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Sarcelles : K6 né en 1975
J’ai toujours dit : « le jour où la relève est prête, je partirai tranquillement ».
lundi 5 juillet 2010, par
Même si je n’ai pas été loin à l’école, j’ai été élevé dans l’esprit de la République. On est tous libres et égaux. Même si dans ma tête, je me disais : « mais non là-bas ils t’ont traité d’immigrés, là bas ils te traitent ! », je me disais : « On est tous libres et égaux, on a beau parler etc… ». Je n’ai jamais connu d’échec à cause de ma couleur. Même si on ne l’a pas connu, on entend parler du racisme : « les noirs ceci cela », mais moi, je n’en ai jamais été victime. Ça ne me touche pas. Ça ne me parle pas
K 6
Je m’appelle K6. L’histoire de mes parents je l’ai connu grâce à M. Frédéric Praud, je ne vais pas me mentir. Mon père n’a jamais voulu me raconter son histoire, ni lui, ni ma mère. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai apprécié le premier volet de « mémoires croisées », parce que mes parents ne l’ont pas dit à nous, directement, ils l’ont expliqué à vous. L’histoire, je ne l’ai eue que par écrit. Le cahier, je l’ai gardé. J’ai plastifié toutes les feuilles. Il est dans ma chambre. Je n’ai pas eu le film. C’est de là que viennent les souvenirs de mes parents, de mon père plutôt.
Participation des parents
J’ai eu ce souci de faire participer mes parents parce que mon père est quelqu’un de très réservé, il n’aime pas trop parler. Par contre, quand il sent un truc bien, il se dévoile. Mon père est très réservé. On est allé voir nos parents, et comme mes parents apprécient beaucoup Mme Morin, je lui ai dit : « Ne le fais pas pour nous tes enfants, mais fais-le pour Mme Morin », et il a dit : « bingo ! ». Ça l’arrangeait de le faire, parce qu’il savait qu’il allait partir définitivement à travers ma mère. Il fallait qu’il raconte sa vie à ses enfants. Il n’a pas voulu le faire directement parce qu’il allait avoir plus de larmes qu’autre chose. Il préférait le faire avec d’autres personnes et j’apprécie sa démarche. Donc je connais la vie de mes parents à travers « mémoires croisées ».
Porter l’histoire de ses parents
Avant, enfant, à Sarcelles je portais simplement l’histoire de mes parents en me disant que mes parents étaient des étrangers. Ils sont issus de l’immigration. Ils sont venus en France dans les années 70. Enfin mon père est venu en France tout seul dans les années 70 pour gagner mille cinq cents francs. Au départ c’était son métier et « je repars ». Puis il s’est attaché à ce beau pays qu’est la France. Il a fait venir ma mère et après, ils ne pouvaient plus partir. Tous ses enfants sont issus d’ici. Je me disais que mon père était venu ici pour la réussite, c’est ce que j’ai encore en tête malgré son histoire. Nous on n’a pas le droit à l’échec ! Quand on voit d’où ils sont venus, d’où ils viennent, ils viennent de loin. Mon père ne savait pas parler français, il ne savait pas écrire. Il a dû apprendre tout ça dans la rue. L’école, il n’avait pas les moyens, ma mère pareil, donc nous, on n’a pas le droit à l’échec.
Pas d’échec
C’est pourquoi aujourd’hui je suis là ; je me mobilise et je m’investis dans tout ce qui se passe, parce que je dis que je n’ai pas droit à l’échec. Si j’ai un échec je déçois mes parents. Mes parents, je n’ai pas le droit de les décevoir. Depuis l’âge de onze ans déjà je pense ça. Je disais à mon père : « je veux arrêter l’école ! Je veux arrêter l’école ! », il ne voulait pas : « Non ! T’attends seize ans ! ». D’ailleurs j’ai redoublé je ne sais combien de fois… J’ai arrêté en cinquième. Je n’ai pas été à l’école et une fois que j’ai eu mes seize ans, poum !... Bingo ! J’ai commencé à bosser ! Juste à mes seize ans, deux semaines après j’avais un emploi ! J’ai toujours dit : « il faut que je ramène de l’argent à la famille ! ». On est une famille nombreuse. Dix ans enfants. Je n’ai pas le droit de chômer.
Champions
Mon grand frère était champion, c’était un peu notre fierté. Chacun de mes frères a été champion dans un domaine, quel que soit le domaine. Ils ont terminé champion de foot, un était premier en karaté, un c’était à la boxe, donc on se disait : « peut être on est une graine de champion ! » ; moi je n’avais aucun sport que j’appréciais, je voulais juste réussir, quoiqu’il arrive : « faut que je bosse ! Et il faut que j’en fasse deux fois plus que les autres ! ». C’était ma motivation de base.
