Une femmes dans la résistance... engagée par idéal à 19 ans
Mme Maurice née en 1923 à vincennes
texte Frederic Praud
Je suis née en 1923 à Vincennes dans une famille d’ouvriers. Ma mère restait au foyer comme toutes les femmes de l’époque ; elle aurait bien voulu travailler mais mon père avait décrété : niet ! Et, à l’époque, les femmes devaient obéir au mari.
Mon père était chauffeur-livreur chez Pernod, le fameux apéritif, à Montreuil. Il était délégué syndical C.G.T.U. Son grand-père avait fait la Commune en 1870. Ma mère n’était pas dans cette tradition car c’était une femme de la campagne, une de ces Berrichonnes qui adoraient George Sand…J’ai d’ailleurs lu George Sand toute petite car ma mère en était fan.
Ma mère a beaucoup souffert de ne pouvoir s’émanciper en travaillant. Mais, elle a quand même connu cela à la guerre de 14-18 quand les filles, souvent bonnes à tout faire, domestiques ou qui restaient à la maison, se sont toutes retrouvées à l’usine pour fabriquer les armes. Ma mère a connu cette période qui l’a fait sortir de chez elle, l’a émancipée et lui a donné le désir de travailler ; ce qu’elle n’a pas pu faire par la suite. Ce fut une femme frustrée comme beaucoup de femmes de cette génération.
1936 : le Front populaire
Le mot « combat » est permanent chez moi. En 1936, le Front Populaire : les salaires augmentent, des droits nouveaux apparaissent, les syndicats prennent de l’importance… Le front populaire ayant promu le sport, j’allais au stade deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche. Ce fut vraiment une période d’essor pour la France, période que nous, adolescents, ressentions ainsi.
J’habitais à Vincennes où nous allions souvent nous promener dans le bois. Des gens venaient des forêts environnantes avec des jonquilles. Ils passaient en tandem ou en bicyclette par la grande avenue de Paris pour aller vers la capitale.
Mon père avait déjà droit à huit jours de congés payés chez Pernod et nous partions souvent deux mois dans la famille, dans le Berry où il nous rejoignait. Grâce au Front populaire, les travailleurs avaient quand même obtenu une augmentation de salaire et des congés payés plus importants (quinze jours). Cela a permis à mes parents de louer cet appartement à Brunoy en Seine-et-Oise où nous allions aux petites et grandes vacances. Etant délégué du personnel chez Pernod, mon père a bien sûr fait grève. Nous allions le voir et porter à manger parce que les grévistes ne sortaient pas de l’usine. Ils faisaient la grève sur le tas.
Beaucoup d’adolescents pendant la période du Front populaire ont pris parti. Nous discutions beaucoup entre élèves. Certaines copines avaient des parents de droite qui se sont retrouvés aux émeutes fortement réprimées, place de la Concorde en 1934. Les événements nous ont obligés à prendre parti à un moment donné, à avoir quand même conscience des choses qui se passaient dans notre pays. Il ne pouvait pas en être autrement… Pourtant beaucoup, sans être forcément abrutis, n’ont pas voulu prendre parti.
1936 : la guerre d’Espagne
Mon père connaissait des gens qui revenaient de la guerre d’Espagne et des enfants que les Français accueillaient dans les foyers. Les ouvriers, notamment dans la ceinture parisienne, ont beaucoup accueilli les enfants d’Espagnols. J’habitais à côté de Montreuil, où il y en avait quand même pas mal. Par contre, Vincennes était une ville tout à fait de droite, complètement réactionnaire.
Ces gens n’accueillaient pas forcément des enfants orphelins mais des enfants dont les parents se battaient contre Franco et qui avaient fui. La plupart du temps ces enfants sont ensuite restés en France où ils ont fait souche.
En 1936-37, je n’avais pas envie de faire grand-chose. Je n’étais préparée à rien du tout : j’avais horreur de faire le ménage ou la cuisine. J’aurais bien aimé parcourir le monde si j’avais pu. J’avoue que je n’avais aucune idée de ce que je voulais faire de ma vie.
Je ne voulais pas me marier ni avoir d’enfants. Je voulais vivre une vie libre mais je n’avais pas tellement d’ambition. L’école me gonflait un peu. J’y suis quand même allée jusqu’au brevet à seize ans, mais je n’étais pas capable d’en faire plus. J’ai sûrement déçu les espoirs de mes parents.
On passait le certificat d’études à douze ans, le brevet à seize ans, puis le brevet supérieur. Il y avait deux choix à partir du primaire : la filière du lycée où l’on passait le bac puis l’université, et la filière du cours complémentaire, des E.P.S. (écoles primaires supérieures) où on passait le brevet et le brevet supérieur. La question s’est posée de savoir où j’allais aller, et mes parents ont choisi la facilité. Un cours complémentaire était situé à côté de chez nous et ils ne voulaient pas que je prenne le métro (parce que Dieu sait ce qu’aurait fait leur fille dans le métro !) pour aller jusqu’à la porte de Vincennes où était le lycée, ils m’ont donc inscrite pour l’examen d’entrée au cours complémentaire. C’est là que j’ai rencontré une copine qui m’a par la suite fait entrer dans la Résistance.
1938 : les accords de Munich
Nous avions eu notre premier appareil de radio au moment de l’Anschluss. Le pas des armées allemandes entrant en Autriche a été terrible. Mon père en est devenu vert. Il a immédiatement conclu : « C’est la guerre. » Beaucoup de gens comme lui ont eu ce pressentiment de guerre à brève échéance. Cela se sentait dans l’atmosphère. Blum avait de plus refusé l’intervention en Espagne, alors que les Allemands, eux, envoyaient des avions et des armements sur Guernica. Cette manière de faire fut odieuse : on a laissé faire les choses en Espagne ! Les gens politisés de ma génération portent cela dans leur cœur…
Lebrun, Président de la IIIème République était une potiche. Daladier et Chamberlain ont ainsi négocié en 38 les accords de non-intervention française et anglaise de Munich. Or, j’ai entendu dire que lorsqu’il est sorti de l’avion en France en revenant des accords de Munich et qu’une foule immense l’a acclamé, il aurait dit : « Oh les cons ! » pensant aux gens qui l’acclamaient alors qu’il avait bien conscience de ce qu’il avait fait…
J’avais quinze ans. Je ne faisais pas partie de mouvements de jeunesse. Avec mes parents, nous étions dans une association née avec le Front populaire et appelée « Les Amis de l’Ecole Laïque », appelée par la suite « Les Amicales Laïques ». J’ai ainsi pu faire du sport, de la danse, des tas de choses… Je vivais ma jeunesse tout à fait normalement avec peut-être une certaine prise de conscience due à mes origines. Comme beaucoup d’anciens combattants, mon père ne parlait pas beaucoup chez lui. Il avait fait la guerre 14 mais il a fallu que je lise certaines choses de lui pour savoir ce qu’il avait vécu.
A part le sport, nous n’avions pas vraiment d’activités culturelles. J’allais au cinéma, un peu au théâtre avec l’école. On allait se balader. Je ne suis jamais allée aux guinguettes ou danser dans un bal : je n’ai jamais aimé cela. Toutefois, beaucoup de copines y allaient car c’était la période, les guinguettes au bord de la Marne, à Champigny… Il y avait du monde !
1939 : la déclaration de guerre
Avant la déclaration de guerre, mes parents s’étaient repliés à Brunoy dans notre maison de campagne. On n’avait plus quitté Brunoy depuis les prémices de la guerre, en 1938. Cette année-là, nous y étions allés en vacances et y étions restés. Je suis allée à l’école là-bas. En 1939, nous étions donc à Brunoy. Mon père a alors été réquisitionné par l’armée pour aller porter tous les dossiers plus ou moins secrets des ministères à Pau. Chauffeur-livreur, il avait été réquisitionné car il n’avait pas de travail. Pernod n’était pas la boisson préférée des Français en guerre ! Mon père s’est donc retrouvé à Pau où il y a passé du bon temps pendant que ma mère se retrouvait chef de famille. Il est quand même revenu.
