Le premier salarié agricole du domaine actuel
Monsieur Chauveau né en 1933 - domaine des Chaulnes
MONSIEUR CHAUVEAU, SALARIÉ DU LYCÉE AGRICOLE
L’achat de Chaulnes par le Lycée agricole
Les sœurs Eloire avaient vendu le domaine à des anglais. Lors d’une vente comme celle-ci, les intermédiaires étaient obligés de passer par la SAFER. Le Lycée agricole disposait alors de terres à Salgourde, 35/40 hectares. Ces terres avaient été données à l’équipement par Madame de Genis puis rétrocédées au Lycée agricole. Ces terres étaient louées à l’années et nous ne savions jamais si nous pourrions continuer à les cultiver. Mais Monsieur Guéna (Maire de Périgueux) nous a proposé « vous cultivez les terres de Salgourde et vous partez le jour où je vous trouve des terres quelque part ». Le lycée avait obtenu un permis de construire pour une stabulation libre où nous devions produire du lait pour le livrer en ville. Je devais alors habiter auprès du château pour traire les vaches. Nous voulions également drainer toutes les terres proches de la rivière. Le camion de drain devait arriver l’après-midi quand nous avons reçu, un matin, une lettre recommandée avec accusé réception de Monsieur Guéna. Il nous avait trouvé la ferme des Chaulnes.
Des vaches comme des zébus
Je suis venu avec ma femme voir le domaine pour la première fois un lundi de Pâques. Nous étions à la moitié du chemin qui mène au domaine quand ma femme me dit, « ce n’est pas là ». Une barrière bloquait la route. Le directeur de l’époque ne m’avait rien dit. Mon chef m’avait bien donné le nom de la ferme mais je ne l’avais pas retenu. Je pensais à Chaumeille. Nous voyons donc des friches partout, des vaches dans les bois. Ma femme me dit « ce n’est pas là ! » Nous prenons la route de Grignols et demandons notre direction à quelqu’un en arrivant dans le bourg. Je lui demande, « vous ne connaissez pas une exploitation qui s’appelle Chaumeille ou quelque chose comme ça ? » Il m’a répondu, « Chaumeille est mort. On l’a enterré hier. » « Mince, un gars du village est mort. On ne va rien en tirer ! » Et nous prenons la route de Manzac.
Sur cette route avant Manzac, nous trouvons un ancien paysan à la retraite avec son râteau en bois sur l’épaule. Il venait de faire du foin sûrement pour ses lapins. Il avait fait très sec… Nous lui demandons, « Il y a deux vieilles filles qui y habitent.. » Il me répond, « c’est Chaulnes » « Mais où c’est ? » « En haut. » Là où nous étions déjà allés.
Nous laissons donc cette fois ci la voiture en bas du chemin et sommes venus à pied jusqu’aux bâtiments. Nous entendions les femmes qui s’engueulaient dans leur maison. « Ça barde… On ne va pas trop se faire voir. » Nous avons bien remarqué un mètre vingt de fumier partout à droite et à gauche, avec des bêtes dans un état lamentable, des os de vaches crevées. « Qu’est ce qui se passe ? » Et des chiens pas très fins qui nous auraient mangés… Nous sommes repartis sans voir les sœurs. Nous avons vu des bêtes nous courir après tellement elles avaient faim, les moutons pareils. « Ce n’est pas vrai… Ce sont de vrais zébus ! ». Il y avait alors 40 vaches et 100 mères brebis. C’était triste. Il n’y avait rien à manger dans les champs, que des cailloux et de la terre.
La première terre défrichée fut la grande terre située dans les bois. J’avais un tracteur à quatre roues motrices, 100 CV et je ne pouvais pas me déplacer en marche avant dans ces friches. J’ai tout nettoyé avec le girobroyeur, huit hectares et demi en marche arrière. L’arc devait marcher à 100 tours. Il ne pouvait pas fonctionner à 550 tours. Les chasseurs m’ont dit que même les chiens ne voulaient plus y entrer. C’était le domaine des sangliers. J’ai donc passé 38 heures en marche arrière et une fois fini ce travail, j’ai labouré l’ensemble.
