Marius Delpech fusillé par les Allemands

Mr Raymond Bagage né en 1928 à Sarcelles

texte Frederic Praud


Je suis né le 25 décembre 1928 à Sarcelles. Sarcellois d’origine, je suis né vers l’ancienne mairie, sur la place de la Libération. Mon père travaillait à Saint-Denis, chez Francolor. Ma mère ne travaillait pas, elle restait à la maison. Nous habitions au tabac, anciennement « chez Bonel », au bout de la rue des Piliers. Mon père était de Sarcelles. Mon grand-père habitait déjà rue des Noyers dans les années 1900 !

Sarcelles dans mon enfance

C’était tout à fait simple, ordinaire. Nous allions à l’école publique Marcel Lelong avec monsieur Morin comme instituteur. Je suis allé dans sa classe vers douze, treize ans à peu près. La municipalité comptait également deux écoles privées : l’école Marcon pour les garçons, et le Saint Rosaire, au-dessus, dans la rue de Paris. Le Saint-Rosaire était dirigé par les sœurs. Les gens qui fréquentaient l’église allaient plutôt dans ces écoles-là et les enfants d’ouvriers plutôt à Marcel Lelong. Il n’y avait pourtant pas de grosses différences.

Il n’y avait pas non plus de différences spécifiques de richesse entre tel ou tel quartier. La plupart étaient des ouvriers. Il y avait également beaucoup de cultivateurs, des maraîchers et quelques commerçants dans la rue de Paris.

Les cultivateurs employaient de la main d’œuvre locale une bonne partie de l’année. Lors de la cueillette des petits pois, ils embauchaient pas mal de Polonais, d’Italiens, etc. Ils venaient tous les ans à la même époque parce qu’ils savaient qu’il y avait du travail.

J’ai moi-même cueilli des petits pois avant d’aller à l’école. Mon père me faisait lever de bonne heure. Pff ! À 5h et demie, 6 heures, debout ! On allait aux petits pois avant d’aller à l’école, surtout les garçons. J’avais dix, onze ans. Nous étions tout petits !
Et il fallait y aller ! Et il fallait les écosser ! L’argent que l’on gagnait n’était pas de l’argent de poche. Il était inclus dans le budget de la famille, de la mère et du père.

Il n’y avait pas grand-chose à faire pour les enfants à part les petits pois. A Lochères, ce n’étaient que des champs : des poiriers, des vergers, des vignes et des terrains de jardinage. Il n’y avait que ça, et des petites cabanes de jardin, à droite et à gauche… C’était vraiment calme.

Les conditions de vie avant-guerre

Nous étions locataires dans le bureau de tabac Bonel, place de la Libération aujourd’hui. Au départ, il fallait descendre chercher l’eau, en bas dans la cour. Nous avons eu l’eau courante à la maison vers 1945. On s’éclairait avec des lampes à carbure, des lampes à pétrole, des lampes pigeons, des bougies… Il n’y avait pas d’électricité quand je suis né ni quand nous étions gamins et que nous étions à l’école. Il y avait peut-être de l’électricité dans Sarcelles quand je suis né mais pas là où nous habitions.

Je travaillais au coin de la rue Brossolette et de la rue des Piliers, dans une épicerie. J’ai commencé à y travailler en février 1943. Même à ce moment-là nous n’avions pas encore l’électricité dans l’appartement… Nous l’avions dans l’épicerie, comme tous les commerçants, mais pas dans notre appartement.

Les toilettes étaient à l’extérieur, au fond de la cour, en-dehors des maisons. Nous avions donc des seaux hygiéniques que nous descendions après dans les waters. Il n’y avait pas non plus de baignoires ni de salles de bains. On allait aux bains douches ou bien on faisait chauffer de l’eau à la maison. On se lavait dans des baquets ou dans une lessiveuse. Pour se laver, c’était de la débrouillardise. L’hygiène était différente d’aujourd’hui mais on se lavait quand même. C’était quand même assez strict.

Les populations immigrées

On s’entendait bien avec les Arméniens. Ils habitaient dans un lieu-dit, le quartier Beauséjour. C’était un quartier arménien. Ils habitaient aussi rue du Moulin à vent. Des Polonais étaient installés sur Groslay mais ils étaient moins nombreux que les Arméniens. Quelques Italiens aussi. Ils travaillaient dans le bâtiment, forcément. Ils ne s’installaient pas dans un endroit particulier de Sarcelles mais où ils trouvaient un logement. Les populations étaient donc assez mélangées. On s’entendait bien.

Je suis marié à une Italienne. Mon beau-père italien travaillait dans le bâtiment comme maçon. C’étaient des travailleurs.

L’école

L’école se passait bien. Nous avions un professeur pour toutes les matières. Nous n’avions pas d’uniforme à l’école publique Marcel Lelong. Pour institutrices, nous avions des vieilles filles… Nos instits, Melle Goulou notamment, étaient sympathiques mais si on recevait une gifle, il ne fallait pas se plaindre à la maison car on en recevait une deuxième ! Monsieur Morin était sympathique. Dans l’ensemble on n’avait pas à se plaindre des instits.