La drôle de guerre : 1er septembre 1939 – début mai 40
On ne ressentait pas grand-chose entre la déclaration de guerre le 1er septembre 1939 et l’invasion des Allemands début mai 40. Mon père n’était pas mobilisé, ni aucun membre de ma famille. On n’entendait pas les bruits de guerre. On savait que l’on contenait toutes les forces sur la ligne Maginot et qu’ils ne pouvaient donc pas rentrer. Qui aurait pu penser qu’ils pouvaient envahir la France ? Ce n’était pas possible. Chevalier a d’ailleurs écrit une très bonne chanson : « Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried … » La vie a donc continué. Les communiqués disaient qu’on les contenait partout. Nous étions en guerre mais cela ne se ressentait pas tellement car nous n’avions pas encore trop de restrictions alimentaires… parce qu’un Français et des restrictions alimentaires, ça ne va pas très bien ensemble. Ce sont des choses pas très bien acceptées.
1940 : la débâcle
Tout cela s’est déclenché en 1940 quand les Allemands sont arrivés et que tout le monde est tombé des nues : « Comment ont-ils pu rentrer alors que nous avions une ligne Maginot ? » Ils sont rentrés par la Belgique, par les endroits où il n’y avait pas la ligne Maginot, bien sûr ! Nous avons vu l’arrivée des réfugiés. Brunoy était situé sur leur route. On les voyait sur les routes. C’était pitoyable, tous ces gens qui venaient de Belgique et du Nord de la France parce qu’ils avaient vécu la première guerre mondiale, l’occupation et qu’ils ne voulaient plus connaître ça… C’était horrible !
Une personne en fauteuil roulant, traînée par une autre personne, a abandonné son fauteuil roulant pour se mettre sur une voiture à cheval qui passait… le fauteuil roulant est resté sur le bas-côté de la route.
Les gens de Brunoy avaient fui et fermé leurs maisons. Les commerces étaient également fermés et tout cela a été pillé non seulement par les soldats français déserteurs en fuite, mais aussi par la population qui essayait de s’approvisionner de ce qu’elle n’avait pas.
Il n’y avait plus d’approvisionnement ni rien et beaucoup de maisons et de commerces ont ainsi été pillés. Cela a été quelque chose d’abject ! On retrouvait les soldats habillés en civil, puis ils sont partis et on ne les a plus revus. Ce furent les côtés les plus mauvais de la guerre.
Nous n’avons pas vu d’avions italiens par chez nous. Ils ont mitraillé les files de réfugiés vers le sud, vers Orléans.
Le premier Allemand que j’ai vu descendait la rue à cheval avec son arme sur l’épaule, très tranquillement, devant les gens qui étaient là abasourdis : « Voilà un Allemand ! » Personne n’a fait un geste, ni contre, ni pour. Ils étaient tous étonnés de voir un Allemand comme ça, tout seul… un Hulan, à cheval. Il ne s’est pas servi de son arme. Je pense qu’il s’attendait peut-être à être bien accueilli… en tous cas, pas mal accueilli. Les gens étaient tellement étonnés qu’il ne leur venait pas à l’idée qu’il puisse faire du mal à qui que ce soit. Puis, le gros de la troupe est arrivé.
Ils étaient très magnanimes : ils distribuaient du chocolat aux enfants qui n’en avaient jamais été privés. Quand les Américains sont arrivés et en ont distribué en 44-45, là nous en avions été privés… mais pas au début ! Pourtant les gamins se précipitaient quand même ! Nous avions beau leur dire : « Arrêtez ! Vous avez du chocolat chez vous. Vous n’en manquez pas » Mais ils voulaient le chocolat que les Allemands leur donnait, ça faisait mal au ventre… J’avais quand même seize, dix-sept ans à l’époque et cela ne me plaisait pas du tout.
Mon père était toujours à Pau, en zone sud. Il est revenu un peu plus tard mais il n’a pas retrouvé d’emploi. Il a alors fait son « retour à la terre », quand bien même il ne savait distinguer une pousse de poireau du persil ! Il ne savait pas ce que c’était... Nous avions un jardin à Brunoy mais ô grand jamais il ne se serait penché dessus : c’est ma mère qui le cultivait. Mais, là, il a été obligé de faire un retour à la terre car à cette époque, les hommes étant prisonniers, il fallait du monde à la ferme. Tous les gens sans emploi comme mon père, étaient réquisitionnés pour y aller.
Il n’avait pas été réquisitionné comme soldat mais par l’administration.
L’appel du 18 juin 40
L’appel du 18 juin de De Gaulle n’est pas passé partout. Nous écoutions bien la radio mais nous ne l’avons pas entendu. Je n’en ai pas du tout entendu parler. Je ne l’ai su que par la suite. Un peu plus tard, en juillet, il y a également eu l’appel du parti communiste que l’on n’a pas entendu non plus.
Je ne connaissais pas du tout de Gaulle, au début. Pour moi, il ne représentait rien. C’était un colonel : un commandant d’une unité de chars. J’ai vraiment entendu parler de lui en rentrant dans la Résistance, voire un peu avant car mes parents ont écouté Radio Londres pendant toute une période, la nuit de préférence. Nous avions des informations par cette radio et c’est comme ça que l’on a connu de Gaulle.
De juin 40 à 42 : mon sentiment de patriotisme
De juin 40 à 42, année où je suis entrée dans la Résistance, nous sommes revenus sur Paris. Mon père n’avait plus d’emploi or il lui fallait gagner sa vie pour nourrir sa famille. Ma grand-mère, qui avait des relations, lui avait donc trouvé un emploi dans des immeubles au 120 de l’avenue des Champs Elysées près de Radio Paris. Ils sont rentrés là tous les deux, avec ma mère et s’occupaient de tout, non seulement de percevoir les loyers, mais également de la gestion de l’immeuble en général, de tout ce qui était intendance. Ils ont gagné leur vie comme ça. Pendant des années, quand j’habitais encore chez mes parents, j’ai vu défiler les Allemands de l’Arc de Triomphe jusqu’à la Concorde tous les jours… Ils descendaient tous les jours, musique en tête… et il fallait avaler ça !
J’ai toujours été patriote. Pour moi la France, c’est le pays de mes ancêtres, de mes racines ! J’ai toujours été très attachée à ma culture, à ma langue. La langue française est pour moi la plus belle langue du monde : je l’aime ! C’est vraiment quelque chose qui me passionne.
J’ai toujours été attachée à mon pays, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je me suis engagée. Si l’on n’est pas attaché à son pays, on s’en fout un peu… Je suis vraiment entrée dans la Résistance par patriotisme, parce que je voulais faire quelque chose pour mon pays et que j’en avais marre de voir tous ces Allemands défiler devant mes yeux. J’en avais ras-le-bol de les voir partout, partout !
Pour les jeunes, évidemment, c’était l’aventure ! Je suis bien placée pour en parler. Quand on s’en est bien tiré avec ou sans les honneurs, on peut estimer que c’est une belle aventure ! Cela dit, la guerre n’a quand même jamais été une belle aventure pour personne, c’est la mort…
Mon entrée dans la Résistance
Je suis entrée dans la Résistance par un concours de circonstances. J’avais quitté Vincennes où j’avais tous mes amis, mes camarades de classe, pour habiter au 120 avenue des Champs Elysées où je ne connaissais personne. Je n’avais donc plus du tout d’attache et je prenais des cours boulevard Saint Michel. Un beau jour, alors que je me promenais sur le boulevard Saint Michel, où je me baladais souvent le week-end et les jours de congés, je rencontre une copine de classe, Huguette.
Nous avons pas mal discuté ensemble et elle m’a un peu interrogé sur les Allemands et l’occupation. Puis elle m’a dit :
« Dis donc, est-ce que tu ferais quelque chose, toi, contre l’occupation, les Allemands ?
