Cameroun - Mais pour nous, la France est notre seconde patrie !
Mme Balbine T.
texte Frederic Praud
Je suis née le 12 juillet 45, à Douala au Cameroun, une ville portuaire très commerçante, où les gens viennent de partout pour faire leurs courses, notamment de Yaoundé, la capitale. Douala est le cœur économique du pays. Mon père était cultivateur. Des champs étaient installés aux alentours de la ville. Vous achetiez les terrains aux villageois et vous partiez cultiver le café, le cacao, les bananiers et les ananas. Vous reveniez en ville à la fin de chaque mois et retourniez aux plantations. Ma mère était cultivatrice ménagère.
Nous avons d’abord vécu dans une maison construite avec des planches de bois mais, plus tard, lorsque la vie s’est développée, nous l’avons détruite pour bâtir une nouvelle maison en parpaings, en dur. J’avais dix ans à l’époque. Lorsque l’on construisait une maison, on aménageait les chambres en fonction du nombre d’enfants. Les toilettes étaient toujours dehors, à cent ou deux cents mètres ; jamais dedans.
Á Douala, la plupart de gens exerçaient le même métier que mes parents : les pauvres travaillaient la terre. Par contre, ceux qui avaient beaucoup d’argent, faisaient du commerce. La ville comptait donc des quartiers riches, comme le quartier européen et des quartiers pauvres. Chacun restait à part… Les Blancs étaient de leur côté. Ils avaient leur propre école, Dominique Savio, à laquelle les Noirs ne pouvaient pas aller. D’ailleurs, encore aujourd’hui, si vous n’êtes pas français, vous ne pouvez pas la fréquenter. Si vous y rencontrez un enfant de notre couleur, de peau, c’est que ses parents venus vivre en France, ont obtenu des papiers français et sont rentrés au Cameroun pour travailler dans l’administration.
Enfance à l’orphelinat
Je suis allée à l’école pendant un certain temps parce que je suis orpheline de mère et de père… On m’a emmenée chez les sœurs missionnaires quand ma mère est morte. J’avais peut être deux ans… Ce sont elles qui m’ont élevée… Mais, j’ai aussi beaucoup travaillé ! Du fait de ma situation d’orpheline, les sœurs ont vu que je n’avais pas les moyens de continuer des études. Comme il y avait un hôpital missionnaire et peu de gens qui voulaient laisser leurs enfants aller y travailler et apprendre la médecine, elles m’ont envoyée là-bas vers l’âge de treize ans… J’ai obtenu mon Certificat d’Etudes après être entrée à l’hôpital. Á quinze ans, je me suis dit qu’il fallait que j’obtienne au moins ce diplôme et je me suis inscrite en candidat libre. Tu apprenais à la maison et présentais ton dossier quand les examens arrivaient.
J’ai conservé la photo de la sœur qui m’a élevée… Je l’ai toujours gardée sur moi précieusement… Je crois qu’elle est morte aujourd’hui mais elle a énormément compté pour moi… Elle m’a rendu la vie… C’est sœur Octavie Marie… C’est ma mère ! Tout ce que je connais, c’est grâce à elle… Elle était française mais les sœurs étaient nombreuses à l’orphelinat ! Il y avait également des américaines, des italiennes… Elles se sont occupées de moi. Elles m’ont donné à manger, etc. Elles étaient comme ma mère… Á l’âge de dix ans, sœur Octavie Marie a commencé à nous apprendre la couture, la broderie, etc. Chaque samedi, nous partions chercher du bois pour nous préparer à manger. Comme les sœurs avaient des lapins, nous allions également chercher des feuilles de patates pour les nourrir. Le dimanche, après la messe, on se reposait. J’ai vécu cette vie-là jusqu’à ce qu’elles me retirent de l’orphelinat pour m’envoyer apprendre la médecine. Mais, même durant cette période, j’étais toujours avec elles. Elles m’ont ensuite demandé si je voulais devenir sœur à mon tour mais je leur ai expliqué qu’étant fille unique, je ne pouvais pas… Elles m’ont alors dit : « Si c’est comme ça, tu dois faire un choix… » Je me suis donc mariée…
Mariée à seize ans
Mon père était un chef et chez nous, il n’y a pas de mariage avec l’Etat Civil. Lorsqu’un garçon et une fille se trouvent et s’aiment, on s’arrange. Les deux familles se réunissent et si elles s’entendent, elles acceptent l’union. Les parents de la fille fixent alors un jour pour donner sa main au jeune garçon. Mais comme je n’avais pas de famille, tout cela n’a pas joué un grand rôle…
Je me suis mariée à seize ans. C’est jeune ! Mais j’étais seule et je voulais me marier tôt pour avoir une famille. Sinon, les sœurs m’auraient dit : « Tu as refusé notre proposition alors qu’est-ce que tu attends ? Tu n’as pas trouvé un homme ! »
Une fois mariée, je souhaitais reprendre mon travail d’infirmière. C’est ça qui me plaisait, aider les autres… D’ailleurs, j’ai fait ce métier pendant trente ans, jusqu’à la retraite anticipée. Mon mari était comptable. Il avait cinq ans de plus que moi. Je l’ai connu parce que je fréquentais son frère. Nous suivions les cours du soir ensemble et il m’a dit un jour :
« - J’ai mon frère qui n’est pas marié.
