Sarcelles : Georges Cyprien né en 1970

J’ai grandi avec tous les Passy, les Stomy, les Gyneco, des mecs de ma génération.

merci de nous laisser une France assez construite et on essaiera de la transmettre honorablement

En fait, en France avant le hip hop, il y avait plusieurs mouvements liés à la musique. Les rockers, les punks, les rastas, les babas cool. Le hip hop est arrivé en France dans les années 80 et nous on s’identifiait à ce mouvement. La culture hip hop, le rap, la dance, le break et le diji. TF1 un soir a montré un film « the warriors » un film sur les bandes organisées aux Etats-Unis, les gangs qui se battaient, se livraient des guerres incommensurables. On s’est identifié à ces bandes. On n’avait pas d’identification véritable en France, de personnages historiques ou autres. Ils nous ont montré ce film et on s’est identifié. On s’est rapproché au plus de ce film. C’est pour cela que les bandes sont arrivées en France dans les années 80.

Georges Cyprien

Je suis né en 1970 à Vitry-le-François dans la Marne, dans le 51. Mes parents sont arrivés à Vitry le François. Ils ont fait partie de la première vague d’immigrés antillais venus aider la France à se reconstruire à la fin des années 60. Ils sont venus par bateau. Mon père est arrivé le premier et ma mère l’a suivie un an après, avec le premier né. Je suis le dernier, le quatrième. Mon père a d’abord travaillé à Vitry-le-François comme ouvrier puis lorsque nous nous sommes installés à Sarcelles en 1972, il a travaillé pendant plus de trente ans à Peugeot-Talbot de Poissy.

Mes parents

Mon père est né en 1945 et ma mère en 1943. Ils se sont rencontrés aux Antilles. Mon père est guadeloupéen. Ma mère est née en Martinique. Ma grand-mère était la dernière descendante Caraïbe en Martinique. Les indiens Arawak ont été exterminés en Guadeloupe ; il restait quelques Caraïbes en Martinique. Moi-même, j’ai du sang caraïbe et ma mère a du sang hollandais, caraïbe et européen. Mon père est descendant d’esclave noir. Ma mère a ensuite immigré en Guadeloupe.

Du temps de mes grands-parents, il y avait un peu de racisme entre les deux îles. Les mariages entre quarterons et nègres étaient mal vus. La couleur qui se rapprochait du blanc était un statut reconnu et on ne pouvait pas se mélanger avec quelqu’un de couleur noire. Mes parents se sont unis par amour. A l’époque il y avait moins de mariages entre Martiniquais et Guadeloupéens qu’aujourd’hui.

S’imprégner

J’ai toujours vécu comme un Sarcellois. Je me suis toujours imprégné de la ville… et tout ce que j’ai reçu de cette ville, je suis allé le chercher. Mes parents se sont bien imprégnés à Sarcelles, comme je vois les choses. Il y avait une petite communauté antillaise à Vitry-le-François. Ils étaient toujours dans le même cercle et pareil sur Sarcelles. L’éloignement, la différence, on ne la voit pas telle qu’elle est, telle qu’elle doit être. Ils ont fait leur petite vie sans s’occuper des regards, des différences. J’étais trop jeune quand nous sommes arrivés ici pour avoir des anecdotes sur notre arrivée, et je n’ai pas demandé depuis.

En Martinique ma mère avait un statut d’institutrice même si ce n’était pas reconnu, et, en France, elle a été femme de ménage pour la sécurité sociale de Sarcelles. Auparavant, elle gardait des enfants, elle était nourrice. J’habitais à côté des Flanades avenue P Koenig anciennement Marie-blanche, en face du terrain de rugby.

Sarcelles contre quartiers

Je connais les appellations des quartiers des jeunes de seize ans aujourd’hui, mais je ne les revendique pas. Je n’ai pas envie de rentrer dans ce jeu là. La cité ce n’est pas un point, c’est toute la ville, c’était ma ville. Je ne veux pas rentrer dans toutes ces frontières, dans toutes ces barrières. A l’époque quand j’étais adolescent, on allait dans tous les quartiers. On était bien vu partout, on se mélangeait à tout le monde. Ce n’était pas fermé. Maintenant « Came city » ! La secte ! Coop ! C’est bon ! On sait que ce sont des quartiers ou des cités qui existent, mais je n’ai pas envie de rentrer dans le jeu des appellations. J’ai envie que Sarcelles ça soit entièrement ma cité !

