Sarcelles : Nadège né en 1965

vous taguez un mur qui a une histoire

On prend un vélo, on s’en va au bois d’Ecouen, on en a pour dix minutes !

Un animateur qui travaillait aux Vignes Blanches prenait les jeunes en parachutisme. Je commençais à me rendre compte qu’il avait certains jeunes pas tristes, j’étais allé le voir en demandant :
« Tu leur fais faire du parachutisme !
  Eh bien justement… c’est pour ça que je ne suis pas malade, parce qu’un jeune que je vois plier le parachute d’un autre est bien obligé de faire confiance aux autres. Il est bien obligé de lui faire confiance parce que ce n’est pas sa vie qu’il a entre les mains, mais la vie de l’autre. C’est comme ça que je les éduque, par ce genre d’activité !

Nadège Lembakoali

Je suis née en 1965 à Sarcelles, à la clinique Alexis Carrel. Mes parents habitaient allée Baudelaire, après le marché. Mon papa travaillait au CNRS comme fonctionnaire. Maman l’était également au ministère de l’agriculture. Papa était ouvrier tourneur. Il travaillait au CNRS et avait en parallèle une autre activité : il travaillait sur les volcans, sur toutes les activités volcaniques et souterraines. Maman était de Haute-Marne, de Chaumont. Papa est né à Corbeil-Essonnes avant de partir à Auxerre. Il y a vécu toute son enfance. Je pense que mes grands-parents paternels étaient d’Auxerre, mais je ne pourrais pas le certifier. Mes grands-parents maternels sont tous de Chaumont.

Arrivée à Sarcelles

Ils sont arrivés en 1958, dans les tous premiers immeubles. Ils habitaient un tout petit deux pièces à Paris ; ils avaient déjà ma sœur, née à Chaumont. Elle a huit ans de plus que moi. Ensuite, deux ans après ils ont eu mon frangin, né à Paris en 1958, dans le petit deux pièces. Ils ont dû déménager parce que ça devenait trop petit. Ils sont arrivés à Sarcelles. Je crois qu’ils ont eu l’appartement par le 1%. Nous habitions juste à côté de l’immeuble Citroën.

Un départ précoce

J’ai perdu mes parents, très jeune, je n’ai donc pas eu la chance de leur demander beaucoup de détails sur leur arrivée à Sarcelles. Papa est décédé quand j’avais quatorze ans. Je n’étais pas encore à la période où l’on s’intéresse à l’histoire de la famille. J’ai su après, en discutant avec ma grande sœur. Maman est décédée vers mes dix-huit ans, mais elle a été atteinte d’une tumeur au cerveau alors que je n’avais que cinq ans. Il y a eu tellement de problèmes à ce niveau là, que l’on a fait l’impasse sur l’histoire de la famille. On n’a pas eu tout ce dialogue. Je le regrette maintenant. J’ai grandi allée Baudelaire. Au décès de papa en 1979, on est parti parce que maman était handicapée, de par sa maladie. On est parti à la tour Maurice Ravel, pour avoir l’accessibilité de l’ascenseur.

Souvenirs d’enfance

Être enfant à l’allée Baudelaire, c’était pouvoir sortir du matin au soir, dès que l’on avait la possibilité de sortir avec tous les gamins du quartier, pour aller dans les parcs devant et derrière. On avait la chance d’avoir un bâtiment avec un parc devant et derrière le bâtiment. On n’avait pas du tout de route. Ce n’était que des allées, un quartier sans routes, sans voitures. Maman se penchait à la fenêtre en disant : « Nadège, il est l’heure, tu rentres manger ! ». C’était valable pour tous les gamins du quartier. Lorsque l’un se faisait appeler, tout le monde rentrait. C’était l’heure pour tout le monde ! C’était des « delidelo » à n’en plus finir, le patin à roulettes dans les allées, des gamelles à n’en plus finir, des jeux de toutes sortes chez les uns et les autres. Tous les voisins se connaissaient ! Nos parents jouaient aux boules dans le parc avec les autres parents, les voisins. C’était tout ça, c’était grandiose !

Une vie provinciale

C’est pratiquement une vie de province que je suis en train de décrire. Je ne sortais pas du pâté de maisons. Maman se mettait à la fenêtre de la cuisine, elle me voyait dans le parc, devant ; elle se mettait à la fenêtre de la chambre, elle me voyait dans le parc, derrière. J’allais « patouiller » à la pataugeoire du parc Kennedy. Ma nourrice m’y amenait.