La réussite
Pour nous, jeunes Sarcellois, je ne pourrais pas dire, mais pour moi étant jeune, la réussite, c’était avoir une famille, avoir des enfants, payer ses factures, avoir un toit, assumer entièrement son rôle de père, et aussi exister au sein de mon quartier. Je peux l’expliquer. J’étais animateur, aujourd’hui je suis directeur adjoint, mais j’ai commencé dans l’animation. Sans jeunes il n’y aurait pas d’animateurs. Ma réussite je la dois peut-être à la jeunesse. C’est pour ça qu’aujourd’hui je fais tout pour la jeunesse, tout ce qui est dans mes possibilités. Tout ce que je peux faire !
Souvenirs d’enfance
Je suis né en 1975. Mes plus vieux souvenirs remontent à très loin. J’étais tout petit et à Sarcelles, il n’y avait rien. Pour l’animation, il y avait juste une cabane avec une petite maison, le « Terrain d’Aventure ». C’est tout ce qu’il y avait. Tous ceux de ma génération, c’est là-bas que l’on s’est formé. Quoi ! C’était le Terrain de l’Aventure ! Il n’y avait rien ! Des clous, un marteau pour construire des cabanes. C’est mon plus grand souvenir ! Aujourd’hui c’est ça qui m’aide à bosser. Je n’avais que des clous et un marteau !
Aujourd’hui, il y a vraiment les moyens, mais si nous, on ne se donne pas les moyens, c’est bien beau d’avoir les structures ! Ce n’est pas la structure qui fait l’animation ; ce sont les hommes dans la structure qui font vivre le quartier, et non la structure. On se retrouve vingt ans après, on a des structures de proximité, on a des maisons de quartier, on a des salles, on ne fait qu’un avec la mairie.
Le logement
Par rapport au logement on n’a jamais eu de difficultés, puisque à l’époque, il n’y avait pas autant de demandes de logement. On appréciait les gens à leur juste valeur. A l’époque, il y avait quand même du racisme etc. mais ce n’était pas autant que maintenant. C’est pourquoi à l’époque on voyait quelqu’un en difficulté, qu’il soit noir, blanc, jaune, on lui donnait un coup de main. Mes parents n’ont jamais eu de problèmes de logements, jamais ! Au contraire on a eu des aides.
Les colos
La seule chose que je voyais, que j’admirais, qui m’embêtait un peu, c’est quand mes collègues partaient en colonie de vacances ; moi je ne pouvais pas me permettre d’y aller. Je voulais y aller mais mes parents disaient : « on va payer », mais ma mère achetait toujours un truc : « J’ai fait dix enfants si je paye à toi, pourquoi je ne paierais pas aux autres ? Mais maintenant je veux bien payer à toi » ; dans ma tête je me disais, je n’ai pas le droit, je ne peux pas partir, il y a les plus petits.
Je suis retourné une fois en 1986 au pays. J’étais tout petit. C’était les vacances, deux mois, je me suis éclaté ! L’argent quand même, on s’éclate ! J’y suis retourné l’année dernière à cause du décès de mon père. Vingt ans après j’y suis retourné, et c’est vrai que j’ai vu les choses différemment. Depuis, tous les trois, quatre mois j’essaye de partir une semaine.
Identité
En 1986, quand j’allais en Afrique on nous appelait les Parisiens, donc on se sentait étrangers. C’est dur à dire, mais on se sentait étranger. « Parigots ! Parigots ! ». On se sentait étrangers. Même ici en France, dans les années 90, on nous appelait les étrangers, les immigrés, donc nulle part on est chez nous ! On a surmonté ça et on se dit, c’est grâce à ça.
J’ai vu un sketch d’un comique, il disait : « Moi je n’ai pas à m’intégrer, je suis né en France, je suis plus français que bien des français ». Tac ! C’est cette phrase là ! J’ai eu une remise en question à cause de cette phrase là. Je suis français, je n’ai pas à m’intégrer ! Je suis autant français que quelqu’un d’autre ! C’est pour cela que je me suis dit aussi : « Si certains peuvent le faire, je peux le faire aussi ». Je l’ai fait de mon côté, j’ai galéré, enfin mais bon, aujourd’hui je n’ai pas à me plaindre.
Ivoirien
Je me suis senti toujours ivoirien de par mes parents. Mais ce n’était que de mes parents ; tandis qu’aujourd’hui je me sens ivoirien à 100%, et français à 100%, même français à 120% ! Puisque je connais plus la culture d’ici que celle de là-bas. D’ailleurs c’est pour cela que je demande la double nationalité actuellement. Parce que vu mes origines, c’est peut-être la galère, la misère mais quelqu’un qui ne sait pas d’où il vient, c’est quelqu’un qui ne sait pas où il va ! C’est important de savoir d’où tu viens.