A chaque génération son Sarcelles

J’avais la chance d’avoir un grand espace de jeux. Il y avait le terrain municipal, qui n’était pas fermé comme maintenant. Il n’y avait pas d’école de musique. A la place il y avait une grande butte et quand il neigeait, on allait là-bas, on glissait. Un peu plus haut que Chantepie, il y avait des vergers, on allait prendre des poires… se faire courir après aussi par les gardes-champêtres, ou les personnes qui s’occupaient de ces terrains privés ! Mon enfance c’est aussi un peu tout ça : arpenter les rues de la ville…marcher jusqu’à Garges. J’ai été livré à moi-même très tôt. Le cadre familial est là. L’amour de la mère et du père on l’a, mais très distants ; parce que l’on sait de quoi sont capables les Antillais. Je n’ai pas eu tous les apports de la socialisation.

« Un enfant-loup »

Les codes, les bases de la vie, je ne les ai pas eus. J’ai appris par moi-même. Je suis un enfant-loup. J’avais deux grands frères et une grande sœur mais, s’il y avait un lien, une fraternité entre nous, même si on s’amusait beaucoup entre nous, chacun avait ses aspirations. J’étais le plus jeune, je suis né avec le hip hop en France ; dans les années 80 j’avais dix ans. Le hip hop est arrivé en 1980-81, j’ai pris cette aspiration tandis que mes frères et ma sœur étaient plus mouvements « Baba cool, rockers ». Je suis né avec une culture qui venait d’arriver et j’ai grandi avec cette culture. Avant j’étais dans la rue. Je faisais ce que je voulais. Je rentrais à des heures fixes pour manger, pour dormir, pour voir ma mère.

Le primaire à St Exupéry

En primaire j’ai suivi un cursus normal à St Exupéry. J’avais un sentiment de liberté trop exacerbé à mon âge. Je l’ai exploité. C’est ce que je voulais avant tout. A partir de la sixième j’ai commencé à sécher ; il ne faut pas suivre mon exemple ! Des trimestres entiers sans aller à l’école. En sixième j’étais à Jean Lurçat, en cinquième aussi.

On ne se reconnait pas dans le système scolaire. Ce n’est pas ce que je voulais entendre. J’avais certainement envie d’autre chose et ce que m’apportait l’école n’était pas forcément ce dont j’avais envie. Je me reconnais dans l’enfant que j’étais. Au niveau de l’environnement, je ne vais pas mettre une barrière, mais le Mont de Gif était un environnement avec la forêt, le bois, on va dire plus agréable à vivre. Ici les grands ensembles, il n’y a que des barres. Si on veut projeter sa pensée, on est tout de suite arrêté par une barre ! On ne peut pas se projeter dans cet environnement. Je pensais que je n’avais rien à faire ici.

On ne choisit pas où on atterrit. A onze, douze ans on pense à une certaine liberté. J’étais précoce. J’aurais eu une autre éducation, un autre apport, ma volonté, mon rêve aurait été de devenir instit. Je ne vais pas dire que je suis passé à côté de quelque chose parce que je ne regrette pas mon parcours. Plein de facteurs font que la sociabilisation d’un enfant ou d’un jeune se passe correctement.

J’étais à Jean Lurçat. A partir du collège, Sarcelles c’était mon quartier, je n’ai pas cherché à savoir si c’était Coop, la secte ou autre. On arpentait les rues, on allait dans tous les quartiers, on se baladait avec tout le monde.

Le hip hop et les bandes

En fait, en France avant le hip hop, il y avait plusieurs mouvements liés à la musique. Les rockers, les punks, les rastas, les babas cool. Le hip hop est arrivé en France dans les années 80 et nous on s’identifiait à ce mouvement. La culture hip hop, le rap, la dance, le break et le diji. TF1 un soir a montré un film « the warriors » un film sur les bandes organisées aux Etats-Unis, les gangs qui se battaient, se livraient des guerres incommensurables. On s’est identifié à ces bandes. On n’avait pas d’identification véritable en France, de personnages historiques ou autres. Ils nous ont montré ce film et on s’est identifié. On s’est rapproché au plus de ce film. C’est pour cela que les bandes sont arrivées en France dans les années 80.