J’ai été confiée toute petite à une nourrice. Mes deux parents travaillaient et avaient des horaires pas évidents. J’ai eu la chance d’aller à la maternelle Romain Roland, elle venait d’ouvrir pour ma première année, juste à côté de la maison. Ma nourrice habitait dans le même immeuble au rez-de-chaussée, mais pas dans le même escalier. Elle récupérait plusieurs enfants, dont moi. Elle m’a quasiment allaitée. Toute ma vie d’enfant se passait là et dans les deux parcs, avec les copains du coin. C’était une vie de province.

Le marché du dimanche matin

J’ai des souvenirs du marché du dimanche matin, parce que papa s’était engagé dans la cellule politique communiste. Il vendait l’humanité sur le marché, sur le centre commercial N°2. Nous, on l’accompagnait. Je me rappelle la queue devant la boulangerie. J’étais toute petite, je faisais la queue avec maman. Le marché était grandiose ! Le marché à l’époque était beaucoup plus alimentaire et beaucoup moins textile. Le lait, la viande, le besoin quotidien, les primeurs. Je n’ai pas ressenti de changement dans l’alimentation proposée, qui est passée d’une alimentation européenne à une alimentation d’Afrique du Nord. On était très franchouillard au niveau de notre alimentation. Viande midi et soir, des légumes jamais mélangés à la viande, mais servis après la viande. Ça m’a fait bizarre quand j’ai rencontré Julien et que j’ai vu la viande mélangée aux légumes ! Ça a changé mes habitudes, jamais de plats en sauce !

Alimentation

Le dimanche c’était le roast-beef, le poulet ou le gigot, et la viande tous les soirs. J’allais faire les courses après l’école. Maman déposait le billet sur le buffet et tous les soirs j’allais au centre acheter les trois ou quatre tranches de viande pour la famille, les boîtes de conserve de petits pois, de haricots.

Quand j’ai fait la connaissance de Julien, j’ai appris une autre habitude d’alimentation, tout en ayant connu un peu toutes les races, toutes les populations possibles et inimaginables, parce que j’avais la chance d’avoir des parents très ouverts. Que j’aille fréquenter le petit noir, le petit juif ou le petit arabe d’à côté, tout le monde s’en fichait, puisqu’on habitait tous le même quartier. Aucun problème là-dessus ! Mais je n’avais pas eu ces habitudes d’alimentation là. J’ai changé avec mon Julien !

Scolarité

La maternelle Romain Rolland était ma toute première école. J’ai très peu de souvenirs : classe rose, classe bleue, classe verte. Je me souviens comme des flashs, parce que je restais à la garderie le soir ; et des flashs de blouses ! La petite blouse que l’on avait à la maternelle ! Ensuite, j’ai tout de suite été en primaire à Pasteur. Tous mes souvenirs sont là, chaque nom de maîtresse. J’ai eu Mme pépin en CP, une ancienne institutrice qui allait prendre sa retraite. A Pasteur, on trouvait les gens des immeubles et des maisons, les maisons du bois de Lochères.

Au niveau de l’ambiance, je m’y suis toujours sentie très bien. Tout le monde se fréquentait. Je n’ai pas de souvenirs particuliers. J’ai le souvenir d’avoir rencontré mes amis d’enfance à l’école Pasteur et de les avoir gardés assez longtemps. J’ai traversé cette période sans me poser de questions, le plus tranquillement du monde. On allait tous ensemble à l’école avec les copains, en bande. On s’attendait en bas de l’immeuble et puis hop ! On partait tous !

Connaissance des lieux

Nous laissons facilement faire les enfants, parce que nous habitons aux Chardonnerettes. Les enfants n’ont pas eu de problèmes. Les écoles aux Chardo sont à deux pas de la maison. Je n’ai jamais eu peur à Sarcelles. J’ai passé mes premières nuits blanches au parc Kennedy, à treize, quatorze ans. Je n’ai jamais eu peur de rentrer en pleine nuit chez moi. Nous nous sommes rencontrés en 1980. L’ambiance dans la ville avait commencé un peu à changer, mais on n’a jamais eu peur non plus. Je connais Sarcelles comme ma poche ! La moindre rue, que ce soit Lochères ou le Village ! J’ai vraiment l’impression d’être chez moi. A cette époque là je ne connaissais pas le Village, je n’en avais jamais entendu parler.

