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Sarcelles : Colombe née en 1962

On découvre les pays du monde, les saveurs du monde, on n’a pas besoin de partir en voyage

Les enfants ont besoin que l’on s’occupe d’eux.

mardi 29 juin 2010, par Frederic Praud

La priorité des jeunes aujourd’hui à Sarcelles, ce n’est pas les études et c’est dommage. Il faut avoir un minimum de connaissances. Toute cette publicité, toute cette propagande, on ne leur montre que le côté luxe de la vie. C’est comme un appât. Les jeunes aimeraient bien posséder le portable, avoir des beaux habits, des bijoux…etc., et pour cela il faut avoir de l’argent, donc il faut travailler. Nous on s’achetait nos vêtements parce que l’on travaillait pendant les grandes vacances. On était tous à peu près de la même condition. Il n’y avait pas cette frénésie de consommation.

Colombe

Je suis née en 1962 dans le Nord. J’ai appris le Chti. A l’école, nous étions bonnes en français, je lisais beaucoup et je ne voulais pas parler chti, l’argot pas très littéraire. Il fallait s’appliquer, travailler pour réussir à l’école.

Origines paternelles, l’Algérie

Mon père, né en 1930, a quitté l’Algérie en 1945. Il est venu par bateau. Il s’est installé d’abord à Marseille, avant de monter à Lyon. Ensuite il s’est directement installé là où il avait un membre de sa famille. Il s’est associé avec son cousin. Il était primeur. Il est venu à quinze ans, seul, parce qu’il a perdu sa maman, une riche héritière terrienne. Mes arrières, arrières, grands–parents possédaient beaucoup de terre. Ma grand-mère paternelle a hérité et mon grand-père n’était pas trop trop riche. Quand ma grand-mère est morte, mon grand-père a pu vivre sur les biens et ne s’est pas trop occupé de mon papa, de ma tante et de mon oncle. Mon père, a vu qu’il n’avait pas trop sa place là-bas. Il est parti au décès de sa mère. Il a facilement trouvé du boulot en 1945. Il a fait plein de choses. Il était français. Il n’a pas fait l’armée, il a été réformé, il a une hanche plus courte que l’autre.

Origines maternelles

Ma mère est également née en Algérie. Elle est venue France en 1959 à quatorze ans. C’est un mariage arrangé. Elle avait quinze ans de différence avec mon père. Les filles, en période de guerre, sont mariées très jeunes. Ma grand-mère communiquait avec son cousin qui était ici : « Voilà ton cousin, il n’est pas marié… voilà moi j’ai ma fille. On arrange ça ». Mon père était d’accord et ils les ont mariés. Ils se sont mariés dans le Nord où je suis restée jusqu’à mes vingt ans en 1982.

Mon père

Mon père, c’est un fin cuisinier. Il adorait préparer la cuisine française. Il avait la main verte. Il aimait bien le jardinage et c’était un bon vendeur. Il était amateur de bon vin. Mon père buvait d’excellents vins. Je dois tenir ça de lui, parce que j’aime bien le vin aussi !

Mon père pratiquait sa religion à sa manière. Quand il nous parlait de religion, il nous expliquait que la religion c’est dans nos faits et dans nos gestes de tous les jours. Si tu veux être en accord avec toi-même, ta religion est de ne pas faire du mal aux autres mais de faire du bien, de ne pas dire du mal des autres, d’être généreux quand tu peux et il nous disait : « c’est cela la religion » ; il n’avait pas tous les éléments. Je ne le sens pas du tout comme un immigré.

Mon père était très malade, son actuelle femme lui a dit qu’elle voulait l’emmener : « Si jamais il t’arrive quelque chose je t’emmène en Algérie à côté de la tombe de ton père et de ta mère - Hors de question ! Tu m’enterres ici parce que si mes enfants ont envie de venir, se recueillir sur ma tombe, tu m’enterres ici ». Mon père se sentait plus Français qu’autre chose. Il était venu très jeune, c’était comme s’il avait voulu mettre un trait sur le passé, notamment la perte de sa mère.

