Récit

J’ai été un célibataire heureux

Mon arrière grand père maternel « Dieumegard » était célibataire dans une ferme de 84 hectares à la Panauderie de Pugny. Jeune, il fréquentait sa voisine qui l’a plaquée. Elle a eu une fille qu’elle amenait se faire baptiser. Mon arrière grand père l’a croisée et a promis, « je t’ai fréquenté pendant trois ou quatre ans et cela n’a pas marché mais je me marierai avec ta fille… »

Ces gens-là étaient pauvres. Ils cherchaient toujours à travailler et quand cette fille a eu 18/20 ans, mon arrière grand père l’embauché comme bonne. Il avait trois bonnes et quatre ou cinq domestiques. Tous les travaux étaient faits à la main… Il l’a fréquentée si bien qu’il s’est marié avec elle en 1858. Elle avait 25 ans et lui 57 ans. Ils ont eu 8 enfants quatre garçons (dont le père de ma mère né en 1861/mort en 1967) et quatre filles. Il avait plus de 80 ans quand la dernière fille est née.

J’ai connu cette arrière grand-mère, décédée à 98 ans à Hérisson. Je lui portais toujours des chrysanthèmes sur sa tombe quand j’étais valet… Rentrée comme bonne, elle avait un petit travail et gagnait quelque chose. Les campagnes d’alors étaient pleines de jeunes qui ne savaient pas quoi faire. Cette jeune fille savait qu’elle deviendrait la patronne en se mariant avec lui… C’est pour ça qu’elle l’a pris… pour être la patronne.

Quand ils allaient vendre des petits cochons à Moncoutant, ils devaient également emmener la truie qu’ils retournaient à Pugny. Quel travail ! Dans la même période mon arrière grand père eut des problèmes avec le comte propriétaire. Alors qu’il devait ramener les gerbes après la moisson, une branche d’un grand « futaie » gênait pour passer la charrette avec les bœufs dans le chemin. Mon arrière grand père demande alors à un domestique de la couper, « tu prendras la hache demain matin et tu couperas la branche… » Le régisseur est passé… Il était mauvaise langue et est allé le dire au propriétaire, un Comte Duclos. S’il n’avait rien dit, le Comte ne s’en serait pas aperçu. Ces gros tenaient plus à leurs futaies mieux qu’à leur vie. Ce Comte qui paraît-il était un ami idéal de mon arrière grand père lui a dit, « tu m’as trahi. Tu as coupé une branche. Tu partiras de la ferme à la Saint Michel. Tu es un grand ami. Je t’estime beaucoup mais je ne passe pas sur ma parole. Tu as attaqué mon arbre… »Mon arrière grand père a dû partir. « Les gros étions les gros… »

Toute la famille est venue à Pougne où il n’y avait pas de route, rien que des chemins de traverse… La misère qu’ils ont vue ! Ils ont pris une ferme où il n’y avait pas d’écurie, que des loges, pas de corps de ferme… rien du tout. Ils avaient une herse… en bois, comme la charrue.

Ils avaient récupéré de la ferraille quand la ligne de chemin de fer de Moncoutant avait été construite. Ils avaient fabriqué une chaudière avec du bois dessous pour faire cuire des choux et des pattes. En allant à la messe, les gens venaient voir la chaudière. Ils n’en revenaient pas.

Le chemin de fer avait apporté la richesse au pays et il a été depuis lors supprimé… Du jour où la gare de Fénerie s’est construite, tous les jeunes sont partis travailler sur les chemins de fer. Tout le monde avait de l’embauche alors que l’on mourrait de faim avant. Ces jeunes n’avaient rien, ne savaient pas travailler… La garé a été vendue… Ils ont enlevé les rails. La gare a fait la fortune du pays et il a fallu la détruire…

Mon arrière grand père est mort à 90 ans. Le propriétaire de leur ferme de Pougne avait décidé de vendre des futaies. Mon arrière grand père était allé voir les bûcherons en train d’abattre les arbres. Il est venu trop tôt. Un arbre les a surpris et les branches lui sont tombées dessus en lui cassant les quatre membres. Il a encore vécu trois ans sur son lit. Il y chantait tout le temps… comme son fils mon grand père maternel !