Expédition en vélo… au village !

J’ai eu mon premier vélo à douze ans. On a commencé à faire des équipées à vélo avec les copains et les copines du bâtiment. On est allé au Village ; j’avais l’impression d’avoir parcouru je ne sais combien de kilomètres, d’être sortie dans un autre monde ! Je n’ai même pas saisi cinq minutes le fait que je me retrouvais au village de Sarcelles !

Vacances

On était trois enfants, et tous les trois on avait un mois de colo et un mois de vacances avec papa et maman. Un mois de colo avec le CNRS aux Fauvettes, et ensuite papa et maman partaient avec le VVF (villages vacances familles). Mes toutes premières vacances, c’est Guidel avec le VVF en Bretagne.

Nos enfants sortent beaucoup moins de Sarcelles. Nous n’avons pas les mêmes facilités. Ce sont les questions que je me pose aujourd’hui : « Mais comment faisaient papa et maman ? Comment se débrouillaient-ils pour nous offrir ça, alors que nous, en ayant deux salaires, on n’arrive plus à l’offrir ?! ».

Je n’ai jamais eu le choix de dire non. Ma première colo, j’avais six ans. Nous, on laisse le choix à nos enfants. C’est la colo, sinon ils restent là, aux Chard ; et puis on essaye de faire des choses avec eux.

Le collège et les premières boums

Je suis allée au collège Jean Lurçat. J’étais fière d’y aller parce que je passais derrière mon frère et ma sœur. Quatorze, vingt minutes à pied, c’était la campagne. Ce sont de très bonnes années, perturbées par la maladie de maman. Après le décès de papa à mes quatorze ans, ma troisième a été un peu perturbée. Je suis partie vivre deux ans en Bretagne. Etre collégienne, c’était beaucoup de responsabilités. En sixième j’ai eu la clé de l’appartement, j’ai eu ma montre, les deux choses qui faisaient que j’avais passé un cap au niveau de l’enfance. J’avais des horaires différents, j’avais le droit de rentrer alors qu’il n’y avait personne à la maison, chose que je n’avais jamais eu le droit de faire en primaire.

Le temps des copains, c’était beaucoup plus de secrets par rapport à la famille. On était un peu plus éloigné de la maison et du quartier. On rencontrait des copains des autres quartiers ; j’ai pris conscience qu’à Sarcelles il y avait d’autres quartiers, qu’il existait autre chose que la gare. Tous les copains venaient de Watteau, Jaurès. C’est là aussi que j’ai commencé à faire de la photo. Il n’y a pas eu de choc en sixième.

Je me souviens du collège comme d’une époque où, enfin, on pouvait se retrouver entre copains, où, enfin les premières boums ! Toute cette liberté là, parce qu’on nous faisait confiance ; j’avais le droit d’aller à une boum le mercredi après-midi, les boums dans les caves des bâtiments. La MJC, j’y suis allée un peu plus tard.

Coupure avec Sarcelles et conséquences

Après le décès de papa, je suis allée vivre à peu près un an chez ma sœur en Bretagne. Elle était ma tutrice. Je suis allée en pension au collège Jules Simon à Vannes. Pour me protéger, on a voulu m’éviter toutes les tracasseries dues au décès de papa, à la maladie de maman. J’ai vraiment ressenti la coupure avec Sarcelles à mon retour. Il m’a fallu un an ; j’ai l’impression d’avoir été dépossédée de plein de choses, d’avoir perdu tous mes repères d’enfance, tout le Sarcelles de mon enfance ! Je suis partie à l’adolescence, les copains, les premiers amours. J’ai foiré toute mon année de troisième en Bretagne ! Donc je suis revenue en troisième à Sarcelles avec tous mes anciens potes. Certains avaient redoublé, mais on n’avait plus rien à se dire.

Quand je suis revenue, je me suis retrouvée à Ravel, qui n’était pas du tout le même quartier et pas du tout la même ambiance ! Une tour, douzième étage, maman handicapée… Je me suis tout pris dans la tête ! Mon frère avait disjoncté, il était libertaire, anarchiste ! Je me suis retrouvée toute seule dans une tour avec une mère handicapée, où le contact avec les autres était moins facile, où ma vie n’était plus du tout la même. Je partais d’une vie privilégiée, où j’avais beaucoup de droits, et je me retrouvais mère à la place de ma mère, puisque j’ai dû gérer ma mère, faire le ménage etc.