Un départ déchirant
J’ai travaillé au moins 18 mois avant de m’installer dans la chartreuse avec ma femme. Les sœurs y habitaient toujours et ne voulaient plus partir. Elles avaient vendu le domaine 240 millions (ancien francs) aux anglais et le lycée avait dû payer le même prix. Cela ne les valait pas. Les sœurs devaient payer la mutualité mais également tous les dégâts occasionnés aux voisins par leurs sangliers. Une fois toutes les sommes réglées, le cheptel de vaches, comme les moutons, appartenait à un marchand.
Elles avaient un amour immodéré pour leurs vaches et leurs moutons. C’était tout pour elles… Elles ont donc racheté le troupeau mais elles n’avaient plus d’argent pour partir. Un membre de leur famille les a aidés pour qu’elles puissent partir et acheter une ferme en limite de la Creuse. La plus jeune des deux sœurs avait alors 60 ans…
J’avais commencé à labourer tous les champs après avoir passé le girobroyeur. Il n’y avait que deux parcelles assez propres mais il fallait quand même refaire les bordures. On passait plus facilement en tracteur aux pieds des arbres qu’à dix mètres où les branches touchaient par terre et les ronces s’y accrochaient. Il a fallu refaire toutes les bordures en élaguant les arbres à la tronçonneuse, installé sur une fourche de tracteur.
Une fois les terres nettoyées et labourées, les sœurs ne pouvaient donc plus mettre leurs bêtes. Elles m’ont demandé, « et si on restait avec vous, cela vous gênerait beaucoup ? » « Cela n’est pas de mon ressort…Je ne suis pas le chef » Elles ont donc trouvé une autre ferme. Une est partie avec un premier chargement de bêtes. Le transporteur a fait deux chargements et m’a expliqué, « c’est encore pire qu’ici, une ferme de 16 hectares utilisée auparavant par des marchands de chevaux. Il n’y a que du crottin partout et pas un brin d’herbe… et la ligne de chemin de fer passe au milieu ». L’hiver arrivait. Comment allaient-elles faire ?
J’ai revu peu de temps après, une des sœurs venir avec un fourgon loué à Limoges. Elle avaient laissé 7 ou 8 grosses bottes de paille que j’avais ramassées pour éviter qu’elles mouillent. Elle me dit, « je viens chercher ma paille ! » Mais son fourgon s’était enterré au milieu de la cour. « Comment faire ? » Je lui réponds, « je vais dételer mes charrues et avec la barre, je vais lever la camionnette. Vous sortirez alors tout ce qui gêne » Je lève mais quand elle s’est mise à genoux, elle me demande, « et quand je vais être dessous, vous n’allez pas rebaisser ? » « Non, non…Je ne suis pas encore rendu là… » Le camion fumait pour repartir. J’ai dû le pousser. J’avais chargé les quelques bottes de paille. Elle avait apporté 25 kilos de maïs acheté à la coopérative de Saint Astier pour ses sangliers. Elle les considérait encore comme sa propriété…
Elles avaient quand même eu une très belle exploitation à leurs débuts, avec du bon matériel, tracteur, moissonneuse batteuse, mais beaucoup s’en sont servis et ramenaient le matériel cassé. Elles m’avaient confié « si nous en sommes arrivées à ce point là, ce n’est pas notre faute… mais on nous a bien aidé ». Quand je suis arrivé, il ne leur restait plus qu’une brouette avec le montant et la roue. Deux vieilles voitures en panne attendaient le ferrailleur dans un hangar. Elles n’avaient plus rien du tout. C’était triste.
Le minimum vital
La première fois que je suis entré dans la cuisine des sœurs, j’ai vu quatre chiens couchés sur la table. Ça sentait le chien ! L’hiver précédent notre installation au domaine, il avait neigé et fait très froid. J’avais été huit jours sans venir. Leurs bêtes crevaient de faim. J’avais fait la bordure de bois sur le champ face à la grille. Je trouvais des tas de bois secs, des châtaigniers morts. Je m’étais arrêté de couper le soir à une taille de châtaignier mort. Les jours précédents, elles m’avaient dit qu’elles ramassaient leur bois au clair de lune. Elles n’avaient pas de bois d’avance.