– Mais, je ne peux pas accepter quelqu’un que je n’ai pas vu ! Il faut que le voie d’abord ! »
Je l’ai rencontré par la suite. Il m’a plu et j’ai accepté le mariage… Mon mari, je l’ai choisi ! Personne ne pouvait me forcer à épouser untel ou untel ! Je ne m’entendais pas du tout avec les oncles de mon père et ses cousins car lorsque j’étais petite, ils ne m’avaient pas prise dans leur famille… La famille de mon mari a rencontré la mienne, en présence de ma tante et de l’oncle de ma mère. J’avais de bonnes relations avec eux parce qu’ils venaient de temps en temps me voir à la mission, pour m’apporter à manger et dire aux sœurs : « C’est notre enfant… Il faut bien le protéger… Nous ne sommes pas capables de l’entretenir parce que nous n’avons rien… » D’ailleurs, ce sont eux qui ont été mes témoins…
J’ai eu quatre enfants, nés en 1963, 64, 65 et 66. Ils sont tous restés à Douala. Malheureusement, l’aîné est mort…
Le néocolonialisme français
Les Français sont nos grands frères ! Jusqu’au fin fond des villages, chez nous, on parle le français. Nous ne sommes pas comme les Zaïrois, les Sénégalais, les Maliens, etc. Au Cameroun, il y a au moins mille tribus et chacune a sa propre langue. Le français est donc notre langue commune, qui nous permet de communiquer les uns avec les autres.
Quand je suis venu ici en 1999, j’étais malade et je suis allée voir l’assistante sociale pour demander une aide médicale. Mais, elle m’a dit :
« - Comment Madame ! Vous ne pouvez pas retourner chez vous ? Qu’est-ce que vous venez faire ici ?
– Ecoutez, chez moi, c’est ici ! Tous les enfants nés comme moi avant 60 sont français ! Au Cameroun, au fin fond des villages, on ne parle que le français ! Alors, je ne vois pas pourquoi vous me demandez de retourner chez moi ! Les Français sont chez nous et ce sont eux qui gouvernent ! Vous me demandez de partir ! Et bien, à ce moment-là, demandez aussi aux Français de quitter le Cameroun !
– Non, ce n’est pas ce que je voulais dire ! C’est parce que…
– Parce que quoi ? Il ne faut pas faire des choses comme ça ! Il faut d’abord vous promener pour voir la vie, pour voir comment les gens sont, pour voir comment on vous malmène ou on vous accueille, avant de commencer à nous menacer ! »
En 1960, nous avons obtenu notre indépendance mais ça n’a rien changé… Jusqu’ici, c’est toujours comme c’était avant… On sait que nous sommes indépendants mais nous n’avons pas le droit à la parole… Notre président suit celui d’ici et les lois françaises sont reprises au Cameroun… On ne vit donc pas comme on veut…
Alors, beaucoup de gens en veulent à la France car nous sommes trop derrière ! Elle ne nous apprend pas beaucoup de choses. Par exemple, les étrangers viennent et font comme les gens du Nigeria ; ils fabriquent du savon… Mais, on fabrique le tissu chez nous. Ce sont les Français qui nous ont appris à faire ça… Seulement encore aujourd’hui, ils ne nous initient pas à faire beaucoup de choses… Douala est un port ouvert ! Il accueille tout le monde ! N’importe qui peut venir et faire ce qu’il veut : ouvrir des usines, fabriquer des choses, et prendre des Camerounais pour travailler… Sinon, nous sommes complètement dans le trou…
Je suis ici depuis sept ans et je ne suis pas retournée au pays. Mais, jusqu’en 99, il y a eu peu de véritables changements par rapport à tout ça… Dans les années 70s-80s, c’est toujours l’histoire de France que l’on apprenait aux élèves à l’école ! Mes enfants ont eu droit à « nos ancêtres les Gaulois ! Ils chantaient même l’hymne français ! Par contre, on ne leur a pas appris l’histoire du Cameroun. Moi-même, je ne la connaîs pas…
La situation est peut-être aujourd’hui différente puisque le pays est désormais unifié, entre francophones et anglophones. Mais il y avait auparavant deux camps ! On ne parlais pas l’anglais chez nous alors que maintenant, les deux langues sont utilisées… Il y a donc eu quelques changements…