– Evidemment. Mais quoi faire ?
– Ecoute, je suis dans la Résistance, dans les francs tireurs et partisans. Si tu es prête, tu peux y rentrer. »
Mais, on n’y rentrait pas comme ça quand même. J’ai eu une discussion avec deux personnes qui m’ont emmenée me balader et m’ont questionnée, interviewée de toutes les manières pour savoir qui était ma famille et connaître mes motivations. Je leur ai expliqué que j’avais un oncle militant à Alfortville, un père syndicaliste etc. Ils m’ont donc acceptée.
On n’y rentrait quand même pas si facilement que ça. 1942 avait vraiment été une année noire pour la Résistance française : énormément de gens sont tombés ! Les Allemands s’étaient perfectionnés. Ils avaient eu le temps d’acheter beaucoup de consciences. Beaucoup de réseaux sont ainsi tombés, d’où le besoin de remplacer tous ces gens-là.
Les « pneumatiques » étaient encore utilisés, une lettre que l’on envoyait et qui était portée par un postier à la personne à qui elle était destinée, de la main à la main et qu’il fallait signer…. Il fallait bien que je prévienne mes parents que j’allais partir de chez moi. Je leur ai donc envoyé un pneumatique, une lettre disant qu’il ne fallait surtout pas qu’ils cherchent à me revoir, que je leur donnerai des nouvelles de temps en temps et que tout allait bien.
Est-ce que les gens se sont mobilisés ? En 1940, ce n’était pas le cas. La population était assommée, catastrophée. Peu de gens ont en entendu l’appel de de Gaulle. Les plus politisés avaient conscience qu’il fallait réagir. Dès 1940, des actes de résistances –individuels ou pas- ont eu lieu, en particulier dans les usines. Mais ce n’est qu’en 1942 que la Résistance s’organise, se structure. Il y avait d’abord une volonté, politique ou patriotique, de faire quelque chose contre les Allemands mais il fallait saisir l’opportunité. Ce n’était pas si simple que ça. Sans avoir trouvé cette copine, je ne sais pas comment j’aurais fait. On pouvait bien sûr faire des actes individuels, essayer de se procurer une arme et tirer sur un Allemand. Mais ce n’était pas le bon choix car à quoi cela aurait-il servi ?
Dès les premiers contacts avec les résistants, on m’a donné un nouveau nom et une nouvelle mission. J’avais une nouvelle carte d’identité et de quoi me loger. On fonctionnait par couples uniquement pour des raisons de facilité : un couple passe plus facilement inaperçu qu’une personne seule, il est moins suspect. On se comportait donc comme des gens très liés, se tenant par le bras, pour donner le change.
Je m’appelais Claude Deschanel. Certaines villes avaient été bombardées. Les archives ayant ainsi disparu, on se servait de gens qui venaient de ces régions-là pour avoir des cartes d’identité un peu plausibles. Roubaix ayant été bombardée et les archives disparues, j’étais Claude Deschanel née à Roubaix. Ainsi, personne ne pouvait aller vérifier.
Les actions de la Résistance
J’assurais le rôle d’agent de liaison. C’était le bas de l’échelle, le petit soldat. Cela n’avait rien de très conquérant, mais on faisait notre boulot. Tout était de toute manière dangereux. Un agent de liaison pouvait distribuer des tracts, aller les jeter à la volée à la sortie d’une usine ou les mettre dans des immeubles, des boîtes aux lettres. Il pouvait prendre la parole sur un marché, mobiliser les gens. Une copine s’est faite prendre comme ça. Elle a pris la parole sur un marché. Il y avait toujours des copains armés pour la protéger autour d’elle, mais elle s’est quand même faite piéger et s’est retrouvée à Ravensbrück. Elle en est revenue.
J’habitais le quartier Latin où nous avions plusieurs « planques ». J’ai distribué des tracts dans les couloirs d’immeuble, les entrées d’usine. J’ai aussi transporté des armes et j’ai bien failli, me faire prendre ! Je me suis trouvée avec Max, mon co-équipier, dans les couloirs du métro à République ; lui, porteur d’une serviette en cuir pleine de linge sale, moi, avec une plus petite serviette contenant des revolvers et leurs munitions et une grenade à main. Soudain, on voit des flics et des Allemands un peu en retrait. Trop tard pour reculer ! Je suis devant les flics, attendant le pire. Les flics font ouvrir la serviette de Max mais m’ignorent ! Ouf, je l’ai échappé belle. Nous repartons sans précipiter notre allure. J’ai toujours eu la « baraka ».
Pas mal de Français ont quand même aidé les résistants. Héberger un résistant était un acte de résistance. A un moment donné où j’étais recherchée, ma tante m’a hébergée alors que ma grand-mère a refusé car elle avait peur, non pas pour elle, mais pour la personne chez qui elle vivait… tandis que ma tante, elle, qui avait sept gosses, m’a hébergée.
Nous étions payés par la Résistance pour nous nourrir et nous vêtir. Heureusement, car sinon nous serions morts de faim ! Certains travaillaient en usine et faisaient de la résistance le soir, le week-end… Ils pouvaient aider la Résistance d’une autre manière. Certains tapaient des tracts à la machine, les passaient à la ronéo. On pouvait faire des tas de choses tout en travaillant…
Economie et résistance
Sur un plan économique, les Allemands faisaient fonctionner les usines. Il fallait qu’elles marchent mais il y avait énormément de sabotages, de pièces qui n’arrivaient pas. Deux syndicats étaient très représentés, avant la guerre, dans les usines, la C.G.T. et la C.F.D.T. et des ordres avaient été donnés pour saboter.
Les Allemands obligeaient les gens à partir au STO. Certains travailleurs ont rejoint la Résistance des maquis mais tout le monde n’a pas pu. Il n’était pas facile pour un père de famille qui avait quatre gosses à nourrir de rejoindre la Résistance ! Avoir un salaire signifiait aussi avoir des allocations familiales pour les enfants, ce qui n’était pas le cas des résistants payés par la Résistance.
Les maquis étaient presque essentiellement composés de gens qui avaient fui le STO. Il y en avait un peu partout… dans tous les coins de France.
Les principes d’organisation de la Résistance
Un des principes élémentaires de la Résistance était de ne pas être plus de trois par groupe et de ne pas trop se connaître, car si l’un était pris, il ne fallait pas qu’il parle. Je fréquenterais une fille que j’avais connue bien avant, et son copain ainsi que le père du copain, tous résistants. On ne me l’a jamais interdit. Cela dit des erreurs ont été commises. C’était un petit peu avant que je ne quitte mon travail pour rentrer complètement dans la Résistance. J’avais dix-huit, dix-neuf ans et j’avais connu un gars qui me plaisait bien et avec qui j’avais flirté. Or, j’ai su longtemps après que c’était un gars qui essayait de pénétrer la Résistance. J’étais donc déjà repérée à l’époque, sans le savoir. Des tas de copains sont ainsi tombés. J’étais suivie, mes camarades aussi. C’est tout un réseau qui a ainsi été découvert et démantelé. Des copains ont été pris et fusillés. J’ai eu de la chance, la fameuse « baraka » mais cette fâcheuse expérience nous a incités à être plus prudents.
De Gaulle et les communistes
Le gouvernement de De Gaulle lançait des appels mais les résistants communistes ont un grand contentieux avec lui. De Gaulle, se méfiant beaucoup du peuple et comme tous les gens de l’armée, il avait une piètre opinion du peuple français. Il ne faut pas oublier qu’il nous a quand même traités de veaux. De Gaulle désirait que le peuple se soulève à son appel au jour J, mais quand lui le souhaitait. Or, il n’appréciait pas particulièrement tous ces réseaux de résistance, sachant qu’une grande partie était plus ou moins dirigée par des communistes. Cela s’est traduit par la privation d’armes de certains maquis. Londres faisait parachuter des armes dans les maquis, mais ceux à direction communiste en recevaient très peu. Ils étaient obligés de se servir sur l’occupant. On piquait beaucoup d’armes aux Allemands parce qu’on ne pouvait pas beaucoup compter sur les Anglais, et surtout sur de Gaulle.