Quand je suis arrivé le lendemain matin ma taille de bois sec était sciée mais avec une petite scie très fine. Elles n’avaient pas de hache, rien du tout… J’étais vraiment surpris alors le soir avant de partir, je leur ai amené une remorque de bois sec, scié au format de leur vieille cuisinière. Je les ai appelées du portail car je n’avais pas le droit de rentrer. Je leur ai dit, « je vous apporte du bois. Il est scié pour votre cuisinière. » « Oh non. On n’en veut pas… Merci bien » J’ai continué, « Allez… Ouvrez- moi votre portail ». Elles ont ouvert le portail et j’ai basculé le bois. Il est tombé et est resté de la neige pendant au moins 15 jours. Elles n’ont jamais touché au bois. Elles l’ont pris par la suite car j’ai insisté, « vous êtes vraiment dures. Je ne veux pas vous faire de mal ! Je ne vous demande rien du tout mais chauffez vous… » Elles n’avaient rien du tout. Les chiens les réchauffaient.
Elles mangeaient des sangliers qu’elles tuaient. Dans la ferme du bois, elles attiraient les sangliers dans le bâtiment avec des épis de maïs et elle fermaient les portes avec une ficelle. Elles les tuaient ensuite avec une carabine. Elles vendaient également des lots de sangliers pour la viande.
Pendant l’hiver, elles portaient des vêtements déchirés et marchaient pieds nus dans des bottes également toutes déchirées. Elles n’avaient plus d’argent…Certains voisins venaient en disant « vos sangliers m’ont mangé du maïs. Vous me devez tant ». Si elles avaient l’argent, elles payaient. Certains plantaient exprès dix rangs de maïs entre les bois. Ils savaient qu’ils allaient être mangés par les sangliers mais en faisaient payer la valeur de 30 rangs.
La mère Eloire avait été enterrée sous les sapins. Les sangliers l’avaient déterrée et le cercueil fut mis dans la chapelle. Un matin alors que je venais travailler avec le tracteur et deux élèves, je vois le père Mirabel, le Maire de Grignols, sortir de la cour. Je remarque alors un fourgon gris, un Tube, reculé vers la chapelle et deux gars avec des blouses blanches venaient chercher les cercueils. Ils avaient fait un trou dans la chapelle et ont amené les corps au cimetière de Vergt.
L’installation
Je devais habiter sur le domaine avec ma femme mais l’eau courait sur les murs d’habitation qui étaient dans un état lamentable. La salle à manger était située sous la tour à côté de notre pièce d’habitation. C’était tout ce qu’il y avait de beau.
Mon chef avait dit a ma femme « vous habiterez la grande pièce où vivaient les sœurs. » Elle lui a répondu, « écoutez monsieur. Je suis désolée mais je n’ai rien à faire à Chaulnes. J’y vais parce que je dois suivre mon mari mais si je dois habiter dans ces conditions, je n’y vais pas ! C’est bien clair entre nous et je ne le redirai pas deux fois » Il voulait garder la grande salle à manger que nous avions pour faire des réunions avec les professeurs. « Les professeurs viendront une fois tous les six mois et moi j’y serai tous les jours ! C’est bien à nous de disposer de cette pièce. Nous pourrons voir la campagne. C’est à prendre où à laisser où je n’irai pas loger là-bas. » Ils ont donc fait arranger le bâtiment pour que nous puissions l’habiter. On nous a tout refait, retapissé, installé une salle de bain, une cuisine, une chambre. Nous n’utilisions pas la cuisine des sœurs Eloire.
Ma femme travaillait en usine, à Fromarsac dans une fromagerie, et pour elle, avec ses horaires assez difficiles, le domaine était un lieu privilégié de calme et de repos. Nous venions du lycée agricole où nous en avions bavé pendant des années en termes de voisinage. Chaulnes était donc le paradis… Nous avions la paix. Nous étions seuls…Nous avons habité huit ans sur le domaine jusqu’en mai 1993 où j’ai pris ma retraite.
