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Sarcelles : Julien Lembakoaly né en 1960 à Bangui

Les effets de la série « warriors » à la télévision sur les banlieues

Chardo, c’est très sectorisé, très communautaire

vendredi 2 juillet 2010, par Frederic Praud

Nous sommes restés à Sarcelles, parce que nous n’avions franchement aucune raison de partir. Notre enfance s’est passée là. A pied on peut aller faire des promenades. Ce sont des choses que l’on aurait du mal à faire si on habitait sur Lochères.

Julien Lembakoaly

Je suis né en 1960, à Bangui en République Centrafricaine. Je suis arrivé à Sarcelles en 1973, à l’âge de treize ans, avec mes parents. Mon père était venu pour les études et puis sa famille a suivi. Cela se faisait comme ça à l’époque.

Scolarité

Là-bas, j’étais en CM1. Je suis arrivé ici pour intégrer un CM2 à St Exupéry au lieu de passer en sixième ; question de décalage et d’intégration. Quand on vient d’Afrique, on estime que les études ne sont pas aussi poussées par rapport à l’Europe. Arrivé là, ils ne m’ont même pas fait passer de test de niveau ! Ils m’ont fait remplir une fiche d’inscription et ont dit à mes parents : « comme il vient d’Afrique, il vaut mieux qu’il reprenne le CM2 pour qu’il se remette à niveau, avant de passer en sixième ».

Intégration

Au niveau de l’intégration, comme j’étais assez petit, ça s’est fait vite fait ! J’habitais 71 avenue Paul Valéry. Je suis descendu dans le parc, j’ai rencontré d’autres enfants. Il n’y avait pas trop de problèmes au niveau des enfants. Je me suis fait plus ou moins au regard des gens. Quand je passais, il y avait un petit décalage. En Afrique quand quelqu’un te dit « bonjour », tu réponds « merci ! » ; ici quand on te dit : « bonjour ! », tu réponds « bonjour ! ». Il y a eu un petit décalage par rapport à ça. C’est amusant !

L’intégration, en tant que jeune s’est faite très vite. A ce moment là on ne réfléchit pas, on ne calcule pas. J’avais treize ans, mais j’étais déjà en décalage par rapport à mon vécu africain.

Ma première journée

La première journée fut simple. Je suis descendu de l’avion au Bourget. C’était la première fois que je prenais l’avion. On était tous beaux, bien habillés. Mon père est venu nous récupérer. Du Bourget à Sarcelles, on a découvert les bâtiments, au mois d’avril. Il faisait beau. On a vu le train, on a découvert plein de voitures que l’on n’avait pas là-bas et puis des habitations qui n’étaient pas les mêmes. J’étais à Bangui, mais ce n’est pas des bâtiments partout. On trouvait des tours, des monuments.

La maîtrise du français

En Centrafrique, la première langue c’est le français. Mon père était dans l’administration et voyageait beaucoup. On parlait un meilleur français. Il y avait plusieurs écoles à Bangui. Je suis allé à l’école publique. Ceux qui avaient les moyens inscrivaient leurs enfants dans des écoles privées. Mes frères, quand ils sont repartis d’ici, n’ont fréquenté que des écoles françaises. Nous, à notre époque, on ne faisait pas tellement de différence entre fréquenter telle ou telle école. On allait au plus près. Je n’avais pas de décalage avec les autres élèves en français. Ça allait. C’est très important pour l’intégration. C’est ça qui m’a permis de descendre dans le jardin et de discuter tranquillement avec les autres enfants.

Mes parents parlent sango et français. Ils parlent même trois ou quatre langues chez moi. Le français, le mbimou (la langue natale), le sango (langue véhiculaire de Centrafrique) ; ils connaissent encore une langue de la région que l’on appelle gbaya. Nous les enfants, comme on ne maîtrisait pas toutes les langues, c’était plus facile soit en mbimou, soit en français. Je maîtrise le mbimou, je parle le sango de temps en temps. Mes parents ne rouspètent pas. Ma mère est tranquille et ouverte à tout. Mon père ne criait pas et ne tapait sur personne. Sur sept enfants, on a eu la chance de ne subir aucune brimade, pas de coups. On a eu de la chance de ce côté-là.

