Parisien pur jus, sarcellois pur jus
J’ai toujours habité le bâtiment de l’allée Rodin.
Mr Louis Benamer
texte Frederic Praud
L’après-guerre à Paris
Je suis né à Paris en 1921…. et je suis arrivé à Sarcelles en 1960. Mes parents, qui habitait dans le XIIIème arrondissement, n’ont pas eu d’autre enfant que moi. J’étais fils unique. Pendant la guerre, j’ai été envoyé en Allemagne pour le STO et j’ai été libéré par les Américains en 45. Mais, lorsque je suis rentré chez moi, j’ai appris une mauvaise nouvelle… Ma mère était morte huit mois auparavant, le 11 novembre 44. et je n’étais pas au courant… En Allemagne, nous n’avions aucune nouvelle ! Même pas par la Croix Rouge ! Arrivé à la maison, j’ai demandé : « Tiens, où est maman ? » et mon père m’a annoncé : « Tu sais, ta mère n’est malheureusement plus là… Elle est morte… » Rien que d’y penser, ça me fait pleurer… Mon père est décédé quelques mois plus tard…
Entre temps, ma femme que j’avais connue avant-guerre m’a rejoint. On s’est mis en ménage, puis on s’est mariés. C’était au mois de décembre 45. J’avais vingt quatre ans et elle vingt et un. Nous étions jeunes et pleins d’espoir comme on dit ! Mais, on s’en est quand même sorti… Je travaillais dans la restauration et ma femme vendait des fleurs. Seulement, au bout d’un certain temps, j’en ai eu marre d’être sur la brèche du matin au soir et j’ai changé de métier. J’ai passé des concours et je suis rentré aux PTT ; c’était plus tranquille…
Á ce moment-là, c’était bien ! J’avais l’emploi et le logement assuré ! Il faut dire qu’avant-guerre, mes parents et moi vivions dans des taudis ! Chez nous, dans le XIIIème, il n’y avait ni WC, ni eau courante, ni électricité ! Rien ! Nous n’avions qu’une seule pièce et on se débrouillait comme on pouvait ! Je n’étais pas malheureux pour autant car je mangeais quand même à ma faim… Ma mère faisait la marchande de quatre saisons, sur son petit étalage, et mon père bricolait un peu, comme ça…
Avec ma femme, nous nous sommes installés dans une petite chambre du Ier arrondissement mais nos conditions de vie n’étaient pas différentes, même si nous avons réussi a avoir un peu d’eau. C’était vraiment dur… Maintenant, ils ont transformé ça en studio et ça coûte cher d’habiter là-bas ! D’ailleurs, ils ont tout fait pour nous vider à l’extérieur ! C’était leur politique ! Même en ce moment, ils achètent des immeubles en blocs pour revendre les logements au détail et ceux qui sont dedans doivent payer ou partir…
J’ai été embauché à la Poste en 47. J’y suis resté trente sept ans, jusqu’à la retraite, c’est-à-dire jusqu’en 84. Entre 45 et 60, nous avons habité le même logement, celui du Ier arrondissement. Nous avons eu deux enfants là-bas, Nicole et Martine. Je ne sais pas combien de mètres carrés ça faisait mais c’était vraiment petit ! On dormait dans deux lits superposés : ma femme et moi en bas et nos deux filles en haut. On était vraiment serrés !
Après-guerre, la vie était chère ! C’était le marché noir à plein tube ! Par exemple, pour notre mariage, nous avons dû mettre de côté des tickets pendant six mois ! Pour le vin, pour ceci, pour cela, pour tout ! Et nous n’étions pas très nombreux ! Une quinzaine d’invités, pas plus. C’était en décembre 45 mais ça a duré comme ça pendant quatre ans… Ce n’était vraiment pas drôle… Il n’y avait pas d’obésité à ce moment-là ! Il est vrai que depuis, j’ai pris un petit peu. Et encore, je n’ai pas à me plaindre ! Certains sont plus forts que moi !