Le chemin d’arrivée était en très mauvais état. Une pancarte 30 à l’heure avait été installée mais elle était inutile car on ne pouvait pas rouler plus vite ! En un an et demi les amortisseurs étaient cuits… Lors du premier hiver que nous avons passé là, ma femme avait interdit au facteur de rentrer dans la cour car il tournait avec sa voiture et creusait des trous. Les soeurs Eloire avaient installé leurs vaches dans cette cour qui restait encore boueuse. Le facteur défonçait tout. J’ai dû mettre de nombreuses charretées de pierres pour la remettre en état.
Ma femme a connu les deux sœurs. Elles lui montraient les coins à châtaignes, à champignons. Elle est venue ramasser des châtaignes mais comme les vaches circulaient partout il n’y en avait presque plus. Nous en avons trouvé après leur départ.
Des chasseurs sans gêne
Un dimanche où ma femme était partie chercher des ceps dans les bois, elle aperçoit un chasseur tous les dix mètres. Ma femme leur demande, « on ne peut même pas chercher des ceps ? » On lui a répondu, « vous n’avez pas intérêt à rester là ». Elle est revenue l’après midi se promener avec notre fille. Nous étions encerclés partout, même sur la route. Nous ne pouvions pas nous imaginer ça… La gendarmerie est passée un jour et a mis 16 PV à des chasseurs qui avaient leur fusil sur la route.
Les chasseurs avaient mis au point une combine pour occuper les sœurs. L’un d’eux venait discuter avec elle, leur faire la conversation pendant que les autres allaient chasser partout sur leurs terres et bois. Ils venaient près des bâtiments car quand les sangliers entendaient les coups de fusils, ils venaient immédiatement se réfugier dans les granges.
L’état des lieux
Quand je suis arrivé, je mettais mes bêtes dans la première grange du bas qui existe encore aujourd’hui. Il n’y avait pas l’eau. La conduite d’eau de ville qui arrivait dans le domaine était en mauvais état. Nous l’avons fait refaire à neuf. Nous avons tiré une tranchée pour amener l’eau dans les granges. L’eau devait auparavant venir de la source en bas du coteau. La maison à côté de la grange était encore debout. La toiture était bonne. Elle a été détruite par Maze, l’entrepreneur, pour avoir de la pierre et refaire les chemins.
Nous étions alors envahis de blaireaux qui faisaient peur aux bêtes. Le chef faisait partie d’un syndicat de chasse et en a parlé au garde forestier. Le garde et son fils sont venus un samedi matin, accompagnés de quelques chasseurs et chiens. Nous avons eu les six blaireaux.
Il ne restait plus rien de la deuxième ferme située à côté de la grange encore debout, seuls quelques murs. On voyait encore les murs de la troisième ferme située en descendant vers la source. Nous avons utilisé les pierres pour faire les chemins. La ferme située dans le parc à sanglier des sœurs Eloire était en état mais je ne l’ai jamais vue habitée. La ferme près de la route de Saint Astier était presque par terre. Nous avons également utilisé ces pierres pour les chemins.
Autour de la grande cour, la chapelle était en état. La rampe d’accès au pressoir était toujours là mais la cuve en bas était cassée. La toiture du bâtiment était bonne. Elle avait été refaite peu de temps auparavant. À la place de la tour, on trouvait une grange où je mettais les outils, tracteurs.
Du côté des anciennes écuries, on trouvait une porcherie en très mauvais état. Il n’y avait plus de cochons mais un mètre de fumier. Du côté de la cuisine, on trouvait la laiterie car le sœurs Eloire fabriquaient, elles-mêmes, le beurre. On voyait également un four à pain puis venait l’habitation.
Les citernes
J’ai dû enlever l’ancienne ligne électrique qui servait à mettre en route la pompe à eau près de la source. Les fils étaient par terre. Les poteaux étaient cassés. Cette pompe amenait l’eau dans une citerne en béton, située près de l’ancien jardin. Elle était installée sur quatre grands poteaux. Quand les travaux ont été faits dans les années 90, après mon départ, la citerne a dû être détruite.