Ailleurs…

En 1978-79 j’ai commencé à faire le mur. Maman se couchait tôt, dormait tôt. J’avais fait la connaissance de mon voisin au douzième étage également. Je faisais le mur par chez lui, en passant d’un balcon à l’autre. On partait à Paris toute la nuit ! Je prenais des risques insensés ! Je ne m’en rendais pas compte. Il pouvait se passer n’importe quoi, avec maman toute seule à la maison qui me croyait juste à côté en train de dormir, et moi j’étais à Paname ! Je rentrais par le dernier train ou le premier train de la matinée, je repassais par le balcon ! J’étais en seconde à J.J. Rousseau. A l’époque, la Tourelle c’était le technique.

Le lycée, les nuages s’amoncellent

Je ne suis pas restée très longtemps au lycée, puisque c’était ma période un peu perturbée. J’ai fait une première année de seconde qui ne s’est pas très bien passée. Il a fallu que je redouble. Ma deuxième année de seconde, j’ai carrément laissé le lycée ! Je me suis retrouvée à ne plus rien faire. J’ai commencé à zoner toute la journée dans Sarcelles, à rencontrer tous les zonards. J’ai rencontré tous les anciens toxicomanes qui n’existent plus, ils ont tous disparu. Des copains de cette période là, je n’en ai plus un seul ! Ils sont tous morts, soit d’overdose, soit du sida.

Zoner

A cette époque là, j’ai beaucoup zoné au parc Kennedy, ou côté Lochères, au foyer des jeunes, au bâtiment de la poste à côté de la MJC. Zoner, c’était s’asseoir sur un banc ; on fumait trois, quatre pétards coup sur coup, on n’avait rien à se dire. On ne refaisait même pas le monde ! C’était rien. On ne faisait rien ! Le quotidien de tous mes potes était de chercher de quoi s’acheter leur daube. Je les retrouvais quand j’avais la possibilité, puisque maman était handicapée. Je ne sortais pas le matin, je ne sortais qu’à certaines heures et je les retrouvais sur le banc dans le hall. C’était plus du désœuvrement, je retrouvais des zonards. Bizarrement, c’étaient mes copains. Ils avaient tous un ou deux ans de plus que moi. Par contre je ne partageais rien avec eux, de tout ce qu’ils avaient fait en dehors de ma présence, si bien qu’ils respectaient ce que j’étais. À la rigueur ils pouvaient même me protéger ! J’ai entendu une ou deux fois « non, Nadège on la mêle pas à ça ! ». Ils me protégeaient, mais ils avaient leur vie à côté qui n’était pas la mienne et qui pour moi, était très floue. Ils tournaient autour de l’ancienne MJC.

LA MJC

La MJC était un lieu un peu étonnant, que je ne connaissais pas. On y venait pour voir un peu ce qui se passait. On allait voir les cours de danse ; on venait se marrer, un petit peu en regardant les autres danser ! On repartait. C’était plus un lieu où l’on rentrait et l’on sortait, mais on ne s’est jamais intégré aux activités de la MJC, avec cette bande de copains, je ne saurais dire pourquoi. Ce n’était pas pour nous. On ne se sentait pas concerné à ce moment là par la MJC. On y allait en curieux. Je ne me suis pas sentie rejetée de la MJC, mais je n’ai pas non plus le souvenir que quelqu’un m’ait dit « venez... intégrez-vous à un truc ». Je n’ai pas ce souvenir-là. Ce n’était pas un lieu pour ce type de jeunes.

Aller Retour Sarcelles Bretagne Sarcelles

Après avoir vécu deux ou trois ans de désœuvrement le plus complet, quand j’ai commencé à m’apercevoir que ça craignait, que je risquais de tomber dans la drogue et que je commençais à m’en aller dans une voie un peu … j’ai demandé à maman de déménager en Bretagne. Je lui ai dit « Maman, je suis en danger, il faut que l’on s’en aille ! ».