Ses quatre fils étaient de beaux chanteurs. Ils se rassemblaient pour chanter à Noël. Ils étaient tous dévots et avaient servi les prêtres pendant des années. Mon grand père connaissait plus de 400 chansons… Plus il chantait, plus sa voix était belle. Sans être allé à l’école, il avait une bonne mémoire, savait lire et écrire. Il avait appris tout seul. Dès qu’il entendait une chanson qui lui plaisait, il l’écoutait et le lendemain, si un mot lui manquait, un autre le remplaçait…Que de belles chansons. En sortie, les quatre frères ne s’en faisaient pas. Ils ne crachaient pas sur un verre de vin. J’ai mené les quatre frères dans ma voiture sur leur lieu de naissance, la Panauderie de Pugny.

Dès que l’on téléphonait au docteur pour qu’il vienne voir mon grand père âgé, il répondait, « j’y vais le plus tôt possible ! » Quand il arrivait, mon grand père lui chantait une chanson qu’il avait inventée. Le docteur l’examinait et « allez Monsieur Dieumegard, vous m’en chantez une autre ? » Il en rechantait une autre. En partant, le docteur disait, « ha, ça me plairait bien d’être enterré à côté de vous ! On ne s’ennuierai pas… »

On raconte que cette famille Dieumegard a pour origine les hollandais qui ont creusé la grande rigole dans le marais, à la Garette. Mon arrière arrière grand mère travaillait là bas et elle avait été fréquentée par un hollandais. Elle avait une marque noire sur la hanche, marque que je porte également.

Mon père avait un an d’armée de fait à la déclaration de la guerre 14. Il a vu de la misère…C’était un grand mutilé de la guerre 14. Un obus est tombé près de lui. Il avait eu un bras de broyé et sept côtes de touchées du même côté par un éclat d’obus. Ils l’ont installé en glissière dans une charrette avec deux autres gars, pour les retirer du front. Arrivés à la ferme de la Madeleine, les deux autres étaient morts. Mon père était encore vivant !. Ils lui ont aussitôt fait des garrots et sont arrivés à le sauver avant de l’envoyer dans un château, dans le midi de la France, pendant un an. Le nerf du bras étant coupé, il ne lui restait que l’os et la peau. J’étais son fils unique.

Il était fermier. Nous sommes devenus propriétaires après. On payait alors le fermage à l’hectare et en argent. Seuls les gros riches réclamaient des poulets ou des œufs en plus. Mes parents travaillaient 10 à 12 hectares avec une mule. Un tonton tenait le haras des mulasses. Pour fabriquer un mulet, il mettait la jument mulassière dans le noir. Le baudet ne devait pas la voir et il fallait chanter pour que ça marche. Une mulasse était solide et pouvait marcher toute une journée. Nous élevions de la vache à lait et quatre à cinq cochons. Les cochons étaient nourris à la patate, à la betterave, aux topinambours et au petit-lait. Un laitier passait et l’un d’eux écrémait même sur place.

Mon instituteur s’appelait « monsieur Martin ». Je ne suis pas allé à l’école longtemps car avec un père infirme, j’ai dû rester travailler à la ferme dès 10 ans. Cet âge-là, on pique les betteraves, les choux. J’ai travaillé de bonne heure et n’étais pas le seul dans cette situation. Je n’étais pas malheureux. J’étais le seul enfant et j’ai eu la belle vie jusqu’à 20 ans. Je n’avais de toute façon pas envie de continuer l’école. Papa s’est alors lancé dans les élevages de poulets et du mouton. Une fois installé, je n’avais donc plus de vaches à traire.

Nous labourions avec quatre vaches parthenaises. Cela faisait un bel attelage. Nous les élevions et les dressions. Nous lions la jeune avec une autre vache qui savait travailler et la jeune ne bougeait pas beaucoup. Nous la mettions au milieu avec deux vaches devant et une derrière. Dès qu’elle avait marché toute une matinée, elle était domptée. La parthenaise est costaude. Nous avions une charrue simple à deux manches. La herse en fer était tirée par les bœufs.

Nous avions 800 pieds de vigne, du Noa qu’il fallut arracher quand la loi est passée. C’était du Noa jaune très bon. Mélangé avec du rouge, de l’otello cela faisait du très bon vin. Nous avions deux rangs d’otello. … Nous l’avions arrachée avec deux bœufs reliés avec une chaîne. Ils avançaient et arrachaient ainsi les pieds de vignes. Quand le docteur Guibert venait voir mon grand père, on lui donnait un verre de Noa. Il nous disait « ah que j’aime ce vin. C’est le pays de ma naissance ! il y avait une petite-île vers chez nous et quand les gens buvaient trop de Noa et déraillaient, on les mettait huit jours dans l’île et ils ne pouvaient pas sortir. Au régime… Ils avaient à manger mais plus de Noa… »

Nous piquions des hectares de choux sur pied, les moelliers, dont nous mangions les choux verts. Si le gel s’en mêlait tout était perdu. C’était une très bonne nourriture pour les vaches et leur permettait d’avoir du bon lait.

