Jacek Rewerski
Angers Capitale de la Pologne et Władysław Sikorski
La Pologne au début de la Deuxième Guerre Mondiale (1939/40),
Angers, la belle et tranquille ville des Pays de la Loire, capitale de la Pologne ? Un problème de géographie ou une complication de l’histoire ?
Introduction
Les relations franco-polonaises sont fort anciennes et la Pologne est un des rares pays d’Europe continentale, avec lequel la France n’a jamais été en guerre. De plus, notamment depuis la période napoléonienne, les Polonais sont francophiles. C’est donc naturellement, au moment du cataclysme du mois de septembre 1939, que la Pologne se tourne vers la France.
Malgré la défaite, les Polonais ne déposent pas les armes. En Pologne occupée apparaît la résistance forte et bien structurée. Quand aux soldats, ils intègrent les armées alliées et combattent sur tous les fronts ; Narvik, Londres, Tobrouk, Monte-Cassino, Arnhem, Normandie, sans oublier le front Est. Ils combattent avec les alliés un ennemi commun, même s’ils ont un ennemi supplémentaire : les soviétiques. Ils combattent, selon une expression polonaise, « pour notre liberté et la votre ». De nombreux soldats ont payé ce combat de leur vie, notamment en prenant la forteresse allemande du Monte Cassino, en Italie. Un chant militaire parmi les plus connus en Pologne dit :
« Les coquelicots rouges sur le Monte Cassino
A la place de la rosée buvaient le sang polonais…
Le soldat marchait dessus et tombait,
Mais la rage était plus forte que la mort !
Passeront les années, passeront les siècles
Resteront les traces de ces temps passés
Mais seulement les coquelicots sur le Monte Cassino
Seront plus rouges car ils auront grandi du sang polonais. »
(texte Feliks Konarski, musique Alfred Schutz,
chant écrit pendant la bataille de Monte Cassino)
Sur tous les fronts de la Deuxième Guerre mondiale, poussent les coquelicots plus rouges que les autres, y compris en France. Ce fut un sacrifice suprême mais aussi la gloire du soldat polonais. Cependant l’Histoire semble oublier cela, même lors des commémorations du débarquement sur les plages normandes. Quatrième force de libération de l’Europe, la Pologne fut systématiquement la grande absente de ces commémorations. Pourquoi cet oubli de 16 000 hommes de la première division blindée polonaise de Maczek et de 50 000 Polonais membres de la Résistance en France ? 15 000 soldats polonais sont morts au combat sur le sol français. La 1re Division Blindée polonaise a perdu 2 000 hommes, notamment à Falaise, en Normandie. Là, les coquelicots sont aussi plus rouges…
1. Les tensions entre l’Allemagne et la Pologne
1939 fut pour la Pologne et pour de nombreux Polonais l’année de la fin du monde, en tout cas, pour beaucoup, ce fut la fin d’un monde et le début d’un enfer.
Pourtant, le mois d’août 1939 est très beau. La Pologne s’apprête à commémorer le 21ème anniversaire de son indépendance acquise en 1918. Malgré la situation internationale tendue, le pays veut croire en ses alliances, notamment avec la France et la Grande Bretagne, conclues au mois de mars et d’avril 1934, au traité de non-agression de 1932 avec l’URSS, tout comme au traité germano-polonais, signé avec l’Allemagne en 1934.
Comme souvent, c’est un événement en apparence mineur ou ponctuel qui déclenche une avalanche de faits majeurs et incontrôlés. Il en fut ainsi à Sarajevo, le 28 juin 1914. Il en sera ainsi en Pologne, au mois de septembre 1939.
La controverse territoriale entre l’Allemagne et la Pologne est le prétexte qui déchaîne la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit plus précisément de Gdańsk (Dantzig), ville libre, sous l’administration de la Société des Nations depuis 1919, mais dominée par les allemands. Elle est alors rebaptisée par eux en « Reichsgau Dantzig-Westpreussen ».
Le 27 mars 1939, le ministre des affaires étrangères allemand signifie à l’ambassadeur polonais Lipski que l’Allemagne revendique le retour de Dantzig au sein du Reich, ainsi que, pour relier l’Allemagne à la Prusse orientale, une voie ferrée et une autoroute avec un statut d’extraterritorialité à l’intérieur du « corridor » polonais.
Le gouvernement polonais voyant se profiler à l’horizon la répétition de l’affaire autrichienne, de celle des Sudètes et de la Tchécoslovaquie, refuse de satisfaire les exigences d’Hitler.
Le 5 mai 1939, le ministre polonais des Affaires étrangères, Jozef Beck, dit à la Diète polonaise : « nous en Pologne, nous ne connaissons pas l’idée de la paix à tout prix. Il y a seulement une chose dans la vie des hommes, des nations et des États qui est sans prix, c’est l’honneur ».
Alors que les pays européens s’illusionnent dans les tractations avec Hitler, la Pologne seule s’oppose aux prétentions allemandes, confiante dans ses alliés.
2. L’alliance germano-soviétique prend
la Pologne en étau
Cependant, dans la nuit du 23 août 1939, à Moscou, le commissaire du peuple aux affaires étrangères, Viatcheslav Molotov et le ministre allemand des affaires étrangères, Joachim Von Ribbentrop, signent le pacte germano-soviétique de non-agression. Il comporte une clause secrète prévoyant le partage de la Pologne entre les deux pays, suivant la ligne tracée par les fleuves Narew, Vistule et San . En signant ce pacte, les Russes ont volontairement scellé le destin de la Pologne et des Pays baltes, partageant ainsi la responsabilité dans le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
Quelques jours avant, le 19 août, Staline, lors de son discours devant le Politburo, annonce la couleur de ses ambitions : « Camarades ! Le déclenchement de la guerre entre le Reich et le bloc capitaliste anglo-français est dans l’intérêt de l’URSS, patrie des travailleurs. Il faut tout faire pour que la guerre dure le plus longtemps possible. Il faudra activer la propagande dans les états belligérants et être prêts lorsque la guerre finira… En parallèle, nous devons mener une campagne de propagande communiste active, en particulier dans le bloc anglo-français… Nous savons que ce travail demandera beaucoup de sacrifices, mais nos camarades français ne douteront pas. En premier lieu, leur mission sera la démoralisation et la désorganisation de la police et de l’armée… ».
