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Sarcelles : Benabar né en 1990
Sortir, c’est écouter de la bonne musique.
Il y avait « les forts ». Ils tapaient les « faibles », et les « faibles », ils se tapaient entre eux
jeudi 1er juillet 2010, par
Près du jeu de boules, c’était trop moche, et puis le parterre était en brique ! C’était cassé, c’était trop moche ! Par terre il y avait des crottes de chien ! C’était trop moche ! Il n’y avait pas de terrain, c’était trop moche ! Petit à petit, ils ont commencé à aménager. Aujourd’hui c’est trop beau gosse ! Mais il manque un terrain de foot. Moi j’habite à Chantepie.
Benabar
Je suis né en 1990, au bled. Au Zaïre. Je suis arrivé ici à l’âge de deux, trois ans. Je ne sais pas où je suis né, il faut demander à ma mère. Je ne suis jamais retourné là-bas. Ça ne m’intéresse pas pour le moment. Ma grand-mère habite chez nous. Elle raconte la misère. Ça me ne donne pas envie de savoir plus, comme elle la décrit. Elle me raconte toujours la misère. Il s’est passé ci, ça, c’est dur… Ça me saoule ! Ma grand-mère a dans les soixante-dix ans. Après ma mère me prend la tête avec mes oncles, mes tantes. Tout le monde prend la tête. Ça ne donne pas envie !
Arrivée à Sarcelles
Mes parents sont arrivés en 1992-1993. Au début il y a eu mon oncle ; il travaille à l’aéroport, puis il a fait venir ma tante. Après certains sont venus pour les études…na na ni na na na…Ma mère est née en 1952 et mon père je ne sais pas. Je connais son nom mais il ne vit pas avec nous.
Avant j’habitais à Garges. Mais là-bas c’est la misère ! J’ai des souvenirs, j étais tout petit. Ici à Chantepie, il y a de nouveau jeux, à Garges, il n’y en avait pas. Ils étaient toujours cramés. Tu ne peux pas t’épanouir ! Je n’ai jamais joué au foot à Garges ! Je vivais avec mes cousines aussi. On était six dans un grand appartement. Avec la famille c’était bien. La misère c’est quand il n’y a rien à faire. Quand ma grand-mère me parle de sa misère, ce n’était pas la même, c’était dur sa vie.
Banlieue parisienne
Ma mère travaille. J’ai habité dans la ville du club Dorothée à St Denis. C’était tout petit, gris, c’était tout moche, il y avait des voitures abandonnées. Je n’avais pas l’imagination des voitures sans volant. Après j’ai fait Sartrouville. C’était le top par rapport à toutes les villes que j’ai fait. J’avais des amis, il y avait des jeux, il y avait toujours un ballon. De six à dix ans.
Sarcelles avant
Vu de Sartrouville, Sarcelles c’était dangereux. Quand je suis arrivé, Sarcelles, c’était trop moche. Les portes des bâtiments étaient en bois. J’habite toujours au même endroit mais maintenant ils ont mis des portes en acier et des digicodes. Près du jeu de boules, c’était trop moche, et puis le parterre était en brique ! C’était cassé, c’était trop moche ! Par terre il y avait des crottes de chien ! C’était trop moche ! Il n’y avait pas de terrain, c’était trop moche ! Petit à petit, ils ont commencé à aménager. Aujourd’hui c’est trop beau gosse ! Mais il manque un terrain de foot. Moi j’habite à Chantepie.
Du jeu à la bêtise
On avait un petit coin où on jouait, et il y avait une maison. De la maison, on pouvait voir la cave. Il y avait un petit trou dans la cave et un balai de sorcière. Avec un copain, on était parti chercher des petits papiers. On a commencé à brûler le balai. Heureusement mon copain est resté. J’étais parti chercher du papier. J’ai vu qu’il se faisait embarquer, j’ai vu ça de loin. Le copain a ramené la police chez moi. Je me suis fait tuer, taper dur par tout le monde ! Ma mère, mes oncles ! Aujourd’hui, je pense qu’ils avaient raison. Je ne me rendais pas compte que je pouvais brûler une maison.
Classes et clans
En 2000 je suis arrivé à l’école de Chantepie, j’étais nouveau. Mon premier souvenir, c’était en bas de chez moi ; il y avait un garçon, Christophe B., je ne le connaissais pas, il ne me connaissait pas ; il est venu me voir : « Est-ce que tu me bats ? Viens on se bat ». Tous les jours je le voyais, tous les jours, il me disait ça. Et je partais à l’école. C’était très clan. La classe d’un tel contre la classe d’un tel, contre la classe d’un tel. C’était malsain.