On n’utilisait plus le puits de 45 mètres dans le bois. Nous avions fait venir les pompiers pour le vider. Ils ont eu de grandes difficultés à le faire. Vers 1985, la chambre d’agriculture a eu l’idée de faire faire des forages dans le bas des prés, sous le domaine, pour trouver de l’eau et arroser tout le secteur. Ils voulaient faire des luzernes du tabac, du maïs. Ils avaient demandé aux voisins s’ils étaient intéressés pour bénéficier de l’eau des forages. Un seul a répondu positivement. D’après leurs calculs, il y en aurait eu assez pour tout le monde. Le forage a commencé. Arrivés à 220 mètres, ils ont trouvé une source à 7 mètres cubes à l’heure. Ce n’était pas assez. Ils ont alors foré à 400 mètres pour ne trouver que de la roche. Le trou (financier) a été bouché. Il est possible qu’il y ait une rivière souterraine mais ils sont passés à côté.
Ils auraient dû simplement fait un étang comme nous l’avons fait par la suite. J’avais remarqué que les bêtes allaient toujours en bas de ce pré. Il y avait toujours de l’eau en surface, un peu partout. Ce n’était pas sain. J’ai proposé, « il vaut mieux faire un étang et nous aurons une réserve d’eau ». Mais il n’y avait jamais d’argent… J’ai fait venir un tracto pelle. Nous avions fait trois trous de trois mètres pour voir ce qu’il y avait au fond. S’il n’y avait eu que du sable l’eau ne serait pas restée. Nous avons trouvé de l’argile bleue et avons creusé un étang. L’eau venait toujours car les sources ne sont pas à 400 mètres mais par-dessus la terre… L’entrepreneur était venu avec sa grosse pelleteuse. Il travaillait depuis une demi-heure et l’eau venait tout le temps. Il s’arrête et me demande, « combien dois-je passer de temps ? » Mon chef n’avait rien indiqué, ni donné de prix, ni la profondeur et la largeur de l’étang. Je lui ai donc répondu, « ça ira bien avec trois heures ». L’étang est assez creux de fond et bien taluté.
Des amis pas toujours bien intentionnés…
Tout le monde dans le pays n’était pas satisfait de l’installation du Lycée agricole mais je devais remettre en état le domaine et créer une exploitation. On m’a acheté 15 génisses Limousines et 100 mères brebis. Il a fallu faire de clôtures. J’ai installé les deux tas d’ensilages dans le champ à droite en arrivant sur le domaine. Nous avions fini de faire l’ensilage le vendredi soir. Le samedi, j’ai bâché les deux tas qui faisaient plus de 40 mètres de long chacun, mis de la terre et des pneus dessus, installé des clôtures pour éviter que les bêtes montent dessus. Le courant marchait bien. Tout était impeccable, je pouvais dormir tranquille.
Je me lève le dimanche matin. Mon premier travail était naturellement d’aller voir les deux silos…. Les 15 génisses étaient sur le tas. Que s’est-il passé ? J’ai appelé mes génisses et avec un peu de farine à la main, elles m’ont suivi. Je me suis aperçu que des poteaux de clôture avaient été arrachés dans un coin. Quelqu’un l’avait donc fait exprès.
Cela a duré 15 jours et un soir, mon chien remarque quelque chose vers le haut du chemin. « Je parie que mes génisses traversent le chemin ! » Je suis allé voir et elles étaient parties dans les champs que nous avions ensilés alors que j’avais tout remis dans la journée. Deux cents mètres plus loin je vois la poignée d’une barrière en fil ouverte et mise dans le champ. Les bêtes n’étaient pas passées là mais par la barrière du haut. C’était réellement du vandalisme. J’étais en colère et j’ai pris un petit fil de cuivre que j’ai installé sous la poignée. Il ne se voyait pas. Le courant était fort et le gars a du lâcher prise. Ça a dû le secouer…
Tout cassait… Les poteaux cassaient en terre, étaient arrachés sans que les bêtes soient passées à côté.
Les cochons m’ennuyaient un peu quand je refaisais les prairies. J’étais obligé de nettoyer la terre et de ramasser les cailloux dans les 5 hectares et demi sous la chartreuse. Il m’a fallu bien niveler mon terrain, mettre de l’engrais. Je viens donc le lendemain matin avec le semoir à graine et le tracteur. Je remarque quelque chose au loin et me dirige vers la partie concernée. Il y avait au moins un hectare de terrain tout bouleversé par les sangliers, les cailloux arrachés.