Je suis allé à l’école à St Exupéry. C’était l’école des filles et l’école des garçons. On était déjà mélangés. Je trouvais ça bien. On retrouvait les copains dans la cour de l’école. Le matin, on venait me chercher à la maison. On descendait tous, on s’amusait. On allait pour apprendre. Le milieu dans lequel je vivais en Centrafrique était francophone, c’était facile pour moi. Je me suis complètement fondu. Je ne sais pas si cela aurait été aussi facile en dehors de Sarcelles.

[Nadège : « Sarcelles a été mixte très tôt, moi mon premier copain d’enfance est africain »].

Premières vacances

Pour nos premières vacances on est parti à Champigny. On avait de la famille là-bas, au bord de la Marne. Après c’était les « colos » de Sarcelles. Aujourd’hui il y a un manque de ce côté-là. On a proposé la colo aux enfants, ils ne veulent pas. On fait des choses avec eux. On est assez proches d’eux. On se parle ouvertement. Il n’y a pas pratiquement pas de contraintes. On leur met la pression sur les études, en dehors de ça il n’y a pas de pression.

Je crois que mes premières vacances en dehors de la région parisienne se sont passées en Belgique, à Bruxelles. Mon frère avait l’habitude de partir en week-end soit en Allemagne, soit en Belgique, car on avait de la famille là-bas. Mon père avait acheté une Peugeot 404 à l’époque. Il mettait le matelas derrière et partait à l’étranger comme ça. De nous–mêmes en France, on partait en colo. J’ai fait pas mal de camps itinérants.

La différence

Les regards n’étaient pas forcément posés sur moi à l’extérieur. Je ne vois pas comment me regardaient les autres gens. Dans les camps itinérants, on n’était pas dans les villes. On passait plutôt dans les petits villages. Quand il y a un petit black dans le groupe on va le regarder plus que les autres. On me regardait moins par rapport à Sarcelles que par rapport à ma couleur. Ce n’était pas de la méchanceté. C’était plutôt de la curiosité.

Le collège Malesherbes

Par la suite en 1974-75, je suis allé au collège Malesherbes. Je suis parti de St Exupéry avec des copains que je connaissais. Là-bas je me suis fait d’autres amis, comme j’étais très ouvert. C’était très agréable dans la mesure où il y avait encore des champs. Justement des profs nous emmenaient dans ce pré, il y avait des arbres fruitiers. Il y avait vingt minutes de marche à pied pour arriver au collège, une structure beaucoup plus grande que St Exupéry qui, elle, était toute proche de chez moi… Sortir à midi pour aller faire la queue pour aller à la cantine, avoir des professeurs différents ; mais je n’ai pas eu de choc en sixième.

Animations à Sarcelles

A cette époque ça a pas mal bougé. Il y avait alors beaucoup d’animations à Sarcelles, des fêtes foraines. C’était l’époque des rockers, des blousons noirs. On était dehors. On était des petits durs ! On voyait les autres partir sur des motos. On en rêvait ! Il y avait pas mal de bagarres, parce que ça allait avec. La fête foraine se faisait sur le parking de la piscine.

En 1971 je suis parti aux Rosiers. J’ai grandi aux Rosiers. On considérait les Rosiers comme étant au Village. A notre époque les Rosiers, c’était agréable, c’était fleuri, il n’y avait pas de tags sur les murs. Je suis par la suite devenu animateur dans cette cité, pour dire à quel point j’étais intégré. Tous les jeunes des Rosiers aussi bien que les jeunes de Longpré à St Brice se connaissaient. On faisait des matchs de foot. La violence est liée à des événements spécifiques en France et à Sarcelles en 1982-83.

Je suis allé pour la première fois tout seul à Paris à seize ans. J’ai vécu dans un milieu de sportifs. En revenant de l’école on faisait un foot, on prenait le train du village, on allait à Gare du Nord, on allait au cinéma, trois films pour dix francs, et on revenait le plus tard possible ! Mais on faisait beaucoup plus de sport qu’autre chose. Aux Rosiers je vivais uniquement dans le Village. On partait du Village pour aller au forum des Cholettes quand il y avait un spectacle ou un concert. Nous, du Village, on n’avait pas d’intérêts sur Lochères. Du Village, on n’avait rien à faire avec le grand ensemble.