Sarcelles au début des années 60s
Quand nous nous sommes installés à Sarcelles en 60, les enfants étaient contents. Nicole et Martine cavalaient dans toutes les pièces. Elles étaient heureuses ! Ça changeait de ce que l’on avait à Paris ! Par contre, l’ambiance déplaisait à ma femme. Dans le I er arrondissement, elle était plus chaleureuse. Il y avait beaucoup de monde. D’ailleurs, si notre logement avait été un peu mieux, nous serions sans doute restés là-bas ! Ma femme préférait cent fois vivre à Paris plutôt qu’à Sarcelles ! Mais à l’époque, les choses étaient bien différentes… La ville était beaucoup plus calme, beaucoup plus propre, beaucoup plus correcte…
J’ai toujours habité le bâtiment de l’allée Rodin. Quand nous avons emménagé dans l’appartement, il était tout neuf ! Personne ne l’avait occupé avant nous ! Les travaux de construction venaient tout juste d’être achevés. Je fais donc partie des premiers habitants de l’immeuble. J’ai obtenu ce logement par La Poste auprès de laquelle j’avais fait une demande. Lorsque je suis arrivé ici, il y avait vingt pour cents de militaires et quatre-vingt pour cents de postiers. Nous étions quasiment tous des postiers ! Mais aujourd’hui, c’est fini… Ça n’existe plus… Tout le monde est mélangé…
Á ce moment-là, Sarcelles, c’était beaucoup mieux ! C’était plus propre, plus net, on respectait tout. Il ne fallait pas marcher sur l’herbe, etc. Seulement maintenant, ça s’est dégradé… Comme je n’ai jamais eu de voiture, je prenais le train pour aller travailler à Paris. Mais, la gare de Sarcelles n’était pas encore construite ! Il y avait juste une petite baraque de rien du tout, où se tenait une petite dame à qui l’on achetait un billet pour la semaine. Á l’époque, il y avait encore les poinçonneurs.
En 60, du côté où j’habite, les travaux de construction étaient terminés. Par contre, il n’y avait pas encore les Flanades. En fait, j’ai tout vu sortir de terre petit à petit. Au départ, dans le quartier, on s’entendait bien mais on s’ennuyait un peu… Ce n’est pas pour rien qu’on a parlé de Sarcellite… Ici, c’était la ville dortoir, c’est-à-dire qu’il n’y avait rien pour s’amuser, pas de cinéma, etc. … Alors, celui qui ne possédait pas de télé et qui voulait se promener était obligé de prendre le train pour aller à Paris…
C’était donc un peu triste et ma femme n’a pas beaucoup aimé… Quant à mes filles, ça leur était égal car elles avaient de l’espace pour jouer. Il y avait moins de voitures dans les rues et c’était plus facile pour elles. Ce n’était pas le même genre… Par contre, ma femme qui était fleuriste aux Halles devait prendre le train tandis qu’avant, elle avait juste quelques pas à faire. En plus après, il a fallu qu’elle aille à Rungis ! Ça lui faisait donc tout un périple ! Pour elle, c’était un sacré changement ! Entre avoir son boulot à sa porte et l’avoir à dix kilomètres, ça fait une différence ! Toujours est-il qu’elle ne pouvait pas faire autrement… C’était son travail… Elle vendait des fleurs en gros…
Sarcelles d’hier à aujourd’hui
Depuis que je suis à Sarcelles, j’ai rarement fréquenté le Village, même lorsque ma fille Martine y a habité quelques temps, après s’être mariée. Aujourd’hui, il m’arrive de m’y rendre de temps en temps, lorsqu’il y a une fête à la salle Malraux. Au Village, ce n’était pas le même genre de vie que dans le Grand Ensemble… C’était peut-être un peu plus agréable parce qu’il y avait des boutiques à côté. Mais pour y aller, il faut prendre le bus ! Sinon à pied, ça fait une drôle de trotte ! Alors, je n’avais aucun intérêt à aller là-bas…
Mon quotidien se cantonnait essentiellement à mon quartier et aux Flanades. Mais, je n’étais pas présent dans la journée ! Le matin, je prenais le train pour aller au travail et je ne revenais que le soir. Au centre à l’époque, il y avait des boutiques qui ne sont plus là aujourd’hui. Tout est parti ! Il n’y a plus rien ! Á cause de Leclerc, les petits commerces ont disparu : la boulangerie, le boucher, etc. … Avant, on trouvait tout ce qui fallait ! Il y avait une vie de quartier… Du côté de la gare, là où les bâtiments se sont complètement écroulés, c’était bien avant ! J’ai connu ce coin-là ! Mais maintenant, il n’y a plus rien…