Les occupations des jeunes

Pendant les vacances, nous allions jouer à la petite montagne : c’était une petite pente située juste derrière l’hôtel de ville. On l’appelait petite montagne. On faisait des petites luges et on glissait… C’était sympathique.

Ceux qui en avaient les moyens partaient en colonie de vacances. Les autres restaient là. On partait aussi chez les oncles et les tantes. Le patronage nous occupait quand il n’y avait pas école. C’était les gardes d’enfants…
On allait jouer au football à Chauffour, derrière, vers le stade. On traînait surtout dans les rues à droite, à gauche. On allait manger des fruits ou chercher des noix aux noyers de Chauffour. Ce n’était pas toujours autorisé ! Le garde-champêtre nous courait parfois après... Tout ce qui était fendu n’était pas défendu !

Il n’y avait pas trop de bagarres, de mon temps, entre les jeunes de Sarcelles et ceux des autres villes. Il y en avait parfois. On se disputait parce qu’ils venaient un peu trop dans notre quartier mais ça n’allait pas loin. De notre point de vue, ils venaient trop souvent ! « Retournez chez vous ! » Mais ce n’était pas trop dramatique. Il y avait toujours des petites dissensions, sur les uns et sur les autres, mais enfin… Il n’y avait pas tellement de bandes non plus entre les jeunes de Sarcelles. Dans l’ensemble, cela s’est toujours bien passé.

Les jeunes pratiquaient le football. Sarcelles comptait aussi un terrain de tennis mais les jeunes ne s’y intéressaient pas beaucoup. C’était plus pour les adolescents !

Les personnalités de Sarcelles

« Coquette » (Mme Gernez) était toujours avec sa brouette à ramasser ce qu’elle trouvait dans les poubelles. Tout cela pour ses lapins... Avec ma grand-mère, elle faisait partie des personnalités. Mon grand-père était le père « Bout de Bois » et ma grand-mère, « Titine ». C’étaient des figures emblématiques de Sarcelles. Comme mon grand-père marchait avec une canne, tout le monde disait : « Tiens, c’est le père Bout de Bois ! Et sa femme Titine Bout de Bois »… Ils habitaient rue des Noyers.

Il n’y avait pas tellement d’autres personnalités folkloriques. C’étaient eux les plus connus… Coquette surtout : tout le monde l’a connue.

Le maire, M. Langlois, était une personnalité assez importante avant-guerre. Il était marchand de vin, au petit château. C’est là qu’aujourd’hui des notaires sont installés, en montant vers la gare.

Ma vision de l’avenir

Je ne m’imaginais pas d’avenir particulier. On m’a proposé de venir travailler : j’y suis allé, c’est tout. J’ai arrêté mes études après le certificat d’études, à quatorze ans. J’ai commencé à travailler en février 1943 (je suis né en 1928...). Ils m’ont embauché comme apprenti. Je n’avais pas de désirs particuliers. J’ai pris ce que je trouvais.

De temps en temps, on regardait un spectacle, du théâtre, c’est tout… On jouait également des petites saynètes à l’école Lelong. En dehors de l’école il n’y avait pas beaucoup de loisirs. Beaucoup travaillaient : il fallait aller au boulot le matin.

Les salaires suivaient la vie. Les gens s’en contentaient ! Il fallait bien vivre : pour vivre, il fallait travailler, c’est tout...

L’exode

C’était la peur. Il fallait partir. Les parents nous emmenait : « On va fuir ! On va fuir les Allemands ! »

Nous ne sommes pas allés bien loin. Nous sommes partis de Sarcelles : arrivés à Pantin, nous avons fait demi-tour parce que les Allemands étaient déjà là. Nous sommes revenus dans la journée. Nous n’avions pris que le nécessaire. Beaucoup de Sarcellois partaient – c’était de la bêtise – mais pas tous…

L’antisémitisme

Les enfants juifs portaient l’étoile à l’école Lelong. Ils n’ont pas été déportés. Peut-être leurs parents l’ont-ils été… On ne s’en occupait pas : nous étions trop jeunes et nous pensions à autre chose. Leur étoile nous informait qu’ils étaient juifs, mais autrement…

L’occupation allemande

A partir de 1943, je travaillais au coin de la rue des Piliers. Le soir je rentrais chez moi place de la Mairie, avec ma gamelle, ma soupe. C’était en face de la kommandantur et je rentrais après l’heure du couvre-feu ! Heureusement, les Allemands me connaissaient bien, à force, et me laissaient passer. Sans ça, on n’avait pas le droit de sortir.

Avec le temps, on ne faisait plus attention aux Allemands puisque c’était toujours pareil. Il y avait la sentinelle à la porte de la kommandantur mais on était habitué !