Dans la culture hip hop, ils créent des bandes. Chaque quartier a voulu créer sa bande. Moi à cette époque j’étais de Lurçat donc Watteau. Je ne suis pas rentré dans leurs histoires de bandes. J’ai continué à faire mon trajet. On allait jouer au foot dans tel gymnase. Les histoires de bandes on va y toucher à un moment ou à un autre, parce que l’on va vous dire : « Qu’est- ce que vous faites là ! Vous n’êtes pas chez vous ! ». Mais sans plus.

Je ne suis jamais rentré dans les histoires comme ça. C’était le Le foot, basket, des histoires de balles. Je ne dis pas que je ne suis pas rentré dans quelques bagarres mais c’était plus parce qu’il y avait un bon ami à moi qui était pris dans le truc ou un cousin, donc je n’avais pas le choix. Le fait que c’était qu’une bande, n’était pas cloisonné par un territoire. Ça partait d’un territoire, d’un lieu, mais ensuite ça pouvait venir de n’importe quelle ville, de n’importe quel quartier, d’une cité, pour attaquer cette bande. Je pense à la bande des french boys qui eux pointaient le secteur A, la secte Abdoulaye, il y avait des gens de Garges, Paris, de Sarcelles. Ils représentent la bande. Il y a le secteur A et la secte Abdoulaye. Dans ce quartier les french boys représentaient ce quartier. Kenzy en a fait partie mais après ils se sont démarqués. Le quartier a trouvé son nom la secte Abdoulaye.

Le repli identitaire

Ces jeunes ne connaissent pas l’histoire de l’appellation des quartiers mais ils savent qu’ils ne doivent pas dépasser telle rue. C’est leur quotidien. Ils sont dans un repli identitaire. Tout ce qu’on leur donne, ils prennent. Ils ne vont pas faire leur recherche pour savoir ce qui s’est passé avant. C’est un héritage comme la guerre des gangs aux Etats-Unis. Quand tu rentres dans un gang, à la vie à la mort. Si tu veux quitter ce gang, soit tu vas en prison, soit on te tue. Si les jeunes rentrent dans ce jeu, dans ce système, il n’y aura pas de porte de sortie. Si on ne leur donne pas la possibilité d’avoir une autre réalité, ils ne vont jamais s’en sortir. Si on leur dit qu’une autre réalité est possible, comme le slogan des altermondialistes, alors oui, une autre réalité est possible. Ils sont les premiers à se stigmatiser en tant que jeunes de banlieue. « On n’a aucun avenir. Notre seul avenir c’est de rester dans un groupe, une bande, en tant qu’individu je ne m’en sortirai jamais … ». Ça c’est faux !

C’est de leur faute parce qu’ils prennent ! On lui donne quelque chose, à un moment donné, ils le prennent, le mettent dans la poche, ils ne voient pas ce que c’est, les conséquences, l’histoire que ça a. « Pourquoi on me l’a donné ? A quoi ça va me servir dans ma vie ? ». On leur donne et ils prennent.

Ma recherche

J’ai fait ma recherche sur mon histoire, sur la société. J’ai commencé à douze ans. J’ai grandi avec tous les Passy, les Stomy, les gyneco, des mecs de ma génération. J’ai traîné avec eux, les Kenzy, je connais tout ce monde là. Les desh production, c’est Mami avec qui j’ai fait du baseball pendant très longtemps, maintenant il s’occupe du groupe Sniper. C’était mon quotidien ça aussi. A quoi ça sert réellement ? On peut réfléchir à l’âge de douze ans si on nous amène les choses. Pourquoi dans une ville où l’environnement est plus propre que celui de Sarcelles, on donne aux enfants de douze ans la possibilité de réfléchir, de trouver des solutions à leur vie future, et pourquoi nous à douze ans, on ne pourrait pas réfléchir, sur ce que l’on est, ce que l’on vit, ce qui est, ce qui n’est pas.