Il a appris beaucoup de choses ici. Il a fait les cours du soir, il a appris à lire et à écrire, il passé son permis. Il a eu une voiture, et puis il nous a donné une bonne éducation. Nous sommes allés en école privée, dans une école de bonnes sœurs, une école religieuse. On faisait le signe de la croix, tous les six ! Il s’est privé. Il nous a financés les cours, il a donné le meilleur de lui-même. Il nous apprenait aussi la cuisine. Il était amateur de bons vins…

Être adolescente en 1977-78

C’était écouter de la musique sur les pick-up, des mange-disques, et essayer des vêtements. On écoutait des 45 tours de Mike Brandt, Joe Dassin. On faisait des défilés de mode entre cousines. On se retrouvait à plusieurs et on discutait beaucoup. On ne regardait pas tellement la télé, mais on discutait énormément.

Il y a eu une coupure familiale à mon adolescence, mes parents ont divorcé. J’avais ensuite une belle-mère ; elle ne nous laissait pas beaucoup le temps d’être oisifs. Elle nous imposait beaucoup de tâches ménagères, ce qui nous empêchait de vivre pleinement l’adolescence. Ma priorité était d’étudier, mais je n’ai pas pu. Arrivée à un certain âge, il a fallu travailler. Je me suis retrouvée très tôt sur le marché du travail.

Les ados d’aujourd’hui

Selon moi, il y a trop d’opportunités, il y a beaucoup de facilités pour les jeunes d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a des moyens de communication, le téléphone, celui de la maison, le portable, internet, beaucoup de choses leur donnent la possibilité de communiquer, mais en même temps ça les isole, parce que les ados sont méfiants entre eux. Tous ces moyens de communication freinent l’ouverture pour aller vers l’autre. Nous, on n’avait pas tout ça, mais on communiquait beaucoup, on se parlait. On rêvait de s’épanouir, de se réaliser, de faire des études. C’était important pour moi.

La priorité des jeunes aujourd’hui à Sarcelles, ce n’est pas les études et c’est dommage. Il faut avoir un minimum de connaissances. Toute cette publicité, toute cette propagande, on ne leur montre que le côté luxe de la vie. C’est comme un appât. Les jeunes aimeraient bien posséder le portable, avoir des beaux habits, des bijoux…etc., et pour cela il faut avoir de l’argent, donc il faut travailler. Nous on s’achetait nos vêtements parce que l’on travaillait pendant les grandes vacances. On était tous à peu près de la même condition. Il n’y avait pas cette frénésie de consommation.

Il y a beaucoup de facilités aujourd’hui. Les jeunes vivent chez leurs parents. Ils ont un toit sur la tête, de quoi manger, dormir, regarder la télé. Tous ceux en situation de précarité, les enfants, ont envie d’étudier, de s’en sortir. La situation de précarité des parents peut pousser les enfants à étudier.

Identité française

Ma sœur et moi sommes passées du statut de Françaises au statut d’étrangères, puis de nouveau au statut de Françaises. Tout cela joue dans le travail pour faire démarches. Je connais des gens qui ont une carte de séjour, pour les démarches, ça joue quand même.

J’ai fait beaucoup d’intérim donc j’allais à Paris. Durant dix années je n’ai fait que ça. Quand on me demande mes papiers je donne ma carte de sécu et ma carte d’identité. Je suis française. Quand je donnais mes papiers algériens, j’ai quand même pu travailler dans la région de Lille, mais ce n’était pas évident. On demandait automatiquement la carte de séjour et on vous disait : « on vous écrira, on vous recontactera ». Les réponses, on les ressentait comme si nous n’étions pas françaises.

Retour au pays

Je suis allée là-bas la première fois en 1975. J’avais treize ans. L’image que j’en avais, était celle de la famille. C’est vrai que ça fait un choc. A treize ans on a une vie ordonnée, organisée, on arrive là-bas, c’est la sieste ! Il faisait très chaud. On est étranger, nos parents ne nous ont jamais parlé l’arabe. Quand mon père s’est remarié, sa femme ne connaissait que l’arabe, on l’a finalement appris avec elle. Par la force des choses. Avant on ne le parlait pas.