Je préférais l’ancien Sarcelles… Nous étions plus tranquilles ! Il n’y avait pas les graffitis et tous ces trucs que l’on peut voir actuellement ! Il y avait plus de discipline, c’était plus correct et on était mieux… Aujourd’hui ici, on est tous mélangés ! Il y a beaucoup d’immigrés qui viennent de tous les pays, du monde entier, et je ne sais pas où tout ça va nous conduire… Mais à l‘époque, on n’en voyait pas du tout ou très peu ! Les gens de La Poste ou de la Police venaient également d’un peu partout, des Antilles, etc., mais ils étaient métropolitains ! Ce n’est pas tout à fait pareil…
Franchement, j’ai été davantage marqué par l’histoire de Paris que par celle de Sarcelles. J’ai vu les Allemands rentrer dans la capitale et c’est quelque chose que je n’oublierai jamais ! Mes copains se sont tous débinés alors que moi, j’ai préféré rester sur place. Partir d’accord, mais pour aller où ? Tout le monde prenait sa voiture, son camion, pour s’enfuir. Moi, l’exode, je ne l’ai pas fait ! Quand ils ont entendu à la radio que Paris était ville ouverte, mes parents ont dit : « On reste-là et on verra bien… » Ce n’était pas Sarcelles ça ! Je sais ce que c’est qu’une ville morte ! Tout était fermé ! Il n’y avait rien du tout ! Les boutiques, les magasins, tout a fermé d’un seul coup…
Dans les années 60s, Sarcelles était peut-être une ville dortoir mais ça n’avait rien à voir. Ce n’était pas comparable… Les gens partaient tous les jours travailler à Paris et presque personne ne restait là dans la journée. Alors ici, il n’y avait rien… Par exemple, je suis jamais allé au cinéma à Sarcelles, même si dans les années 70s, il y en avait un aux Flanades. D’ailleurs, je crois qu’ils ont dû le fermer parce qu’il prenait l’eau…
Je vis à Sarcelles depuis quarante six ans et je trouve vraiment triste de voir des jeunes sans travail rester toute la journée devant les entrées d’immeubles à discuter. Avant, on ne voyait pas ça… Mais, ce qui est drôle, c’est que ce sont toujours des garçons ! Jamais des filles ! Alors, pourquoi restent-ils comme ça à ne rien faire ! Pourquoi ne restent-ils pas chez eux à étudier, à bosser et essayer de s’en sortir ? Je ne sais pas ce qu’ils ont dans la tête ! Je n’arrive pas à comprendre… Est-ce parce que les parents n’acceptent pas qu’ils amènent leurs copains chez eux ? C’est peut-être ça… Je ne sais pas… En tout cas, ma femme n’aurait jamais accepté que nos enfants traînent dans la rue comme ça…
Seul mon fils, le dernier, est un vrai Sarcellois. Mes deux filles ont grandi ici mais sont nées à Paris. Aujourd’hui, Martine est proviseur d’un collège à Garges, Nicole vit à Nîmes et mon fils est responsable du personnel dans une clinique. Je crois que tous ont bien réussi leur vie… Mais, ils ont bossé pour ça ! De toute façon, il n’y a pas de secret ! C’est en travaillant qu’on y arrive ! Pour parvenir à quelque chose, il faut y aller ! Il faut bien apprendre à l’école, écouter papa et maman et ne pas voir peur…
Le marché de Sarcelles a toujours existé et il est très réputé. C’est l’un des plus grand de la région parisienne et beaucoup de gens viennent de lion ! Il a lieu trois fois par semaine. On y vend énormément de choses pas chères, la plupart du temps fabriquées en Chine. Ils vont tous nous enfoncer les Chinois si ça continue ! Mais, il est rare que j’achète là-bas. Je comprends tout à fait les gens qui le font ! Tout dépend de ce qu’on a dans le porte-monnaie comme dit l’autre ! Seulement moi, je préfère payer un peu plus cher et être tranquille. C’est pourquoi, je vais plutôt chez Leclerc. Après tout, chacun fait comme il veut !
En ce qui concerne la santé, à Sarcelles, tout a toujours été impeccable. Alors là, chapeau ! Ma femme, qui a eu toutes les maladies, avait seulement quelques pas à faire pour être soignée. Là-dessus, on ne peut rien à dire. Question médecine, il y a vraiment tout ce qu’ il faut. Et pour n’importe quoi ! Pour le scanner, pour la vue, pour se faire opérer, pour ceci, pour cela. Il suffit d’aller à la clinique du nord, en face ; les docteurs ne sont pas loin. Alors pour moi, c’est chouette !
Je n’ai jamais fait partie d’une association sportive de Sarcelles ou je ne sais quoi d’autre. Il faut dire que je ne suis pas très sportif, même à la télé ! Chacun ses goûts et ses couleurs ! Par exemple, j’ignore complètement qui a gagné le dernier Paris Roubaix. Ce genre de truc ne m’intéresse pas. Le Tour de France, c’est pareil ! Je ne le regarde jamais ! De même, je ne suis jamais allé au café. Je déteste ça. Je préfère boire un coup tranquille chez moi. Par contre, de temps en temps, quand des amis m’invitent ou inversement, je vais au restaurant.