Vichy était un gouvernement pro-allemand. Mitterrand s’est occupé à un moment donné du rapatriement des anciens combattants prisonniers. Il a eu des accointances avec Vichy sans pour autant que cela fasse de lui un collaborateur.
Je ne me rappelle plus si je suis entrée dans la Résistance avant ou après la libération d’Alger par les Américains. Il y avait deux zones : la zone libre et la zone occupée. A partir du moment où les Américains ont libéré l’Algérie, le Maroc puis la Tunisie, les Allemands ont occupé la zone libre. Cela a eu des conséquences importantes. Beaucoup de réseaux ont ainsi été décapités. Quand les Allemands ont envahi la zone libre, les réseaux lyonnais et d’autres réseaux de résistance se sont retrouvés en face d’eux.
Le quotidien dans la Résistance
Au début, j’étais secrétaire dactylo dans une entreprise qui s’occupait du renflouement de la flotte qui avait sombrée à Toulon. Je m’occupais des scaphandres… Mais c’était une façade. Cela m’a toujours un peu interpellée. Mes patrons étaient dans la Résistance, je ne sais pas à quel niveau, mais ils n’étaient pas du tout pro-allemands. Ils ne travaillaient pas pour eux.
Il pouvait y avoir plusieurs réseaux de résistance dans une même entreprise mais personne ne connaissait l’autre. J’étais dans les F.T.P. parisiens mais il y en avait bien d’autres : des réseaux plus ou moins de droite ou socialistes. Tous les partis politiques avaient engendré des organisations. J’ai ainsi entendu parler du réseau Libération Nord.
Je n’ai pas travaillé là longtemps car j’ai très vite compris que travailler était incompatible avec ce que je voulais faire, ce que l’on me demandait. J’ai fait quelques distributions de tracts, des choses comme ça, mais je devais le faire le soir. Or, mes parents étant à cheval sur les principes, je ne pouvais pas me permettre de rentrer à n’importe quelle heure le soir (il y avait souvent le couvre-feu). J’habitais encore chez eux. On ne m’a jamais demandé de quitter mes parents, la décision est venue de moi-même. J’aurais pu rester comme ça longtemps mais je n’aurais pas pu faire grand-chose. Je me sentais mal dans cette situation. `
Une fois partie de chez mes parents pour la résistance, j’ai habité du côté du quartier Latin. J’ai fait plusieurs « planques » parce que nous avons été repérés plusieurs fois. Il fallait toujours changer... A une époque, j’ai ainsi remarqué avoir été suivie par des jeunes gens, des mecs payés par les Allemands, des Maghrébins. Je m’en suis rendue compte parce que je ne pense pas qu’ils cherchaient vraiment à se cacher. Quand j’étais sur un trottoir, ils étaient sur le trottoir d’en face. Je tournais, ils tournaient…C’était presque comme s’ils voulaient me faire savoir que j’étais suivie. C’était flagrant. Le fait que le réseau soit tombé voulait dire que nous avions été suivis longtemps et trahis par ce gars dont j’ai parlé.
Quand un réseau tombait, c’était le « sauve qui peut » et des copains que l’on ne retrouvait pas. Nous avions des rencontres à faire pour telle ou telle mission et il n’y avait personne au rendez-vous. Mais, il y avait toujours un rattrapage un autre jour, à un autre endroit. S’il n’y a personne deux fois de suite… c’est que quelque chose n’allait pas. On avait donc intérêt à faire très attention.
C’est là que l’on s’est aperçu que le réseau tombait. Le copain avec qui j’étais m’a dit : « Sauve qui peut. Tu t’en vas, tu vas où tu veux mais tu prends le vert. On a ordre de s’en aller en province, de quitter la région parisienne. » Mais nous n’étions pas des gens suffisamment importants pour qu’on nous trouve des endroits où nous cacher. Il y avait certainement des gens beaucoup plus importants que nous : des chefs, des gens qui dirigeaient… Eux on leur trouvait des planques de façon certaine. Nous, on se débrouillait.
Je suis alors partie dans une ferme en Normandie où mon père faisait le retour à la terre. Il était très estimé là-bas parce qu’il leur racontait tellement d’histoires… Il avait tellement de choses à dire quand ce n’était pas chez lui !
Je suis restée six mois là-bas. J’ai expliqué à mon père pourquoi je revenais à la maison et que j’étais recherchée par la police. Fait quand même assez curieux, l’immeuble de Radio Paris était à côté de l’immeuble où les Allemands étaient, au 122. Certains bureaux étaient reliés. Laval avait des bureaux commerciaux car il était président de plusieurs entreprises commerciales.
Au dessous, on trouvait des gens plus ou moins liés à la préfecture de Paris, des bureaux de service. Et là, un homme qui avait des dossiers des résistants était venu dire à mon père que j’étais recherchée. Quand il avait vu ça, il avait mis le dossier en dessous de la pile. Mon père était donc au courant. Cet homme était un de ces nombreux fonctionnaires hostiles à Vichy et qui ont souvent aidé la Résistance.
Je n’ai rien fait de spécial à la ferme pendant ces six mois. Je n’ai jamais pu traire une vache ! Cela les aurait bien arrangé car ils en avaient besoin, les trayeuses électriques n’existant pas à l’époque. Je nettoyais l’étable des vaches. J’allais biner les betteraves, ramasser les pommes… Je faisais des tas de choses. Je prenais vraiment le vert et ce n’était pas une période désagréable de ma vie car je mangeais à ma faim pour la première fois depuis longtemps. Dans la ferme, ils faisaient leur pain eux-mêmes. Au début il était bon, mais à la fin il était un peu rassis. Ils mettaient ça dans des grandes maies. On faisait du pain pendant toute une journée et on le mettait dans ces maies. Le pain blanc, qu’est-ce que c’était bon !
Stalingrad
On entendait peu la radio car il ne fallait pas trop la mettre chez les paysans mais j’ai quand même appris pour Stalingrad en 1943. A Bagnoles-de-l’Orne, à côté, les troupes allemandes étaient composées d’Autrichiens, de Luxembourgeois enrôlés de forces, d’Alsaciens… beaucoup de gens pas très jeunes qui attendaient tranquillement que la guerre se finisse et qui espéraient bien que ça allait se terminer comme ça. Mais il y a eu Stalingrad, et ils ont alors eu besoin de ces gens pour remplacer ceux qui étaient morts là-bas. Ce fut un grand bouleversement.
Etoile jaune, camps de concentration
L’étoile jaune fut de port obligatoire pour les juifs fin 1941 à Paris. Une copine la portait. Je l’ai d’ailleurs portée pendant pas mal de temps. Je lui avais demandé de m’en donner une, je ne sais pas pourquoi… par pure la provocation car si j’avais été prise, ils ne m’auraient pas fait plus de cadeaux qu’à un vrai juif. Cette copine a rejoint la Résistance à Lyon et a pu s’en sortir.
L’étoile rose, elle, était portée par les homosexuels dans les camps de concentration. On ne la voyait pas autrement. Des amis sont partis en camp de concentration. Certains en sont revenus mais d’autres sont morts. Je ne les ai jamais revus. D’autres en sont ressortis traumatisés. Je ne pense pas qu’on puisse s’en tirer comme ça. Ceux qui se sont retrouvés dans les camps de concentration parce qu’ils étaient militants ou dans la Résistance, étaient des battants. Ils s’en sont donc en principe bien sortis.