Les durs et les sous-fifres
J’ai été surpris par rapport à d’autres lieux. Certains étaient des sous-fifres, ils se faisaient taper, d’autres étaient des durs. Je ne connaissais pas. A Sartrouville, il n’y avait pas ça. J’étais dans une petite résidence, Maxime Gorki, juste à côté de la cité des hommes. Je n’y traînais pas. C’était trop dangereux. J’étais avec mon frère, c’est tout.
Il n’y a que les filles qui nous intègrent vraiment. Avec les garçons, ce n’est pas possible. Elles sont moins violentes, elles sont là à tirer des cigarettes à des mains d’arbis, pour dire que les garçons étaient trop violents.
Le garçon qui tous les jours m’embêtait, un jour, on était encore à Chantepie, m’a posé la question, je lui ai répondu « je ne sais pas ». Il m’a rattrapé, m’a fait bouffer de l’herbe. Là je me suis battu, je lui ai mis sa part ! Après je l’ai remis à sa place. Il s’est énervé. Il est parti chercher une batte de base-ball et il a cassé la porte de mon bâtiment. C’était comme ça ! Aujourd’hui avec Mohamed, ce sont mes super potes, mais celui-ci, il me faisait la misère parce que j’étais nouveau. Ailleurs, ce n’était pas comme ça. Après, ça a peut-être changé, mais ça été comme ça mon intégration.
Les forts et les faibles
Il y avait « les forts ». Ils tapaient les « faibles », et les « faibles », ils se tapaient entre eux. Il y avait Mohamed et Tarik. Il en contrôlait trois. Tous les jours la mère d’un tel allait chez l’autre parce que « t’as tapé mon fils - non c’est ton fils qui a commencé ».
En CM1 je pouvais travailler. J’étais dans une classe de filles. Après je me suis mélangé. C’était encore pire. Les grands, les trois qui contrôlaient, se battaient à l’intérieur, les autres se battaient à l’extérieur de l’école. Les maîtres ne faisaient rien du tout. Aucun souvenir. C’était en cachette. On était des petits durs.
En CM2, j’étais dans une classe de fous ! Tous les durs étaient dans ma classe. Même je me suis pris une baffe par mon prof, ce n’était pas la même classe ni la même génération J’en connaissais un, Anthony Marniaud, c’était encore pire que moi. Lui dans toute l’école, il se faisait courser par les petits !
Le droit chemin
J’ai arrêté de gruger à cause de mon oncle. Il est jeune, il comprend ce que je vis. Il a vécu des erreurs. Il a vécu la misère. Il a fait de la prison en Belgique. Il me comprenait un peu plus. Lui m’a parlé et à un moment ça m’a saoulé de faire tout ce que je faisais. Juste, à un moment ça saoule ! À un moment tu grandis ! C’est marrant au début, mais après ça ne le fait plus. J’ai arrêté de traîner dans les mauvais endroits ; quand il y avait des bastons, je n’y allais pas, j’ai arrêté de faire chier les profs. Et sur la fin Mme Pailly, m’a apprécié. Sur le début, c’était dur.
A la fin j’étais délégué. C’est juste pour avoir bonne conscience, pour moi personnellement. J’ai fait le collège de la sixième à la troisième, et je n’ai jamais eu les encouragements. Toujours avertissement ci, avertissement ça. Sur la fin je les ai cherchés, les encouragements ! J’ai rien eu du tout. Je me suis proposé pour être délégué. Au début c’était pour le fun, après ça me saoulait.
Délégué de classe
Les réunions, franchement, ça ne servait à rien. Les conseils de classe, les gens sont en train de te descendre ! Aider les autres, c’étaient des cas sociaux, on ne pouvait plus rien pour eux. Un cas social, c’est du genre, ils ont mon parcours, mais jusqu’à la fin, ils ne font que des bêtises. Arrivés en troisième, on ne pouvait rien faire pour eux.
A partir de la quatrième, je suis sorti de la case. J’ai réfléchi tout seul dans mon coin. Après c’était la pression de ma mère. Le premier qui venait ici, waouh ! Un qui me prenait la tête, un frère jumeau genre, c’est toujours la comparaison : « ton frère il fait ci, ton frère il fait ça » ; même les profs ils me saoulaient ! Le fait que mon frère ait le brevet et pas moi, c’était dur un peu ! J’allais passer de mauvaises vacances d’été, ça allait prendre la tête, ma mère, ma famille…je me suis mis à travailler.
Le brevet
A Voltaire, c’était différent, il n’y avait pas de bastons tous les jours. C’était dans la classe qu’il y avait des élèves perturbateurs. Mon prof me disait de rester dans une bulle. À côté de moi il y en avait un qui n’en avait rien à faire. Sur la fin j’avais une vie de collégien normal.