Staline avait son projet, Hitler, le sien. Avec le pacte germano-soviétique, le Führer s’est débarrassé de la crainte d’avoir à combattre sur deux fronts. Il a les mains libres à l’Est pour attaquer la Pologne. Quant à l’Ouest, Hitler joue au poker, espérant que les Français ne bougeront pas. Le 31 août, le Führer exige encore une fois le rattachement de Dantzig à l’Allemagne.
3. Déclenchement de la Seconde Guerre mondiale
Le 1er septembre 1939, à l’aube, sous le prétexte d’une agression polonaise contre la station radio allemande de Gleiwitz, le Troisième Reich, sans déclaration de guerre, envahit la Pologne.
Au mois de septembre 1939, l’armée polonaise mobilise presque un million de soldats, trois mille canons, un demi-millier de chars blindés et quatre cents avions. Face à elle, les forces allemandes lancent une armée forte de soixante divisions, avec un million huit cent cinquante mille hommes, dix mille canons, deux mille huit cent blindés et autant d’avions.
Malgré la supériorité écrasante de l’ennemi, l’armée polonaise résiste 35 jours.
Le plan d’invasion de la Pologne « fall weiss » correspond à une « guerre éclair » et une « guerre totale ». Le gros des forces allemandes se lance vers l’Est (Drang nach Osten) pour constituer à la place de l’État polonais « l’espace vital » nécessaire au développement du grand Reich. Pendant cette opération, la frontière occidentale de l’Allemagne est presque totalement dégarnie.
Pendant ce temps, sur le front Ouest, le 3 septembre, la Grande-Bretagne et la France déclarent la guerre à l’Allemagne. Mais c’est une déclaration sans action. Pendant la « Drôle de guerre », l’Etat-major français se sent en confiance derrière sa ligne Maginot.
Cependant, le 7 septembre 1939, la grande crainte des généraux allemands d’une guerre sur deux fronts semble se réaliser. Le Général Gamelin déclenche une opération dans la région sarroise pour soulager l’armée polonaise. A l’époque, la supériorité militaire sur le front Ouest de la France et de l’Angleterre est triple en hommes et quadruple en avions. Quant aux 2 500 chars français, ils n’ont face à eux pratiquement aucun blindé. En Sarre, le général allemand Erwin Von Witzleben compte seulement 13 divisions à peu près dépourvues des chars. Le long de toute la frontière allemande, 85 divisions françaises font face à 34 divisions nazies.
La lente offensive française opérée sans conviction atteint son sommet le 12 septembre, quand le général Gamelin fait stopper l’avance, la limitant à la conquête d’un territoire de 25 km de long sur 5 à 8 km de large. La ligne Siegfried n’est pas attaquée. Le 21 septembre, le Général Gamelin ordonne à l’armée française de se replier sur la ligne Maginot.
Par la faute des hésitations et de l’incompétence de l’État-major français, fut perdue l’opportunité d’envahir l’Allemagne et probablement la possibilité de mettre un terme à une guerre naissante.
Pendant ce temps, sur le front Est, le 17 septembre, à 6 heures du matin, sans déclaration de guerre et conformément au pacte germano-soviétique, l’URSS envahit la Pologne. Staline ne rencontre pratiquement aucune résistance, puisque toutes les troupes polonaises sont mobilisées dans la lutte contre les Allemands. La Pologne est prise en tenaille.
Le 19 septembre 1939, est réalisée la jonction entre les troupes russes et allemandes. Un communiqué germano-soviétique est alors publié : « Les soldats allemands et soviétiques ont pour mission de restaurer la paix et l’ordre troublés par la désintégration de l’Etat polonais et d’aider la population polonaise à réorganiser les bases de son existence politique ».
4. Un nouveau partage de la Pologne
entre l’Allemagne et l’URSS
Le 22 septembre, les deux alliés organisent à Brest-Litovsk un défilé de la victoire commune, faisant marcher côte à côte la Wehrmacht et l’Armée Rouge, devant les généraux Guderian et Kivrichein.
Quant à la capitale polonaise, bombardée quotidiennement depuis le premier jour de la guerre, elle est attaquée frontalement le 8 septembre par la Xème armée de Von Reichenau. Dans un premier temps, la contre-attaque polonaise repousse l’agresseur, mais le 28 septembre à 13 heures, Varsovie tombe.
La Pologne est de nouveau partagée entre ses voisins.
Au cours d’une session du Conseil Suprême de l’URSS, Molotov annonce triomphalement que la Pologne, « cette création bancale du traité de Versailles », n’existe plus.
Suite à cette deuxième agression, 250 000 soldats polonais tombent entre les mains des bolcheviques. L’appellation « prisonniers de guerre » n’a ici aucun sens légal, car l’URSS n’a pas déclaré la guerre et le pacte de non-agression, signé entre la Pologne et la Russie soviétique le 25 août 1932, est toujours officiellement en vigueur. On les appellera alors « les internés ».
Le NKVD prend en « charge » 125 000 de ces prisonniers, dont 21 000 officiers. 40 000 autres soldats sont livrés par Vorochilov aux Allemands.