Evasion

On s’évade par les livres, par la lecture. Les encyclopédies « Tout l’univers », je les ai lues et relues parce que je voulais voyager, je voulais projeter ma pensée. Mais il y avait tout de suite une barre qui l’arrêtait. Je voulais voyager par la lecture. S’il n’y a pas la possibilité que les choses viennent à nous, on doit aller vers elles. J’ai fait ma recherche pour moi, pour devenir quelqu’un. C’est ce qu’on peut donner à tous les jeunes dans cette position. Ceux qui allaient à l’école, c’était la norme. Je ne renie pas l’école. Je renie l’éducation nationale, mais l’école je ne la renierai jamais. Ça m’a apporté beaucoup. Si je suis poète actuellement, c’est que quand même, des choses me sont rentrées dans la tête. Je ne renie pas l’école ni les gens qui ont suivi un cursus scolaire normal. Au contraire ! L’école ce n’est pas tout, grâce à Dieu j’ai réussi à devenir quelqu’un. J’ai eu cette volonté, je suis autodidacte. J’ai fait ma recherche par moi-même, et ceux qui font un cursus normal, qui font un travail pour eux parce qu’ils avancent, en apprenant des choses, c’est respectable et noble.

Education, la difficulté d’être parent

C’est difficile, les gens qui arrivent dans un pays, ils n’ont pas tous les codes, au niveau de la langue, même au niveau de la religion, c’est différent pour eux à partir du moment où ils arrivent. Donc nous on est content. On a amené nos enfants dans un pays où ça devrait bien se passer pour eux, mais les aînés, vu qu’ils ont déjà toutes ces barrières, ils ne vont pas forcément trouver un emploi facilement. Ça va toujours être un emploi assez difficile avec des horaires décalés, donc ils n’ont pas toujours la possibilité de donner l’éducation qu’ils voudraient à leurs enfants. Et puis ils s’aperçoivent que leurs enfants apprennent plus vite à l’école qu’eux. Les parents se disent : « moi je ne peux pas leur donner plus. Vu déjà tout ce qu’il sait, il en a appris autant que moi. »

Généralement les enfants apprennent plus vite la langue que leurs parents. Le père se dit : « Il en sait quasiment plus que moi. Qu’est-ce que je peux lui apprendre de plus que ce qu’il va apprendre à l’école. En plus, je ne peux pas être là pour lui donner ». Après on ne peut pas reprocher cela aux parents. En plus lorsque les parents sont là à vingt heures, on fait manger les enfants et on les envoie se coucher. On ne peut pas faire plus.

Certains parents sont honteux de ne pas savoir lire et écrire. Ils ne sont pas assez souvent là pour imposer leur autorité. C’est difficile pour l’enfant, il est toujours tout seul, obligé de se débrouiller par lui-même, il ne voit son père que le soir. Le père n’aura pas la même autorité que celui qui va voir son père tout le temps « toi je t’ai vu, t’étais dehors, à telle heure tu dois être rentré ». Surveiller n’est pas évident.

Il y a des enfants pour lesquels on essaye de convoquer leurs parents toute l’année, mais ce n’est pas possible. Aux heures d’ouverture ils ne seront jamais là. Ils partent tous les jours à sept heures et rentrent tous les jours à vingt heures. Ils bossent même le samedi, ce n’est pas possible d’habituer un enfant à ces conditions. A la rigueur s’il y a un des deux parents qui peut rester, généralement maintenant les deux vont travailler… plus la barrière de langue.

Tel jeune a vu le grand qui faisait ses affaires. Le grand lui a dit : « C’est comme ça que ça se passe ». Non ! Je connais des gens mais ce ne sont pas mes amis. Ce n’est pas parce que j’ai grandi avec quelqu’un qui à un moment a fait un choix différent, qu’il est parti, peu importe ce qu’il a fait, je ne vais pas le renier, c’est resté mon ami quand même !

Explorer le monde

Le fait de dire on aime bien notre ville mais on veut s’en aller c’est aussi le mondialisme. Tout ce que l’on n’a pas eu à notre époque, eux ils l’ont grâce au militantisme de ceux qui sont restés dans la ville. Ils ont réussi à avoir des outils et des armes pour explorer le monde et pour voir d’autres choses, même avec le mondialisme, le libéralisme. Maintenant, les frontières sont ouvertes et derrière tout ça il y a l’universalisme. Le monde leur appartient aux jeunes et ils peuvent être ce qu’ils veulent. C’est donc plus facile pour eux d’explorer, d’aller voir ce qui se passe ailleurs que nous à notre époque, les choses étaient assez limitées quand même. C’est avec des films comme « la Haine » que l’on a su que le monde nous appartenait aussi.

