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La dissidence en Martinique

MMe Mnémosine née en 1924 à Rivière Pilote

jeudi 16 novembre 2006, par Frederic Praud

texte Frédéric Praud


Je suis née en 1924 à Rivière Pilote en Martinique, une petite ville peu peuplée du sud de la Martinique, à 7kms de Marin et Sainte Luce

Tout le monde allait à l’école dans le bourg. Nous faisions les trois kilomètres qui nous séparaient à pied. Il fallait remonter à la campagne pour manger le midi. Je laissais l’école à 10h30 pour préparer à manger pour les plus jeunes que moi qui arrivaient à midi.

Notre village, comptait une dizaine de familles, de maisons. Nous allions chercher de l’eau à la source sur notre terrain. Tout le monde se servait ici. Le linge se lavait à la rivière. Nous n’avions pas d’électricité mais utilisions une lampe à pétrole… la route va aujourd’hui jusqu’au village, l’eau et l’électricité également !

Heureuse malgré une pauvreté générale

Notre maison en bois couverte de paille était au bord du chemin, une maison de quatre pièces pour les dix enfants et nos parents. Mon père a pu la faire couvrir de tôle quand il n’a plus eu personne à charge. Le sol était en terre battue mais comme mon père était bûcheron, il a réussi à mettre un plancher ! Il n’y avait pas de pot de chambre et si l’envie de faire pipi prenait la nuit, il fallait aller dehors, chacun au pied de son arbre favori, et s’essuyer avec des feuilles.

Nous n’avions pas de chaussures pour aller à l’école. Nous y allions pieds nus. Nous ne pouvions utiliser nos chaussures que le dimanche pour aller à la messe. Nous mettions nos chaussures en arrivant à l’entrée du bourg et les enlevions au même endroit en partant…. Tout cela juste avant 1940…

Tout le monde vivait de la même manière. Mes parents avaient une petite ferme qu’on louait. Nos voisins travaillaient la canne comme journaliers ou charpentier … Il y avait également un guérisseur. Les ouvriers agricoles travaillaient chez un propriétaire, chez un "géreur". Il déléguait aux commandeurs qui venaient vérifier les travaux, donner les taches aux gens. Le géreur était un zoreille… Il vivait dans la maison d’habitation coloniale à étage en dehors du village. Il avait de l’air pour respirer, lui ! Béké était le terme employé par les propriétaires pour parler d’eux. Une distinction était faite entre les békés et les zoreilles, chacun à sa place !

Les classes sociale martiniquaises

La différence sociale était marquée. Mon enfance a été baignée d’histoires que m’ont racontées mes parents…. Au temps de l’esclavage : on utilisait des grands fûts pour saler la morue, quand une femme était enceinte, elle était mise dedans et le fut roulait jusqu’à ce qu’elle meure… abominable…

Le commandeur s’appelait Godet… quand les coupeurs de cannes se sont révoltés, ils l’ont tués. Il s’était caché dans un parc à cochon mais il a été rattrapé !
C e n’était pas la joie…

L’école n’était pas mixte. Nous n’avions pas d’uniformes donc on voyait les différences directement. La majeure partie des élèves ne portaient pas de chaussures. Un cordonnier nous avait fait des sandales avec des pneus de voitures. Nous étions heureux avec ça !

Les plus aisés étaient devant dans la classe et nous derrière. Les enfants des zoreilles étaient avec nous. La directrice était une zoreille mariée avec un antillais. Leurs enfants étaient dans la classe avec nous. Nos parents ne pouvaient pas nous payer tous les matériels et quand on lui demandait de prêter un crayon, elle m’avait répondu, parce que mes mains étaient pleines de verrues, "non je ne te le prête pas car c’est contagieux !"

Au travail dès 13 ans

Arrivée au Certificat d’Etudes, j’ai voulu quitter l’école à 13 ans. Mes parents étaient trop pauvres. Il y avait trop de frères et soeurs après moi et j’ai voulu aider mes parents pour que les autres aient des chaussures et tout ce qu’ils avaient besoin. J’ai demandé à mes parents d’arrêter pour travailler mais comme je n’avais pas 14 ans, les gendarmes sont venus à la maison pour me dire qu’il fallait que j’aille à l’école. J’ai fait encore un mois avant d’arrêter définitivement… Je faisais servante dans des maisons et j’ai gagné des sous pour aider mes petites sœurs.