Les régions orientales de la Pologne (environ 200 000 Km2) sont annexées à l’Union soviétique (Ukraine et Russie blanche). Sur les territoires occupés, Nikita Khrouchtchev est chargé par Staline de l’épuration politique, et pas seulement. Il procède à des déportations massives qui touchent cent quatre vingt mille soldats et plus d’un million et demi de civils. Ils sont envoyés vers l’intérieur de l’URSS, principalement en Sibérie et au Kazakhstan. Un million d’hommes ne reviendra jamais, notamment plusieurs milliers d’officiers polonais, restés à jamais dans la forêt de Katyn.
Le même jour, Berlin et Moscou signent un nouvel accord d’amitié germano-soviétique. Il engage les deux pays amis à ne tolérer aucune forme de résistance polonaise. La Gestapo et le NKVD collaborent étroitement dans cette optique. Les Allemands mettent en avant des critères raciaux et les Soviétiques des critères de classes. Mais des deux côtés, les résultats sont comparables. La collaboration des deux totalitarismes fonctionne bien. L’Allemagne livre en 1939 à l’URSS près de quatorze mille soldats et officiers polonais, tandis que l’URSS transfère à son allié quarante trois mille polonais, mais également des communistes allemands détenus dans des camps soviétiques.
5. La migration du gouvernement polonais
Conformément aux accords de 1921 avec la Roumanie, pays neutre, le gouvernement polonais demande aux autorités roumaines l’asile et le droit de passage, afin de gagner la France pour continuer le combat. C’est l’ambassadeur de France, Léon Noël, qui soumet dès le 9 septembre, cette proposition à Jozef Beck, ministre des affaires étrangères polonaises. L’histoire montrera qu’elle n’était pas forcement la meilleure. Léon Noël a d’ailleurs déjà « aidé » la Pologne, en retardant d’une journée la mobilisation générale de l’armée. Le 11 septembre, la demande officielle est adressée à Paris. Le 16, une réponse positive du gouvernement français arrive en Pologne. Le 18 septembre à 4 heures du matin, le lendemain de l’invasion soviétique, le train du Président Mościcki et de son gouvernement passe la frontière de la Roumanie près de Czerniowiec.
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Il est bon de préciser qu’à l’époque, la Pologne avait une frontière commune avec ce pays. Cependant, contrairement aux accords polono-roumains, les autorités de Bucarest internent le gouvernement polonais à Bicaz, Slanic et à Craiova. Pour se justifier, les Roumains évoquent la pression de l’Allemagne et de son alliée, l’URSS. Ils passent sous silence celle de la France. Les Roumains laissent passer uniquement les hommes politiques polonais de l’opposition, amis de l’ambassadeur de France Léon Noël. Ainsi Paris voit disparaître l’ancienne équipe dirigeante. Cette attitude convient aussi au général Sikorski, un farouche opposant du dernier gouvernement de la seconde République Polonaise.
6. En Pologne, les combats continuent
Malgré l’héroïsme de l’armée polonaise, le pays est tombé en cinq semaines, mais il n’a pas capitulé. Plusieurs poches de résistance combattent jusqu’au bout : la forteresse de Modlin, près de Varsovie, cesse le combat le 29 septembre. Le 2 octobre, les défenseurs de la presqu’île de Hel déposent les armes. Le 5 octobre, près de Kłocko, cesse de combattre l’unité « Polésie », sous le commandement du général de brigade F. Kleeberg. Après avoir défendu Brest-Litovsk (Brześć nad Bugiem) contre les blindés de Guderian, cette unité cherche à porter de l’aide à Varsovie, mais la capitale tombe le 28 septembre. Kleeberg se retire alors vers le sud, dans les Monts Sainte Croix (Góry Świętokrzyskie). Là, entre le 29 et 30 septembre, il engage un combat victorieux contre les Soviétiques. Le 4 octobre, il bat la 13e division motorisée allemande qui cherche à prêter main-forte aux Soviétiques en difficulté (bataille de Kock). Malgré ces succès, faute de munitions et face aux nouvelles unités soviétiques et allemandes, le Groupe Opérationnel « Polésie » dépose les armes le 5 octobre. C’est le dernier épisode de la campagne de Pologne de 1939. Il laisse place à la résistance.
Certains historiens polonais expriment souvent quelques réserves à l’égard du terme de résistance, abusivement utilisé selon eux, à l’époque de la Pologne populaire. Encore moins est apprécié le terme « partisans », qui, surtout à l’Ouest, est associé à la résistance en Union Soviétique et en Yougoslavie, ou à la résistance créée en France à la fin de 1941 par la direction du parti communiste français.
Les historiens polonais préfèrent recourir au terme « d’État polonais clandestin » ou plus exactement : Polskie Państwo Podziemne, en français : « l’Etat Polonais Souterrain ». L’Etat polonais clandestin qui fonctionna pendant toute la deuxième guerre mondiale sur le territoire de la Pologne représente un fait unique dans les mémoires de la vie clandestine en Europe. Il disposa même d’un parlement clandestin, nommé « Conseil de l’Union Nationale ». Il était composé de représentants des groupes politiques les plus importants comme ; Parti des Paysans, Parti Socialiste, Parti National ... Le Parti des Travailleurs, ou parti communiste, soumis aux ordres des soviétiques et n’ayant pas reconnu le gouvernement constitutionnel polonais en exil n’y figurait pas.
Effectivement, en Pologne occupée, l’Etat polonais a fait place à un Etat « clandestin », piloté par le gouvernement polonais exilé en France, puis à Londres. Celui-ci dispose du soutien de la majorité de la nation et d’une armée connue sous l’acronyme polonais « A.K. ». C’est la plus grande organisation de résistance clandestine durant la Deuxième Guerre mondiale et la mieux organisée. Elle compte jusqu’ à 350 000 soldats.