Lors des battages, on fixait chaque jour le nombre de petites fermes dans lesquelles nous allions travailler. Nous prenions un casse-croûte le matin, un bon repas le midi et le soir un repas de noce avec crème fouettée et gâteaux. Nous recommencions le lendemain chez quatre autres, le surlendemain aussi. C’était la fête des blés pendant quinze jours. Chacun chantait sa chanson le soir. On dormait peu, deux ou trois heures. Nous étions jeunes. Je portais les sacs. Les quatre hommes désignés pour porter les sacs de 80 kilos devaient le faire pendant dix jours. De bonnes bouteilles traînaient toujours pour les porteurs de sacs. Il y avait plus d’ambiance lors des battages en Gâtine que pour les battages chez mon oncle à Echiré. La première fois que l’on battait dans une ferme, nous apportions un bouquet que nous mettions à la tête du pailler. Il fallait ensuite l’arroser.

Nous utilisions au début un moteur à vapeur pour tourner la vanneuse avec un monte paille. Nous faisions les paillers en vrac. Une fois la moissonneuse arrivée, les fêtes ont été finies. On battait dans les champs et plus au village. La botteleuse passait derrière

Nous avions dans notre village un château, avec un comte. Les allemands l’ont foutu à la porte et il est reparti dans son autre château dans les landes. Ils ont occupé le château mais la kommandantur était installée à Secondigny. J’habitais sur le bord de cette route. Ils passaient tous les jours et il ne fallait rien leur dire. Ce château accueillait un régiment qui arrivait de Russie. Ho la là. Vous auriez vu ces pauvres diables… la peau et l’os. Ils passaient ramasser des œufs dans les villages. Ils racontaient, « couleur… besoin de reprendre couleur... Perdus sur le front russe… » Et ils devaient y retourner une fois retapés. Mon tonton était prisonnier sur la frontière alors que son patron allemand était parti en Russie. Il est revenu en ferme pendant trois semaines. Le matin où il devait repartir, il s’était pendu à la porte de chez eux…

Il y avait deux cafés dans le village toujours plein d’allemands. Un soir ils sont revenus saouls et nous nous sommes battus avec eux. Un copain a foutu un coup de poing à un allemand si fort que le coup l’a garoché dans le fossé. Nous avions pensé que la tôle nous attendait, mais non. Ils nous ont porté en triomphe. Ils nous ont dit que nous avions eu raison de nous défendre. L’officier allemand, pas content du tout, les a fait marcher tout autour du château et du village jusqu’au lendemain matin…

En 1941, je n’ai pas été appelé à l’armée mais à l’entreprise Todt. Ils travaillaient sur la construction des blockhaus tout le long de la côte jusqu’à Bordeaux. Je n’y suis pas allé et j’ai rejoint le maquis dans la région. Ce n’étaient pas les plus beaux des jours. Les balles nous rasaient les bottes quelquefois. Quand on abusait les allemands, ils cherchaient à se venger. Le maquis accueillait des gens comme nous, en civil avec un fusil dans les mains. Nous avons attaqué un convoi allemand dans ce qu’on appelle le village. La route était située près d’un champ de taupines qui étaient déjà assez belles. Nous sommes passés la veille couper les taupines, faire des petits passages pour éviter que les taupines bougent lors de l’attaque. Nous avons attaqué le convoi. Heureusement que nous avions fait ces petits passages car nous sommes sauvés par là. Ils n’ont pas vu les taupines bouger sinon ils auraient envoyé des rafales là-dedans. C’était dangereux. Les maquisards étaient les jeunes de la région qui avaient été appelés pour aller à Todt ou en Allemagne. Ils ne voulaient pas partir et prenaient le maquis. Nous nous nourrissions dans les fermes. Les gens nous donnaient à manger. Ils n’étaient pas regardants. Nous n’avons pas été pris. Ceux qui étaient pris étaient fusillés sans explication. Ils ne regardaient pas à un homme près. Heureusement que je ne suis pas parti à Todt car ils crevaient de faim, là-bas !

Mon père tenait la ferme quand j’étais au maquis mais j’arrivais à avoir de petits moments pour l’aider. Nous nous camouflions. Nous participions à des bals clandestins. Les allemands passaient sur la route alors que le bal était dans le bas, dans une vieille maison.