Comme servante, je faisais le ménage, la cuisine, le repassage… chez des institutrices, des fonctionnaires pas tous européens. J’ai continué comme servante pendant la guerre jusqu’à mon arrivée à Sarcelles, en 1968. Je commençais à six heures du matin pour le petit-déjeuner jusqu’à dix heures du soir. Nous étions les dernières à aller au lit… les personnes faisaient leur besoin dans un pot de chambre, s’essuyaient avec un bout de tissu qu’il fallait ensuite nettoyer. Je n’avais au départ pas de jour de repos jusqu’au moment où j’ai travaillé à Fort de France après la guerre ou j’ai demandé à avoir mon dimanche pour aller voir mes parents… Nous mangions quand la dame avait fini de manger. Nous n’avions pas le droit de prendre la même chose qu’elle !

Adolescente, je rêvais au prince charmant… Je me voyais avec un mari et des enfants… quatre enfants que j’ai eus et élevés toute seule. J’ai eu mon premier enfant à 22 ans pour me marier à 47 ans.

Mon père avait fait la guerre 1914, pendant quatre ans. Il est venu une fois en permission en laissant ma mère enceinte… Papa racontait peu ses souvenirs de guerre mais la guerre franco-allemande n’avait pas de sens pour moi.. C’était loin de mes préoccupations.

Une guerre mondiale bien éloignée de la Martinique

La seule répercussion de la guerre fut le manque de matière première. Nous avions quand même les légumes de la campagne manioc, ignames, bananes, mais pas de sel, pas de savon. Il fallait faire du troc avec les marchands de poissons pour obtenir des choses, légumes contre poissons, farine de manioc contre du sel , de l’huile, des noix de coco contre du savon. Nous avions des poules, du lapin, des cochons… Nous ne mangions de la viande que le dimanche… un festin avec des haricots rouges… de la soupe de pied de veau… Nous faisions bouillir nos aliments avec de l’eau de mer pour avoir du sel… Nous râpions la noix de coco pour en récupérer du jus.

Quand l’un était malade, ma mère essayait de guérir ses enfants avec ses recettes. Tout le monde était un peu guérisseur sauf moi. Ma mère allait accoucher les femmes… Ma grand-mère l’avait aidé jusqu’à son troisième enfant. Elle s’est ensuite coupé seule le cordon ombilical avec l’aide de mon père. Nous n’allions pas chez les médecins… Nous n’avions pas de docteur à côté de chez nous. Nous allions chez le pharmacien qui fabriquait ses propres médicaments avec des feuilles.

La Martinique était dirigée par le gouverneur Ponton et l’Amiral Robert. Ils ne donnaient rien aux petits. Nous ne faisions pas attention au blocus de l’île par les américains sinon que nous n’avions plus de denrées… On trouvait de nombreux soldats sénégalais en Martinique. Je ne me déplaçais pas tellement à 15 ans et restais vers Rivière Pilote. Tous les grands événements se sont passés vers Saint Pierre et Fort de France.

Je ne sortais pas. Nous n’avions pas de radio, pas de journaux… rien ! Mon père et ma mère ne savaient pas lire. Le garde champêtre se déplaçait avec son tambour dans toutes les rues pour nous annoncer les nouvelles importantes… ce qu’avais dit le Maire et peut être la déclaration de guerre..

Une fille doit rester à sa place

J’ai commencé à me déplacer vers 18/20 ans. Nous ne pouvions rien savoir car quand les adultes parlaient, les enfants ne devaient pas les écouter et s’éloignaient. Mon père ne voulait pas que je sorte aussi nous étions contents de voir quelqu’un à la maison mais "les enfants ne doivent pas écouter les paroles des grandes personnes." Il fallait obéir et sortir… de la même manière, il ne fallait pas regarder quelqu’un dans le blanc des yeux. Il pouvait nous cracher dessus ! On ne pouvait pas croiser quelqu’un dans la rue sans dire bonjour.

Nous n’étions au courant de rien. Nous étions à 30 kilomètres de Fort de France. Nous n’allions ailleurs, au Marin ou à Sainte Anne, que pour vendre le fruit de l’arbre à pain au moment des vacances. Nous n’avons jamais vu d’allemands en Martinique. La canne continuait à être cultivée normalement… ma mère continuait à aller attacher la canne au moment de la récolte. Elle travaillait pour payer des habits neufs pour la rentrée des enfants.

Pour aller au bal, vers 18 ans, il fallait que la personne qui organisait le bal vienne nous inviter chez nos parents. Ma mère où mon père allait nous conduire… les parents pas les frères… Un gars m’avait parlé à l’oreille à un bal. Ma mère l’a vu ce qui a entraîné une bonne fessée ! J’avais 18 ans, en 1942. J’ai fait ce que j’ai voulu à ma majorité à 21 ans.

