand chacun rentrait en classe le matin, notamment les oreilles de certaines personnes. Quand l’inspecteur passait, il fallait que tout soit nickel et se mettre debout de suite. Papa cirait toutes nos chaussures le dimanche après midi. C’était sa corvée. Il n’allait donc pas aux vêpres, lesquelles étaient plus suivies par les femmes que les hommes. Papa allait à la messe avant de faire sa petite partie de carte au café.
Quand nous tuions un cochon, nous en offrions un morceau à Monsieur le curé et un à l’instituteur. À chaque ducasse et aux communions, maman apportait toujours un gâteau à la famille Debuire et à monsieur le Curé qui a fait nos 11 communions. Le livre de communion, le missel blanc, la robe de communion et l’aumônière se sont passés entre toutes les sœurs. Ma grand-mère maternelle était repasseuse. La veille de la communion, nous allions donc chercher la robe repassée et accrochée. Ma grand-mère voulait toujours que nous allions la chercher le soir, car "si jamais vous rencontrez une vache et qu’elle se frotte sur la robe… Il faut venir le soir quand toutes les vaches sont rentrées !". Le chapelet était souvent offert par la marraine. Après la messe, nous faisions un repas avec un potage avec du bœuf ou de la poule et du rôti. Nous avions tué le cochon pour l’occasion. Nous avons fait notre communion privée à 7 ans puis la communion solennelle. Mon parrain était assez aisé et pour se montrer, il m’avait payé et offert un gros cierge très joli comme cadeau de communion. J’ai dû le laisser à la paroisse et je n’ai pas eu de cadeau…
La confirmation se faisait tous les trois ans, lors de la venue de l’évêque. Nous nous rendions à plusieurs à Fruges, tôt le matin. Nous portions la robe de confirmation dans un gros carton et nous nous habillions dans le petit café d’Irma, à la côte de Saint Omer, avant d’aller à l’église.
Le 15 août, nous participions à une procession organisée vers la chapelle du château. Nous respections les deux neuvaines et allions à la messe tous les jours pendant 9 jours. Nous n’avions pas le choix avec nos parents. Il fallait y aller. Les garçons, enfants de choeur du village, devaient aller à la messe avant d’aller à l’école. Ils étaient plusieurs à servir la messe, chacun leur tour pendant une semaine. Nous allions aux cours de catéchisme le dimanche et le jeudi, garçons et filles. La neuvaine de février était la Sainte Apolline. La deuxième neuvaine se passait à Ecoufflans en septembre. Nous y allions tous les ans. On nous y envoyait à pied à la messe du jeudi, toute une équipe du catéchisme. Il fallait être à jeun pour recevoir la communion. Nous emmenions un casse-croûte que nous mangions sur place après la messe. Nous revenions souvent pour le midi. Le dimanche, papa nous y emmenait en voiture à cheval
La fête du sacré-cœur du mois de juin était la grande fête de la ferme. Les patrons Debuire donnaient congés à leurs ouvriers toute la journée. Une grande cérémonie et procession étaient organisées le soir autour de la cave aux vins à côté de l’église.
Le prêtre passait tous les ans dans les maisons. Il faisait la quête de carême avec l’ancien maire Jules Truite. Ils buvaient une petite bistouille par maison et étaient particulièrement gais. Nous allions lui souhaiter la bonne année ce que nous avons également continué étant adulte.
Monsieur Hazebrouck poussait les élèves à obtenir leur Certificat d’Etudes. J’ai commencé avec lui avant qu’il parte à la guerre. Il a eu jusqu’à 52 élèves dans trois classes, cours préparatoire cours élémentaire et cours moyen. On n’entendait rien dans les classes… La mairie nous offrait un dictionnaire pour notre Certificat d’Etudes.
L’instituteur était aimé des familles. Il faisait même des piqûres à l’occasion d’une maladie. Quand nous avions obtenu un Certificat d’Etudes dans la maison, nous l’invitions à déjeuner ou dîner avec sa femme. On ne bougeait pas de table… On avait peur. Papa ne disait rien mais maman faisait la loi.