De nouvelles Lumières

Au siècle des Lumières bien avant, dans l’apprentissage, dans l’éducation, on apprenait à monter à cheval, la musique, la poésie, la danse. Ça c’était pour la noblesse, on est bien d’accord. Mai si on donnait la possibilité aux gens populaires d’avoir accès à toutes ces formes d’art.

J’ai vu un reportage à la télé. Au Venezuela, on donne aux jeunes la possibilité d’avoir un instrument de musique dans les favelas pour apprendre la musique classique alors qu’en France, c’est assez « conservateur ». C’est énervant parce qu’on a les mêmes possibilités que n’importe quel autre enfant et que, à notre époque on en est encore là ! Parce qu’il faut qu’il reste des gens avec un esprit assez restreint et d’autres qui sortent pour marquer le pas. Tout ça moi je commence à en avoir véritablement marre !

J’ai été choqué, étant jeune, on jouait au tennis dans la rue avec une craie. On arrivait à jouer. Ici pendant les vacances je leur fais de l’activité sportive, je leur ai sorti les raquettes de tennis et un filet. Quand j’ai vu qu’ils tenaient la raquette au milieu ! Les trois quart ont douze, treize ans et n’ont jamais joué au tennis ! Je me suis dit : « Ce n’est pas possible ! ». Nous on avait deux, trois raquettes pour six ou sept. On s’arrangeait. On faisait tourner les raquettes. On arrivait tous à jouer même si tout le monde n’avait pas de raquette. On avait de vieilles balles, mais on jouait au tennis. Ici aujourd’hui ils ne nous donnent pas les moyens de découvrir de nouvelles activités. Donc ils ne peuvent pas évoluer beaucoup.

Vie active

Après dix sept ans j’ai arrêté l’école. Entre dix-huit et vingt-deux ans, il y a eu le dispositif TUC au moment où je sortais de l’école ; donc j’ai travaillé tout de suite à la gare Montparnasse. Je m’occupais des voyageurs handicapés et en même temps des groupes. Je travaillais pour la SNCF à l’époque. J’ai fait ça pendant un an, un an et demi. Après j’ai été embauché par une boîte gare Montparnasse ; elle s’occupait aussi des handicapés et des groupes. J’étais employé en CDI tout de suite. Je m’occupais d’accompagner les handicapés au train, d’accompagner des groupes à leur train avec des bagages attachés derrière mon Fenwick. J’étais dans le monde du travail tout de suite. Je n’ai pas cherché à trainer dans la rue. Quoique je continuais à travailler dans mon business après le travail. J’ai travaillé pendant deux ans.

La parenthèse du service militaire

Après, il y a eu l’armée, pendant un an. La veille avant de partir, je suis rentré dans ma chambre, mon père était en train de lire son journal, je lui ai dit : « tu sais papa, j’aimerais bien ne pas faire l’armée ! - vas-y ! Bats-toi ! Bouge de là ! » .

Je suis parti à Mourmelon le grand. C’était la première fois que je quittais ma ville pour une période aussi longue. Je serais aussi bien parti pour une période aussi longue si on m’avait proposé d’aller au base-ball pendant un an en Italie ou en Espagne… Bien sûr je signe tout de suite ! Je serais parti ! J’ai fait mon année. Ça s’est relativement bien passé. J’ai fait six mois dans une caserne à Mourmelon le Grand et six mois à Châlons-en-Champagne. À Sarcelles pendant que j’étais à l’armée, j’ai été impliqué dans une histoire criminelle où mon nom était cité. Pour me protéger de ce qui avait été dit, j’ai quitté la caserne de Mourmelon pour aller à Châlons.

Sarcelles et la case prison

Tous les Sarcellois connaissent quelqu’un qui est passé par la prison. On vit avec notre quotidien. Des morts on en a un ou deux dans l’année, dans notre ville, donc c’est notre quotidien. Si les jeunes répètent la violence, le deal, c’est leur quotidien. C’est ce qu’ils ont toujours vu, vécu. Ils disent la même chose : à douze ans, treize ans je vais arrêter l’école, je vais vendre parce que le grand au-dessus de moi, c’est le seul exemple qu’il a pu me montrer. C’est tout ce que j’ai.

