Un curé en campagne

Monsieur l’abbé SEESING né en 1923 à Vorden en Hollande

Mon évêque m’a nommé curé de Radinghem en 1956. Le village était alors orienté sur Fruges après avoir été orienté sur Fauquembergues.

L’organisation de l’église

Les prêtres sont rémunérés par l’évêché qui s’arrange pour que le salaire soit équivalent au SMIC. Les deniers du culte servent à alimenter une caisse pour les salaires des prêtres et des laïcs employés à l’évêché.

L’église de Radighem appartenait à la famille Forster jusqu’à il y a une vingtaine d’année. La commune avait racheté le clocher au grand plaisir de l’évêché qui n’avait plus à en prendre en charge l’entretien. La mairie voulait avoir le droit de sonner.

Les fêtes religieuses

À Noël, on allait à la grande messe de la nuit, la messe du matin et l’après midi les vêpres, (d’où l’expression, « achj’vêpres.... »). Il y avait une ferveur particulière pour la messe de minuit. La participation des gens était plus active. Ils venaient à pied, en famille. L’église n’est qu’à deux kilomètres du bout du village.

Les grandes fêtes religieuses ponctuaient la vie du village, l’assomption en plein été, Noël, pâques. Nous avons une neuvaine au mois de février. La ducasse traditionnelle se tient au début juillet. Les gens se retrouvaient dans l’église. Il n’y avait alors pas de manèges ou autres moyens de distraction. Cela ne se faisait pas. Il n’y avait rien de spécial dans le village à part la messe. Les gens faisaient la fête chez eux et au café. La grande fête cantonale se tenait à Fruges.

La neuvaine devait normalement durer neuf jours. Une messe importante est célébrée le matin dans l’église et chaque soir, une conférence était animée par un père religieux. En 45 ans, nous avons eu des lazaristes, des Dominicains, un capucin (historien qui avait fait des recherches sur l’ancien château de Radinghem dont l’église était la chapelle). Le soir, après la conférence, nous organisions un jeu scénique toujours en rapport avec la conférence.

La neuvaine de Radinghem vient de la fête de Sainte Apolline. Il y avait eu une épidémie au village, il y a très longtemps… Ils avaient demandé à l’évêque de faire venir la moitié d’une relique de Sainte Apolline installée dans une autre paroisse. La neuvaine commençait tous les ans le 9 février, par une fête.

La deuxième neuvaine est considérée comme un pèlerinage. Elle a lieu à Ecouflans, au-dessus de Vincly, dans cette chapelle où une petite statuette date des derniers grands pèlerinages de Compostelle. Avant Jésus-Christ, des hauts lieux comme Ecouflans servaient d’espace de rassemblement. C’était le passage des pèlerins de Saint Jacques des Flandres pour l’Espagne. Les pèlerins se rassemblaient à Ecouflans. Un pèlerin y a un jour caché un magot d’argent qu’il ne voulait pas emporter à Saint Jacques. Il s’était promis, « si je retrouve mon argent, je bâtirai ici une chapelle. » À son retour, il y a donc bâti la première chapelle d’Ecouflans de Notre Dame du Bon Voyage. Le mot voyage n’était alors employé que dans le sens « pèlerinage ». Une semaine par an nous y organisons une neuvaine. Les cérémonies ont lieu le matin sauf le dimanche après midi où un millier de personnes se rassemblent à la chapelle. Elles viennent de toute la région du Nord, de Hazebrook à Hesdin.

Le dimanche après la pentecôte, la paroisse organisait la grande procession du Saint Sacrement dans tout le village, grand et petit marais. Nous avions quatre hommes pour porter le dais. Cette procession était une manifestation de foi. Les maisons étaient décorées et l’on mettait des branchages par terre, des feuillages sur la route. Des enfants portaient des pétales de fleurs qu’elles jetaient. La manifestation s’est arrêtée vers 1985 car cela devenait compliqué…

Une deuxième procession, de la Vierge, était organisée le 15 août. Nous partions de l’église jusqu’à la chapelle du village, la chapelle de Notre dame de Lourde où nous faisions la dislocation. Les rogations n’existaient plus quand je suis arrivé. Elles se tenaient au printemps. Pour les mariages, les gens arrivaient en procession depuis la mairie…