En 1981, on est parti en Bretagne. J’ai vécu là-bas jusqu’en 1983. Je me suis reconstruite complètement. Mais maman est décédée en 1984. Je suis revenue à Sarcelles après le décès de maman. J’habitais chez mon frère. Il me mettait la pression pour trouver un travail : « Attends, on ne va pas t’héberger à rien faire, donc tu te débrouilles mais tu trouves quelque chose ! ». J’ai pris un TUC aux Vignes Blanches avec Nas à « Sarcelles jeunes ». C’était ma bouée de sauvetage. Nas m’a remis dans le droit chemin. On s’est rencontré Julien et moi, aux Vignes blanches, à l’ancienne maison de quartier. Il était animateur au centre alpha. On s’est marié en 1997.

Animatrice aux Vignes Blanches

Aux Vignes Blanches, je n’avais pas les mêmes jeunes du tout. Tout échappait à tout le monde. Mais on n’en était pas vraiment conscient à ce moment là. Je me souviens m’être fait la réflexion « waouh ! Ça craint ! ». Un animateur qui travaillait aux Vignes Blanches prenait les jeunes en parachutisme. Je commençais à me rendre compte qu’il avait certains jeunes pas tristes, j’étais allé le voir en demandant :
« Tu leur fais faire du parachutisme !
  Eh bien justement… c’est pour ça que je ne suis pas malade, parce qu’un jeune que je vois plier le parachute d’un autre est bien obligé de faire confiance aux autres. Il est bien obligé de lui faire confiance parce que ce n’est pas sa vie qu’il a entre les mains, mais la vie de l’autre. C’est comme ça que je les éduque, par ce genre d’activité !
Je me suis dis : « mince… » . C’était un super animateur ; par rapport à nous il avait des sacrés jeunes ! Il avait des cas ! Je me suis fait la réflexion qu’il y avait une différence entre ceux que l’on avait nous, au jour le jour aux Vignes Blanches et ceux qu’il suivait en tant qu’éducateur.

Quand j’ai connu Julien et que je suis arrivée aux Rosiers, j’ai été choquée. Les jeunes là bas étaient plus grands, plus fous ! Un arrivait avec un autoradio :
« Ouais ! On a dépouillé un autoradio dans la voiture !
 Je suis où là ! Au secours ! ».

Quand Julien a commencé à monter la fameuse salle d’activité d’ateliers, ils ont tout cassé ! Après il est parti et il n’y a plus rien eu.

Installation

Nous nous sommes installés tous les deux au 40 Av. Paul Valéry dans le plus long bâtiment, juste après le centre commercial. Nous sommes restés jusqu’en 1996. On n’a absolument pas vu que l’on habitait « came city ». Après il a fallu que l’on bouge. Je n’en pouvais plus ! Le bruit des voitures, la sono, le voisinage. J’en avais vraiment ras le bol ! Et l’appartement devenait trop petit avec deux enfants.

Nous sommes partis à la naissance d’Andreas, notre deuxième enfant. J’étais encore animatrice en mairie, mais plus aux Vignes Blanches. Je faisais les centres loisirs « maternelles ». Je m’occupais des petits. J’ai passé dix ans avec les tout-petits. C’était très bien. J’ai beaucoup apprécié.

Les Chardo

Aux Chardo, c’est tranquille au-dessus de l’école Bois Joli. On est potes avec tous nos voisins. On fait des barbecues dans les jardins des uns et des autres. Plus haut c’est moins bien ; c’est les tags, des attroupements, les papiers jetés par terre… On a nos souvenirs d’enfance à Sarcelles, nos racines, l’un et l’autre.

A Lochères, il fallait toujours prendre la voiture pour sortir, pour aller dans un parc. Il fallait aller à la Courneuve le dimanche si on avait envie de bouger. C’était plus compliqué d’habiter Lochères que ça ne l’est d’habiter les Chardo. On n’a pas besoin d’aller en province puisque la vie que l’on mène aux Chardo est un peu la vie que l’on peut mener dans n’importe quelle province. On prend un vélo, on s’en va au bois d’Ecouen, on en a pour dix minutes ! On prend les vélos avec les gamins. Autour de nous c’est quasiment la campagne. On prend le chien, on va se balader. On n’aurait pas pu le faire sur Lochères. On commence à prendre conscience qu’avec deux enfants, ça allait être compliqué d’avoir ce genre de vie.