Sarcelles, c’est une prison, un grand bloc, comme une prison avec ses blocs et ses gardiens, ses matons, ses directeurs de prison. A la base c’est une prison et les jeunes qui vivent dans cette ville, sont emprisonnés dans leur corps et leur esprit. C’est normal qu’il y ait un non-retour, une non prise de conscience. Ils restent toujours dans le même état d’esprit. On est dans une prison. On reste enfermé dans un bloc.

A Sarcelles il n’y a pas quarante choix : soit on fait des études, soit on fait du sport, soit on fait des conneries. A un moment ou à un autre on a connu quelqu’un qui est parti faire des conneries. Ça n’a pas marché là, c’était la seule voie qui lui restait, il a fait son choix après. Ceux qui disent : « ceux qui tiennent le mur ils ne sont pas comme nous », ils le disent parce qu’ils savent que c’est facile de faire des conneries, mais après on ne pense pas toujours aux contrecoups, aux conséquences.

Les grands frères

Ceux qui ont déjà fait l’erreur une fois se disent, on ne va pas laisser les jeunes faire la même erreur que nous. Nous on n’a eu que l’exemple du grand. On a voulu faire pareil que lui, mais ça ne marche pas. Ce n’est peut-être pas la bonne voie. En tout cas c’est rare que ça paye ! Je vais leur faire profiter de mon expérience. Les parents se situent dans leur quotidien. Ils ne savent pas quoi nous donner et comment nous le donner. Ils nous laissent faire notre propre expérience. Ils n’ont pas le choix et nous non plus on n’a pas le choix. On a eu ce cadre familial par rapport à mon père assez distant et ma mère qui faisait ce qu’elle pouvait. Tout l’amour que je peux avoir, je lui dois à elle. Voilà c’est ce que j’ai.

Un avenir meilleur

En tant que parent je ferai toujours attention à ne pas commettre les mêmes erreurs. En particulier celles de mon père ; parce que en tant qu’homme c’est un Antillais. Le jour où j’aurai des enfants, je leur donnerai tout mon amour et je leur dirai. C’est surtout ça.

Les parents sont dépassés par rapport à tout ça. Ils viennent d’arriver dans un territoire où ils n’ont pas tous les codes, tout le fonctionnement de ce pays. Ils sont donc obligés de faire leur place et leur toit à eux avant de donner quelque chose à leurs enfants. Ils ont dû déjà s’adapter à ce pays. S’ils sont arrivés ici, c’est pour nous donner un avenir meilleur. Quand on grandit, que l’on est adolescent, on vit avec l’environnement, le ressenti. On ne sait pas que nos parents sont venus ici pour nous donner un avenir meilleur. On le sait bien après. Tout ça sont des choses que je m’efforcerai de réparer pendant mon parcours. Il aurait fallu que mes parents soient là, qu’ils me parlent, qu’ils me transmettent tout leur amour, toute leur confiance. L’autorité, elle est là je dois les respecter, ce sont mes parents. Ils m’ont donné la vie, je dois forcément les respecter.

La mort de mon frère

L’événement qui m’a le plus marqué dans cette ville, je m’excuse de ramener ça à moi, a été de gérer la disparition de mon frère. Je suis parti après la mort de mon frère, je suis parti à St-Prix, travailler comme animateur responsable de structure et en même temps joueur de base-ball parce que la structure qui m’employait avait un club de base-ball. Ce qui m’a marqué c’est la mort de mon frère. La mort de mon frère a été vraiment un autre passage, une autre initiation à cette réalité. Je savais que si je restais sur Sarcelles après la disparition de mon frère, on allait me laminer ; le fait qu’il soit malade du SIDA et en même temps qu’il soit homo dans une ville comme Sarcelles où l’on du mal avec ça. C’est ce qui a véritablement marqué ma vie à Sarcelles…. C’est un événement personnel qui a marqué ma vie à Sarcelles….