J’avais deux élèves de seconde avec moi. Ils se sont assis chacun sur un caillou là-haut et m’ont dit, « les cailloux, ça ne nous intéresse pas ! ». Le chef était venu m’aider. Il a fallu tout reniveller. Le même problème s’est reproduit plusieurs fois et pour en finir, j’ai installé des fils électriques et les sangliers ne sont plus passés. Cela n’a pas plu à certaines personnes du coin, à certains chasseurs.
La deuxième année de présence, j’avais installé les bêtes pleines, les plus âgées, dans le champ en bas de la chartreuse avec une bonne clôture. J’avais installé 15 génisses dans la grange en bas. Le lundi matin, je m’y rends et trouve trois génisses sur 15. Je les appelais et aucune ne venait. Où sont-elles ? Je remonte et croise Bourdelas qui venait avec deux élèves. « Il y a douze génisse de moins ! » Nous avons pris le fourgon et parcouru les routes vers Saint Léon. Il n’y avait pas de traces de pas, ni de bouses de vaches. Elles n’étaient donc pas par là. Nous sommes revenus vers la grande terre et j’ai remarqué des pas.
J’ai croisé le Père Lachaud qui venait avec sa femme, sa charrette, ses deux vaches et le chien. Je lui demande, « vous n’avez pas vu des génisses dans le coin ? » « Mais si, elles ont passé la nuit dans mon champ de rave ! » Nous sommes allés chez lui. Elles lui avaient mangé des pommes sous ses pommiers. Nous étions en octobre. J’ai pensé « si une pomme leur reste en travers de la gorge, elles crèvent ». Le père Lachaud me précise « qu’elles étaient bien saoules… » Mais tout s’était bien passé. Quand elles m’ont vu, elles m’ont suivi. Je les ai ramenées par le grand champ et par le bois à l’étable. Mais par où étaient-elles passées ?
Les fils avaient été coupés à deux endroits… Les gens les ont appelées et les vaches les ont suivis. Des chasseurs mécontents nous avaient laissé ce souvenir le dimanche soir car le directeur du Lycée était venu dans les bois le dimanche après-midi. Il leur avait demandé « qui leur avait permis de venir à la chasse ? » Ils lui ont répondu, « c’est le vacher ! » mais je ne connaissais personne…
Remise en état
La terre extrêmement pentue à droite des bâtiments a également toute été labourée. Je remontais en marche arrière. Je l’avais mis en herbe jusqu’en face l’arbre qui penche. J’avais nettoyé la parcelle à côté, 5 hectares et demi, après la grande terre dans le bois.
J’avais cultivé un peu de céréales car il fallait bien faire crever les ronces qui s’étaient installées partout. Nous avions mis du maïs et n’avions pas eu grand chose la première année. C’est venu après… J’avais également tout labouré et nettoyé la parcelle située en bas de la colline, près de la route. On ne voyait plus la terre mais que des ronces. Des arbres avaient poussé dans ce domaine des sangliers. Nous avons donc mis du maïs.
Après avoir labouré, la dernière grande parcelle située près de la route en haut de coteau, on nous avait donné quatre sortes de maïs à planter pour faire des essais. J’ai semé 16 rangs de chaque espèce. Il fallait donc vider à chaque fois le semoir. Nous y avons mis de l’engrais. Le maïs était beau, bien régulier, haut de près d’un mètre.