L’humain avant tout

Le rôle d’un prêtre dans le village était de célébrer les sacrements et de contacter les gens en essayant de les connaître au mieux, être de bon conseil. Je travaillais la main dans la main avec le Maire de la commune. La religion faisait partie de la vie. La qualité de notre relation humaine dépendait beaucoup des visites que je rendais aux gens. J’allais voir chaque famille deux fois par an, les unes après les autres. Les jeunes ne pouvaient pas toujours reprendre les fermes alors que les parents étaient en pleine activité. Ne restaient au village que ceux qui travaillaient dans la ferme avec leurs parents.

Certaines familles venaient voir le prêtre pour prendre des décisions sur l’avenir de leurs jeunes. Ils me demandaient « qu’est-ce que vous en pensez, Monsieur le curé ? » Dans les années 50, on commençait à réfléchir sur ce qu’ils allaient faire vers 12/13 ans. Plus tard, l’orientation se faisait beaucoup plus par les écoles.

On me demandait ce que je pensais à propos de tel ou tel mariage. On discutait ensemble et quelquefois on allait voir… « Est-ce que mon garçon ou ma fille fait bien de fréquenter comme ça ? »

On ne bénissait pas les outils mais les voitures individuelles pour demander la protection de Dieu. Cela s’est également toujours fait pour les maisons.

Je n’ai personnellement jamais connu de superstition dans le village mais cela existait dans d’autres villages. Il y avait des rebouteux du côté de Fressin. La religion n’avait rien à voir là-dedans.

Je portais la soutane de prêtre à mon arrivée au village. Aimant le travail manuel, je me mettais souvent en civil. Je roulais en scooter et la soutane n’était pas pratique. Il a fallu attendre le concile Vatican II. J’ai fait la messe en latin en tant que vicaire mais la messe à Radinghem était faite en français. Je faisais la messe dos au peuple à l’inverse de maintenant ou nous sommes face au peuple. Autrefois, les gens étaient tous derrière le prêtre pour souligner le sacré de la célébration.

Pratique religieuse

La pratique religieuse a baissé ces derniers temps en termes de quantité de fidèles. Cela devient un problème. Le mode de formation de catéchèse a toujours évolué. Dès qu’il y avait une nouvelle méthode, j’essayais de le mettre en place. Un prêtre apporte d’abord l’évangile aux gens, une réponse à leurs problèmes, la présence du christ parmi eux. Les gens étaient très sensibles à cela. Les gens étaient croyants et « l’habitude » les soutenait dans la foi.

Il n’y avait aucune différence sociale entre les petits propriétaires du village et les ouvriers. Le développement des usines a entraîné un désistement envers la foi. Les ouvriers arrivaient dans un milieu où l’on ne se soutenait pas réciproquement et ils découvraient d’autres conditions sociales. Un village était protégé par la communauté et les habitudes. Nous avions des ouvriers agricoles venus d’autres régions très croyantes à l’époque. Quand ils venaient dans nos villages, ils n’avaient plus le même soutien social et mettaient de côté la religion.

Je n’ai eu que très peu de contact avec les syndicats qui n’existaient pas dans nos villages. On ne manifestait pas ses opinions que l’on gardait pour soi. Les gens ne disaient pas « j’ai voté pour untel ! », même si tout le monde le savait par recoupement. Seulement deux villages, sur les trois dont je m’occupais, étaient liés ensemble, Radinghem et Mencas depuis au moins 100 ans avant mon arrivée. Les enfants venaient au catéchisme à Radinghem.

La salle paroissiale

On travaillait pour créer cette union entre ces trois villages. Cette cohésion devait naître d’activités en rassemblant les gens autrement que dans l’église. Nous avons construit ensemble avec toutes les bonnes volontés notre salle paroissiale. Nous avons mis quatre ans pour cela. Les gens venaient de partout. Des fermiers venaient avec leur cheval et tombereaux déménager la terre. C’était beau… Nous sommes devenus très unis car nous avons travaillé ensemble…

La salle été aménagée près de ma maison de 1956 à 1960. Nous avions organisé de grandes kermesses pour trouver de l’argent et acheter ce qui était nécessaire pour bâtir. Après les kermesses, il a fallu trouver autre chose pour animer le village. Mon prédécesseur qui n’habitait pas le village avait organisé des stocks cars. C’était le curé d’Audincthum… Les gens en parlaient encore dix ans après. J’ai également organisé des motos cross.