L’âme de Sarcelles

L’âme de Sarcelles c’est son universalisme, sa richesse culturelle, le fait que Sarcelles puisse être le point de départ de cette nouvelle France à laquelle chacun de nous aspire, ce n’est pas encore parti. Le reste est un discours politique. En fait ce que je reproche, c’est qu’on n’ose pas passer de la cinquième à la sixième république. Toutes ces personnes qui sont là et qui ont envie de se reconnaître en tant que Français on ne les reconnaît pas dans l’institution.

L’âme de cette ville c’est une frustration, parce que c’est un laboratoire social depuis les années 60 et que dans ce laboratoire on n’est que des éprouvettes. Ils devraient sortir quelque chose de tout ça. Les sociologues américains des années 60 sont venus pour dire : « C’est la sarcellite le mal de vivre en banlieue ». On est bien d’accord et on a vécu en banlieue avec ce facteur de sarcellite. Si Sarcelles est vraiment un laboratoire social alors que l’on en fasse quelque chose qui soit un exemple pour la France !

La nouvelle France elle vient de Sarcelles. Richesse culturelle, inter ethnies, elle a pris vie ici et on la bafoue. Non ce n’est pas ça ! J’en ai marre que l’on soit rétrograde ! Je veux que l’on avance et que ça parte d’ici, de Sarcelles ! Parce qu’on a un vécu, cette richesse, elle est imprégnée. Elle est là depuis de nombreuses années et on salit cette ville.

Je vais vous dire, je suis le meilleur slameur de France, je pourrais partir de Sarcelles, je vais faire mon disque et m’enrichir tranquillement. Je ne peux pas faire ça. Je dois prouver à ma ville que derrière il y a du monde, et ce monde je veux qu’il monte avec moi, sans ça ce n’est pas la peine. Le slam, c’est de la poésie urbaine et du théâtre en même temps.

Sarcelles, terrain d’expérimentation

On expérimente beaucoup, on nous prend pour des cobayes. Des rats de laboratoire. Je n’en veux pas aux sociologues, mais nous on reste toujours pareil, des rats ! On vient dans notre ville nous dire : « oui, moi j’ai le savoir, je peux transmettre le théâtre ; je peux transmettre n’importe quoi la danse ou quoique ce soit » et ceux qui savent le faire dans cette ville n’ont même pas la possibilité de s’exprimer ni le moyen de s’envoler !

Dans le sport, ils sont reconnus. Qui est reconnu dans la mode ? Mohamed Dja ! Il a mis son nom sur des vêtements ! Demain je peux mettre aussi mon nom sur une ligne de vêtements ! Mais qu’est-ce que j’ai fait pour la ville d’où je viens ? C’est un mythe parce qu’on leur a donné ce mythe. Mais derrière ce mythe qu’est-ce qu’il y a ? Il vit à New-York et il vit à Montmorency, il a quarante 4X4 ! Dans la cité, dans la ville où il a grandi, qu’est-ce qu’il fait pour ces jeunes qui achètent ces vêtements et demandent à leur père, à leur mère, qui ont du mal à finir les fins de mois, « achète moi un tee-shirt Dja » ! Parce que c’est la mode, c’est n’importe quoi !

C’est comme les rappeurs, ils ont beau partir de leur quartier, de leur ville, évoluer et arriver au show-biz, les parents qui achètent des disques pour leurs enfants, à vingt-cinq euros, ils sont toujours dans la cité, ils sont toujours en galère ! Comment tu « renverses » dans la cité où tu as grandi ? Quand lui rends-tu ce qu’elle t’a donné ?

Identité et entité sarcelloise

Je ne vis plus à Sarcelles. Je vis à Enghien dans un modeste studio, parce que j’étais SDF il y a peu de temps. On m’a aidé à m’en sortir, mais mon âme est ici. J’ai deux associations sur Sarcelles et mon travail je le mènerai toujours ici, mais y vivre je ne pourrais pas. C’est particulier à mon histoire. J’ai perdu mon frère mort du SIDA. Il était homosexuel dans cette ville et jusqu’à maintenant on n’a pas arrêté de nous cracher dessus par rapport à cette histoire.

Dans cette ville j’ai été le premier slameur à amener des choses depuis 1999. J’ai ramené le slam à Sarcelles en 2000, j’ai fait des soirées slam, des ateliers, et que quelque part on me crache dessus en tant qu’artiste issu de Sarcelles, j’en veux à personne ! Sarcelles ce n’est pas simplement une ville, c’et une entité, avec une mentalité, des sentiments, des émotions.