En Algérie, à treize ans, j’ai été accueilli dans la famille. C’était à Tlemcen à cinquante kilomètres de la frontière marocaine. Je n’aimais pas la ville, mais j’aimais bien aller à la campagne. Je voulais aller voir la maison où avait grandi mon père. On nous y a emmenés et je disais à ma mère « Je ne veux pas trop voir les gens ». Les paysages, les montagnes, la nature m’ont fasciné. Comme on ne pouvait pas trop communiquer, il y avait une distance avec les gens. On était les Français. Je n’avais pas envie de rester là-bas.

Arrivée à Sarcelles en 1992

Nous sommes arrivés à Sarcelles en 1992. Nous avons habité une année à Lochères et puis je suis venue ici, à Chardo. Je suis arrivé à Sarcelles à trente ans. Je n’étais pas mariée. Je n’aimais pas du tout au début. Je connaissais Lochères, les bâtiments, je faisais mes courses à Attac et je connaissais la gare RER. C’est tout ce que je connaissais. Après j’ai cherché un endroit dans la verdure. Je suis allée au Pré sous la ville et là je me suis dit : « Enfin un endroit plus ou moins agréable… ». J’ai commencé à bouger en bus. J’ai trouvé les Chardo joli. J’ai toujours une amie à Lochères, avec son fils.

En 1992 Lochères était beaucoup plus calme que maintenant, avec mes yeux de femme de trente ans. Je ne savais pas ce qui se passait entre les jeunes. Je travaillais dans un journal. Je partais le matin tôt et je rentrais le soir à dix-neuf heures. Pour moi, c’était calme. Ça allait. J’avais trente ans et j’étais célibataire. Je faisais les courses je travaillais, les gens de l’immeuble « bonjour-bonjour, au revoir-au revoir ». Samedi je faisais mes courses, après j’allais sur Paris, et puis voilà…Mon amie Nicole avait son fils à l’école primaire. Quand je ne travaillais pas, je les accompagnais.

Un jeune couple sarcellois

En 1995, j’avais trente cinq ans, c’était la naissance de ma fille. Les gens des Chardo disaient : « Il ne faut pas aller aux Flanades. Il faut éviter les grands ensembles, il faut faire ses courses ailleurs ». J’avais ma fille dans la poussette, je me promenais avec elle, avec son papa, et son petit frère. On allait dans la forêt de Montmorency, les sorties en nature, à la ferme Lemoine à Arnouville. On allait chez ma mère dans le centre de la France du côté de Nevers, et comme il y a beaucoup de centres équestres on y emmenait les enfants. On leur faisait faire du poney.

Sarcelles est une ville cool pour un jeune couple. Le papa des enfants s’est stabilisé parce qu’avant ça, il bougeait beaucoup. Lui, vient du bled.

Le premier avantage pour un jeune couple de vivre à Sarcelles est d’avoir le bois d’Ecouen juste à côté. On y emmenait la petite en poussette, à pied. Il y a également le stade juste à côté. C’est très verdoyant. Du côté de Chauffour, près de la voie ferrée, il y a des vaches, c’est magnifique. Ma mère a mis pendant un certain temps sa vie de femme entre parenthèse pour s’occuper de ses enfants. J’ai mal au cœur quand je me dis que mes parents n’ont pas fait ça, n’en ont pas profité.

Le lien social

Quand je suis venue aux Chardo, je n’avais pas d’amis. La kermesse de l’école des enfants permet aux mamans de se voir. Il y a un dialogue. J’ai cessé toute activité professionnelle pour m’investir dans l’éducation de mes enfants. J’ai fait ça une dizaine d‘années. Ça tournait essentiellement autour d’eux, leurs petits copains, leurs petites copines ; donc forcément on fait connaissance des parents des petits copains, des petites copines des enfants. Ça tisse des liens, on devient amis, ou l’on ne devient pas amis. C’est là que l’on découvre des gens très divers, très intéressants. On découvre les pays du monde, les saveurs du monde, on n’a pas besoin de partir en voyage ! Ma voisine est indienne. Tout ça fait une ouverture.

Je ne connaissais pas les Assyro-chaldéens. J’ai trouvé une ressemblance très forte avec les Arabes. Leur façon de faire la cuisine, leur culture, leurs coutumes, se ressemblaient étrangement. Je connaissais déjà les Juifs quand nous avions habité Montreuil. A Sarcelles c’est pluriculturel, c’est à comme à l’Ile de la Réunion, toute la réunion des races. C’est bien de pouvoir se côtoyer de pouvoir discuter avec des gens.