Un ami résistant juif m’avait demandé d’aller porter une lettre à ses parents qui habitaient boulevard Rochechouart. Quand sa mère m’a reçue sur le pas de la porte, elle m’a dit : « Oui, moi je marie son frère et puis lui, qu’est-ce qu’il fait ? ». J’avais envie de lui dire : « Mais madame, c’est pour vous qu’il se bat en ce moment. » C’était dur. Je ne lui ai pas dit à lui parce que ça lui aurait fait de la peine. Les familles n’étaient pas conscientes de ce qui allait se passer. Elles se sont d’ailleurs fait attraper comme ça.
Il y eut des rafles immenses, notamment au Vel d’Hiv. De plus, je pense que le consistoire (les dirigeants juifs) avait apaisé la population juive en leur disant qu’il n’y avait pas de problème. On ne savait pas que les camps de la mort existaient en Allemagne. Je n’en étais pas consciente et je n’en n’avais pas encore entendu parler personnellement. Je n’ai appris leur existence qu’une fois dans la Résistance. Des copains, souvent communistes, étaient au courant, mais moi je n’étais pas militante alors je ne savais pas. Les parents de mon ami juif ont été déportés à la fin de la guerre. Il n’était pas avec eux.
L’antisémitisme
Habitant avenue des Champs Elysées, je n’avais pas de contacts avec qui que ce soit. Je n’ai pas personnellement vraiment ressenti l’antisémitisme pendant la guerre… Si j’ai porté l’étoile juive par bravade c’est parce qu’elle revêtait une signification pour moi… mais pas pour tout le monde. Beaucoup de Juifs sont arrivés en France avant la guerre parce qu’ils étaient pourchassés en Europe de l’est, en Autriche, dans les Sudètes. Certains se sont installés à Brunoy et ont acheté des propriétés par-là. On les voyait souvent tous en ballade en forêt. Ils avaient des enfants magnifiques, des bébés d’une beauté extraordinaire avec ces cheveux bouclés noirs et ces yeux magnifiques ! Les gens ne les acceptaient pas tellement. Je ne sais pas si c’est parce qu’ils étaient juifs ou simplement étrangers.
Montreuil était une ville ouvrière à direction communiste, où il y avait beaucoup d’immigrés, et les gens se toléraient beaucoup mieux. C’était différent dans les villes de droite, beaucoup plus huppées. Même en France, quelqu’un qui venait de la campagne à Paris était un étranger qui arrivait dans un autre monde.
Quand les Allemands attrapaient un juif, il était directement déporté en camp mais les juifs résistants, eux, sont bien souvent, d’abord, allés en taule, puis de là à Drancy dans un camp de transit, et enfin étaient expédiés dans un camp de concentration.
Ces camps de concentration ont été remplis par des juifs non résistants. Ils se sont tous retrouvés au Vel d’Hiv après les rafles monstres dans les quartiers juifs. Certaines personnes ont aussi été dénoncées mais d’autres sauvées.
Je n’ai jamais aimée la police, même avant. C’était une tradition. Dans les milieux ouvriers, on n’aimait pas la police. Elle intervenait lors des grèves ! Lors des manifestations ! Il y avait ce vieux ressentiment du milieu ouvrier contre la police. Il ne fallait donc pas m’en parler ! Cela dit il faut reconnaître que certains policiers nous ont bien aidés : connaissant des choses, ils sont venus nous les dire. Il ne faut donc pas non plus renier ça. Des gens ont été corrects. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Sur le moment, on n’appréciait pas trop la police car c’est elle qui venait chercher les gens chez eux et les donnait aux Allemands.
La milice
Des jeunes s’étaient également engagés dans la milice de Pétain pour faire un sale travail. Je ne l’ai pas vraiment connue sauf au moment de la Libération parce qu’ils nous tiraient dessus depuis les toits. Je n’ai pas vraiment été en contact avec eux, mais on savait bien qu’ils ont fait un très sale boulot surtout en province. Ils ont arrêté et dénoncé des gens. Issus de la population, ils connaissaient les gens, les ont vendus et trahis. Tout cela pour de l’argent. La plupart des miliciens le faisait parce qu’ils étaient payés cher. Je ne sais pas si beaucoup l’était par idéologie. Dans ce cas, ils provenaient des milieux d’extrême droite d’avant guerre.
Le couvre-feu
Les couvre-feux étaient ponctuels. Des Allemands avaient été attaqués à Paris… couvre-feu pour tout le monde : en principe à vingt et une heures. Il valait mieux ne pas se faire prendre si on ne le respectait pas. Je suis souvent rentrée chez mes parents après le couvre-feu en me planquant de porte en porte et se planquer sur les Champs Elysées n’était pas facile ! Mais on y arrive quand même…
On prenait le métro puis on se planquait dans des portes cochères. Je me souviens d’être rentrée ainsi chez mes parents après le couvre-feu. Ils m’attendaient et étaient quand même inquiets.
L’occupation au quotidien
La priorité des Allemands au début était d’essayer d’entretenir les meilleurs contacts possibles avec la population pour donner une meilleure image. Avec les filles, ce n’était pas toujours difficile. Beaucoup se sont laissées avoir mais certaines étaient sincères.
L’occupation des Allemands au quotidien signifiait dire voir des Allemands partout mais également subir le « rationnement ». On n’avait pas grand-chose à manger, d’où le marché noir dans toute sa splendeur. Les fermiers donnaient tout ce qu’ils avaient et se faisaient payer. Je suis restée dans une ferme pendant six mois. Je sais comment cela se pratiquait. Des gens allaient dans les fermes acheter du beurre, de la viande, des poulets, des lapins. On tuait le porc. On tuait le bœuf. Les restaurants arméniens, au sud de Paris, étaient très friands de viande de bœuf… Ils venaient se ravitailler dans cette ferme. Ils venaient tuer le bœuf et faire des boulettes, du boudin et d’autres plats arméniens.
Les « tickets de rationnement » et la carte étaient délivrés pour tout le monde à la mairie Les travailleurs de force oeuvrant pour les Allemands dans les usines avaient quand même droit à un régime plus particulier : un peu plus de pain, de viande… On allait chez les commerçants avec les tickets pour chercher la nourriture. J’allais par exemple acheter mes cinquante grammes de beurre, quand il y en avait, chez le crémier avec mon ticket d’alimentation. En fait, le ticket était un droit pour pouvoir acheter. Si vous ne l’aviez pas, vous ne pouviez pas acheter. On achetait également au noir. Comme ils avaient un peu d’argent, mes parents ont acheté au marché noir.
Le retour à Paris
Après six mois en Normandie je suis revenue aux Champs Elysées à Paris car ma mère devait se faire opérer. Mon père m’a fait revenir de Normandie parce qu’il fallait bien lui faire à manger, faire le ménage.
Nous étions en 1943-44, cela commençait à devenir chaud… J’ai essayé de reprendre contact avec des gens que je n’arrivais pas à retrouver car tout le monde s’était dispersé. J’ai donc travaillé un peu puis nous sommes arrivés au moment de l’insurrection. Là, à partir de mai 1944, j’ai participé à la libération de Paris.
J’ai parcouru tout Paris pour essayer de reprendre contact avec mes copains que je n’ai pas retrouvés. Je ne les ai retrouvés que beaucoup plus tard. Je suis donc tombée sur un groupe de résistants qui appartenait aussi au F.T.P. mais dans un autre réseau et j’ai participé à la libération de Paris avec eux, dans le quartier de la République.
Le Débarquement
On ne pouvait pas trop se fier aux journaux car ils ne reflétaient pas la vérité. Bien que j’aie rejoint l’armée de Lattre après par un concours de circonstances, je me souviens davantage du débarquement en Normandie que de ceux qui remontaient du sud.
Quand les forces libres, américaines, anglaises, mais aussi françaises ont débarqué en Normandie, on a espéré. Stalingrad était déjà tombée et les Allemands prenaient reculaient partout où ils étaient. Nous savions que c’était râpé pour eux. Il y avait donc un grand espoir même si l’on savait que la guerre n’était pas finie pour autant. Ce n’est pas parce qu’on libérait Paris que la guerre était finie ! Il fallait aller jusqu’au bout et comme on dit « bouter l’ennemi hors de France ».