La dissidence des martiniquais

Nous avons vu partir certains hommes en dissidence quand De Gaulle est arrivé au pouvoir en 1944. Des femmes et hommes partaient dans des canots pour saint Martin mais tous ne sont pas arrivés. Certains ont coulé. Une amie avait voulu s’en aller mais ne l’avais finalement pas fait. J’aurais également voulu partir !

Mon frère a voulu s’engager mais ne l’a pas fait. Nous avions fait marcher ma mère en lui disant qu’il l’était mais lui avons vite dit la vérité devant son chagrin, "maman, c’est pas vrai !" Aucun jeune de mon entourage à Rivière Pilote n’est parti.

Un gros tissu épais destinés aux femmes comme aux hommes portait le nom de De Gaulle. Tout le monde était habillé pareil ! Il n’y avait plus de tissus. Nous utilisions des sacs en toile de jute.

La libération a été marquée par la fête aux Antilles même si la période de guerre ne nous a pas marqué. Que ce soit avant ou après la guerre, il y avait de tout mais encore fallait il pour acheter ce que l’on voulait ! Les gros pouvaient acheter ce qu’ils voulaient pendant la guerre. Nous avions bien vécu. Nous n’avions pas grand-chose… mais nous étions heureux quand même.

Tout le monde chantait….


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

Messages

  • J’ai lu votre histoire avec beaucoup d’émotion. Ne gardez que le meilleur dans vos souvenirs

    Joseline

  • Bonjour je m’appel naomie de 3°LCR du collège Belle Etoile à Saint-Joseph,comme en ce moment nous travaillons sur la martinique pendant la guerre mondial et de la dissidence donc après avoir lu votre article je me disais si vous pouriez venir nous parlé de la dissidence .

    naomie

  • J’ai lu avec intérêt votre histoire. Un fait cependant me semble discutable. Le gouverneur Ponton a été envoyé par le Général de gaulle quand la Martinique s’est ralliée à la France Libre c’est à dire en 1943. Je crois savoir que la population antillaise l’a beaucoup regretté. Il s’interessait à la culture antillaise et avait nommé l’écrivain Joseph Zobel comme attaché de presse à la culture.
    Il avait fondé une revue "Antilla". Sa mort prématurée a beaucoup affecté les Martiniquais.
    Cordialement. M.Alex

  • bonjour ,moi je suis originaire et pilotin du sud dans l’âme , a tt jamais .tte ma famille depuis l esclave est pilotine .G beaucoup aimé votre histoire et effectivement mon père mon grand père me décrivaient la vie comme vous .Je n’arrete pas de demander si on ’ aurait pas du rester comme ça sans le béké (bien sur).Merci de nous rapelé d’où on vient et comment on vivait.

  • Bonjour, j’ai 52 ans et je suis métropolitaine. mon père est allé travailler sur l’ile en 1952. Quand, petite, je regardais les quelques photos en noir et blanc de son séjour j’étais impressionnée par les bananiers et les maisons trés aérées !! Et cette photo qui a été malheureusement égarée est restée gravée dans ma mémoire.Je ne connais la Martinique que depuis 2003 et j’y suis trés attachée. J’aurais aimé la connaître telle que vous la racontez.

  • Bonjour,
    J’ai 46 ans, je viens de lire votre témoignage, mon arrière grand-mère me parlait de ces évènement quand j’étais enfant mais c’est plus les réactions de me mère née en 46 qui me viennent en mémoire suite à la lecture de votre texte. Elle disait toujours de faire attention, ne pas gacher la nourriture et garder les vetements trop petit cela peu toujours servir au cas ou l’amiral robert reviendrait et du coup je ne connaissait pas ce Robert mais il m’a terroriser dans mon enfance. J’ai aussi vécu une partie de ma vie de cette façon simple, maison au sol en terre battu puis avec un plancher, les chaussures misent à l’arrivé de l’arrêt du car pour éviter de les abimer ...
    Pour finir je pense que plus de personnes comme vous devrait témoigner dans les écoles pour apprendre aux enfants à etre heureux avec peu...

  • Texte très intéressant, émouvant aussi.
    A voir depuis le 18 juin 2010 une stèle aux TROIS ILETS en souvenir des dissidents, sur le front de mer.
    La seule stèle de la Martinique
    n’oublions pas les dissidents qui ont donné leur vie pour NOTRE LIBERTE...
    merci à monsieur CARBETY, correspondant défense de la commune des Trois-Ilets qui à fait cette construction.

  • UNE CEREMONIE SE DEROULERA LE 18 JUIN 2013 DEVANT LA STELE DES DISSIDENTS AUX TROIS ILETS A 10 HEURES......
    VENEZ NOMBREUX POUR NE PAS OUBLIER UNE PAGE DE L HISTOIRE DE LA MARTINIQUE.....
    CORDIALEMENT

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