La cotonnerie de Sarcelles était sous le contrôle des Allemands, comme partout. Ils mettaient leur nez un peu n’importe où. Ils n’ont pas spécialement réquisitionné dans l’épicerie où je travaillais. On avait la marchandise. On servait les clients qui utilisaient leurs tickets de rationnement. Les Allemands réquisitionnaient parfois… mais finissaient par payer. Ils venaient acheter quelque chose tout simplement. Sinon, on aurait fermé la boutique ! Il n’y a donc pas eu de répercussions particulières de leur présence dans le commerce.

Nous étions enfants mais nous nous rappelons quand même des collaborateurs. Entre la kommandantur et la petite montagne se trouvait une petite maison habitée par un collabo. Il nous dénonçait ! Il dénonçait aux Schleus tout ce qu’il voyait ! Il a d’ailleurs été tué quand ils sont partis...

Les résistants sarcellois

M. Delpech a été fusillé par les Allemands parce qu’ils avaient trouvé une arme sur lui. Il était estimé, même si ce n’était pas le directeur de Lelong. Il était bien gentil.
Grunig était un résistant, maquisard. Ouvrier, il habitait à Chauffour. C’était pareil pour André Vassor. On les a connus. Ils ont été fusillés par les Allemands.

On a entendu dire que des arrestations avaient eu lieu dans les trains à Sarcelles. Ça se colportait automatiquement. Il n’y avait pas spécialement de rumeurs mais on parlait un peu des maquisards. On savait qu’ils existaient mais on ne savait pas où ils étaient exactement. De toute façon, il ne fallait pas les dénoncer.

Il y a peut-être eu des bals au Haut du Roy. On en a entendu parler mais les Allemands allaient dans le coin. Il n’était pas question de bals clandestins à l’époque, sinon ils auraient raflé tout le monde ! Il fallait que les Allemands soient présents lors de ces petits bals pour une fête ou une autre…

L’atmosphère avant la Libération

La fin de la guerre se sentait. Il ne fallait pas traîner dans les rues, ni regarder les Allemands de travers. Il fallait rentrer chez soi.

Lors du débarquement, nous étions à nos occupations. On l’a appris par la radio, par « Ici Londres ». Nous n’avions pas la télévision ! Il n’y a que comme ça que l’on pouvait savoir. A partir de là, on a senti un changement dans la population sarcelloise. Nous étions joyeux, contents ! Mais il ne fallait pas aller le dire aux Allemands !

On a commencé à sentir un peu plus la présence des maquisards. Ils connaissaient l’avance des Alliés. Ils étaient plus virulents quand ils ont su que les Allemands reculaient un peu. Ils se disaient : « On va les avoir ». On entendait parler, par Pierre, Paul, Jacques, d’actions menées par les maquisards. Mais on ne les voyait pas : ils n’allaient pas se montrer !

Un Allemand m’a un jour demandé si j’avais vu des maquisards, des FFI par là. Ça commençait à être la débine. Je leur ai répondu en leur indiquant la route d’Ecouen : « Oui, j’en ai vu, mais ils sont partis par là ». Ils ont foncé mais ils n’ont pas trouvé : je n’en avais pas vu... Ils sont revenus et ils m’ont cherché. Je me suis planqué sous mon plumard à l’épicerie et ils ne m’ont pas trouvé. Je leur avais indiqué une mauvaise route...
La Libération

Ce jour-là, j’étais toujours à la boutique. Je voyais bien les véhicules défiler, remonter, descendre. Les Allemands criaient de partout quand ils repartaient. Ils avaient les jetons. Et les autres arrivaient… l’armée Leclerc.

Les Allemands décampaient. Ça n’a pas duré très longtemps. C’était vraiment la fuite. Quelques uns ont été tués par vengeance. Les maquisards s’en donnaient à cœur joie, forcément. Ils les pourchassaient.

La population était partie en exode, en 1940, quand les Allemands sont arrivés. Mais pas là : au contraire ! Les Sarcellois étaient bien contents qu’ils se cassent !

Quand la division de Leclerc est arrivée, je suis tout de suite descendu voir ce qui se passait. On est curieux quand on est gosse ! On entendait du bruit… Eh bien on a vu les chars défiler et les Allemands filer vers l’Allemagne... Ils leurs couraient après ! Voyant que les Leclerc arrivaient, les Allemands ont miné et fait sauter la route du cimetière pour que les chars ne puissent pas passer.

La Libération a été fêtée. A la salle des fêtes, on dansait avec la musique qu’on avait. Il y avait des cotillons… On était contents de ne plus voir les Allemands.

L’après Libération

Les tickets d’alimentation ont duré longtemps… En 1948 on en avait encore mais on pouvait avoir du pain blanc en payant un peu plus cher. Le 8 mai 45 il y a eu des fêtes pour la Libération. Mais nous n’avions pas encore de quoi manger.

L’Europe

J’espère que l’on restera ensemble et que l’on vivra tous amicalement.

Message aux jeunes :
Je voudrais qu’ils ne passent pas par où on est passé, que ça se passe mieux pour eux que pour nous. Je voudrais qu’il n’y ait plus de guerre surtout, de conflit entre tous les peuples. C’est ce que je peux conseiller. Que la vie continue et que tout le monde soit heureux.

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