C’était l’euphorie, un espoir extraordinaire. Les Allemands perdaient la guerre et on les voyait s’enfuir ! A un moment, alors que j’étais chez mes parents aux Champs Elysées, je me souviens avoir vu les blindés allemands reprendre la route vers le Nord, passer à toute vitesse, et repartir. Ils étaient beaucoup moins présents dans la rue et essayaient de foutre le camp vite fait. Le peuple s’en rendait compte et s’est dit : « C’est fini pour eux ». De là, Paris s’est soulevé : les barricades ont fleuri un peu partout. C’était extraordinaire ! C’est vrai qu’il y a eu une euphorie terrible. De plus, il faisait si beau ! Il y avait un soleil ! Il faisait chaud, il faisait beau et l’air semblait plus léger… On respirait.
Le maréchal Pétain
Quelques mois avant Pétain avait amené 500 000 personnes à Paris. 500 000 personnes en train d’applaudir Pétain deux mois avant ! J’ai d’ailleurs dit à un professeur d’histoire au lycée de Sarcelles : « Tu sais, les Français ce sont quand même des gens qui ne savent pas trop ce qu’ils veulent, parce que Pétain a réuni près de 500 000 personnes à Paris peu de temps avant la Libération. Et ce sont ces mêmes gens qui sont venus acclamer de Gaulle au même endroit ! » Après réflexion, ce ne sont peut-être pas les mêmes personnes qui étaient aux deux manifestations. Mais, il est vraisemblable qu’un certain nombre ait opportunément retourné sa veste. C’est vrai que je n’aime pas trop parler de cette période parce que je n’aime pas dire que les Français sont comme ça… mais il faut bien que j’arrive à dire que ce fut pourtant le cas, qu’une population peut être retournée comme une crêpe. Il suffit d’un homme avec un certain charisme (ex : Hitler) qui arrive, qui sache parler… et ce n’est pas valable que pour les Français.
Je ne suis bien sûr pas allée voir Pétain. Je devais être chez mes parents à ce moment-là ou ailleurs. Il s’est fait acclamer parce qu’il n’était pas encore question de débarquement… Si le débarquement avait déjà eu lieu, les Français n’auraient pas fait ça. Mais le maréchal Pétain était aimé par certains Français car il était l’un des vainqueurs de la guerre 14-18. Seulement, je me dois de dire qu’il y a joué aussi un sale rôle en faisant fusiller des soldats.
Il ne fallait pas reculer : ceux qui le faisaient étaient fusillés. En tant qu’ancien combattant de la guerre 14-18, mon père n’aimait pas du tout Pétain. De plus, c’était un ouvrier. Il ne fallait pas trop lui parler de l’armée et de la hiérarchie. C’était comme les flics ! On n’aimait ni les flics, ni les gradés… sauf évidemment le général de Gaulle.
A la campagne, les fermiers se foutaient du maréchal Pétain. Du moment qu’ils vendaient leur beurre et leur fromage… Tout cela les dépassait pas mal. C’est une réalité ! Ils n’aimaient pas les Allemands, c’est vrai, mais leur fille s’arrangeait quand même pour vendre aux Allemands de Bagnoles, la gnôle qu’elle avait piquée à ses parents.
24-25 août 1944 : l’insurrection de Paris
Le jour de la Libération, je me trouvais à Paris dans un groupe de résistance derrière la République. J’ai donc assisté à tous les combats derrière la République mais je n’ai pas eu la chance d’être bien placée dans l’île de la Cité ou ces coins-là, où on a vu Leclerc arriver.
Nous étions très friands de nouvelles. Nous écoutions beaucoup la radio pour savoir où ils en étaient. C’était comme le téléphone arabe : la nouvelle de l’arrivée de Leclerc se passait d’une personne à l’autre. Cela s’est su très rapidement et des barricades se sont mises en place un peu partout dans Paris. On voulait empêcher les Allemands de partir et les faire prisonniers.
Je n’étais pas sur une barricade mais dans notre PC, Poste de Commandement, dans une bâtisse que l’on avait investi et qui avait peut être été le siège d’une société en son temps. Tous les commissariats de police et les radios avaient été investis par la Résistance. Les Allemands faisaient feu. Ils formaient des noyaux de résistance notamment autour de la République où il y avait une caserne avec à peu près cinq cents Allemands. Ils ont longtemps tenu le choc. Un des groupes Leclerc avec les F.F.I. du coin a fait la reddition de ces Allemands-là. Cela dit il fallait faire gaffe dès que l’on sortait car les miliciens nous tiraient dessus depuis les toits ! Un de nos copains a été tué.
Cela faisait déjà deux ou trois jours que Paris s’était insurgé quand Leclerc est arrivé. Les Allemands s’en allaient, quittaient la capitale parce qu’ils n’étaient quand même pas fous… Cela dit, tout l’état-major, Von Choltitz, est resté. Le général Leclerc en personne, accompagné de Rol-Tanguy, le responsable PC (Parti Communiste) de toute la Résistance de l’île de France ont reçu la reddition de Von Choltitz. Paris a ainsi été libéré par les résistants et son peuple. De Gaulle ne voulait pas que la reddition se fasse avec les communistes. De Gaulle en a énormément voulu à Leclerc d’avoir demandé à Rol-Tanguy de l’accompagner pour recevoir la reddition de Von Choltitz.
Leclerc était un officier qui a toujours été près de ses hommes sur le terrain. Venant du Tchad, il les a menés en tête de son armée. De Gaulle, lui, était le chef incontesté qui parlait de Londres. Il a eu le courage de dire « non » le premier. D’autres sont ensuite venus autour de lui. L’appel du 18 juin c’était quand même lui. Cela dit, certains, notamment dans l’armée, n’ont pas attendu de Gaulle pour entrer en Résistance.
Von Choltitz et le reste de l’état-major ont été jugés longtemps après la reddition. Nous avons fait des prisonniers parmi les simples soldats. On les gavait comme des cochons alors qu’ils nous avaient fait crever de faim ! On leur préparait leur déjeuner, les tartines de beurre… parce qu’en fin de compte, on avait quand même cohabité quatre ans avec eux. Ce n’étaient pas tous des salopards ; il fallait faire la part des choses.
Les moments forts de la libération de Paris
Je n’étais pas là quand de Gaulle est arrivé et a descendu les champs Elysées. Je ne suis même pas allée chez mes parents pour le voir défiler. J’étais toujours dans ce PC.
A un moment donné, tous les gens qui étaient dans des réseaux comme moi sont allés à la caserne de Reuilly pour continuer la guerre car elle n’était pas terminée. Nous avons demandé à être incorporés dans des unités militaires d’où la création du 151ème de Fabien à la caserne de Reuilly.
J’étais incorporée au bataillon Saint-Just où nous avions un commissaire politique ! Je ne l’ai jamais entendu parler, mais nous en avions un. Pourquoi me suis-je engagée à vingt-deux ans dans l’armée française ? Des copains ont effectivement arrêté là. Ils sont retournés chez eux disant : « On a fait la Libération, maintenant on rentre ». Je voulais aller plus loin… Je ne voulais surtout pas rentrer chez moi et retourner dans un bureau. J’aimais l’aventure, l’inédit, des tas de choses ! Je ne pensais qu’à ça. Je me suis donc dit : « Je vais aller me battre, je vais continuer » et c’est ainsi que je me suis retrouvée dans un bataillon qui m’a acceptée.