Je suis pilote d’avion et pour faire gagner de l’argent à la paroisse, nous organisions des baptêmes de l’air. Nous étions trois pilotes et faisions venir les avions une fois par an après la récolte. Chaque baptême de l’air se payait. On construisait des stands destinés à la vente de bière et autres choses. Nous avons fait ça quatre ou cinq fois. Il fallait aller par ici, par là, « je ne vois pas ma maison ! ». Ils faisaient de grands signes à leur famille.

Nous nous réunissions à la salle paroissiale pour le rassemblement de la neuvaine pour ne pas que cela se passe uniquement dans l’église et mettre ainsi les gens plus à l’aise. Dans l’église, on se met l’un à côté de l’autre et l’on se tait mais dans la salle paroissiale, on fume une bonne cigarette ensemble et l’on discute le coup. Il y avait toujours un père qui venait pour l’occasion. Dès qu’il annonçait, « on commence ! », tout le monde se taisait.

La salle a également servi longtemps comme salle de catéchisme, salle pour les jeunes de la JAC, jeunesse agricole chrétienne. La JAC avait toujours un programme que l’on appliquait. Nous avions un tas de projets avec eux. Nous faisions nos réunions dans la salle puis du théâtre trois ou quatre fois durant l’hiver. Nous allions même jouer dans d’autres villages, jusqu’à Verchocq. Cela liait les jeunes et a fonctionné jusque dans les années 70.

1968 n’a pas apporté un changement immédiat mais a provoqué une évolution des pensées dans les années qui ont suivies. On le sentait chez les jeunes qui cherchaient une certaine indépendance vis-à-vis de leurs parents, ce que nous apprécions d’ailleurs. Nous aimions qu’ils ne dépendent pas totalement de leurs parents.

Les ruraux se sont également mis à dire « nous aussi, nous avons le droit à décider de quelque chose ! » Ils prenaient plus facilement leur responsabilité aussi bien dans la gestion de leurs affaires que dans la politique du pays, les élections… On osait changer et faire deux ou trois listes pour les élections municipales.

Les femmes dans les villages s’occupaient avant tout des enfants et très peu travaillaient ailleurs. L’homme travaillait dans les champs, à l’extérieur et s’occupait de vendre les bêtes ce qui a aujourd’hui changé. Elle complétait le travail de l’homme et s’occupait des bêtes. On voulait être son propre maître. Dès que les enfants sont devenus indépendants, ils ne sont pas allés nécessairement demander conseil aux parents…Les jeunes de la JAC ne parlaient pas directement de l’évolution du rôle de la femme dans le monde rural. Ils parlaient par sous-entendus et ne déballaient pas leurs problèmes.

L’évolution d’un ex-monde agricole

Il y avait beaucoup d’histoires au sujet du château même si cela s’est atténué après la guerre. On avait alors besoin de beaucoup moins de main d’œuvre. Les gens ayant une petite ferme avec un faible revenu se sont arrêtés petits à petit, souvent quand il était encore temps. J’ai connu plusieurs ouvriers de fermes qui ont trouvé du travail dans l’usine de cristallerie d’Arques.

Des investissements ont d’abord commencé avec la voiture puis avec certains matériels agricoles dans les années 80 et ce, dans tous les villages…