Le chantier de Chantepie

Chantepie pendant sa construction, j’ai vécu dedans. Les Rosiers, derrière, c’était auparavant des champs de poires. Du jour au lendemain ça a été mis en chantier. Gosses, on se promenait, on faisait des cabanes, on s’amusait, on revenait. J’ai vu naître Chantepie. J’ai vécu rue de Champagne aux Rosiers. C’était tranquille, juste derrière c’était les champs, les arbres. Je rencontre parfois des personnes âgées qui m’ont connu gosse et qui me reconnaissent. Par rapport à maintenant c’était tranquille. Quand on a été animateur, on a commencé à voir le changement.

Le lycée à Villiers le Bel

Je suis allé dans un lycée technique à Villiers le Bel. On y allait en bus en vingt minutes, une demie heure. C’était une expédition ! Il fallait se lever ! Pour un jeune, c’était beaucoup de temps ! Sarcelles avait déjà sa petite réputation. C’était calme pour moi, dans la mesure où je ne baignais pas dans le milieu des rockers. Les rockers de Sarcelles étaient assez respectés. J’ai eu la chance de ne pas avoir baigné dans la violence ou dans les bandes. Il y avait des bandes, mais j’avais des copains que je ne rencontrais que dans le milieu sportif ou scolaire. Je ne fréquentais pas un groupe précis. Le hall d’immeuble n’était pas squatté ! On était plus sur les terrains, les espaces que dans les halls d’immeubles. J’ai été animateur dans les années 80. J’ai vu comment les jeunes ont commencé à se regrouper. On a essayé de faire pas mal de choses avec eux. La MJC de l’époque c’était un peu « la Maison des Jeunes Communistes ».

Rencontre avec Nadège, ma femme

Nadège et moi, on s’est rencontré aux Vignes blanches, à l’ancienne maison du quartier. J’étais animateur au centre « alpha » aux Rosiers. C’était coordonné par « Sarcelles-jeunes ». On avait une réunion un soir, et je suis monté voir NAS. On s’est rencontrés là. On a vécu ensemble tout de suite. Je suis venu directement chez son frère.

Retour au pays

Mes parents étaient déjà repartis avec mes frères, sauf ma sœur qui est restée avec moi. Ils sont repartis en 1982. J’avais vingt-deux ans. C’était un choix de vie. La décision de repartir ne venait pas de moi et je ne voyais pas ce que j’avais à faire là-bas. Un jour, mon père m’a dit : « Julien… je repars… parce que le pays m’appelle ! ». Ok. Deux ans après la famille allait suivre. Ma mère serait bien restée, mais l’épouse suit le mari en emmenant les plus petits. Ma sœur et moi étions plus âgés donc on s’est dit : « Qu’est ce qu’on va faire là-bas ? On a déjà notre vie ici... On avance ! ». Je ne suis pas né dans une famille à problèmes, donc tout se fait le plus naturellement possible. Pour dire vrai, mon pays c’était là. Je ne me voyais pas habiter ailleurs. Je ne sais même pas si on ressent le pays. On est là, c’est bien.

Aujourd’hui il y a des jeunes à qui on fait ressentir que leur pays ce n’est pas ici. A cette époque on ne ressentait pas cela. Quand on te dit : « Aime la France ou tu la quittes ! », tu es quelque part marqué ! Même moi quand j’entends ces mots-là, je me sens concerné ; parce que l’on va me demander : « est-ce que tu es bien intégré ? Est-ce que ton pays c’est la France ? » ; tu le ressens automatiquement, quel que soit ton pays d’origine. C’est plus difficile maintenant, beaucoup plus difficile.

Bandes et violence

Il fallait être dans les bandes pour avoir ressenti les effets de la série « warriors » à la télévision. Au moment où l’on travaillait avec les jeunes, ils n’étaient pas aussi violents que là. En 1983-84, ça commençait seulement à monter. Il y avait déjà des fortes têtes. Quand on a quitté le centre ils ont commencé à brûler, à mettre le feu. Avant c’était tout tranquille. C’est la nouvelle génération. Ils ont commencé à être un plus violents. Nos jeunes avaient une violence, mais ce n’était pas à craindre. Ils voulaient faire voir qu’ils existaient. Ce n’était pas par rapport à l’animateur. Parce que quand tu regardais en dehors de la cité, ils ne faisaient pas grand-chose.

Au départ quand nous étions animateurs, il n’y avait pas de bagarres inter cités. C’est venu en 1987-88. Nous, nous sommes passés au travers de tout ça. Ils grandissaient avec nous, ceux de treize à dix-huit ans. Nous essayions de créer des activités pour intéresser ces jeunes. Durant nos activités, ils fréquentaient le centre, tout se passait très bien. On a même organisé des camps à Fontainebleau. On a fait des choses avec eux.