Quand je dis on je globalise, je ne vais pas cibler des noms. Identité et entité sarcelloise. Quand je parlais du côté conservateur des choses, on va faire venir Grand Corps Malade à Sarcelles, parce qu’il faut surfer sur la vague, alors que moi j’en suis encore là. Cette rage très positive me donne l’envie d’aller jusqu’au bout des choses et de devenir le slameur de Sarcelles et d’amener derrière moi les gens qui sont là. Sarcelles ne nourrit pas ses enfants et pour aimer Sarcelles, il faut en partir. Pour moi je vais vous prendre le cercle des poètes disparus : à Sarcelles il y a dix poètes par rue (dix par rue). Vu le potentiel artistique et sportif que tu as sur Sarcelles, qu’on fasse ça à nos jeunes ce n’est pas possible. Il y a un potentiel très très riche.

On fait venir Enrico Macias pour quarante mille euros et les gens comme moi galèrent, mangent de la pierre, on les rabaisse ! Je suis allé voir la mairie pour avoir un petit appartement ; je suis slameur, je fais des soirées slam, en plus je suis animateur depuis 2002 à Sarcelles, tous les jeunes me connaissent ; j’ai fait beaucoup de choses pour la ville de Sarcelles, et on me dit « vas-y arrache-toi ! ». Ça énerve ! Ça me met en colère. Et on me dit : « on va faire venir Grand Corps Malade à Sarcelles parce qu’il peut surfer sur la vague » ! Nul n’est prophète dans son pays, mais il faut arrêter de prendre les gens pour des cons ! S’ils n’ont pas la possibilité de s’exprimer sur la ville, ils sont obligés de s’expatrier.

Je fais des colloques un peu partout avec une association qui s’appelle culture banlieues d’Europe à Lyon. C’est un réseau. Je travaille avec eux depuis très longtemps grâce à des amis. Je fais des colloques à Lyon, en Belgique, en Ecosse, des colloques sur mon travail, sur le terrain. Être pris pour un imbécile à Sarcelles c’est énervant ! Bientôt, par ce réseau, je dois me rendre au mois d’octobre à Dublin.

Le maire veut être la star de la ville. Il va être sur TF1, sur A2, sur le Parisien, mais les jeunes qui eux ont un potentiel et un talent certain, qu’ils restent dans leur merde ! Moi je représente Sarcelles en France et même en Europe « faut que tu manges de la terre, mon gars, faut que tu restes comme tu es. T’es un négro et tu resteras un négro ! ». Moi je le prends comme ça…Il faut que ça reste conservateur. Tu es bien là où tu vas rester. Tu travailles bien pour la ville, mais tu ne vas pas évoluer plus que cela. Sinon tu vas prendre une place certaine dans la ville et tu feras avancer la ville et on n’en veut pas de ça. Ce qu’on veut c’est que tu restes toujours au même point et que l’argent rentre toujours. On ne donne pas aux gens la possibilité de s’implanter et de donner ce qu’ils ont envie de donner. Ils auraient eu un plan de formation, ils auraient évolué. Ils ne sont pas cons !

Ils n’ont pas eu un cursus scolaire normal, mais vous leur donnez la possibilité de s’exprimer, qu’ils sortent d’eux même. C’est bien ce que vous faites pour eux, parce que moi je peux faire mon introspection et ma thérapie par le slam. Mais ces jeunes là qui pensent être encore dans une misère sociale, c’est très important. Ils ont besoin d’exister par la ville par le travail qu’ils donnent autrement on les prend toujours pour des cons !

Message aux anciens

Aux anciens je dirais, merci de nous laisser une France assez construite et on essaiera de la transmettre honorablement. C’est tout ce que peux dire.

Message aux jeunes

Aux jeunes je leur dirais de toujours croire en eux. De toujours s’écouter, d’aller au bout des choses. De construire leur vie dans le respect et dans l’amour. De prendre conscience qu’ils n’ont qu’une vie, et que la vie, il faut la vivre à pleins poumons. Toujours croire en eux et en leurs capacités à aller chercher en eux ce qu’ils ont.


Texte réalisé par Frederic Praud

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