Mais pour nous, la France est notre seconde patrie ! Au Cameroun, on vit comme les Français. Je suis venue ici car chez nous, mon travail ne marchait plus et mon mari était décédé… Je suis donc partie pour chercher la vie… et comme je l’ai trouvée, je suis restée…
Mes enfants n’ont pas été étonnés que je vienne en France. L’avant dernier, de mes enfants, y a fait ses études ! je les lui ai payées puisqu’il n’était pas boursier ! Mais, quand il les a terminées, qu’il a eu tous ses papiers, il est rentré au Cameroun pour travailler. Il a fait le chemin inverse…
Arrivée en France
J’ai quitté le Cameroun en 1999. Quand j’ai pris l’avion, j’avais mon passeport, mon visa, et une fois arrivée, je me suis retrouvée à Bondy chez mes Sœurs, c’est-à-dire mes amies. En Afrique, quand vous êtes de la même famille ou amis, vous êtes frères et sœurs. Elles sont venues me chercher à l’aéroport et m’ont reçue chez elles. Seulement, je ne pouvais pas travailler ! Je n’avais pas de papiers. Ensuite, je suis allée à l’hôpital parce que j’étais malade et l’on m’a donné un certificat de Sécurité Sociale. Avec ça, je partais me soigner quand ça n’allait pas…
Au bout de quelques temps, comme j’étais habitué à travailler, j’ai commencé à m’ennuyer et j’ai dit à ma sœur :
« - Je ne peux pas rester comme ça !
– Tu sais ici, pour travailler, il faut avoir des papiers. Si tu n’as pas les papiers, tu ne peux pas travailler.
– Et qu’est-ce qu’il faut faire pour avoir des papiers ?
– Soit les assistantes sociales font les démarches, soit tu te maries avec un Français.
– Bon, je vais essayer de trouver quelqu’un qui est français…
– C’est possible ! Il faut simplement que tu te promènes de temps en temps, avec des amies, et si tu as de la chance, ça marchera peut-être… »
Remariage
Un jour, j’ai trouvé un monsieur qui m’a demandé si j’étais mariée. Je lui ai répondu : « - Oui mais mon mari est mort…
– C’est pour ça que tu es venue ici ?
– Oui, j’avais des problèmes… J’étais vraiment isolé là-bas… J’ai pensé qu’en venant en France, je trouverais quelque chose à faire… Mais, une fois arrivée ici , il n’y avait pas de papiers, donc pas de travail… »
J’habitais à Bondy et lui à Sarcelles. Quelques jours plus tard, on s’est donc fixé rendez-vous à la gare de Sarcelles. Je n’y étais jamais venue avant !
J’ai pris mon train avec un plan qu’il m’avait fait. Il m’avait même expliqué comment il serait habillé. Quand je suis arrivée à la gare, il m’attendait. Il m’a récupérée et on est parti chez lui… En causant, je lui ai demandé :
« - Tu me prends comme ça pour me marier ou simplement pour vivre avec toi en concubinage ?
– Non, je veux te marier !
– Bon alors, si c’est comme ça, il faut que l’on se connaisse. Je dois connaître tes habitudes et toi les miennes. Je viendrais donc chez toi tous les samedis… »
On a fait ça pendant six mois et ensuite, on a décidé de se marier. La cérémonie a eu lieu en 2002, au vieux Sarcelles… Je suis une jeune mariée ! et quatre ans, c’est déjà long ! Certains divorcent au bout de deux ou trois jours…
Installation à Sarcelles
Quand je suis arrivée à Sarcelles, j’ai trouvé que les gens étaient gentils… De toute façon, j’aime cette ville parce que j’y ai trouvé mon bonheur … J’y ai beaucoup de bons souvenirs et je trouve que c’est bien mieux que Bondy…
Je fréquente souvent le centre social Ensemble. Je viens y passer le temps… Par exemple le jeudi pour la couture. Sinon, je ne connais rien d’autre dans le quartier. Le centre social est ma base de loisir. C’est là où je viens quand j’ai des problèmes…
Message aux jeunes
Il faut vraiment qu’ils essaient de comprendre ce que leurs parents leur disent. Si on leur demande de marcher comme ça, c’est qu’il y a une raison ! Qu’est-ce qu’ils connaissent à leur âge ? Rien ! En tous cas, nous en connaissons bien plus qu’eux. Alors, il faut qu’ils changent leurs habitudes et qu’ils nous écoutent, ce qui leur permettra de réussir dans la vie, de faire beaucoup de bonnes choses…