Nous sommes aux Chardo et je ne peux pas dire si j’aurais eu la même vision aux Sablons. Ma voisine indienne a fait beaucoup d’efforts en français depuis quatorze ans, puisque ça fait quatorze ans que j’habite là ; j’ai découvert les saveurs, sa cuisine et elle me parle. Elle est bouddhiste, j’ai commencé à m’acheter des livres. C’est bien de s’ouvrir aux autres et de pouvoir les connaître et les découvrir.

Situation familiale

J’ai deux enfants, un garçon et une fille. On leur parle en arabe mais ils ont du mal à le parler. Le père parle en français mais me parle parfois en arabe. Le père est d’origine algérienne. Il n’est pas souvent allé au pays. On s’est rencontré par hasard à Paris. En fait, je suis la rebelle de la famille, parce que je me suis mariée à trente deux ans. J’ai refusé le système. Il fait des allers-retours Paris Alger. C’est un pilote de ligne. On est venu s’installer là et il a continué à faire des allers-retours jusqu’à la naissance de ma fille Anaïs en 1995. Après il a fait une conversion et il travaille pour la ville maintenant. Mon plus grand a douze ans.

Créer du lien

Ça fait trois mois que je viens à la maison de quartier des Chardos, même pas…deux mois. Je l’ai découverte par le soutien scolaire. Même les mamans sont bien ici. Les jeunes, il y en a, on ne sait pas ce qu’ils font dehors, mais ils viennent là… Bonjour, maintenant, ils le disent. Les fréquentations comptent aussi. Les parents ont beau bien élever leurs enfants, il y a le monde extérieur.

À Sarcelles, Il faut créer beaucoup plus de choses pour que les gens puissent se rencontrer, discuter entre jeunes, adultes et personnes âgées. Parce que les personnes âgées ont cette sagesse, ce savoir et cette maturité qui fait qu’il faut les écouter. Il y a tout un enseignement derrière.

Repères

Les manques de repères, c’est aussi l’absence d’amour. J’ai discuté avec certaines adolescentes dans la classe de ma fille. Ma fille a onze ans et demi, elle est en sixième, je vois que c’est ça aussi qui manque aux ados, que l’on s’intéresse à eux, que l’on s’occupe d’eux, qu’on les valorise. Même s’ils rament, on voit les efforts, on les soutient, on a cette fierté, on a confiance en eux pour les aider à avancer. Il faut beaucoup leur parler.

Une fois j’ai regardé un reportage sur Arte, c’était une petite chinoise. Sa mère était partie en province pour travailler. Donc elle a quitté le petit village et elle, elle s’occupait de ses frères et sœurs. Elle avait dix ans et faisait à manger, elle avait deux heures de cours, le journaliste lui a demandé : « c’est quoi ton rêve ? Aller à l’école ». J’ai dit à mes enfants : « regardez ! Son rêve, c’est d’aller à l’école ! Vous, vous avez tout, je ne vous demande pas de laver la maison, de faire la vaisselle, je vous demande simplement de vous consacrez à vos études ». Il faut réformer beaucoup de choses de l’éducation nationale.

Les enfants ont besoin que l’on s’occupe d’eux. Les enfants ne rêvent plus comme avant. Ici, au centre des Chardos, ils font des jeux, des trucs simples, comme le baccalauréat que l’on a revisité à notre manière. On se raconte des histoires. On leur pose la question « qu’est-ce que tu vas faire quand tu vas être grand ? ». Nous les sortons de Sarcelles. La plus belle chose qu’ils nous aient dit c’est : « Même si nous restons là à ne rien faire, nous sommes bien à parler de tout. ». On rigole.

Une visite à Sarcelles

Il faut faire venir des gens de l’extérieur à Sarcelles. J’ai une amie à Paris, elle y est née, elle y a grandi, elle est d’origine bretonne. Je l’ai invité à Sarcelles : « tu te rends compte, moi je ne viens pas à Sarcelles ». Dès qu’elle est venue, elle est tombée sous le charme. Si je trouve une petite maison ici, j’achète et je reste à Sarcelles ! J’invite les gens à visiter Sarcelles. C’est magnifique ! Il y a de la verdure…

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