La guerre finie, on nous a obligés à ramasser toutes les femmes qui avaient fait la vie avec les allemands. Nous les avons ramenées au château. Ils étaient deux à les tenir et un autre leur coupait les cheveux. Plus d’une est tombée évanouie. Voilà ce que le maquis a fait après la guerre ! Ces femmes auraient été aussi bien à rester chez elles. L’une venait juste d’avoir un enfant d’un allemand et il a fallu l’emmener avec son gosse…. Les officiers commandaient ! Nous avons ramassé ceux qui avaient fait du commerce avec les allemands et nous les avons mis dans les caves du château. Ils les battaient partout et il fallait faire venir le docteur. C’était affreux ! Horrible.

En 45, j’ai été rappelé pour faire mon régiment à Saint Maixent. Je n’ai fait que trois mois. Ils rappelaient les deux derniers mois de l’année. Je faisais la patrouille tous les soirs et passais devant les boîtes de nuit. L’une d’elles était spécialisée pour les militaires, officiers… Il y avait trois ou quatre belles poules. On ne disait rien si c’était correct. Trois ou quatre bon amis sont partis en Algérie, en Indochine ou en occupation en Allemagne. J’avais toujours tiré au flanc. Je n’étais jamais volontaire et me suis plaint d’un mal d’une oreille. Je suis restée à Saint Maixent alors que certains amis partis en Algérie sont morts. Ils m’écrivaient, « tu as de la chance ! » Mais ils étaient volontaires… Nous avions à manger tout ce que les allemands avaient camouflé. Ils auraient pu passer dix ans de guerre avec toutes ces conserves. Je faisais le chemin en vélo de Parthenay à Saint Maixent. Je revenais le samedi matin, restais chez moi le dimanche et repartais le lundi à cinq heures. J’avais rendez-vous à Parthenay avec deux ou trois copains. Nous arrivions à six heures à la caserne… Mon père continuait à travailler avec l’aide d’un homme de journée.

Après la guerre, j’ai continué mon élevage. J’ai acheté mon tracteur, un Renault, très tard. Dans les années 50, je suis arrivé à 20 hectares,131 moutons et des poulets. Je ne faisais plus de vaches, rien. Ma mère était vieille et ne pouvait plus travailler alors j’avais une bonne et un domestique. Je gagnais bien ma vie et avais la belle vie. Je suis resté célibataire mais j’avais des copines. Il y a toujours eu quelque chose qui ne marchait pas pour me marier. L’une voulait se marier avec moi. Elle travaillait à la maison Elle avait 20 ans et moi 40… C’est une affaire à être cocu ! Elle est repartie chez elle. J’ai été un célibataire heureux. On pouvait faire des rencontres dans les bals. Si un bal se tenait dans un pays à côté, jeune on partait tout de suite 10 /12 à vélo, garçons et filles

Je faisais des ventes de 5/6000 poulets. Je vendais des petits poulets de huit semaines sur la côte. Je travaillais pour le CAP de Montcoutant, un grand abattoir de volailles. Nous vendions les meilleurs moutons par lots de 10 ou 20. On nourrissait le reste au granulé pour qu’ils deviennent meilleurs. La terre de Gâtine est bonne pour le mouton. Des marchands passaient et réservaient leurs bêtes pour le soir. Je vendais les moutons à un ami qui habitait Bressuire. Il les menait à l’abattoir à cinq heures du matin et les tuait. Nous allions au café prendre un steak à l’échalote avec une bonne bouteille de Bordeaux. Nous revenions pour aller voir le poids et retournions à la maison vers dix heures. J’avais l’argent 15 jours après.

J’ai eu un domestique pendant trente ans. Il ne voulait pas être déclaré et il ne l’a jamais été. J’ai été convoqué un jour par la MSA et j’ai été obligé de payer tous les arriérés d’années, mais nous le savions. Nous l’avions vu venir. Je n’ai presque jamais pris de vacances… mais souvent quand même. La pointe de l’Aiguillon était à seulement 100 kilomètres de chez nous…

De Gaulle était pour nous un grand homme. Dans le maquis, nous comptions sur lui pour le débarquement. J’ai toujours tenu à lui toute ma vie. Quand il parlait à la télé, je faisais tout ce que je pouvais pour l’écouter. Je laissais le boulot pour lui. Je lui faisais confiance. Nous avions eu peur avec l’attentat au Petit Clamart. Si jamais ils l’avaient tué, tout serait perdu… C’était un homme. Il a fait quelque chose pour la France. « Paris libéré… » Il fallait l’entendre…J’ai trouvé bien qu’Adenauer et de Gaulle se serrent la main. Ces deux grands hommes ont fait une belle alliance.

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