Le Code Noir : Louis XIV 1685

Recueil d’édits, déclarations et arrêts, concernant la Discipline et le Commerce des esclaves Négres des Îles Françaises de l’Amérique

Code noir

Ou recueil d’édits, déclarations et arrêts, concernant la Diſcipline et le Commerce des esclaves Négres des Îles Françaiſes de l’Amérique

Louis XIV

1685

Donné à Verſailles au mois de Mars 1685.

LOUIS, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : À tous, présents et à venir, SALUT. Comme nous devons également nos soins à tous les Peuples que la Divine Providence a mis sous notre obéissance, Nous avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos Officiers de nos Îles de l’Amérique, par lesquels ayant été informés du besoin qu’ils ont de notre Autorité et de notre Justice, pour y maintenir la discipline de l’Église Catholique, Apostolique et Romaine, et pour y régler ce qui concerne l’État, et la qualité des Esclaves dans nosdites Îles, et désirant y pourvoir, et leur faire connaître qu’encore qu’ils habitent des climats infiniment éloignés de notre séjour ordinaire, nous leur sommes toujours présents, non-seulement par l’étendue de notre puissance, mais encore par la promptitude de notre application à les secourir dans leurs nécessités. À CES CAUSES, de l’avis de notre Conseil, et de certaine science, pleine de puissance et autorité Royale, nous avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui ensuit.

Article Premier

Voulons et entendons que l’Édit du feu Roi de glorieuse mémoire, notre très honoré Seigneur et Père du 23 Avril 1615, soit exécuté dans nos Îles ; ce faisant, enjoignons à tous nos Officiers de chasser hors de nos dites Îles tous les Juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom Chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des Présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.

II. Tous les Esclaves qui seront dans nos Îles, seront baptisés et instruits dans la Religion Catholique, Apostolique et Romaine. Enjoignons aux Habitants qui achèteront des Nègres nouvellement arrivés d’en avertir les Gouverneur et Intendant desdites Îles dans huitaine au plus tard, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

III. Interdisons tout exercice public d’autre Religion que de la religion Catholique, Apostolique et Romaine ; voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos Commandements ; défendons toutes Assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine, qui aura lieu, même contre les Maîtres qui les permettront ; ou souffriront à l’égard de leurs Esclaves.

IV. Ne seront préposés aucuns Commandeurs à la direction des Nègres, qui ne fassent profession de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de confiscation desdits Nègres, contre les maîtres qui les auront préposés, et de punition arbitraire contre les Commandeurs qui auront accepté ladite direction.

V. Défendons à nos sujets de la R. P. R d’apporter aucun trouble ni empêchement à nos autres Sujets, même à leurs Esclaves, dans le libre exercice de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, à peine de punition exemplaire.

VI. Enjoignons à tous nos Sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, d’observer les jours de Dimanches et Fêtes, qui sont gardés par nos Sujets de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine. Leur défendons de travailler, ni de faire travailler leurs Esclaves auxdits jours depuis l’heure de minuit jusqu’à l’autre minuit, soit à la culture de la terre, soit à la manufacture des sucres, et à tous autres ouvrages, à peine d’amende et de punition arbitraire contre les Maîtres, et de confiscation, tant des sucres, que desdits Esclaves ; qui seront surpris par nos Officiers dans leur travail[.

VII. Leur défendons pareillement de tenir le marché des Nègres, et tous autres marchés lesdits jours, sur pareilles peines et de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au Marché, et d’amende arbitraire contre les Marchands.

VIII. Déclarons nos Sujets qui ne sont pas de la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, incapables de contracter à l’avenir aucun mariage valable. Déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues et réputées, tenons et réputons pour vrais concubinages.

IX. Les hommes libres qui auront un, ou plusieurs enfants de leur concubinage avec des esclaves, ensemble les Maîtres qui l’auront soufferts, seront chacun condamnés en une amende de deux mille livres livres de Sucre, et s’ils sont les maîtres de l’Esclave, de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons qu’outre l’amende, ils seront privés de l’Esclave et des Enfants, et qu’elle et eux soient confisqués au profit de l’Hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N’entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l’homme, qui n’était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son Esclave, épousera dans les formes observées par l’Église ladite Esclave, qui sera affranchie par ce moyen, et les enfants rendus libres et légitimes.

X. Lesdites solennités prescrites par l’Ordonnance de Blois, articles 40, 41, 42 et par la Déclaration du mois de Novembre 1639 pour les Mariages, seront observées, tant à l’égard des personnes libres, que des Esclaves, sans néanmoins que le consentement du Père et de la Mère de l’Esclave y soit nécessaire, mais celui du Maître seulement.

XI. Défendons aux Curés de procéder aux mariages des Esclaves, s’ils ne font apparoir du consentement de leurs Maîtres. Défendons aussi aux Maîtres d’user d’aucunes contraintes sur leurs Esclaves pour les marier contre leur gré.