Les marques et le dépouillage

Après il y a eu parallèlement un phénomène d’identification avec l’apparition des marques et des vêtements qu’il fallait se procurer de n’importe quelle manière. Les jeunes ne se sont plus déplacés d’un quartier à un autre par crainte du « dépouillage ». Nous, nous étions déjà adultes, mais le champ de vie de ces jeunes s’est restreint. Tout échappait à tout le monde !

Animateur

Là, tu es animateur, tu es en plein dedans, forcément tu ne vois plus ce qui se passe autour. Tu gères. Tu ne vois pas la montée. C’est quand ça te frappe directement à ta porte. Là oui, tu te dis : « ho ! Il s’est passé quelque chose de violent ! ». J’ai été animateur pendant cinq ans jusqu’en 1985-86. Quand le centre a brûlé en 1988 on n’était plus animateurs. Il n’y avait plus d’animateurs. Il y avait juste le centre social. On a travaillé ensemble avec mes jeunes à moi. J’ai arrêté ce métier parce qu’à un moment, on a besoin de s’occuper de soi, à vingt-cinq ou vingt-six ans. L’animation ça ne rapporte pas… J’étais en grande partie bénévole.

Vie professionnelle

Je suis parti travailler dans le commerce directement après. Dans un hypermarché « cora » à Ermont. Je suis resté jusqu’en 2004, dix-huit ans ! Nous nous sommes installés tous les deux au 40 Av. Paul Valéry dans le plus long bâtiment. Juste après le centre commercial, de 1986 à 96. On ne se mélangeait pas trop à la population, nous avions nos amis. Dans la journée on allait au travail, le soir on rentrait chez nous. On a eu notre fille là. Elle est allée à l’école St Exupéry comme moi, mais la différence est que je l’accompagnais à l école. Elle est restée dans cette école jusqu’en CE2. Après nous sommes allés aux Chardo dans une maison que nous n’avons pas achetée, en location. Je vais au travail en voiture. J’aurais pu y aller en train mais ça prend encore plus de temps. En voiture j’en ai pour vingt minutes. La vie de parent est simple. On va travailler. On revient. On va chercher la petite, on la ramène.

Parents aux Chardo

Aux Chardo c’est pareil, nous sommes des parents modèles ! D’abord on n’a pas d’enfants compliqués. Mercredi le garçon, c’est le foot. Samedi on est sur le terrain de foot. Dimanche, c’est un tour à Rambouillet. Le soir on regarde les devoirs des enfants. Nous sommes aux Chardo depuis 1996. C’est une vie tranquille, différente de ceux qui habitent à côté de Franprix où se concentrent les bandes. Chardo, c’est très sectorisé, très communautaire. Là où l’on habite, personne ne traîne dehors. Quand la petite a demandé son indépendance, elle a demandé à aller à l’école tout seule et revenir toute seule, on lui a donné une clé. « Si tu as un souci, si tu ne n’arrives pas à ouvrir, tu vas chez le voisin en face. »

Nous sommes restés à Sarcelles, parce que nous n’avions franchement aucune raison de partir. Notre enfance s’est passée là. A pied on peut aller faire des promenades. Ce sont des choses que l’on aurait du mal à faire si on habitait sur Lochères.

L’âme de sarcelles

L’âme de Sarcelles c’est nous ! Mon meilleur souvenir de Sarcelles c’est l’époque Canacos, parce qu’il y avait toujours des animations. Il y avait une piste de ski artificielle, des fondues géantes sur la place des Flanades. Il y avait toujours un podium et des vedettes invitées. Des expositions de voitures, d’avions, c’était vivant. Pourquoi ça a changé ?

Message aux anciens et aux jeunes

Aux anciens je dirais : « Garder un œil préventif, sécuritaire sur les jeunes ! »

Aux jeunes je dirais : « Cherchez un avenir, une voie, trouvez une voie pour aller de l’avant ! »

Message à la Mairie

À la Mairie je dirais, veillez à ce que les jeunes de la ville puissent avoir quelque chose dans leurs mains pour faire sortir la vie. La mairie est ici pour veiller sur ses habitants et que nos jeunes arrivent à devenir des hommes.


Texte réalisé par Frederic Praud


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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