En famille, on ne sortait pas souvent. Avec le travail que je faisais, je n’avais pas beaucoup de Week-ends ! Je travaillais deux nuits sur quatre. Alors, ça tombait aussi le samedi et le dimanche ! J’étais postier mais je bossais dans les gares, pour faire le tri du courrier. Ce n’était pas pareil ! Le facteur, lui, avait son dimanche ! Parce qu’avant, à La Poste, on travaillait même le samedi. Moi, j’étais dans les gares et comme je devais garder les enfants la journée pendant que ma femme travaillait, j’étais obligé de prendre des heures de nuit, deux jours sur quatre. D’ailleurs, lorsque mon fils est né un dimanche soir, je n’ai même pas pu assister à l’accouchement car j’étais au boulot…
L’important pour nous, c’était surtout les grandes vacances. Avec ma femme et les enfants, nous sommes toujours partis un mois l’été. C’était obligatoire. On allait en Vendée parce que ma femme aimait bien et nous y avions des amis. Alors, tous les ans, on partait un mois au bord de la mer, à Notre Dame de Monts. C’est joli la Vendée ! Il y a de belles plages sablonneuses…
Etre retraité à Sarcelles
Quand on est âgé, il faut marcher. Alors, j’ai pris mon parti de faire chaque jour une demie heure ou trois quarts d’heure de marche. Je ne peux pas toujours rester chez moi ! Mais à la maison, je ne m’ennuie pas pour autant ! Comme j’apprends l’anglais, ça me passe le temps. Et puis, j’ai des livres à lire, mes enfants m’ont offert des DVD, etc. Je vis comme un roi !
Pour changer un peu, je viens à la MJC et lorsque des promenades sont organisées, j’y participe. Par exemple, je suis allé dernièrement en Angleterre, à Londres, avec toute une équipe de retraités. Ma femme n’est plus là aujourd’hui… Je l’ai perdue, il y a un et demi… Alors, je ne dois pas rester tout seul à la maison ! C’est la raison pour laquelle je viens là. Je me suis mis à l’anglais depuis que je suis veuf, à la fois pour voir du monde, discuter, et pour faire marcher un peu mes méninges.
Si ma femme était encore vivante, je n’aurais pas commencé à apprendre l’anglais l J’aurais fait autre chose ! On aurait continué comme avant. On allait souvent faire les courses ensemble au marché de Garges. Ma femme aimait beaucoup ça…ça nous faisait de la marche. Là-bas, on peut y aller à pied ! Il suffit de traverser le pont, le chemin de fer, et de descendre sur la droite. Mais, ce n’était pas le même marché qu’ici ! Beaucoup de commerçants de Garges ne venaient pas là. Le dimanche, les bonhommes ne pouvaient pas se dédoubler !
Aujourd’hui, je profite de mon temps comme il vient. Je préfèrerais vivre à Paris si je pouvais ! Quoique, avec la pollution, je n’en sais rien… Tout ça est difficile…
Message aux jeunes
Malheureusement, quand je vois les jeunes de maintenant, je me dis qu’ils n’ont vraiment pas de chance devant l’avenir… J’en connais qui ont trente ans, un boulot, mais qui n’ont même pas les moyens de se payer un logement… Ils sont obligés de vivre chez leurs parents… Moi dans leur cas, je ne sais pas comment j’aurais fait ! Les miens, je ne les avais plus ! Quoi qu’il en soit, ce n’est pas drôle… Deux tiers des vingt-cinq trente ans vivent encore chez leurs parents… C’est ça le problème…
Les jeunes doivent serrer les dents… Il faut qu’ils apprennent bien à l’école car le Bac, ce n’est plus suffisant ! Même Bac plus truc ! J’ai un petit-fils qui est actuellement ingénieur en automatique et un autre qui est enseignant, marié avec une prof de français. Eux ont réussi mais parce qu’ils ont bossé ! Il faut travailler jour et nuit ! Moi, quand j’ai passé des concours, j’emmenais mon bouquin dans le train, au boulot ! J’apprenais tout le temps ! Le soir avant de me coucher, j’étudiais, je lisais, sans arrêt, sans arrêt ! Et bien au final, alors qu’il y avait mettons cinq cents candidats dans toute la France pour sept places, je suis arrivé cinquième. La deuxième fois, il y avait cinq places et je suis arrivé troisième. Beaucoup étaient plus instruits que moi mais ils se laissaient aller ! C’est pour ça qu’il faut bosser ! Il faut mordre, même si le résultat n’est jamais garanti… C’est ça la vie…