Un matin alors que je sortais du bois en tracteur, je m’arrêtais généralement pour voir le maïs. J’étais content mais… Il n’y avait plus de maïs… Les vaches des sœurs Eloire avaient tout mangé. Elles avaient bien installé un fil électrique mais comme il pleuvait, les vaches tiraient sur le poteau en ferraille installée sur le coin. Le poteau s’est couché un peu et les vaches et moutons qui sentaient ce maïs ont dû se précipiter. Elles avaient creusé la terre pour en manger les racines. Il ne restait plus rien en terre… J’arrive au portail de la chartreuse et la plus jeune des deux sœurs m’appelle « Monsieur Chauveau… Le maïs… Il n’y en a plus ! Elles ont tout mangé. » Je leur ai répondu, « vous avez passé un coup de fil au chef ? » « Non, et qu’est-ce qu’il va dire ? » « Je n’en sais rien . » Elles l’ont appelé. Je leur ai demandé si elles avaient une assurance. Elles n’en avaient pas et en ont pris une qui a tout remboursé. Nous n’avons rien replanté derrière…
Il a fallu du temps avant que le lycée prenne conscience qu’il fallait des hangars pour protéger les tas de foins et de paille que je faisais. J’avais dû rencontrer le directeur pour lui expliquer la situation de Chaulnes. J’étais obligé de bâcher la paille en plein vent et tous les quatre matins il fallait tout recommencer. Ce n’était pas une vie… Le domaine n’intéressait plus mon chef qui est retourné professeur au lycée. Son remplaçant sortait juste de l’école…
De l’Anjou à la Dordogne
Je suis originaire de Segré en Anjou. Mes parents étaient agriculteurs. Je voulais m’installer à mon compte avec ma femme. Nous nous sommes mariés en 1958 et à cette époque, les bouchers et marchands de bestiaux du Maine et Loire achetaient toutes les terres. Il n’y en avait plus alors qu’en Dordogne, il restait des fermes à louer mais pas les meilleures… Nous sommes donc venus ici au grand damne de notre famille.
En arrivant ici, nous nous sommes retrouvés fermiers avec une très mauvaise ferme. Il fallait tout reprendre à zéro avec des terres de mauvaises qualité. J’avais fait faire des analyses de terrain et l’on avait diagnostiqué terre neutre ! C’était facile à voir car quand on fauchait, on ne trouvait pas une taupinière, rien du tout. Avec le peu d’engrais que l’on mettait, tout poussait.
Nous avions remarqué qu’en Dordogne, il n’y avait plus de jeunes à notre arrivée « et pourquoi ? » Ils crevaient de faim et avaient été plus malins que nous. Ils étaient partis travailler à Paris, dans les grandes villes. Leur méthode de travail de la terre étaient anciennes par rapport à l’Anjou, des bergères gardaient encore les vaches et les moutons ici ! Ils ne mettaient pas d’engrais et labouraient encore avec les vaches…
Je suis tombé malade et j’ai perdu un œil. Je ne voyais plus que deux dixièmes avec l’autre. J’ai travaillé trente ans comme ça, comme métayer et fermier.
Je me suis alors trouvé une place d’ouvrier agricole à Périgueux pendant quatre ans. Je n’étais pas loin du lycée agricole et l’on me disait toujours que « c’est le bazar au Lycée ». Malgré ma faible vue, je voyais bien ce qui se passait…
Un jour en 1976, un ami me dit « il faut que tu ailles travailler au Lycée agricole. Il y a une place pour toi là-haut ! » Je suis allé voir. Un professeur m’avait fait visiter et j’ai vu l’état du cheptel qui laissait à désirer… J’ai dû également débroussailler. Il y avait des ronces partout. Le soir, les bêtes rentraient à la salle de traite les tétines coupées en deux. Il n’y avait plus de barrières et les bêtes se promenaient dans les bois et se coupaient dans les buissons. Nous avons alors pris les terres de Salgourde, terres également en friche.
Je n’ai fait que défricher depuis que je suis en Dordogne …. Nous avions acheté un tracteur neuf qui peinait en labourant. Ils arrachaient près d’un mètre de racines. Nous avons cultivé les terres fait du maïs, du tabac… Le cheptel de bêtes au lycée s’est amélioré car nous avions de l’ensilage.
Vous pouvez retrouver l’intégralité des témoignages sur le domaine de Chaulnes dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/domaine-chaulnes-histoire-perigord.htm
Messages
1. Le premier salarié agricole du domaine actuel, 19 octobre 2007, 14:42, par V. Boutaricq
Je tiens particulièrement à féliciter et à rendre hommage à M. Chauveau pour tout le travail qu’il a accompli pour remettre ce domaine en état dans des conditions très difficiles.
J’ai eu l’occasion de visiter le Domaine des Chaulnes dans le cadre de mon travail et en suis tombée amoureuse. Jamais je n’aurais pu penser qu’il y a à peine vingt ans, le domaine était à l’abandon. Lorsque l’on voit ce qu’il est devenu... je tire mon chapeau aux personnes qui ont accompli ce merveilleux travail.
Bien cordialement.