Mon exemple, c’était le jour du brevet. On s’était donné rendez vous, ils étaient tous prêts. Ils sont venus chez moi. Ils ont sonné, je viens, je leur ouvre : « Vous faites quoi ? - C’est le brevet ! ». Je n’étais même pas habillé ! Ils étaient tous en panique ! « On va arriver en retard ! On va arriver en retard ! ». Je suis parti m’habiller en vitesse. Je n’avais pas calculé. C’était sorti de ma tête. J’étais tous les jours en train de réviser. On jouait à la PlayStation tous les jours, je ramenais mon truc… « il est huit heures, il faut que je rentre chez moi ». C’est ça la vie d’un collégien normal.
La mode à Sarcelles
Moi, maintenant je kiffe Sarcelles ! mais uniquement de l’extérieur. Je joue au foot à Colombes et je parle question mode à Colombes. Ils nous voient comme des gens à l’ancienne (Lacoste, ensemble Lacoste, casquette Lacoste) ; à Colombes ils croient que l’on est encore comme ça ! Ils pensent que nous sommes des gens à l’ancienne, qu’eux ils sont trop bien habillés ! Ils se prennent pour des beaux gosses, tout. Le seul préjugé, on était démodé genre, à Sarcelles ! Moi je ne suis pas trop parisien, je traîne dans les autres cités, à Garges, à Sartrouville, à Taverny. Je n’ai pas eu d’autres préjugés.
Sortir dans le quartier
Sortir à dix-sept ans, c’est traîner avec les potes. Parfois, je suis à la maison devant la télé, à regarder les Simpson, on sonne :
« Tu sors ?
– Pourquoi ?
– Pour rien …
– d’accord je viens ».
On se retrouve en bas, ça commence à parler. On commence à marcher, on commence à parler, on commence à marcher voilà.
Quelquefois, il y a un anniversaire, une petite teuf, après, il y a les plans cinéma. Sortir, c’est aussi dans le quartier. Moi j’aime bien mon quartier. Je kiffe. Sortir, c’est écouter de la bonne musique. Je vais au cinéma, à celui de St Denis Stade de France, dans la cité. Quand je vois des gens payer un ticket pour aller à Paris, je préfère garder mon argent et m’acheter un Panini !
Vacances, du quartier à l’Espagne
En vacances, je vais en Espagne ou bien je reste ici. Toute la journée je suis devant l’ordi, la PlayStation et au foot. Je ne suis jamais sorti d’Ile de France…Je n’ai pas fait les colos tout ça ! A force d’être allé chez les gens qui me disent qu’on est ringard ici, je trouve les gens ringards par rapport à nous ! Je reste chez moi, je suis bien, je regarde la télé, il n’y a que des bombes. Je n’ai pas peur d’aller ailleurs, mais ils ont des soucis.
La mer de France elle est trop moche ! Elle est trop polluée ! Bien sûr, je suis jeune. Je suis sorti une seule fois à Berck-Plage. On est allé en car. C’était organisé par le centre. C’est trop moche ! En quatre ans, ça va faire ma troisième fois en Espagne, on y va une semaine. J’y vais à l’occasion d’un tournoi de foot. Je suis le ballon ! Le sport me permet d’aller ailleurs.
Quitter Sarcelles
J’ai envie de quitter Sarcelles, parce que je connais tous les vices. Où il ne faut pas être à telle heure, où il faut être à telle heure, ce qu’il faut faire, ce qu’ne faut pas faire, tous les vices. Je les connais tous, ceux de mon quartier. Je ne me vois pas mourir ici, sérieux !
J’ai une vie tout à fait normale. Quand j’étais petit, j’étais un peu fou. Là je suis normal. Je veux diriger. Je ne veux pas être un ouvrier, je veux être le boss ! Cette ville est intolérante avec les gens qu’elle ne connaît pas, surtout quand on est petit. J’ai fait plusieurs villes…ce n’était qu’ici.
L’âme de Sarcelles
L’âme de cette ville, je répondrais sans hésiter : C’est les trois arrêts de bus Theodore Builliez, celui de Chantepie et celui du lycée parce que c’est là qu’on voit tout le monde !
Message aux anciens
Moi, je dis que la relève est prête à assumer ce que les anciens ont fait, ce qu’ils ont bâti, parce que franchement quand je suis venu à Sarcelles, c’était tout nase ! Et comment ils l’ont réaménagé, on est prêt à prendre la suite pour l’amélioration de Sarcelles. Je voudrais un terrain de foot à Chantepie. Ils nous l’ont détruit. Ce n’est pas bien. Ça devient beau et il n’y a pas de terrain. On est obligé de traîner dans les rues.
Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants