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Versailles occupée et libérée, "pourvu que ça tombe pas sur nous..."

TEMOIGNAGE DE MME JEANNINE GRANPIERRE née en 1928 à Versailles

dimanche 9 décembre 2007, par Frederic Praud

Texte : Frédéric Praud


Je suis née le 14 mai 1928 à Versailles. J’habitais dans cette ville, mais pas du côté du château, de l’autre. Ah ! Je suis peut-être de descendance royale, qui sait ? On ne sait jamais…

Mon papa est décédé quand j’avais deux ans et demi. Ma maman s’est remariée avec un monsieur qui était gardien d’une chapelle à Versailles. Nous avions une petite maison à côté de cette chapelle. Ma maman travaillait en maison bourgeoise comme cuisinière.

J’avais sept, huit ans à l’époque de 1936. Il n’y avait pas de grève à Versailles où la population n’est pas du genre à faire grève !

Ma maman s’était remariée avec un homme qui avait fait la guerre de 1914. Il se rappelait de la dureté des Allemands :
« Les Allemands sont méchants avec tout le monde ! »
Au moment de l’occupation, il me disait : « Surtout ne parle à personne. Fais attention à toi. »
Ils avaient vraiment peur en 1940 quand on a commencé à être envahis… mais nous sommes quand même restés à Versailles.

L’arrivée des Allemands

J’habitais dans le quartier chic de la ville, à la sortie de Versailles où il y avait beaucoup de propriétés, de villas. C’était presque le quartier résidentiel, à côté du château de Lamay où a habité le duc de Windsor. Les propriétés étaient très belles donc les Allemands sont vraiment tombés dessus ! Ils étaient tout à fait à côté de chez nous.

Ils étaient même parfois méchants. Un jour, alors qu’un Allemand parlait à mon beau-père, il s’est approché de mon chat et a voulu lui envoyer son chien. Il me faisait comprendre : « Il va le mordre. Il va l’avaler ! » Cela m’est resté ! Après cela, j’ai dit à mon beau-père : « Tu vois, tu avais raison. Ils sont vraiment cruels, ils voulaient tuer le chat ! » Comme mon beau-père avait vécu la guerre de 1914, il savait. Mais, moi je voyais cela avec mes yeux d’enfants, j’avais onze, douze ans en 1940.

L’école sous l’Occupation

J’ai continué à aller à l’école pendant l’Occupation. On ne nous demandait rien de particulier. Etant dans une école libre, comme on l’appelait à l’époque, avec des sœurs sécularisées, je n’avais pas même eu à chanter « Maréchal nous voilà ». Les institutrices nous expliquaient un peu la situation, notamment ce qui se passait entre les Allemands et les Russes, et cela dans l’école, même si elle était religieuse.

Je me représentais la France comme un pays très beau, très heureux et que c’était pour ça que tout le monde le voulait. C’est la vérité !

Après avoir eu mon certificat d’études, je suis allée à l’école privée à Versailles en 1942, 1943 pour travailler dans les bureaux.

Les restrictions

Les restrictions, il y en avait ! Soixante grammes de viande par semaine avec os…avec os ! C’était quarante grammes sans os ! Nous avions droit, pour trois, à un quart de litre de lait par semaine parce qu’on était juste trois… Ils donnaient des gâteaux vitaminés aux enfants dans les écoles.

Les rations et les cartes n’étaient pas identiques pour tout le monde. Tout dépendait si vous aviez un enfant, deux ou trois ou si vous étiez travailleur de force etc.
L’Occupation au quotidien

Mes parents n’avaient pas de difficultés pour travailler. Maman travaillant dans des maisons bourgeoises, avait toujours ses patrons. Les bourgeois étaient toujours là ! …Et dans le coin où j’étais, ce n’étaient que des bourgeois. Mon beau-père était toujours gardien de la chapelle, qui n’avait pas bougée non plus.

A Versailles, la garnison française avait totalement été remplacée par une importante garnison allemande. Il y avait beaucoup de casernes donc beaucoup de bombardements, notamment du côté de la gare des chantiers, avec beaucoup de victimes. On savait quand c’étaient les Anglais ou les Français qui bombardaient car ils descendaient en rase-mottes, alors que les Américains, eux, du haut de leurs 3 ou 4000 mètres, lançaient les bombes… et ça tombait au hasard ! Toutefois, ils ne visaient pas le château. Il n’a donc pas subi trop de dégâts, ce qui aurait été quand même dommage !

Pour nous enfants, ces bombardements représentaient la terreur. D’un côté on avait peur, et d’un autre côté on était content car il fallait aller dans les abris, ce qui signifiait « pas d’école pendant ce temps-là ». C’est la vision de l’enfance !

Il y avait aussi beaucoup d’individualisme pendant la guerre. Les gens se méfiaient les uns des autres. Les Allemands promettaient beaucoup de choses : « Si vous dénoncez telle personne, telle chose, on va vous donner ça. » Les gens le faisaient pour avoir plus. L’argent était alors maître. Si vous n’aviez pas d’argent, vous ne pouviez pas acheter au marché noir. C’était un cercle vicieux.

L’étoile jaune

A Versailles, beaucoup de gens devaient porter l’étoile jaune. Le quartier où on habitait était composé en grande partie de résidences appartenant à des israélites qui étaient forcés de porter l’étoile.

Je connaissais beaucoup de personnes que je savais juives. Mon beau-père et ma mère m’avaient alors expliqué : « Tu vois, maintenant avec les Allemands, c’est comme ça. Ils sont forcés de porter ça. » Dans ma tête, je ne comprenais pas car je pensais : « Quand même ! Mais pourquoi ça ? »

Autour de moi, les gens discutaient sur le fait que les juifs disparaissaient petit à petit. Mes parents et moi connaissions une famille. Un jour ma mère dit : « Tiens, telle famille a disparu. Ils ont dû venir les chercher. »
Mais on ne savait pas où ils partaient. Les gens devaient y penser mais ne le disaient pas.

Cela faisait drôle de voir les juifs porter l’étoile jaune. Ce n’était pas comme s’ils portaient une petite croix, parce cette étoile de David était grande, bien jaune ! Et il fallait soit la coudre sur tous les vêtements, soit toujours garder le même vêtement. Aucun enfant de ma classe n’a toutefois été déporté.

J’ai également assisté à des rafles. J’ai vu un monsieur se sauver dans les jardins des villas aux alentours parce qu’on venait pour l’arrêter : il était juif. Il a réussi à s’en sortir car il a enlevé son étoile et a changé de vêtements. Il a escaladé tous les jardins... Ils faisaient également ouvrir les braguettes pour voir si les gens étaient juifs ou pas.

Etre adolescente pendant l’occupation

J’avais quatorze ans en 1942. On se laissait vivre. On pensait : « On va bien voir ce que ça va faire, ce que ça va devenir. » On ne pouvait pas réagir autrement. Pendant les bombardements, on se disait : « Pourvu que ça ne tombe pas sur nous ! ». Vu ce qu’on avait comme alimentation, « Peut-être qu’on ne va pas tenir jusqu’au bout. »

A Versailles nous pouvions nous promener librement car c’était une ville déjà protégée. Je sortais un petit peu, pas beaucoup. Il n’y avait pas de bal et je n’y suis d’ailleurs jamais allée, même après ! Nous sortions à deux ou trois… Il y avait pas mal de choses à visiter dans Versailles, nous allions donc à droite, à gauche, un petit peu au cinéma.

Les Allemands : des occupants

Je n’avais pas de haine contre les Allemands. Les gens les considéraient comme des occupants. Ils disaient : « Les Français n’ont rien fait pour éviter l’occupation ». Ils s’en prenaient presque plus aux Français qu’aux Allemands.

Des prêtres catholiques allemands venaient dire des messes à la chapelle où mon beau-père était gardien car il y avait beaucoup d’Allemands dans le coin. Ils venaient célébrer des messes pour eux le dimanche matin. Ces prêtres ne comprenaient pas Hitler. Ils disaient alors à mon beau-père : « Hitler, mais il est bête ! Surtout rien dire ! Surtout rien dire ! »
Quand par hasard je les croisais : « Tu dis rien ! Hein ! »
Ils n’étaient pas tous pour lui. C’est comme partout : il y en avait des bons et des mauvais.

Une fois, alors que je revenais de travailler sur la place du marché à Versailles, un groupe d’Allemands partait vers la gare, quand l’un d’entre eux s’est arrêté. Ils partaient à pied, se dépêchaient de prendre leur train. Pour une fois qu’ils n’étaient pas en voiture, en camion !
Le gars a sorti son revolver et s’est tué. Les Allemands nous ont alors fait signe de partir. C’était un soldat allemand qui ne voulait pas partir au front. Il avait dix-sept, dix-huit ans maximum ! Mon âge, à peu près ! Ils ont alors eu vite fait de nous faire circuler. Les Allemands n’avaient pas de contacts avec la population.

La politique et les jeunes

Nous savions que Pétain était le maréchal qui avait presque sauvé la France, puisqu’il y avait la France libre. Il avait un peu une aura pour mes parents. Les jeunes d’aujourd’hui s’occupent un peu de politique. On mêle un peu les enfants à tout ce qui se passe mais ce n’était pas le cas à notre époque. C’est beaucoup mieux maintenant. J’allais dans une école où il n’y avait que de filles, je ne sais donc pas si cela était pareil pour les garçons. Nous n’avions pas de contacts avec eux.

Mon beau-père avait connu le maréchal Leclerc qui n’était pas encore maréchal à l’époque. Ses enfants allaient à la messe à la petite chapelle où nous étions et il venait souvent avec. Il parlait beaucoup avec mon beau-père. Je n’aurais jamais pensé qu’il serait ensuite devenu maréchal, avec tout son parcours.

Je commence à travailler au palais de justice de Versailles en 1944. Ce fut ma première place. Une de mes amies travaillait déjà au palais de justice et comme j’étais plutôt bien posée, ils me faisaient taper des rapports sur les attentats à la pudeur avec tous les détails ! J’étais une petite oie blanche et j’en ai appris beaucoup !

La Libération

La veille de la Libération, le 23 août à midi, nos chefs nous disent (j’étais avec une camarade) : « Ça va mal. Il faut que vous partiez tout de suite et rentrez vite chez vous ». On ne courait pas très, très vite quand tout à coup, nous voyons un avion allemand qui rasait et mitraillait tout ce qui bougeait. Ils commençaient à partir.
Ils abandonnaient Versailles donc ils tiraient partout, sur tout ce qui bougeait. Je n’ai jamais couru aussi vite. Je suis arrivée à la maison et maman m’a demandé :
« Mais qu’est-ce qu’il y a ?
  Il y avait un avion.
  Je sais, on a entendu. »
Ils mitraillaient et ça faisait un drôle d’effet.
La Gestapo était importante à Versailles mais j’habitais de l’autre côté de la ville. J’allais dans le centre uniquement pour travailler. Par la suite, j’ai été dactylo dans les bureaux de l’armée car ils avaient besoin de personnel dans le service du matériel.

De Gaulle était pour nous le sauveur. De toute façon, on attendait beaucoup de la libération. Le jour du débarquement, je l’ai su tout de suite.

Une explosion avait eu lieu dans une caserne à Versailles la veille du débarquement allié. On nous donnait de la farine si nous allions les aider à enlever les décombres … pour faire du pain blanc. Nous étions donc tous partis pour avoir du pain blanc et j’entendais tout le monde dire : « Ça y est ! Ils ont débarqué ! Ils ne sont pas encore à Paris mais ils ont débarqué ! »

A six heures du matin, tout le monde était au courant que les Français et les Américains avaient débarqué en Normandie. Nous pensions : « Tiens, c’est la Libération, on va ravoir tout ce qu’on veut, on va pouvoir manger tout ce qu’on veut ! »… c’est ce que beaucoup voyaient.

Libérés par des français

L’aide des Américains représentait un peu plus de liberté mais les premiers soldats que j’ai vus à la Libération étaient des Français. Ils traversaient Versailles. J’étais dans la rue, mon oncle et ma tante à la maison. Comme nous entendions du bruit, mon oncle a dit : « Attendez, je vais aller voir. »

Il est allé au bout de la rue et est revenu en courant : « Les Français sont là ! Les chars arrivent ! » Ils montaient sur Paris… Je ne suis pas montée sur les chars. Ils distribuaient des choses alors mon oncle me disait : « Essaie d’avoir des cigarettes. » Je disais : « Cigarettes
  Non, bébé. »
Ils ne voulaient pas m’en donner : j’étais un bébé ! « Non, non ! »

C’était vraiment la fête.

Des fêtes ont été organisées pour la Libération mais pas les deux, trois premiers jours. Là, ce n’était pas vraiment la fête car certains Allemands étaient retranchés. Il fallait faire attention à ce qu’ils ne nous attrapent pas.

Puis les soldats américains ont remplacé les soldats allemands qui avaient remplacé les soldats français. La libération c’était la liberté, la fin des restrictions. On pensait que l’on allait tout ravoir comme avant du jour au lendemain. Ce n’a pas été le cas mais on en avait quand même plus.

En tant qu’adolescent « plus de liberté » signifiait aussi que l’on pouvait sortir peut-être un peu plus librement parce qu’on craignait moins. Nous avions plus confiance dans nos soldats français ou américains que dans les Allemands. Avec eux on ne savait jamais ce qui pouvait arriver.

Les Américains ont ensuite amené le jazz vers 45-46. Il y a donc eu un changement entre notre génération et celle de nos parents mais ce n’est pas véritablement explicable. Je pense que cela s’est fait automatiquement. Il y a eu des nouvelles chansons, des nouvelles musiques et puis c’est tout. Les Américains ne représentaient pas la nouveauté, c’étaient des libérateurs c’est tout.

Les horreurs de la fin de la guerre

A Versailles, il y a eu pas mal de vengeances après-guerre : des cheveux coupés, tondus… C’était une ville de casernes. Mais il n’y a pas eu de règlements de compte. Je n’habitais pas dans Versailles même et mes yeux d’enfants ne regardaient pas cela.

On a su ce qui s’était passé à Oradour par le bouche-à-oreille jusqu’à Versailles, car certains écoutaient la radio anglaise où ils en avaient parlé.
J’ai aussi vu arriver des gens des camps. Je me rappelle d’une petite jeune qui avait à peu près mon âge, seize, dix-sept ans. C’était un squelette, quand ils l’ont ramenée dans la maison de ses parents. J’ai dit : « Mais ce n’est pas possible ! Ce n’est pas possible ! Elle n’est pas comme ça ! »
Les bras maigres, même pas comme la moitié d’une baguette… Cela m’a marqué ainsi que tout ce qu’on a vu après au cinéma ou dans les journaux. Je n’avais jamais pensé que des choses comme ça auraient pu exister… cette inhumanité !

L’Indochine

Puis mon mari est allé en Indochine où c’était encore pire. Il a fait trente mois d’Indochine et c’était pareil. Il était volontaire : il avait demandé Madagascar mais comme ils en avaient besoin en Indochine, il est parti là-bas. Ce n’était pas le même coin !
Mes parents ont fait 1914. Moi, j’ai connu 1939-1945 et mon mari a connu l’Indochine et l’Algérie. Nous avons ainsi traversé une grande période…

J’ai rencontré mon mari à Versailles au cinéma. Je me suis mariée en 1947. J’ai eu une petite fille mais nous nous sommes mariés quand il était en Indochine. Lui s’est marié un 14 juillet et moi au mois de février l’année d’après. C’était un mariage par procuration car j’étais enceinte.

Les choses de la vie

Nous n’étions pas si éveillés que maintenant. On ne parlait pas des choses de la vie, de la sexualité comme on en parle maintenant. Ni l’école, ni ma mère ne m’en ont jamais parlé. Personne ne nous avait expliqué la sexualité avant le mariage. J’apprenais par les livres quand j’arrivais à piquer un livre à ma mère qui parlait de tout ça. Je le lisais alors deux ou trois fois ! A l’époque il y avait déjà des magasines féminins, « Elle »… Mais je n’en lisais pas. Ce n’était pas le centre des préoccupations à cette période-là. Moi j’avais Lisette, la semaine de Suzette, des trucs comme ça…

Quel bilan ?

Ce que je retire de ce siècle ? Et bien pas grand-chose de beau… avec tout ce qui se passe. Et le nouveau siècle recommence pareil : c’est une catastrophe ! On se met en paix avec les uns pour que ça recommence avec d’autres… On s’est mis en paix avec l’Allemagne. On se dit : « Bon, et bien on va respirer ! » et puis ça recommence avec l’Irak, l’Iran… Mais c’est la catastrophe ! Le monde n’est pas joli.

La réconciliation franco-allemande a été une bonne chose car on était trop près les uns des autres. L’Europe a amené du bon. Après la guerre, on avait l’espoir que ça irait beaucoup mieux… mais l’espoir a vite déchanté avec l’Indochine.

Quand mon mari est revenu d’Indochine, il me disait : « Mais c’était terrible. On voyait des enfants. On voulait les approcher mais ils étaient remplis de bombes. Vous les approchiez, les gars sautaient avec les enfants sur les bombes ! Les chiens aussi étaient pleins de bombes. C’était vraiment aberrant, presque pire que sous les Allemands. On ne savait pas si le chien ou l’enfant était plein de bombes. On était alors obligés de tirer dessus pour être sûrs de sauver notre peau. » C’était la guerre dans ce qu’il y a de pire mais de toute façon la guerre n’est jolie nulle part… ni d’un siècle, ni d’un autre.

Message aux jeunes

Les jeunes sont racistes entre eux. Ils ne marchent pas tous la main dans la main. C’est pourtant ce qu’il faudrait faire. Si tous les jeunes marchaient main dans la main ce que nous avons connu ne devrait plus arriver. C’est une leçon de tolérance. Quand on a vécu tout ce que l’on a vécu, on aimerait que les gens soient main dans la main mais ce n’est pas possible. On n’est jamais aussi dur qu’avec ses proches voisins, au quotidien.

Récit collecté par :

frederic.praud@wanadoo.fr

parolesdhommesetdefemmes@orange.fr

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Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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