Aussitôt l’école finie, vers 15 ans, nous devions souvent aller travailler dans la maison Debuire faire les betteraves, le foin. Une grande partie du village y travaillait. Des bonnes faisaient la cuisine et entrenaient la maison. Tout le village a dû participer aux moissons et vivait avec la ferme Debuire. Les patrons Debuire ne travaillaient pas.
Les enfants Debuire allaient à l’école à Fruges. Nous ne les voyions pas. La tante qui les élevait était très très bonne pour notre grande famille. Nous n’étions pas aisés. Elle nous donnait des habits que nous portions tous les uns après les autres. Mademoiselle Debuire était la marraine du dernier né de la maison. Les Forster étaient amis avec les Debuire mais nous les voyions uniquement pendant les vacances. Ils avaient de belles voitures ! Monsieur Forster partait avec son chauffeur Norbert quand madame se promenait à pied, avec sa mère et ses deux chiens. Elle ne se promenait jamais avec son mari. Norbert s’occupait un peu de l’entretien du château. Le concierge, jardinier était Joseph Lemaire.
Nous allions biner les betteraves, faire du foin. Nous devions laver à la main, raccommoder, repasser. Chacun avait son petit boulot. L’une faisait le raccommodage, l’autre le repassage. L’aîné des filles est partie en service chez les parents de Monsieur et Madame Debuire à Aire-sur-la-Lys. Nous avions un fournil où l’on mettait la machine à laver, une boule avec du feu en dessous. Quand ça bouillait, il fallait tourner une demi-heure. Nous utilisions du savon vert, savon blanc et des cristaux. Nous faisions la lessive toutes les semaines, le lundi, et nous ne nous changions pas tous les jours ! Maman lavait parfois des tabliers le dimanche pour que nous puissions les mettre dès le lundi. Au printemps nous lavions toutes les couvertures, la grande lessive… Comme nous étions une grande famille, nous n’allions pas tellement dans les champs. Nous avions assez de travail à la maison.
Le lard faisait partie de tous les menus. Nous mangions du bouillon le dimanche. Maman allait tous les samedis au marché vendre le beurre et les œufs. Les enfants y allaient chacun leur tour pendant les vacances, au départ à pied, puis en voiture à cheval avec papa. Papa allait également vendre des pommes à la saison. Il en gardait pour faire du cidre mais vendait les belles pommes, "les pommes au couteau". Il les vendait aux grandes maisons à Fruges et nous mangions les autres. Les pommes au four étaient notre menu du soir pendant l’hiver. Nous n’étions pas privés en légumes… nous avions de tout ! Papa s’occupait beaucoup du jardin. Dès que possible nous allions lui donner un petit coup de main. Même en ayant beaucoup de travail mes parents avaient le temps de passer chez les voisins. Maman trouvait le temps d’aller rendre des visites aux autres femmes du village dans les après-midi. On rencontrait les gens à l’église au café mais il ne reste rien….
La procession des rogations avait lieu avec l’abbé Masset entre l’Ascension et la Pentecôte. Nous étions encore à l’école quand il allait dans la campagne bénir la récole. Les rogations duraient souvent trois jours le matin du jeudi au samedi. On disait monsieur le curé promène ses femmes car seules les femmes le matin en semaine pouvaient assister à sa messe et à la procession. Les fêtes du village étaient essentiellement religieuses sauf la ducasse de juillet Sous l’abbé Masset, nous avions fait une grande fête pour la bénédiction du calvaire implanté avant le village.
En 1940, les réfugiés sont arrivés le jour de la communion d’une petite fille à maman à Fruges. Revenus à la maison, mes parents ont découvert des Belges installés chez nous, couchés à même le carrelage. Ils fuyaient et sont partis le lendemain matin très tôt. Nous n’avions plus de quoi faire du pain et devions aller chez le meunier à Bellefontaine chercher de quoi en faire. Cela n’a duré que quelques jours. Nous avons également vu les soldats français s’enfuir… et les allemands sont arrivés…Nous camouflions les cochons pour que personne ne les prenne.