7. Le rétablissement du gouvernement
polonais en France
Après l’internement du gouvernement polonais par les autorités roumaines, la diplomatie française cherche à assurer la pérennité de l’État polonais sur le sol français avec un gouvernement plus docile et francophile. Le Président de la république polonaise, Ignacy Mościcki, depuis son lieu d’internement, envoie le 23 septembre 1939 un émissaire, le ministre Łepkowski. Celui-ci est chargé de transmettre les insignes du pouvoir à son successeur désigné par lui ; l’ambassadeur de Pologne à Rome, monsieur Bolesław Wieniawa-Długoszewski . Cependant, le gouvernement français s’y oppose. La police française investit même l’imprimerie, dans laquelle l’ambassadeur Juliusz Łukasiewicz préparait, dans le « Monitor Polski » (Journal Officiel Polonais), la publication de la nomination du nouveau Président de la République Polonaise. Monsieur Daladier informe ainsi l’ambassadeur polonais : « Je vous prie de faire savoir d’extrême urgence au président Mościcki que le gouvernement français, ne pouvant faire confiance à la personnalité ainsi désignée, s’est trouvé à son vif regret dans l’obligation de notifier à l’ambassadeur de Pologne qu’il ne pouvait, en ce qui le concerne, reconnaître cette désignation et qu’il se verrait dans l’impossibilité, si elle était maintenue, de reconnaître aucun gouvernement nommé par le général Boleslaw Wieniawa Długoszewski. Vous ajouterez oralement que le gouvernement français ne se trouverait plus, dans ces conditions, en situation de réserver à un tel gouvernement l’accueil sur son territoire » L’ambassadeur polonais trouve cette démarche contraire au droit de la souveraineté nationale.
Le gouvernement français préfère les opposants au gouvernement polonais dit « des colonels », selon lui trop « va-t’en guerre » et trop proche de Piłsudski, père de la Pologne indépendante, mais peu apprécié en France. Il faut aussi prendre en compte l’esprit politique et militaire du gouvernement français, plutôt défensif ainsi que celui de l’opinion française qui n’a pas envie de « mourir pour Dantzig ».
Commencent alors les tractations téléphoniques entre le gouvernement français et le président Mościcki. Ce dernier propose d’autres candidats comme August Hlond, primat de Pologne, Ignacy Paderewski, August Zaleski et Władysław Raczkiewicz. Władysław Sikorski propose au gouvernement français la nomination du très populaire et renommé Ignacy Paderewski. Mais en raison de son âge, sa candidature est retirée.
Le 28 septembre, le général Sikorski est nommé commandant en chef de l’armée polonaise en France.
Le 30 septembre 1939, les ambassadeurs polonais de Rome, de Londres et de Paris, fortement soutenus par les autorités françaises, désignent Władysław Raczkiewicz, ancien président du Sénat, et ancien ministre des affaires étrangères, comme nouveau président de la République polonaise.
Celui-ci désigne, à son tour, le général Władysław Sikorski comme premier ministre. Francophone et francophile, ancien élève de l’Ecole Supérieure de Guerre de Paris, le général Sikorski est un des artisans de l’indépendance polonaise en 1918 et de la victoire sur les soviétiques, l’année suivante. Tous deux sont des démocrates, membres de l’opposition aux autorités polonaises d’avant-guerre.
L’Ambassadeur de Pologne à Londres, acteur important de ces négociations, les commente ainsi : « Toute cette affaire m’a beaucoup peiné. [...] Il ne s’agissait pas pour moi de considérations personnelles, mais du fait que la seule et la suprême chose que nous avions sauvée de notre débâcle étaient les impondérables : l’État, les alliances, la constitution. Et voilà que notre alliée traitait un de ces trésors comme un petit jeton dans le jeu. »
La cérémonie d’accréditation a lieu le 30 septembre 1939 à 16 heures, dans les locaux de l’ambassade de Pologne à Paris. Le lendemain, le président et le gouvernement polonais assistent à une messe solennelle à l’église polonaise Notre-Dame-de-l’Assomption, près de la rue Saint Honoré.
Le 7 septembre, le président Raczkiewicz relève de son poste de commandant en chef des forces polonaises le général Rydz-Smigły, interné en Roumanie. Il confie cette charge au général Sikorski qui est désormais le chef du gouvernement mais aussi celui des forces armées. Le professeur Stroński est nommé vice-premier ministre, August Zaleski ministre des affaires étrangères, Adam Koc ministre des finances et le général Józef Haller et Aleksander Ładoś, ministres sans fonction.
Malgré l’occupation de la Pologne par le IIIème Reich et par l’URSS, la formation du gouvernement polonais en France, sa reconnaissance par les puissances occidentales et par les pays neutres représentent aux yeux de la loi internationale la continuité de l’Etat polonais. Malgré la défaite militaire, le pays continue la lutte. Il ne peut donc pas être considéré comme vaincu.
Cependant le gouvernement de Sikorski se trouve dans une situation difficile. Il représente l’autorité d’un État détruit et privé de territoire. Malgré les efforts de Sikorski, les alliés ne font pas intervenir le gouvernement polonais dans les décisions de leur état-major. Il en sera ainsi jusqu’à la fin de la guerre.
L’armée polonaise commence déjà à se reconstituer en France à partir du 15 septembre. Cependant l’opinion des autorités françaises envers ces unités en formation n’est pas favorable. Elles sont suspectées de faiblesse et démoralisation, conséquence de la défaite de la campagne du mois de septembre. C’est seulement le 4 janvier 1940 que Sikorski réussit à signer avec le président Edouard Daladier un traité militaire permettant la création d’une armée polonaise de 80 000 hommes. Cet accord découle d’un traité militaire signé en 1923 entre les deux pays. Durant l’hiver 1939/40, arrivent en France 37 000 soldats et officiers, évadés des camps d’internement en Roumanie et en Hongrie. A cela s’ajoute 45 000 hommes recrutés parmi l’immigration polonaise en France.