Le colonel qui commandait la caserne de Reuilly était un camarade que j’avais connu dans la Résistance, l’un de mes chefs haut placé. Je ne le rencontrais pas souvent… Son bureau au PC de Reuilly était ouvert à tous vents, avec tous les cachets et les papiers à en-tête ! J’y suis allée me faire un ordre de mission, que j’ai signé moi-même avec tous les tampons. J’en avais ras-le-bol d’être à la caserne, je voulais partir ! J’ai traversé la moitié de la France avec un vieux copain âgé de soixante ans qui comme moi en avait marre. Il devait aller porter du ravitaillement et leurs soldes en argent liquide à des résistants qui continuaient la guerre dans les Vosges. Je lui ai demandé :
« Tu m’emmènes ?
– Oui, pourquoi pas. "
J’ai pris mon fusil et nous sommes partis avec mon faux ordre de mission. Personne n’a d’ailleurs cherché à savoir où j’étais partie.
Je suis allée dans les Vosges retrouver un groupe de gens qui venaient du midi et de la région parisienne. Mon ami venait leur porter leur solde. Je ne sais pas comment il les avait connus mais il venait les payer.
Je me suis retrouvée dans ce bataillon dirigé par un véritable colonel, le colonel V., un homme charmant. Ils m’ont acceptée telle que j’étais.
Les Vosges
Les bataillons de l’armée qui sont remontés du sud avec le maréchal Juin étaient constitués en majorité de soldats venant d’Alger, du Maroc (tabors, spahis, tirailleurs). Mon mari était d’ailleurs sous-officier français dans un bataillon de tirailleurs marocains. Il remontait du sud et avait fait Monte Cassino… Il en a bavé. On s’est tous retrouvés à un moment ou à un autre dans les Vosges.
La Libération pour moi, ce n’était pas la libération de Paris. Il restait encore du chemin à faire… traverser le Rhin jusqu’en Allemagne. Dans le cadre de la deuxième division blindée, celle du général De Linares, nous avons participé à toutes les batailles pour la conquête de l’Alsace, la Lorraine, la traversée du Rhin.
En tant que femme dans l’armée, on m’avait placée comme secrétaire du colonel. Je tapais des ordres de missions, des tas de trucs… Cela me gonflait passablement et j’allais donc souvent en ligne avec les hommes. C’est d’ailleurs comme ça que j’avais commencé, avant d’aller au PC du colonel. Ce colonel avait des filles et ma présence l’embêtait donc un peu : il ne voulait pas qu’il m’arrive quelque chose.
On partait en opération, donc, à la recherche et au contact de l’ennemi. On savait qu’il était à peu près là et on essayait d’arriver le plus près possible pour voir où il se trouvait et comment on pouvait le surprendre. J’allais donc au front.
Je n’étais pas un soldat discipliné mais personne ne l’est de naissance. On l’est parce qu’on est incorporé quelque part mais je ne pense pas que ce soit inné, même chez les hommes, d’aller se battre, de faire la guerre. J’ai fait le travail que faisaient tous les hommes mais rien de particulier en tant que femme.
Je n’ai pas fait partie de ceux qui ont libéré les camps de concentration en Alsace. J’ai peut-être entendu parler du camp de Struthof mais cela ne me revient pas en mémoire, excepté que mes copains m’avaient dit : « Des juifs qui ont été déportés et ont été mis dans un camp de concentration. » Je l’ai su, mais visuellement je n’avais pas vu. J’ai découvert cela après.
Je n’éprouvais pas vraiment de haine contre les Allemands pendant les combats. Je suis d’ailleurs incapable d’avoir de la haine contre qui que ce soit. Je ne peux pas, sauf peut-être pour Le Pen et l’extrême droite, bien que j’essaie de comprendre pourquoi. Je n’aimais pas les Allemands mais je les combattais parce qu’il le fallait, mais ce que je voulais d’abord était libérer mon pays.
Eux aussi se battaient pour leur pays mais c’était quand même l’armée d’Hitler… Au début, en 1940-41, il est certain qu’ils ont été manipulés. Mais après avoir été battus à Stalingrad, beaucoup ont quand même dû réfléchir à ce qui se passait. Or, les combats ne se sont arrêtés qu’à la disparition d’Hitler.
Nous avons passé le Rhin sur les bateaux faits par le Génie et collés les uns aux autres, pas loin de Strasbourg… je ne sais plus où précisément. Mon mari a fait toute une rétrospective des villes où nous sommes passés.
J’ai connu mon mari après l’armistice. Il était sergent, beau parleur… J’ai fait la plus belle bêtise de ma vie mais je ne le regrette pas car j’ai eu cinq enfants que j’adore.
La camaraderie
Je n’ai connu que ça. J’avoue franchement que je n’ai eu que des camarades, que des amis. Je crois que beaucoup de gens en ont gardé un bon souvenir. Je suis tout naturellement camarade. J’ai le contact facile avec tous. J’ai longtemps été la seule femme parmi tous les hommes mais je me considérais comme l’un d’entre eux. Je ne voulais pas de favoritisme ni quoi que ce soit.
Ils l’ont peut-être quand même un peu ressenti mais je n’ai jamais eu de problèmes d’identité féminine avec les hommes. Jamais !
La fin de la guerre : l’occupation en Allemagne
Après l’armistice, des tas de gens nous tiraient encore dessus en Allemagne. Des Allemands étaient planqués en forêt et nous tiraient dessus quand nous passions. C’étaient des jeunes. Les vieux, eux, n’avaient qu’une hâte : retrouver leur famille ! Mais les jeunes hitlériens, embrigadés… la jeunesse hitlérienne. Ce fut terrible.
J’ai passé la fin de la guerre en Allemagne. Je me souviens de la cuite monstrueuse des troupes françaises dans le coin où j’étais. Ils étaient tombés sur un grand hangar où les Allemands avaient entreposé tout ce qu’ils avaient volé en France : du vin, des apéritifs… La cuite monstrueuse de l’armée française ! Ils ont bien fêté ça, les copains ! Pas moi car je ne buvais pas. Je ne sais plus si je n’étais pas à Rothenburg à ce moment-là…
Je n’ai été démobilisée qu’en 1946. Je suis restée un an en occupation en Allemagne après la fin de la guerre. La vie était belle ! Ce n’était pas mal… Je suis restée un petit moment à Rothenburg, puis très peu de temps à Sigmaringen, et enfin dans la Klein Walsertal, le côté allemand de la chaîne du Tyrol. C’était magnifique, vraiment très, très beau. Nous y avons passé pas mal de temps.
Je pense que beaucoup d’Allemands étaient heureux que la guerre soit finie, car ils y ont perdu des plumes. Enormément de femmes y ont perdu leur mari et leurs fils. En Allemagne, il n’y eut pas de dégâts matériels partout mais beaucoup de villes ont tout de même été détruites. Toutes les villes du Nord, industrielles, ont été rasées : Dresde, Berlin, Munich… Les Allemands avaient voulu raser Londres, ils la bombardaient tous les jours. Les Anglais n’avaient donc pas de cadeaux à leur faire et ils avaient raison car sinon ils n’auraient peut-être pas gagné la guerre.
Malheureusement la bombe atomique était de trop. Les Américains ont voulu faire une expérience dégueulasse, malheureuse car les Japonais en paient encore les conséquences… Nous n’avions pas besoin de ça pour gagner la guerre. La guerre était déjà gagnée.
La reconstruction en France
Maurice Thorez avait dit qu’il fallait relever les manches pour relever le pays. C’était beau, ça… Il y avait du boulot, un travail monstre à faire. Les gens ne demandaient qu’à travailler pour gagner leur vie. Or de nombreuses villes notamment sur le littoral ont été détruites.
Royan et Saint-Nazaire ont également presque été rasées car elles formaient des poches de résistance allemandes qui se sont battues jusqu’en 1945. La France était libérée sauf Royan, La Rochelle et Saint-Nazaire. Les mouvements de résistance bretons se sont longtemps battus là-bas.