J’ai vu augmenter la pression des banques sur le milieu agricole dans les années 75/80. Les jeunes me parlaient de leur désaccord avec les banques auxquelles avaient affaire leurs parents. Je sentais cette inquiétude monétaire liée à leur avenir. Les jeunes sentaient que leur avenir n’était plus dans les fermes. Ils partaient à la recherche du travail dans l’industrie surtout à Arques. Je suis allé de nombreuses fois voir le directeur d’Arques pour demander s’il avait encore une place. Cela me plaisait beaucoup car le patron était très charmant. Il me disait « si je venais voir chez vous au village pour prendre contact… et voir ce qu’il y a. Peut-être que l’on pourrait organiser un bus pour que les jeunes viennent travailler ensemble. » Ils n’étaient pas assez nombreux dans notre petit village pour mettre en place un tel moyen de déplacement. J’étais heureux quand je trouvais une place pour quelqu’un. Il fallait les défendre… même les adultes, anciens ouvriers agricoles. Les entreprises donnaient souvent la préséance aux adultes…

La génération issue de la JAC allait à l’école d’agriculture des maisons familiales où ils alternaient une semaine de cours, une semaine de pratique. L’enseignement technique agricole est venu après …

J’ai beaucoup de bons souvenirs dans ce pays. Un groupe de huit hommes formait mon conseil paroissial. On discutait fort. On mettait les problèmes sur la table et quand je prenais une position, ils me défendaient auprès des autres. J’ai toujours pu compter sur eux. Ils cherchaient les volontaires pour faire des grands fêtes… Le conseil paroissial n’acceptait pas les femmes dans les années 60. Après le concile, les femmes se sont plus investies dans la religion mais cela s’est restreint aux visites auprès des gens dans l’embarras et la catéchèse. Même avant le concile, j’avais des catéchistes dans tous les villages. J’en avais trois à Radinghem, y compris des hommes même si cette activité reste aujourd’hui très féminine.

Pour la chorale, nous avons plus de facilitées à trouver des femmes que des hommes, comme pour les lectures, même si les hommes commencent à s’y mettre. L’église est fermée la semaine depuis les années 90 car il y avait des vols partout…Je la laisse ouverte le dimanche quand je suis là, sinon les gens viennent chercher la clef chez moi.

Je suis à la retraite depuis l’âge de 75 ans. J’ai demandé à pouvoir rester à la maison au village. « Aucun problème ! » « Est-ce que je peux continuer mes visites auprès des gens ? » « Aucun problème ! » « Est-ce que je peux célébrer la messe le dimanche dans mes villages ? » « Pas de problème ».

La petite histoire de la grande

Les allemands ont dynamité le château car il appartenait à un anglais, Forster. Une dame de Monnekove s’était mariée avec un Forster. Monsieur Forster donnait même des leçons d’anglais à la radio BBC. Les allemands ont donc rasé le château à la fin de la guerre. Le château et ses sous-sols servaient au montage des V1 qui partaient du bois de Radinghem où étaient installées des rampes de lancement. Ils partaient sur Londres. Les anglais n’ont jamais bombardé le château.

Lorsque l’on a fait sauter le château, l’église n’avait plus ni voûte, ni toiture, ni vitraux. Les dommages de guerre ont alors pris en charge intégralement sa reconstruction. Le presbytère avait également subi quelques dommages car il n’était pas très loin du château sur une hauteur. Avant la guerre les terres du château étaient exploitées par les fermes aux alentours. Les gens allaient faire des saisons dans ces fermes car elles avaient besoin de main d’œuvre.

Le château fort du village se trouvait dans le prolongement de l’église actuelle La chapelle du château au 16 ème siècle représentait un tiers de l’église. L’ancien château installé sur le coteau était relié par un souterrain à l’abbaye de Ruisseauville. Au-delà de Fruges. Ce souterrain passait à Fauquembergues jusqu’à une fourche en direction de Saint Omer et de Therouanne. Le souterrain avait donné l’occasion à Charles-Quint de détruire le château de Radinghem. Il a pu également détruire Therouanne par le même moyen. La cathédrale de Terrouanne fut également démolie et il paraît que le maître-autel installé dans l’église de Radinghem viendrait d’une chapelle latérale de la cathédrale de Therouanne. Cette histoire s’est transmise de père à fils…

Vous pouvez retrouver l’intégralité des témoignages sur le monde rural du pays des 7 vallées, Radinghem, dans un ouvrage pdf à cette adresse internet :
http://www.lettresetmemoires.net/nous-entrerons-dans-campagne-pays-7-vallees-pas-calais-au-cours-20eme-siecle.htm

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