Les autorités françaises attribuent aux Polonais les camps d’instruction de Coëtquidan (Ille-et-Vilaine), de Saint Loup sur Thouet (Deux Sèvres), ainsi que ceux de Lyon-Bron pour l’aviation et de Beyrouth pour la Brigade polonaise du Levant. Malgré cela, une partie du commandement français considère les soldats polonais d’une manière dédaigneuse, ne leur fournissant que du vieux matériel militaire, souvent inutilisable.
Le 7 novembre 1939, l’ambassadeur de Pologne à Paris, M. Łukasiewicz, est relevé de ses fonctions. Durant tout le mois de septembre, il a rappelé sans cesse aux alliés de la Pologne leurs engagements militaires. Il est remplacé par Feliks Frankowski, soumis à Sikorski et aux autorités françaises.
8. Angers – capitale de la Pologne
Le 5 octobre 1939, le nouveau gouvernement polonais est installé officiellement à Paris, rue de Rivoli, à l’hôtel Régina, face au musée du Louvre et aux jardins des Tuileries. Cependant, un mois plus tard, le gouvernement d’Edouard Daladier décide de le déménager à 300 km à l’ouest de Paris, à Angers.
Pourquoi une telle manœuvre ? Officiellement il s’agit de la sécurité et d’une volonté de souligner l’extraterritorialité du gouvernement polonais. Peut-être aussi, en l’éloignant de Paris, les autorités françaises tentent-elles d’éloigner la mauvaise conscience de leur responsabilité dans la « drôle de guerre ».
Général Sikorski
Les Polonais ne protestent pas, pourtant cette distance de la capitale française gêne le fonctionnement de l’administration et de la diplomatie polonaise. Pour le gouvernement français, par contre, cet allié quelque peu perturbant, isolé dans une ville moyenne de l’ouest de la France, est plus facilement contrôlable. Un centre d’écoutes téléphoniques et de contrôle du courrier officiel sont installés à Angers. Officiellement ils sont là pour assurer la sécurité du gouvernement polonais.
Monsieur Buissière, chef de la sécurité nationale, justifie cela en ces termes : « j’attire votre attention sur le fait que certains membres de ce gouvernement sont particulièrement menacés par des éléments polonais hostiles, par des groupes terroristes ukrainiens et par des organismes secrets à la solde de l’ennemi. ». Le Préfet du Maine-et-Loire met alors en place un plan de protection comprenant des inspecteurs en civil, des gardes mobiles, le contrôle de la correspondance, la surveillance des résidences et la filature des personnalités polonaises. Cela entrainera une protestation polonaise mais sans conséquence.
Pour installer les membres du gouvernement et les ministères, le Préfet de Maine-et-Loire procède à des réquisitions d’immeubles à Angers et ses environs. Le préfet regrette « certains égoïsmes, vraiment inadmissibles, dans les circonstances présentes. »
Le déménagement est fait cependant avec beaucoup de solennité. Le 22 novembre 1939, un train spécial amène les autorités polonaises à la gare d’Angers. L’accueil est chaleureux. Les angevins se sentent honorés de pouvoir donner asile aux représentants de la nation qui a conquis l’admiration du monde.
Le lendemain, à la cathédrale Saint-Maurice, une messe solennelle est dite par l’évêque Mgr Rumeau, en présence des autorités françaises et polonaises. On chante la Marseillaise et l’hymne polonais « la Pologne n’est pas encore perdue » (Jeszcze Polska nie zginęła)
Le Petit Courrier écrira plus tard en souvenir de cette journée historique « Peu de villes françaises, peu de provinces, pouvaient revendiquer l’honneur d’abriter en ces temps malheureux le représentant d’un pays qui a tant d’attaches avec le nôtre. »
Le 2 décembre à 14 heures 30, arrive dans la petite gare de Trélazé le train présidentiel de Władysław Raczkiewicz. Celui-ci déclare « Je suis heureux d’être ici en terre polonaise et d’y exercer notre souveraineté ». Il est conduit au château de Pignerolle à Saint-Barthélémy d’Anjou, propriété d’un ancien officier Joseph Couderc de Saint-Charmant. C’est une belle demeure de 40 pièces au milieu d’un parc de 76 hectares.
Le 6 décembre, le maire d’Angers, Victor Bernier dit à la radio : « L’Anjou, traditionnelle terre d’accueil, a ressenti l’honneur d’abriter le gouvernement polonais, âme de la résistance de l’héroïque Pologne… Les Angevins veulent que les Polonais ne se sentent pas chez nous en terre d’exil, mais bien en pays d’accueil… ».
Le 9 décembre, le président de la République Polonaise nomme les membres du conseil national, l’embryon du parlement polonais composé de 22 représentants de mouvements politiques de la majorité présidentielle. Ce conseil est présidé par Ignacy Jan Paderewski .
La revue Match, du 28 décembre 1939 publie un long reportage sur Angers avec le commentaire suivant : « Angers, ville paisible de la province française, est devenue la capitale de l’État polonais… »
Le 8 janvier 1940, le maire d’Angers, Victor Bernier, organise à la mairie de la ville une réception en l’honneur des Polonais. Il termine ainsi son allocution adressée au président Raczkiewicz : « Notre nation, de même que la nation polonaise, monsieur le Président, sait garder l’espoir … ».
9. La répartition géographique
des autorités polonaises à Angers
Le général Sikorski, Premier Ministre, dispose de l’imposant château de la Coltrie, disparue aujourd’hui, près de Saint-Lambert-la-Potherie. Cette propriété abritera ensuite le Conseil national polonais, émanation de la Diète polonaise, présidé par Ignacy Paderewski. Le général Sikorski s’installera alors dans le château des Perruches, à Saint-Sylvain-d’Anjou.
château de la Coltrie
Le général Sosnkowski, ministre de l’intérieur et organisateur de la résistance polonaise, est logé au château de Molières, à Beaucouzé.
