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Le flacon de parfum
samedi 25 janvier 2014, par
Le flacon de parfum
Un jour, un oncle de province vint rendre visite à son neveu. Cela faisait déjà quelques années que le jeune homme était installé dans la capitale, une grande ville où les progrès dans l’industrie, la médecine et les sciences techniques étaient extraordinaires. L’excellence même !
L’autoroute reliait les quatre points cardinaux de la ville. Les magasins brillaient sous les lumières en cette fin d’année. Les arbres étaient enrobés de guirlandes. La ville était à l’image même d’un émerveillement sans fin aux yeux des spectateurs fascinés. Les joues rougies par le froid glacial, la jeunesse perfectionnait ce tableau de bonheur. Le temps semblait même redonner courage aux vieillards, en ravivant chez eux de lointains souvenirs d’enfance. Entre les deux âges, les parents couraient pour assurer les préparatifs, se gardant néanmoins quelques moments de répit, de rêve et d’évasion, emportés par l’ambiance.
Pour l’occasion, le jeune homme alla acheter un cadeau pour son oncle. Quoi de plus éternel que la senteur d’un parfum chic et raffiné pour son oncle bien-aimé qui, en même temps, était un simple provincial qui ne donnait pas trop d’importance à ce genre de choses ? Il se rendit dans une parfumerie où le jeune vendeur, avec ses chaussures aussi astiquées que pointues, lui fit essayer quelques flacons.
– Celui-ci est un peu poivré… Oh, mais peut-être que celui-là vous plaira davantage, il est parfaitement bien dosé dans son alcôve, il n’y a pas trop de gingembre…
– Je pense qu’un aut… commença à dire le neveu.
– Ne vous en faites pas ! le coupa le vendeur avec un sourire en se déplaçant sur le côté, effleurant doucement les bouteilles raffinées les unes après les autres, tout en chantonnant un petit air d’enfance que le neveu ne tarda pas à reconnaître. Ah ! j’ai trouvé ! s’enthousiasma-t-il. Parfum d’exception, senteur originale, séduisante, un peu fruitée, conçu par un grand créateur de génie.
Il reprit son souffle et projeta du parfum sur un testeur qu’il mit sous le nez du client bien intentionné.
– En fait, j’aurais voulu quelque chose de plus masculin…
– Ah ! stoppa le vendeur. J’aurais pensé que c’était pour votre petite amie. Qu’à cela ne tienne !
Il courut à l’autre bout du magasin, attrapa un parfum et recommença son opération.
– Senteur sauvage, mâle, brute, grrr, fit-il en agitant la main. Un petit ami plus âgé ? chuchota-t-il avec un sourire malicieux.
– Mon oncle, expliqua le neveu en se penchant vers le vendeur, les yeux rivés sur ses chaussures décidément trop pointues.
– Ah. Un oncle âgé ?
– Mais bien portant.
– Vous voulez peut-être quelque chose de précis, en fait ?
– Eh bien… juste quelque chose qui fasse un cadeau chic et précieux.
– J’ai ce qu’il vous faut. Boisé. Appétissant. Comme du musc, mais mélangé avec une pincée d’une essence fruitée.
– Et quelle est la différence entre fruité et boisé ? se renseigna le neveu.
– Aucune idée. Cela se ressent dans l’âme. Je vous l’emballe ?
Le vendeur lui fit un joli papier cadeau. Le soir venu, l’oncle fit goûter les mets qu’il avait cuisinés durant toute l’après-midi à son hôte, qui lui offrit son cadeau.
– J’espère que cela te plaira.
L’oncle ouvrit le paquet.
– Le choix était difficile… ajouta le neveu en se mordant la lèvre.
– Un parfum doit sentir bon ! jugea l’oncle qui enleva le petit bouchon, et se parfuma tranquillement. Puis il poussa un soupir joyeux : « Oui, il sent bon. »
Et tous deux passèrent une heureuse soirée.