Je le dis clairement : la mort de mon père m’a éclairé ; elle m’a éclairé parce que j’aurais remis les pieds là-bas, mais pour passer des vacances etc. Tandis que maintenant j’y ai été plusieurs fois depuis la mort de mon père. J’ai vraiment découvert le pays !
Décloisonnons !
Avant je n’avais pas besoin de découvrir le pays parce je me disais : « mes parents, ils sont en France… ». Quand vos parents vivent à côté de vous en France, on est dans un monde. C’est comme les jeunes des cités, ils sont enfermés dans leur monde. Tout à l’heure j’en parlais avec mon collègue Steve ; il me disait : « K6, regarde ce qui se passe à la gare ». A la gare, il y a des petits, des pizzerias, des Grecs, donc les jeunes ne vont plus à Paris, parce qu’il y a tout. A l’époque, on allait manger des crêpes à Paris, à Montmartre. Maintenant il y a tout. Il faut les décloisonner, ils ne veulent plus partir de chez eux ! « On va manger une crêpe ? Oui…à la gare ! ». Ce n’est pas bon. Moi je ne me souciais pas de ce qui se passait en Côte d’Ivoire : « Mon père est là, ma mère est là, mes frères et sœurs sont là. Que demande le peuple ? ».
Les frères de mon père y étaient retournés, mais je ne les considérais pas comme ma famille. J’ai un père et une mère, après le reste… ce sont mes oncles, mais ma famille proche, ma vraie famille, c’est mon père, ma mère, mes frères et sœurs. C’est comme ça que je voyais les choses. Aujourd’hui c’est différent.
Même si je n’ai pas été loin à l’école, j’ai été élevé dans l’esprit de la République. On est tous libres et égaux. Même si dans ma tête, je me disais : « mais non là-bas ils t’ont traité d’immigrés, là bas ils te traitent ! », je me disais : « On est tous libres et égaux, on a beau parler etc… ». Je n’ai jamais connu d’échec à cause de ma couleur. Même si on ne l’a pas connu, on entend parler du racisme : « les noirs ceci cela », mais moi, je n’en ai jamais été victime. Ça ne me touche pas. Ça ne me parle pas. On ne parle pas de moi. C’est vrai que quand tu retournes au pays, tu vois des situations, tu t’informes sur ton pays, tu vois ce qu’il se passe. Waouh ! Le racisme on dit qu’il n’y en pas mais, il y en a !
Ne pas se replier
Aujourd’hui il ne faut pas se replier sur soi-même. La problématique est là. Moi ça me fait rire ! On se dit quoi : « On est dans la merde ! On est dans les quartiers défavorisés ! ». Non, il ne faut pas s’arrêter à ça ! Aujourd’hui la plupart des stars, des chanteurs, la plupart des grands footballeurs, des grands sportifs, sont des gens de cités. Si on se referme sur soi, on accepte d’être vu comme des minorités ou d’être des sous-hommes ! Je suis désolé de dire ça mais il faut aller au-delà ! Comment peut-on expliquer que certains n’ont pas été à l’école, et ont des postes bien et que d’autres ont des bacs + je ne sais pas combien et ils n’ont rien !
C’est vrai, il y a du racisme. Il y a un truc qu’il faut se dire, il faut de tout pour faire un monde ; il faut faire abstraction, il faut foncer ! Nous, Sarcelles, on est une des villes les plus assistées du Val D’Oise ! C’est bien, mais on voit que certains veulent encore de l’aide ! On ne peut pas ! On ne peut pas ! A un moment il faut aussi faire un effort ! Ça n’a rien à voir avec l’origine.
Les origines, ça peut jouer. L’histoire des parents c’est important. Quelqu’un peut être chamboulé à fond si ses parents ont eu des problèmes d’intégration. L’intégration des jeunes, pour moi, passe par l’intégration des parents. Moi, mes parents ont été intégrés facilement. Ils ont eu des soucis au départ, mais ils se sont intégrés automatiquement. Peut-être ont-ils eu de la chance, mais c’est notre façon de voir les choses.