Le ministre des affaires étrangères, M. Zalewski, occupe, quant à lui, le château de la Baronnerie, à Saint-Barthélemy.
Les autres ministères sont regroupés à Angers, dont le ministère des Affaires étrangères logé à l’hôtel Morinière, boulevard du Maréchal Foch, siège également du gouvernement. Certaines administrations résident rue Saint Aubin et rue Létanduère.
Le colonel Arciszewski, chef de la maison militaire, avec d’autres responsables comme le chef de la maison civile ou le chef du protocole, logent à la « Vénaiserie », une noble demeure de Saint Barthélemy-d’Anjou.
Le gouvernement polonais y est au complet. Les diverses ambassades auprès du gouvernement polonais s’y établissent, y compris celle de la France avec son ambassadeur Léon Noël. Il occupe le château de la Garde à Avrillé. L’ambassadeur de Grande-Bretagne réside au château de la Romanerie à Saint-Barthélemy-d’Anjou et celui des Etats Unis, au château du Plessis-Bourré à Ecouillé.
Il y a aussi une partie du trésor de la Banque polonaise. Les premiers jours du mois de septembre, les polonais font passer par la Roumanie 74 tonnes d’or et 100 tonnes de valeurs, billets de banque et entre autre des tapisseries (arrasy) du château de Wawel de Cracovie. Passant par Beyrouth, Marseille et Toulon, une partie du trésor est déposée à la Banque de France à Nevers et à Angers.
10. Angers, le chef-lieu du département du Maine et Loire, devient la nouvelle capitale de la Pologne.
Jan Kozielewski sous divers pseudonymes comme Piasecki, Kwaśniewski, Kucharski, mais surtout connu comme Jan Karski , fut le « courrier » (émissaire) de la Résistance polonaise auprès du gouvernement polonais en exil. Il est venu à Angers au mois de janvier 1940 rencontrer le ministre Stanisław Kot, ministre des affaires intérieures, et ami personnel de du général Sikorski. Jan Karski est là pour prévenir les Alliés de la réalité des atrocités allemandes et de l’extermination des juifs de Pologne. Son rapport envoyé par le général Sikorski aux gouvernements britannique et américain demandant l’aide aux Juifs polonais, rencontre une grande perplexité. Plus tard, lors d’une mission aux Etats-Unis, Jan Karski entend de la part d’un juge de la Cour Suprême des Etats-Unis : « Jeune homme, je ne vous dis pas que vous êtes un menteur, mais je ne vous crois pas » (« I am not saying that you are a liar. But I do not believe you »).
Le 6 mars 1940, pendant un exposé devant le Conseil national à Angers, le général Sikorski dit : « la guerre dont la Pologne est la victime a une signification universelle. Elle oppose deux mondes totalement contradictoires. Il n’est absolument pas question d’envisager un compromis…. Hitler s’est allié avec le bolchevisme… Ils l’ont fait pour faire tomber la civilisation occidentale. Il faut se rendre compte que dans Hitler nous n’avons pas un adversaire loyal mais un ennemi le plus sauvage. Le gouvernement polonais dispose de suffisamment de preuves concernant les meurtres de masse, les exécutions et les tortures faites non seulement sur des territoires occidentaux incorporés injustement au Reich mais aussi dans le soi-disant gouvernement général polonais… /… Selon les projets allemands, 8 millions de Polonais qui habitent les territoires occidentaux, doivent être déplacés vers la Pologne centrale. Toute la population juive polonaise, mais aussi celle de l’Allemagne, l’Autriche et de la Tchécoslovaquie doit être transportée entre le San et le Bug. Sur les territoires occupés, doivent rester uniquement les personnes nécessaires pour les travaux physiques le plus pénibles… »
Malheureusement Angers est loin des centres de décision du monde libre. La voix de Sikorski restera confidentielle en l’Anjou. Les alliés de la Pologne découvriront plus tard, trop tard cette triste vérité.
11. L’armée polonaise en France
A partir d’Angers, le général Sikorski, reconstitue l’Armée polonaise. Les autorités françaises ont mis à sa disposition le camp militaire de Coëtquidan, dans le Morbihan, fonctionnant dés le mois de septembre 1939.
Il y a aussi le Camps de Saint Loup, dans les Deux-Sèvres et dans une moindre mesure Bressuire, Niort, Luçon, Les Sables d’Olonne, Saint Nazaire, Chateaubriand, Ancenis…
Au mois de mars 1940, à Angers, au stade Bessonneau, après une messe concélébrée par les évêques polonais et français, le général Sikorski reçoit solennellement le serment des soldats polonais.
Au mois de juin 1940, son armée compte déjà quatre-vingt quatre mille hommes. Elle se compose de quatre divisions et deux brigades d’infanterie. Il y a même l’aviation, et une unité d’artillerie antiaérienne.
Non loin d’Angers, aux Ponts-de-Cé, sur les bords de la Loire, est formé le Deuxième bataillon de sapeurs. Un des formateurs de cette unité écrit dans ses mémoires « la compagnie était basée à près d’un kilomètre de St Gemmes, dans le village Les Ponts-de-Cé, sur les rives du très beau fleuve – la Loire. De là, on pouvait se rendre en tramway à Angers. Pendant tout le mois de mars, j’ai formé le peloton, c’est donc seulement maintenant qu’il me fut possible de faire connaissance avec le matériel et l’équipement français. Ma déception fut grande. L’uniforme de soldats était ancien et pas pratique… En Pologne nous avions un meilleur matériel armement et équipement… Les soldats que nous formions étaient des Français d’origine polonaise… Ils parlaient bien polonais… Le trente mars 1940, dans le stade d’Angers, a eu lieu une très belle cérémonie. Avant de partir sur le front, deux bataillons de sapeurs et deux divisions de fantassins ont prêté serment… A cette cérémonie participèrent le président polonais Władysław Raczkiewicz et le commandant en chef des forces armées polonaises, le général Sikorski… »
A Sainte-Gemmes-sur-Loire stationne un détachement de 892 hommes dont 60 sous-officiers et une compagnie d’instruction de 183 hommes.