Les allemands étaient corrects à Radinghem mais il fallait faire attention quand ils étaient saouls car ils buvaient ! La famille Villain dont la maison se situait au-dessus des étables à vaches du château, avait peur quand les allemands arrivaient de leurs soirées. Ils voulaient à tout prix rentrer pour voir les femmes. Les allemands étaient nombreux au château.
Papa était agriculteur et en même temps garde champêtre. Il allait voir le maire une ou deux fois par semaine. Il portait les papiers de la mairie et secondait souvent Monsieur le Maire, Monsieur Ferdinand Debuire. Il était déjà garde champêtre pendant la guerre 39/45 sous le mandat de Monsieur Jules Truite. Les allemands lui en ont fait de belles. Jules Descamps a remplacé mon père comme garde champêtre dans les années 50.
Le maire et le garde champêtre ont été menacés par les allemands. Le grand marais était rempli de bidons d’essence allemands. Des enfants avaient enlevé les bouchons. Les allemands sont alors allés voir le Maire et l’ont menacé « s’il ne retrouvait pas les bouchons pour le soir, ils prenaient des otage s ». Papa, le maire et d’autres personnes du village se sont mis à la recherche des bouchons… Nous avons eu peur que tous les jeunes garçons partent en otage…
Un de mes frères, Abel, devait partir au STO. Il est resté travailler ici au bois et plusieurs jeunes comme lui se sont camouflés. Les allemands nous ont averti avant de faire sauter le château. Grand papa ne marchait plus, mon père l’avait alors mis dans la brouette pour l’emmener. Nous sommes allés vers Mencas avec le père Ducros et Germaine. La famille Villain était déjà partie dans l’après-midi. Tous leurs carreaux étaient cassés dès l’après-midi. Ils sont d’abord partis au petit marais au bout du village puis vers Mencas quand les allemands sont repassés en voiture demander à tout le monde de partir. Tous les allemands sont partis après cette destruction…C’était une catastrophe. Nous avions caché nos chevaux dans un petit-bois derrière la maison pour éviter qu’ils nous les prennent.
Lors des bombardements, les familles Truite, Descamps et Macquet, partaient le matin à Mencas. Nous avions peur. Nous allions chez des habitants dans un logement. Nous apportions du pâté, des pommes de terre que nous cuisions. Nous formions une grande famille.
Je n’ai eu qu’un vélo à 20 ans. On ne se déplaçait pas tellement. Je ne suis jamais allée au bal avant la guerre. La neuvaine de Sainte Apolline se terminait par un bal le dimanche après les vêpres. Beaucoup de jeunesse venait aux vêpres pour aller au bal. Même les incroyants venaient aux vêpres pour pouvoir rester à la fête. Nous y allions tous en groupe, en famille. Il fallait être rentrés pour telle heure… La ducasse de juillet était la fête du village.
Nous avons commencé à sortir après la guerre. Des kermesses se sont quand même tenues dans les paroisses entre 40 et 45. J’y ai rencontré mon mari. On rencontrait des jeunes qui habitaient aux alentours du village. Mon mari était de Wandonne. Il était mécanicien à Fruges. Nous nous sommes mariés en 1949.
Les cadeaux de mariage se résumaient à de la vaisselle et du linge de maison. Seuls les parrains marraines offraient quelque chose. Nous n’invitions pas les gens pour recevoir des cadeaux. Les parents nous aidaient en nous offrant des meubles, la chambre à coucher, une table de cuisine, des chaises. Nous ne pouvions pas inviter tout le monde dans les familles mais deux ou trois personnes.