10-11 ans / 22h-23h
A partir de dix, onze ans, dès que tu sors de l’école, tu rentres à vingt-deux, vingt-trois heures. Moi, je faisais du sport, je faisais du foot, donc je sortais de l’école à seize heures trente, j’allais au sport. Je finissais à dix-sept heures trente. De dix-sept heures trente à vingt et une heures, jusqu’à ce que ma mère rentre, je restais avec mes amis à traîner devant les porches, parler, à faire des petites bêtises. Certains s’arrêtaient en cinquième, troisième. Avant, en cinquième il y avait deux alternatives : soit tu rentres en apprentissage, soit tu continues ! Certains voulaient faire de l’apprentissage, d’autres voulaient carrément arrêter l’école. On disait qu’on allait travailler au marché ! On allait soulever des cartons ! On voulait gagner du fric ; on voulait du fric pour s’habiller, acheter des motos, pour faire ce que l’on veut, avoir la liberté, être indépendant en fait. « Tiens celui-là, il a un 501, celui-là c’est un bon !...c’est un chaud ! Les filles vont dire : « il a un 501, c’est un dur... c’est un gars du quartier ».
Les marques et les groupes
A cette époque, c’était un peu plus difficile ; le smic était à trois mille francs ou quelque chose comme ça, et c’est ce que nos parents gagnaient ! Pour nous payer des jeans qui à l’époque coûtaient trois cents francs… Si tu n’avais pas de baskets Nike ou Adidas, tu te faisais vanner par tes potes ! Il fallait tout le temps être au top ! C’était un luxe ! Moi à dix, onze ans, je bossais au marché et je vendais des fruits et légumes. Je bossais chez M. Ben Sidon.
Certains jeunes allaient travaillaient au marché. Il y avait ceux qui ne voulaient pas du tout travailler, avoir de l’argent facile. Des petits groupes se sont formés, des groupes disant : « non, on n’a pas besoin de bosser, on aura ce qu’on veut ! » et d’autres disant : « on va galérer mais on aura ce qu’on veut ! ». Le résultat, c’est le même. Un groupe c’est risqué, l’autre ce n’est pas risqué. Nous, c’était ce dernier ce groupe ; on est toujours resté uni et on bosse toujours ensemble. On a habité ensemble.
Le choix
Faire le guetteur, vendre du shit, après chacun a fait son chemin ; nous on n’était pas Dieu ou le père de n’importe qui, pour dire « fais pas ci, fais pas ça ». Notre chemin… on va être honnêtes, un jour ça paiera ! On a galéré, on a galéré, on a galéré ! Aujourd’hui on vit de ça. Mes parents ont été clairs sur le vol. Vu que l’on avait peur de l’Afrique, parce qu’on ne connaissait pas : « Celui qui vole, je l’envoie au pays ! ». Mes parents ont été clairs !
Une fois, un de mes frères a volé, ma mère l’a fouetté ! Elle n’a pas rigolé ! Un autre a fumé, mon père lui a fait peur, il allait le brûler ! Il l’a fait exprès. Ces choses là, ça nous a calmés ! Aujourd’hui, on dit aux gens « des parents indignes », mais quand tu réfléchis, si je n’ai pas été voleur, c’est peut-être grâce à toutes ces pressions du style : « On t’envoie au bled ! ».
Ouvrir les quartiers
Aujourd’hui les quartiers sont ouverts par notre boulot. Les animateurs essayent de mélanger des groupes, de partir avec Vignes blanches, Watteau, Sablons, Chardo. On essaye vraiment de mélanger un peu. C’était un désir du maire d’ouvrir ces quartiers. Ce n’était pas une obligation d’adhérer.
On s’est toujours impliqués dans le développement du quartier. Presque tout le monde nous respecte. Quand ma mère va parler, même si elle dit que ça ne lui plait pas, juste par respect le jeune va dire oui, il va partir. Il ne va pas parler avec ma mère, parce qu’il sait que nous, par derrière, on va se prendre la tête et ça va être difficile soit pour lui soit pour nous. Aujourd’hui plein font ça ! Quand les adultes parlent, ils disent : « oui ! Oui ! ». Ils s’en vont, ils ne disent rien. Mais après cinq minutes, ils reviennent. Ils s’excusent mais ils reviennent.
Grâce aux femmes
J’ai eu une chance ; si je n’ai pas été dans ces bandes, c’est parce que j’ai connu les femmes. Ils se moquaient tous de moi : « Toi t’es dans le faux ! T’es avec les femmes…Nous on des bonhommes, on est des hommes ! ». Quand j’ai connu les femmes, j’ai carrément déserté Sarcelles ! je faisais les actions de 505. J’ai carrément déserté ! Constamment j’étais à gauche, à droite, ils se moquaient tous de moi : « Toi K6, t’es dans le faux ! ». C’est vrai, la chance, je sais sur quoi on peut mettre ça ! Mon casier est vierge, je n’ai jamais rien fait, et c’est grâce à la gente féminine ! Aux femmes ! Eux, ils se moquaient de moi. Même quand tu étais un homme et que tu étais avec une femme, on te traitait de ringard ! « Oh ce ringard, lui c’est une vraie meuf ! ».