12. Un nouveau drame :
La défaite de la France en juin 1940
Au printemps 1940, l’armée polonaise est engagée dans la défense de la France, comptant sur sa capacité de résistance. Le Général Sikorski installe son état-major à Nancy pour être en première ligne. L’effectif de l’armée polonaise en France, au mois de juin, est de 80 326 hommes. Les soldats portent l’uniforme français, alors que les cadres sont en tenue militaire polonaise. C’est une armée alliée rattachée au commandement français et prête à combattre. Mais la bataille de France était perdue, avant d’être terminée. Pourtant en 1940, l’armée française était considérée comme une des meilleures au monde.
Le 17 juin, la France demande la suspension des combats, incluant dans la capitulation l’armée polonaise, ce qui ne respecte pas l’engagement français du 4 septembre 1939, stipulant « de ne conclure l’armistice ou traité de paix que d’un commun accord avec le gouvernement polonais ». A Paris, à l’État-major français, le général Sikorski s’y oppose fermement. Le gouvernement polonais refuse de déposer les armes. Jusqu’au le dernier moment, Sikorski tente d’influencer les autorités françaises pour qu’elles poursuivent le combat avec leurs alliés, mais il est totalement ignoré. Il donne alors l’ordre aux troupes polonaises présentes sur l’Hexagone, de passer en Angleterre pour continuer le combat. Pour Sikorski, profondément francophile, c’est un drame personnel. Il perd sa deuxième patrie.
Le 14 juin 1940, le président et le général Sikorski quittent Angers pour Libourne, près de Bordeaux où se trouve aussi le gouvernement français. Le 15 juin, le ministère britannique des affaires étrangères (Foreign Office) transmet au gouvernement polonais le télégramme suivant : « Informez le gouvernement polonais que nous le recevrons avec plaisir, si cela lui convient. », alors que le Président Raczyński reçoit le message suivant : « le gouvernement de Sa Majesté offre au gouvernement polonais l’hospitalité sur le territoire du Royaume-Uni ».
Le 16 juin, l’évacuation du gouvernement polonais résidant à Angers est terminée. Le 17 juin, le général Sikorski rencontre le Maréchal Pétain lui confirme le refus de capitulation et lui demande l’aide de la marine française pour évacuer l’armée polonaise vers la Grande-Bretagne. Le Maréchal Pétain refuse. Général Sikorski désobéit alors aux ordres de son supérieur, le général d’Armée Denain, responsable de la Mission franco-polonaise et donne l’ordre aux troupes présentes sur l’Hexagone se préparer pour passer en Angleterre pour continuer le combat. Il envoie un télégramme à Winston Churchill lui demandant l’aide pour évacuer 40 000 soldats se trouvant dans l’ouest de la France.
C’est à partir de Libourne que s’organise l’évacuation. Cette démarche n’est pas facilitée par les autorités françaises. Certains soldats polonais gardent le mauvais souvenir des gendarmes français désarmant les unités polonaises qui cherchent à rejoindre Bordeaux. Des cas, souvent dramatiques, sont à signaler comme celui du général Maczek qui, pour le refus de déposer les armes, est convoqué par son supérieur, commandant du 20ème corps d’armée, devant un tribunal militaire. Un fonctionnaire de la Banque polonaise rapporte : « lorsque nous traversâmes le sol de France, nos hommes furent souvent pris à partie le long des routes par des réfugiés qui les maudissaient et les accusaient d’être à l’origine de tous les maux ».
Les Britanniques organisent le rapatriement d’urgence du gouvernement et de l’armée polonaise. La marine britannique mais aussi des bateaux polonais (Sobieski, Batory, Wilno, Katowice, Poznań …) embarquent les troupes polonaises qui convergent vers les ports de l’Atlantique. Le dernier bateau polonais quitte le port de Saint-Jean-de-Luz le 25 juin, trois jours près la signature de l’armistice. Cette opération réussit à évacuer seulement 20 000 soldats sur 80 000 présents sur le sol français. Un certain nombre des combattants français parvient à se joindre à l’évacuation des troupes polonaises. Plusieurs unités, dont les aviateurs, passent par la Méditerranée et Gibraltar, d’autres sont internés en Suisse. 3 500 hommes de la brigade polonaise stationnée à Beyrouth, passent en Palestine anglaise.
Le 18 juin, un avion envoyé par W. Churchill, ramène le général Sikorski à Londres.
Après l’armistice, la police française en zone non occupée arrête les soldats polonais qui cherchent à rejoindre Londres. Ils les conduisent au camp de Septfonds dans le Tarn-et-Garonne, organisé par la Direction de la Sûreté du Ministère de l’Intérieur pour l’internement des « officiers des armées ex-alliées, ayant tenté de quitter la France clandestinement ».
13. Londres - la capitale de l’espoir
Sur le sol britannique, une nouvelle armée polonaise est reconstituée. Avec ses forces aériennes, sa marine et ses parachutistes, elle devient la première armée étrangère sur le sol de la Grande-Bretagne. Elle totalisera en 1945, 225.000 hommes sous les armes.
Une semaine après l’appel à la Résistance du général de Gaulle, le 25 juin 1940, le général Sikorski s’exprime à la radio britannique en ces termes : « Malgré les malheurs qui se sont abattus sur la France, je continue de croire à la nation française. Je suis profondément convaincu que la tragédie qu’elle subit sera à l’origine de sa renaissance qui peut être proche. Cela a toujours été comme ça dans le passé et sera ainsi dans l’avenir ».