L’histoire de Sarcelles

L’histoire de Sarcelles sert à connaître sa ville, à savoir qu’une ville a un passé, que des gens y ont vécu, que se sont développées des activités, des histoires… Tout ce passé existe, il a existé, il existera encore. Il faut le faire perdurer. Une histoire, plus on la fait perdurer, plus on la connaît, plus on la respecte. L’histoire officielle de Sarcelles se limite à la partie Village, c’est trop concentré. C’est ce qui m’a toujours dérangé. J’ai appris à connaître le Village. Je trouve ça très bien. L’histoire du Village est importante. Sarcelles c’est avant tout le Village, avant le grand ensemble. Mais le grand ensemble maintenant a quand même cinquante ans ! Le grand ensemble a une histoire. Cette histoire est différente pour tout le monde. On a tous notre histoire dans le grand ensemble. Ça aussi c’est important à raconter, à faire connaître.

Les tags

Je dis aux jeunes que je reçois à Sarcelles : « vous savez, quand vous taguez un mur… vous ne taguez pas n’importe quel mur, vous taguez un mur qui a une histoire ! Celui-ci a peut-être cinq cents ans. ! Il a vécu des choses. Celui-ci n’en a peut-être que cinquante, mais lui aussi il en a vécu des choses ! C’est important de respecter les choses, parce que chaque chose a un vécu. Et vous, vous allez aussi avoir un vécu dans cette ville là ! Par rapport à cette chose là et ça c’est très important ! ». J’essaye de faire passer ce message.

On a d’ailleurs commencé à prendre en photos des tags. J’ai commencé un peu, avec Josiane, à faire le tour de la ville, du village. On a pris toutes les fresques, tous les tags… Tous les animateurs entrés en 2000 à la mairie ont tous des noms de tageurs et sont intégrés dans l’histoire à travers ça. Il faut que ça vienne. Un noyau très intéressant sur le Village est en train de se former et de comprendre l’importance de l’histoire, même s’il y en a encore une grande partie qui va dire Lochères, n’est pas Sarcelles !

L’âme de Sarcelles

L’âme de Sarcelles c’est moi ! J’y suis née, j’y vis, j’y travaille, j’y crois ! Tous les gens qui travaillent en mairie, qui ont grandi à Sarcelles, on se le dit, tous ! On n’a pas envie de baisser les bras. On y croit encore. Beaucoup ont fait les mêmes métiers que nous et sont partis désabusés, en disant : « on n’y arrivera pas, on ne fera rien ! ». Alors que nous : « mais si ! Il ya plein de choses à faire ! ».
Il y avait une vie dans le quartier. Il n’y a plus de vie dans les quartiers. Je suis désolée. J’ai connu mon quartier, il y avait des rires d’enfants, des cris d’enfants en train de jouer. J’y passe maintenant, c’est mort. C’est le désert. Le parc devant mon bâtiment n’est pas vivant. J’en ai des frissons ! Nous on courait, on grimpait dans les arbres ! Une fois maman qui ouvrait la fenêtre et allait m’appeler, m’a vu dans l’arbre en face d’elle ; elle a pleuré ! On faisait des cabanes, on faisait des pique-niques derrière chez nous, on jouait aux poupées mannequin, aux billes, à la marelle.

Il n’y a plus rien et pourquoi n’y a-t-il plus rien ? Sous quel prétexte n’y a-t-il plus rien ? Les allées sont les mêmes ! On est toujours confronté aux problèmes de voitures. Ce fameux marchand de glaces passe toujours. Qu’est-ce qui empêche les enfants d’aller jouer dehors ? L’ordinateur, la télévision, la PlayStation ; on était sans arrêt dehors ! On s’embêtait à la maison. On n’avait rien à y faire. Je n’avais qu’une envie quand j’entendais les copains dehors, sortir ! Et je dois dire que je bâclais mes devoirs et mes leçons !

Message aux anciens, aux jeunes

Faites en sorte que les jeunes aient le choix. Faites en sorte d’avoir toujours le choix !

Message à la Mairie

Faites en sorte que l’on connaisse sa ville et que l’on apprécie sa ville de manière à ce que chacun puisse s’épanouir, selon son âge, suivant ses activités, selon ses envies, même si l’on a envie d’aller ailleurs, de se promener ailleurs, mais au moins de connaître sa ville et de s’épanouir dans sa ville. Cela me semble très important.


Texte réalisé par Frederic Praud