Les camps
Je n’ai pas vu de gens sortir des camps et je me dis : « heureusement », car si j’avais vu… J’ai des tas de livres sur la déportation avec tout ce que cela comporte, et après avoir regardé des films, j’ai dit : « Mon Dieu ! Heureusement que je n’ai pas vu ça. »
Je ne sais pas exactement ce qu’il est advenu de la division qui avait massacré les gens à Oradour-sur-Glane, s’ils ont été jugés ou non. Beaucoup de gens de la division Das Reich, y compris les « malgré nous » Alsaciens, ont été jugés à Nuremberg en 48. Une grande partie de la division qui a commis cela était composée de Français nazis, d’Alsaciens. J’en ai connu un qui s’est suicidé des années après, n’ayant jamais pu supporter cette idée-là. Il avait été incorporé de force dans l’armée allemande, avec menace de mort sur sa famille s’il ne répondait pas… ce qui donnait à réfléchir. Mais, beaucoup n’ont pas supporté ce qui a été fait par cette division-là.
1946 : droit de vote des femmes
C’était la première fois que nous avions le droit de voter. Cela m’a paru tellement naturel… je n’ai pas trouvé ça extraordinaire. On avait le droit de voter parce que l’on s’était battues comme tout le monde. J’ai trouvé parfaitement injuste que les femmes n’aient pas eu le droit de vote avant alors qu’en Turquie, les femmes avaient le droit de vote depuis le début du siècle (1907). C’était comme une injustice. Quand on dit que le droit de vote c’est de Gaulle… bien sûr que c’est lui, mais nous l’avions largement mérité.
Cela a bien sûr entraîné des remarques de certains hommes qui disaient : « De toute façon ça ne changera pas, les femmes voteront comme leur mari. »… Cela reste à voir ! La petite histoire raconte que quand M. et Mme de Gaulle sont allés voter à Colombay, où ils habitaient, il y a eu un vote contre de Gaulle. Et, on s’est toujours demandé si ce n’était pas sa femme qui avait voté contre lui ! On n’a jamais su qui c’était ! On a rigolé avec ça…
1946 : La sécurité sociale
Etant jeune, je ne me suis pas très bien rendu compte de ce que cela apportait aux familles. Je me suis mariée en 1946, j’ai eu mon fils aîné en 1947, la sécurité sociale voulait donc dire pour moi le remboursement des médicaments. Mais mes parents étant aux assurances sociales, ils étaient donc déjà bien assurés avant. Ils ne m’ont pas trop parlé de cela. C’est vrai que ce fut une grande conquête, y compris avec tout ce qui se greffait autour de la sécurité sociale : les soins, les cures, les retraites… La sécurité sociale était une grande chose. Quand on pense qu’on veut tout remettre en cause maintenant, ça me révolte.
La Libération, ce n’est pas uniquement le moment de la libération mais un ensemble d’évènements qui ont apporté des droits nouveaux aux Français à cette période. En 1944-45 il y a la libération par les armes, mais en 1945-46 il y a un combat pour les droits… les allocations familiales pour les familles. Le programme du conseil national de la Résistance (C.N.R.) était d’une grande ambition sociale mais il n’a été que partiellement appliqué.
Toute une série de dispensaires ont été construits. La constitution parle de tas de droits : le droit au logement, le droit au travail, le droit à l’éducation, le droit à la santé… le droit à la santé pour tous est un droit essentiel.
L’Europe, les relations franco-allemandes.
En 1946, on ne pensait pas trop à l’Europe. On n’était pas prêts à faire l’Europe avec l’Allemagne. Ce n’était pas possible à cette époque-là. Schuman y avait pensé mais certaines choses étaient quand même incompatibles. Je suis pour l’Europe des peuples, une Europe démocratique, une Europe du progrès social, une Europe où les gens pourraient vivre heureux ! Mais à l’heure actuelle, c’est plutôt l’Europe des banques…
Je n’ai jamais pensé que la rencontre De Gaulle/ Adenauer était vraiment une rencontre qui allait arranger tout en Europe, parce qu’il y avait quand même une Allemagne revancharde sous-jacente. Nous avions un peu peur de ça. Je n’en pensais pas trop de bien.
A la Libération, en 1945, De Gaulle n’était pas forcément bien vu par tout le monde. C’était un grand bourgeois. Ce n’était pas un homme du peuple, lui qui nous traitait de « veaux », nous les Français ! Il faut le savoir quand même parce que c’est vrai. C’était un homme méprisant.
Au sortir de la guerre on sentait deux France : une France gaulliste et une France plutôt de gauche qui s’était libérée mais qui n’était pas gaulliste du tout. Cela s’est d’ailleurs traduit dans les votes. Je me souviens de gens qui étaient pour de Gaulle à 100% et qui votaient pour lui les yeux fermés sans savoir ce qu’il y avait derrière. Pas besoin d’avoir un programme, de Gaulle n’avait qu’à dire : « Je suis de Gaulle, votez pour moi » et tout le monde votait pour lui ! C’était net.
Etre communiste en 46
J’ai adhéré au PC en 1946. J’étais enceinte de mon premier fils. J’ai eu cinq enfants les uns à la suite des autres alors je ne suis pas beaucoup descendue dans la rue mais je me tenais quand même au courant. J’ai attendu de les avoir un peu élevés. Mon mari est mort en 1958. Mon aîné avait douze ans et la petite dernière deux ans et demi. A partir de ce moment-là, j’ai pu travailler, militer au syndicat, militer au parti, choses que je n’avais pas faites pendant dix ans.
En 1946, on était quand même un peu fiers d’être communistes. Avant la guerre, des copains s’étaient retrouvés en taule. Certains de nos dirigeants avaient dû prendre le maquis bien avant l’heure. Etant recherchés, ils se planquaient. C’était la guerre. On pensait que le parti communiste était trop lié à l’Union Soviétique et comme à l’époque le fameux pacte germano-soviétique avait été signé, on mettait les dirigeants communistes en taule.
Message aux jeunes
Donner de sa personne, s’engager pour une bonne cause, ne pas rester indifférent aux drames qui se déroulent sur la planète, s’ouvrir au monde, agir contre le racisme et l’intolérance : cela, certes, nous oblige à nous poser les bonnes questions et à chercher des réponses mais cela apporte aussi des satisfactions morales.
C’est tout ce que je souhaite aux jeunes d’aujourd’hui.
Réactions
« Mme Maurice : - Dans quoi voulez-vous vous impliquer ? Quels sont vos objectifs dans la vie ?
Jeune 1 : - S’impliquer, oui, mais pas dans n’importe quoi. Il faut que ce soit une cause qui nous tienne à cœur pour qu’on puisse faire des bonnes choses. Sinon cela ne sert à rien.
Jeune 2 : - Je n’ai pas trop réfléchi jusqu’à présent à ce que je veux faire en dehors d’une profession.
- Ce n’est pas facile comme question. On me l’aurait posée à leur âge, je ne sais pas ce que j’aurais dit.
- Il peut aussi y avoir des évènements qui font qu’on s’intéresse à une cause du jour au lendemain. Cela peut se faire.
- Vous êtes de quelle origine ?
- Algérienne
- Marocaine
- Il y a des choses à faire dans ces pays. Quand je vois ce qui se passe en Algérie, même au Maroc avec le guignol qu’ils ont comme roi. Excusez-moi… mais quand je pense qu’au Maroc, les paysans marocains crèvent de faim, sont dans une misère noire. Que fait-il ce mec là, lui qui est plein de fric ? »
« - Qu’est-ce qu’un entretien comme aujourd’hui vous a apporté ?
- Bien plus que tous les cours d’histoire-géo, je crois. Là c’est un vrai témoignage
- C’est du vécu, ce n’est pas du raconté. Le prof, lui, il n’en sait rien. Il n’était pas là. Il nous raconte ce qu’on lui a raconté et ce qu’on a raconté à l’autre…
- Là, ça vient d’un vécu. Quand vous parlez il y a des images dans votre tête, je suppose.
- Je suis là pour ça, sinon ce ne serait pas la peine que je vienne. C’est sûr, il faut que ce soit des choses vécues, et encore là ce n’est que la moitié. »