Arrêt de l’école
J’ai arrêté à seize ans, en cinquième. J’ai redoublé je ne sais pas combien de fois. Les guerres des écoles, c’est à cause des films. C’était les « warriors ». On regardait des films à la télé, qui nous rendaient fous ! Dans la cour, on essayait de faire la même chose. Les « warriors » ! On venait avec battes ! On savait qu’on n’allait rien faire : « On est plus fort que vous ! », sur le shirt on écrivait des trucs ! C’est les films…. Aujourd’hui c’est ce qui se passe encore.
La peur chez les adultes
La peur chez les adultes a toujours été là, et aujourd’hui, elle est encore là. C’est pour cela que les adultes ne parlent plus. La plupart ne va pas réprimander un jeune, ils ne vont rien dire, ils vont juste voter. Ils ne vont pas se prendre la tête, parce que leur seule façon de s’exprimer en tant que citoyen, c’est le vote. Ils ont peut-être raison sur un point, mais sur l’autre non.
Grands frères
Mes grands frères ne m’ont jamais rien dit. Ils ne se soucient même pas de nous ! Ils ne se prenaient pas la tête : « Fais ce que te dis tes parents ! ». Tout ce que me parents disaient, c’était « oui, oui, oui ». Lorsque j’ai dit à mes frères : « J’arrête l’école ! - T’arrête l’école ! Tu fais ce que tu veux…. ». Après avec mes parents : « t’arrête pas l’école, c’est pas bien ». Là, ils me faisaient la morale. Mes frères ne m’ont jamais pris la tête.
Les sœurs
Quand on écoute plus les sœurs, moi j’ai quatre sœurs, et que l’on arrive à les comprendre, la donne est différente. Ce n’est pas pareil que l’interdit. Je ne sais pas si j’ai raison, mais une femme, c’est comme un enfant. Quand tu lui interdis, elle n’aime pas, quand on t’interdit : « Pourquoi on m’interdit ça, si j’ai envie de le faire ?! ». Quelquefois tu as envie de le faire. Les sœurs, il faut les écouter, parler. Si entre vos sœurs et vous il n’y a pas de sujets tabous, on se dit tout ! Moi, je n’ai jamais joué la surveillance ou le flic : « Sors pas avec lui ! », jamais de la vie ! Il y a une particularité, quand on était petit, on traînait tous ensembles, à part les trois nés en Afrique ; on traînait tous ensemble. On était un bloc ! On était ensemble, c’est pour cela qu’il n’y a pas de sujets tabous. On se dit tout ! Mais s’il n’y a pas de dialogues entre les frères et sœurs...
Aujourd’hui les jeunes frappent leurs sœurs. Il n’y a pas de confiance. Pourquoi il n’y a pas de confiance, parce qu’il n’y a pas de dialogue. On sait très bien que sans dialogues il n’y a pas de merveilles. Ça va loin !
Les filles
Une fille dans la rue n’aura pas à chercher à s’affirmer. La différence est là. La fille va traîner dans la rue pour dire je suis une fille ? Non ! Tandis que l’homme veut toujours s’affirmer ! La fille est toujours plus en retrait. Les filles ont toujours mieux réussi, il n’y a pas photo là-dessus ! Mais je peux expliquer ça.
Mon père, quand on était petit, nous a toujours dit : « vous les hommes, c’est les muscles qui vont travailler pour vous ! Les filles, ce n’est pas les muscles, c’est ce qu’elles ont dans la tête ! ». Un homme a beau être bête, s’il est costaud, avec des muscles, on va le faire bosser à l’usine ! Mon père nous disait : « allez loin à l’école », mais par derrière, il prenait son exemple à lui. Il n’a pas été à l’école, rien ! Ce sont les muscles, il a bossé à l’usine. A l’usine, on ne te demande pas si tu es intelligent ou malin. Tu as juste les caisses à prendre. Toute la journée ! Tu les prends, tu les mets là ! Tu n’as pas besoin d’être intelligent ! Tandis qu’une femme, on ne va pas la faire travailler à l’usine. Elle travaille son cerveau.
C’est peut être pour ça que la plupart des filles d’origine étrangère, immigrées, ont des difficultés à être dans la société aujourd’hui, parce que c’est un mélange entre la république, la façon dont on vit en France, et les traditions.