Pour les mariages, il n’y avait qu’un repas sur une journée avec uniquement la famille. Le repas, comme le bal, avait lieu dans une étable et ce pour tout le monde… comme pour les communions. On ne dansait pas. On chantait. Après la messe de mariage, on passait dans les trois ou quatre cafés du village. Le lunch avait lieu dans un café et l’on continuait à prendre un verre dans les autres pour ne pas faire de jaloux. Nous rentrions manger et chantions. Certains racontaient des histoires…
Lors des cérémonies, le marié commençait le cortège avec sa mère et la fille le clôturait avec son père. Une nièce coiffeuse à Paris m’avait coiffé le matin de mon mariage. Nous allions à la mairie et à l’église à pied
Le patron de la carrière de Dennebroeucq habitait à Fruges. Il allait au garage où travaillait mon mari et avait souvent affaire à lui comme mécanicien. Il lui a offert un meilleur salaire pour partir conduire un camion à la carrière. Il revenait toujours à la maison au volant de son camion. Je préférais que mon mari fasse ce métier-là plutôt que la culture même s’il travaillait assez tard en tant que chauffeur.
Je n’avais pas d’enfant et allais beaucoup aider mon père et ma mère dans leur petite culture qu’ils avaient conservée. Tous mes frères et sœurs étant partis travailler, mes parents n’avaient pas une grosse retraite. Ils ont continué à travailler jusqu’à 70 ans. Mes frères qui habitaient le village avaient leur propre travail chez eux, leur petite culture… La mécanisation a été la mort du village. Tout le village était occupé avec la ferme Debuire et celle des Truite.
Mon mari avait ses congés… mais nous ne pensions pas prendre de vacances… Dès que nous avons eu une voiture, un cabriolet coupé acheté d’occasion, nous partions le dimanche matin pour pique niquer la journée. Il passait ses vacances à construire lui-même notre maison. Notre premier voyage fut Lourdes pendant une semaine vers 1955. La vierge était importante pour nous. Nous sommes partis en pèlerinage avec un groupe d’Arras.
Nous utilisions la pompe à bras extérieure à la maison. Nous continuions à laver à la main. Nous avons une machine avec un tambour en cuivre sur un foyer. J’ai eu une machine électrique dès mon mariage… une des premières de la commune. La patronne de la maison était alors la machine à laver.
Nous n’avons jamais vu le docteur. Nous soignions les rhumes avec du sirop de navet et du cataplasme de farine de moutarde. Le docteur venait de Fruges ou Fauquembergues. Nous étions vaccinés contre la variole dès l’école. Nous n’allions pas chez le dentiste comme aujourd’hui et sainte Apolline ne soignait pas les dents même si ça se disait. On restait avec le mal de dent. On nous disait " tu n’as pas prié assez sainte Apolline !"
Après la nouvelle année, nous commencions les séries. Nous allions de maisons en maisons de janvier à sainte Apolline. Il fallait avoir fini pour cette neuvaine et commencer le chapelet, "le salut". On ne pouvait donc plus aller à la série. Nous allions dans tout le village plusieurs fois par semaine car la famille était grande... Cela durait bien six semaines. Ma sœur aînée tenait un café à Fruges, nous y allions souvent. Après séries, on faisait bourdy… « À bourdy séries finies » Il fallait s’arrêter d’aller à la série. " À bourdy on brûlait touchez talus ….."
Noël n’était pas marqué. C’était une fête religieuse sans cadeau. Nous attendions plus la Saint Nicolas. Nous mettions nos bas ou chaussures dans la cheminée et nous attendions… Nous allions voir ce qu’il y avait dedans le lendemain matin. Il y avait un chocolat, une orange, un Saint Nicolas en pain d’épice. Nous continuons à la souhaiter aux jeunes gens…
Vous pouvez retrouver l’intégralité des témoignages sur le monde rural du pays des 7 vallées, Radinghem, dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/nous-entrerons-dans-campagne-pays-7-vallees-pas-calais-au-cours-20eme-siecle.htm