Le 14 juillet 1940, le général de Gaulle adresse au général Sikorski une lettre de remerciement pour l’aide apportée par les soldats polonais aux soldats français lors de l’évacuation vers Londres.
Le 24 septembre 1941, le général de Gaulle forme le Comité National Français, le noyau de gouvernement de la France libre. Le jour même, le gouvernement de Sikorski le reconnaît officiellement et lui transmet le courrier suivant : « Le gouvernement polonais reconnaît le général de Gaulle comme chef de tous les Français libres qui se rallient à lui pour continuer la lutte aux côtés des alliés…/… Je tiens en même temps à vous exprimer la profonde conviction du gouvernement polonais, fidèle aux traditions d’amitié séculaire qui ont toujours uni la Pologne et la France, que la solidarité polono-française contribuera, dans une haute mesure, à la victoire finale de la liberté et de la justice ».
Le 4 juillet 1943, à 23h07, 16 secondes âpres le décollage du Liberator II AL 523, le général Władysław Sikorski disparaît dans un accident d’avion au large du Gibraltar.
Les circonstances de sa mort ne sont toujours pas élucidées. Les archives britanniques sur cette catastrophe sont classées secrètes jusqu’en 2050. Certains historiens polonais pensent savoir à qui profitait cette disparition, pas forcement accidentelle. Les alliés avaient besoin de l’URSS, alors que Sikorski était son adversaire, bien avant la découverte du charnier de Katyn et encore plus après.
Depuis le 17 septembre 1993, le général Władysław Sikorski repose dans la crypte des grands polonais, sous la cathédrale de Wawel à Cracovie, le panthéon polonais.
Refusant de reconnaître la Pologne communiste, le gouvernement polonais en exil, à Londres, continua à exister sur le sol britannique jusqu’au 22 décembre 1990. Peu après l’élection de Lech Wałęsa à la présidence de la république Polonaise il a mis fin à son fonctionnement, remettant au premier président de la Pologne libre les insignes présidentielles qui ont transitées par Angers et qui ont séjourné à Londres durant un demi siècle. Ce fut pour de nombreux polonais la véritable fin de Seconde Guerre mondiale.
Épilogue :
Les événements de 1939-40 ne sont pas les premiers à rapprocher l’Anjou de la Pologne
A l’origine d’un grand et surprenant État appelé « République des Deux Nations » se trouve une très jeune fille ; Edwige, appelée en Pologne « Jadwiga Andegawenska » - Hedwige d’Anjou. Elle est la fille de Louis, Roi de Hongrie , de la famille d’Anjou et la petite fille de Casimir le Grand de Pologne qui disparaît en 1370 sans héritier direct. Avec l’accord de la noblesse polonaise, le trône de Pologne échoit à Edwige, qui arrive à Cracovie à l’âge de 10 ans pour recevoir le 16 octobre 1384, la couronne du Roi de Pologne. En 1386 elle épouse, pour raison d’Etat, le Grand-duc de Lituanie, Władysław Jagiełło (Ladislas Jagellon), qui devient ainsi Roi-consort, sous le nom de Ladislas II, le premier de la dynastie des Jagellons. Edwige, malgré son jeune âge, partage le pouvoir avec son époux. C’est une vraie souveraine avec un grand prestige international, tant dans le domaine de la politique que de la culture. En 1399, la reine décède, en mettant au monde une fille. Sa bonté, sa générosité et sa foi ont fait d’elle une icône pour son peuple. En 1997, le pape Jean-Paul II canonise la souveraine.
Deux siècles plus tard, après la mort du roi Sigismond Auguste, en 1572, dans la grande plaine de Wola, aux confins de Varsovie, 50 000 nobles, représentant tous les territoires de la République des Deux Nations, se rassemblent pour voter. La réunion de la Diète débute par l’approbation du maintien de la liberté de conscience et de tolérance religieuse. Au mois de juin 1573, la Diète finit par choisir parmi les cinq candidats, le duc d’Anjou, fils de la reine Catherine de Médicis, Henri de Valois, que les Polonais appellent Henryk Walezy. Son règne en Pologne sera plus court et moins flatteur que celui d’Edwige.
A la fin du XVIIIème siècle, avec les partages de la Pologne entre les trois empires de l’Europe centrale et orientale, de nombreux Polonais migrent vers la France. Certains s’établissent à Angers. De même, entre les deux guerres, de nombreux mineurs polonais travaillent dans les ardoisières de Trélazé.
Aujourd’hui, plusieurs associations franco-polonaises perpétuent la tradition de ces relations anciennes entre l’Anjou et la Pologne. Le 25 mai 1976, est créée l’Amicale France Pologne de l’Anjou. Après les événements politiques des années 80 en Pologne, en 1982, l’Amicale est remplacée par l’Association Anjou Pologne. Elle est ouverte à tous, polonais vivant en France, français d’origine polonaise et toute personne s’intéressant à la Pologne
En 1984 est crée l’association humanitaire « Solidarité Enfants de Pologne ». Elle œuvre principalement à la création des centres d’hémodialyse pédiatrique en Pologne, mais aussi en Lituanie et en Ukraine.
Depuis la multiplication des jumelages en Anjou avec des communes polonaises, est créée en le 21 janvier 2004 la Fédération Départementale d’échanges franco-polonais réunissant l’association Anjou-Pologne d’Angers, l’association « Amitiés Echanges St Barth-Gabin » de St Barthélémy d’Anjou, l’association « Bécon Echanges Amitiés » de Bécon-les-Granits, le Comité de jumelage de Chalonnes sur Loire, le Comité de Jumelage d’Ingrandes sur Loire.
Jacek Rewerski
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Texte de JACEK REWERSKI : jacekfrpl@yahoo.fr