Les filles et le mariage
La plupart du temps dans ma famille là-bas, les filles sont à l’école. A l’école ça se passe très bien, ensuite, ça commence à mélanger les parents. Comme ils ont peur que la fille tourne mal, ils vont lui parler mariage. Elle va arrêter l’école du jour au lendemain ! Elle va se marier au pays. Ça se fait et bien souvent ! Allez dans les écoles et demandez combien de filles arrêtent l’école du jour au lendemain pour un long voyage ! On sait très bien, c’est des mariages par derrière ! Quand elles reviennent en France, cinq, six ans après, elle sait parler, mais elle n’a pas cultivé son cerveau, parce qu’elle n’a pas été à l’école. On la retrouve à faire des ménages. Mes tantes font toutes des ménages. Ça m’embête un peu. C’est ma façon de voir les choses, on peut se marier tout en restant à l’école. Mais la tradition, c’est la marier assez rapidement ; c’est une angoisse.
Le rôle des animateurs
Les acteurs de terrain aussi ont une action, je l’ai toujours dit. Certains jouent leur rôle, d’autres ne le jouent pas. C’est-à-dire aujourd’hui, vous allez voir un planning vacances de structure, ça va être Astérix, etc… mais ce n’est pas bon ça ! Ce que je voudrais, ce sont des petites choses, comme le bateau-mouche, le musée Grévin, la tour Eiffel. Il y en a, ils habitent ici et n’ont jamais été au stade de France, pourtant c’est à cinq minutes d’ici ! Tous les étrangers vont au stade de France, à la tour Eiffel, vraiment les valeurs de la France…et nous non ! On est là ! Les gamins ne rêvent que du parc Astérix ; maintenant on voit bien ce qui marche avec les jeunes, ce sont les jeux à l’ancienne, les trucs à l’ancienne. Les informateurs ensemble, les histoires de l’auvergnat, la France profonde quoi ! La France à l’ancienne. La connaissance de l’environnement autour on ne l’avait pas ! C’est clair. La ville a changé ; avant on avait des quatorze ans, dix-sept ans, aujourd’hui on a des six ans ; mais je trouve que ce n’est pas plus mal. On fait un travail avec eux. Il faudra voir le résultat dans quatre, cinq ans.
Steve
On se moquait de Steve parce qu’on n’avait pas les moyens de sortir, c’était très difficile. On était dix enfants, eux n’étaient que deux. On était dix et c’est peut-être pour ça qu’une fois que l’on a pris notre indépendance, parce qu’on habite ensemble avec mon frère, les deux premières années on n’a fait que bosser. Il nous manquait un truc. On a piqué une voiture, on est parti au Mexique ! On n’a fait que voyager, en Angleterre, en Allemagne, et d’ailleurs aujourd’hui on continue.
J’étais content à quinze ans, je me disais : « bientôt je serai grand ! ». Il faut dire la vérité, quand j’avais quinze ans, je disais déjà que j’avais dix-huit ans, comme j’étais grand ! A quinze ans, c’était encore vouloir découvrir la vie. J’étais limité, je ne pouvais pas avoir de vacances tout le temps, tout le temps. Mais je voulais trop quand je voyais Steve ! Il est parti chaque année en vacances, je me suis dit : « Waouh ! Qu’est-ce qu’il se passe là-bas ! ». Après, quand il revenait, pendant toute l’année, jusqu’à l’année d’après, il me racontait ses vacances. On lui prenait la tête : « Mais c’était comment ? - Tu vois, on a fait des trucs comme ça ». Il me parlait de la planche à voile, des trucs que je ne connaissais pas. « Mais c’est quoi çà ? » et il repartait. On s’évadait, une véritable évasion par ce qu’il a vécu.
La mère de Steve est venue nous voir. Clairement elle a dit :
« Est-ce que je peux te parler ?
– oui
– vous avez la tête sur les épaules et j’ai un service à te demander
– Oui …c’est lequel ?
– Moi, je vais partir aux Antilles définitivement. Je veux partir avec Steve mais s’il ne veut pas, il doit rester avec vous ; je ne peux pas partir et laisser mon fils n’importe où. Mais si vous, vous promettez de le garder… Je vous le laisse en confiance. Je m’en vais ».
On est parti, on a discuté, on a parlé à sa mère et il a dit à sa mère : « je te jure que je vais arrêter toutes mes conneries… t’entendras plus jamais parler de moi et tu seras même fière de moi ! ».
Depuis ce jour il n’a plus fait aucune connerie. On a même réussi à lui trouver un truc à la mairie, ensuite on l’a fait basculer ici et depuis il n’a plus jamais fait de conneries. Il a payé toutes ses amendes, toutes ses dettes. Il a fondé une famille et maintenant on est toujours ensemble.
Les deux morts de Kœnig
Je me rappelle qu’on a eu deux morts. A Koenig comme au quartier on s’est toujours impliqué. Même quand on parle un peu, même si les gens s’en foutent, ils nous respectent. On a réuni tous les jeunes ici et on a commencé un lavage de cerveau ! Parce qu’ils savaient qui c’était, mais ne voulaient pas le dire : « Non ! On va allait les venger nous-mêmes ! ». J’ai réuni tous les jeunes ici et on a commencé à parler. Ils étaient au moins cent cinquante dans la salle. On a parlé ! On a parlé ! On a parlé ! À la fin de la journée, les jeunes ont donné les noms des personnes ; quelques jours après, ils les ont retrouvés à l’aéroport. Ils allaient prendre des billets pour partir définitivement. Je pouvais les comprendre quand je faisais le discours, je leur ai dit : « Je ne cautionne pas ce que vous allez faire mais je peux vous comprendre, par contre … ». J’étais plus vieux qu’eux, mais ma maturité à moi je l’ai faite grâce à eux.
Médiateur
A chaque fois qu’ils avaient de gros soucis, ils venaient me voir et j’arrivais à trouver de solutions. J’ai un rôle de médiateur. Grâce à ça je voulais toujours en apprendre plus. Chaque fois qu’il y en avait un en grosse difficulté, il venait me voir et j’essayais de trouver une solution, ça me donnait de l’importance à moi. Vu qu’à un moment ils me traitaient : « toi t’es tout le temps avec les meufs ! », j’ai trouvé ma place ! Je pense c’est ce que j’ai gardé encore. Aujourd’hui on me propose plein de trucs partout. Mais non ! Je reste là !
Mentir pour un boulot
Quand on sort de l’école à seize ans, on ment. C’est mentir. N’importe quel boulot ! Mon premier boulot, j’ai vu : « recherche CAP plomberie diplômé », j’ai dit : « j’ai mon CAP » ! J’ai commencé à mentir. J’ai passé les tests. Je copiais toujours sur la personne d’à côté ! Tous mes boulots j’ai fait pareil, et ils m’ont retenu. Au bout de quatre, cinq mois, ils voyaient que je n’avais aucun diplôme, mais ils me gardaient parce que j’étais motivé ! Un jour, ils m’ont mis à la porte et ce jour là, les collègues se moquaient de moi : « Je vais retourner en bleu dans même pas trois semaines ! - tu ne pourras pas ! ».
« Recherche CAP boulanger ». On m’a dit : « t’as ton CAP - Oui j’ai mon CAP ! ». J’ai menti pareil, ils m’ont pris sept, huit mois ; après « recherche commis de cuisine », j’ai toujours menti ; pas de boulot fixe, mais je trouve toujours du boulot et j’ai toujours trouvé du boulot ! J’ai toujours menti ! Je ne l’ai jamais caché ! Ma mère m’a dit : « mais comment tu fais ? Tes grands frères n’arrivent pas à trouver », moi je suis un menteur !
Les petits boulots, ça a duré quatre ans jusqu’à vingt, vingt et un ans, j’ai arrêté tout ça parce que j’ai eu une bonne opportunité. Depuis la création de la maison de quartier, je travaillais comme bénévole ; j’étais le premier jeune à avoir mis les pieds dans cette maison de quartier, avec Mehdi. A cette époque je faisais de la livraison dans la société de ma mère. Ils m’ont dit K6 : « on a un emploi jeune pour toi », j’ai dit « Bingo ! ». Et maintenant je suis rentré comme agent.
… Les voyous d’avant ne sont pas les mêmes qu’aujourd’hui. Les voyous d’aujourd’hui sont un peu plus calmes. Ils sont plus calmes dans cet esprit là, mais dans la délinquance ils sont un peu plus hard ! À l’époque c’était de la main à la main, des bâtons, aujourd’hui c’est des armes. Il y a plus de grands, plus de petits.
Le respect des grands
Le respect des grands s’est perdu. Avant je pouvais parler avec un grand seulement s’il me disait : « viens ! Va m’acheter mon pain », j’y allais, je ne parlais pas, je ne décrochais pas un mot. Il ne me donnait pas la monnaie ou rien. Aujourd’hui, tu dis à un petit : « viens ici - qu’est-ce que t’as ? Comment tu me parles ! Tu sais qui je suis ? ». Avant il y avait une hiérarchie ; maintenant même envers les filles, les meufs avant, ils les respectaient, ils ne voulaient pas les voir traîner, mais ils les respectaient. Aujourd’hui, ils ne respectent plus du tout la femme !
Bilan
J’ai de la chance, parce que dans notre groupe, on n’était pas beaucoup, on était six ou sept. La plupart est bien. L’un de mes amis est chez Mercedes. Un autre travaille chez EDF, un grand truc. L’une a créé sa boîte. Nous, c’est grâce aux femmes. Mon souhait, c’était de rester sur le terrain, donc je suis resté sur le terrain. Les autres ne sont pas restés à Sarcelles. La plupart est parti. Ils partiront tous. Quand ils s’en sortent, ils vont ailleurs.
Le maire a dit quelque chose avec quoi je suis d’accord : « soit il va aller habiter ailleurs, soit il va tout faire pour quitter Lochères et aller vers le village et les Chardo ». Ici, ils disent que les Lochères, c’est le ghetto, tandis qu’au village ou aux Chardo, c’est tranquille. Il n’y a pas toujours des voyous en bas de chez toi. J’habite aux Chardo depuis six ans, ils m’ont proposé six, sept appartements ici, j’ai toujours refusé. J’ai dit : « Moi je veux habiter là-bas », et quand ils m’ont mis au coin là-bas, tu vois la différence. Ici je viens, c’est agité, je bosse, je fais mon travail, mais quand je suis là-bas, je suis tranquille. Aux Chardonnerets c’est tranquille.
La relève
Si je pars d’ici, tout le travail de structure que l’on a fait ne servira à rien ; mais il faut créer la relève. J’ai toujours dit : « le jour où la relève est prête, je partirai tranquillement ». J’ai fait plein d’actions, acquis de la maturité et partir maintenant, ce n’est pas bon. Par contre quand ils seront tous formés, je prends mes cliques et je m’en vais !
J’ai choisi Chardo. Je bosse dans ce quartier. Quand tu bosses dans ce quartier tu n’as pas d’heure. A dix-neuf ou à vingt heures, les chefs sont chez eux, ils n’habitent pas Sarcelles. Même quand je vais acheter une baguette avec ma sœur, pour les jeunes, K6, il travaille ! Il n’y a pas cette barrière de dire, il y a l’emploi et la vie privée. Ils vont venir voir à vingt-trois heures pour demander des préservatifs, parce qu’ils savent qu’ils ne peuvent pas en avoir et que nous on en donne gratuitement. Quand j’habitais chez ma mère, ils venaient sonner chez moi : « K6, faut que je te vois, c’est important - pourquoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? - T’as pas un ou deux préservatifs ! ».
Là-bas je suis avec ma femme, mon fils. Il n’y a pas ce truc là. Ce n’est pas par plaisir. Sans cela je serais resté ici. La meilleure solution avec les jeunes, c’est de les voir vivre. Moi je vis dans le même lieu où les mômes traînent. On ne bosse pas le dimanche, on va au quartier. On s’installe et c’est là que l’on apprend les nouvelles, les soucis : « J’aimerais bien faire une formation gratuite - Viens mercredi je vais te présenter une dame. Elle va t’aider. ». Ils ont pris cette habitude avec moi, à n’importe quelle heure. Parce que je suis une référence. Quand je suis aux Chardo, ils ne vont pas se déplacer jusqu’à là-bas.
Génération de transition
On est une génération de transition. C’est à nous à faire la part des choses. Pour les jeunes, on est peut-être un critère de référence pour eux, et pour nous, les anciens sont des critères de référence. Si on ne fait pas passerelle, à un moment il y aura un problème. Les anciens viennent pour expliquer leur vécu, les jeunes ça ne leur dit pas ! Par contre, au quartier, je vais leur parler constamment. Lorsque l’on part en séjour, on leur laisse quartier libre. Je n’aime pas beaucoup cette expression, parce que ça veut dire qu’ils sont en prison tout le reste du temps. Lorsqu’on les laisse s’éclater entre eux, ils ne partent pas, ils restent avec nous. Comment c’était il y a cinq, dix ans, on commence à raconter et ils adorent ça ! Ils ne vont pas se repérer aux anciens mais à ceux qui sont en face d’eux, nous ; et nous on se réfère aux anciens. C’est ça la passerelle.
Quartier – laboratoire
Sarcelles est une ville laboratoire et ce quartier est un quartier laboratoire. On dirait que tout participe. Ils se disent : « on n’a pas le temps de faire comme les autres ». Pour eux, on est mieux que les autres. Alors que non, j’ai des connaissances que certains n’ont pas, certains ont des connaissances que je n’ai pas.
Ici c’est notre problème. Je vais mettre un intermédiaire pour les aider, ils ne vont pas aller le voir : « K6, nous c’est toi qu’on veut - Si je vous envoie vers quelqu’un, c’est que je ne suis pas en mesure de le faire ». Mais ils ne vont pas comprendre ça. Ils vont dire : « bon tant pis ! ». Ils ne veulent pas aller à l’ANPE, pourquoi ? « Parce que ça ne nous parle pas… ». C’est à nous de le faire. On est trop assisté. C’est peut-être une volonté des élus, de nous mêmes. En faisant ça, on ne les aide pas. En faisant ça, ils font des efforts aussi. J’ai choisi grâce aux jeunes. Tout le monde n’a pas choisi d’aider les autres.
Texte réalisé par Frederic Praud