XII. Les enfants qui naîtront des mariages entre Esclaves, seront Esclaves, et appartiendront aux Maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents.

XIII. Voulons que, si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère, et soient libres comme elle, nonobstant la servitude de leur père, et que, si le père est libre, et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.

XIV. Les Maîtres seront tenus de faire enterrer en Terre-Sainte, dans les cimetières destinés à cet effet, leurs Esclaves baptisés ; et à l’égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le Baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.

XV. Défendons aux Esclaves de porter aucunes armes offensives, ni de gros bâtons, à peine de fouet, et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis, à l’exception seulement de ceux qui seront envoyés à la chasse par leurs Maître, et qui seront porteurs de leurs billets, ou marques connus.

XVI. Défendons pareillement aux Esclaves appartenant à différents Maîtres, de s’attrouper, soit le jour, ou la nuit, sous prétexte de noces, ou autrement, soit chez l’un de leurs Maîtres, ou ailleurs, et encore moins dans les grands Chemins, ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de Lys, et en cas de fréquentes récidives, et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l’arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos Sujets de courir sur aux Contrevenants, de les arrêter et conduire en prison, bien qu’ils ne soient Officiers, et qu’il n’y ait contre eux encore aucun décret.

XVII. Les Maîtres qui seront convaincus d’avoir permis, ou toléré telles assemblées, composées d’autres Esclaves que de ceux qui leur appartiennent, seront condamnés en leurs propre et privés noms, de réparer tout le dommage qui aura été fait à ses voisins, à l’occasion desdites Assemblées, et en dix écus d’amende pour la première fois, et au double, en cas de récidive.

XVIII. Défendons aux Esclaves de vendre des cannes de Sucre, pour quelque cause, ou occasion que ce soit, même avec la permission de leurs Maître, à peine du fouet contre les Esclaves, et de dix livres tournois contre leurs Maîtres qui l’auront permis, et de pareille amende contre l’acheteur.

XIX. Leur défendons aussi d’exposer en vente au Marché, ni de porter dans des maisons particulières, pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture, et des bestiaux à leurs manufactures, sans permission expresse de leurs Maîtres par un billet, ou par des marques connues, à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution du prix par leurs Maîtres, et de six livres tournois d’amende à leur profit contre les acheteurs.

XX. Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos Officiers dans chacun Marché, pour examiner les denrées et marchandises qui seront apportées par les Esclaves, ensemble les billets et marques de leurs Maîtres.

XXI. Permettons à tous nos Sujets habitants des Îles, de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les Esclaves chargés, lorsqu’ils n’auront point de billets de leurs Maîtres, si les habitations sont voisines du lieu où leurs Esclaves auront été surpris en délit, sinon elles seront incessamment envoyées à l’Hôpital, pour y être en dépôt, jusqu’à ce que les Maîtres en aient été avertis.

XXII. Seront tenus les Maîtres de faire fournir par chacune semaine à leurs Esclaves, âgés de dix ans et au-dessus pour leur nourriture, deux pots et demi mesure du pays de farine de Manioc, ou trois cassaves pesant deux livres et demie chacun au moins, ou choses équivalentes, avec deux livres de bœuf salé, ou trois livres de poisson, ou autres choses à proportion ; et aux enfants, depuis qu’ils sont sevrés, jusqu’à l’âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.

XXIII. Leur défendons de donner aux Esclaves de l’eau-de-vie de canne guildent, pour tenir lieu de subsistance mentionnée au précédent Article.

XXIV. Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs Esclaves en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.

XXV. Seront tenus les Maîtres de fournir à chaque Esclave par chacun an, deux habits de toile ou quatre aulnes de toile, au gré des Maîtres.

XXVI. Les Esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs Maîtres, selon que nous l’avons ordonné par ces présentes, pourront en donner avis à notre Procureur, et mettre leurs mémoires entre ses mains, sur lesquels et même d’office, si les avis viennent d’ailleurs, les Maîtres seront poursuivis à sa Requête et sans frais, ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitements barbares et inhumains des Maîtres envers leurs Esclaves.

XXVII. Les Esclaves infirmes par vieillesse, maladie, ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs Maîtres, et en cas qu’ils eussent abandonnés, lesdits Esclaves seront adjugés à l’Hôpital, auquel les Maîtres seront condamnés de payer six sols par chacun jour, pour la nourriture et l’entretien de chacun Esclave.

XXVIII. Déclarons les Esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leur Maître, et tout ce qui leur vient par industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leurs Maîtres, sans que les enfants des Esclaves, leurs Père et Mère, leurs Parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort ; lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

XXIX. Voulons néanmoins que les Maîtres soient tenus de ce que leurs Esclaves auront fait par leur ordre et commandement, ensemble de ce qu’ils auront géré et négocié dans les boutiques, et pour l’espèce particulière de commerce, à laquelle les Maîtres les auront préposés : et en cas que leurs Maîtres n’aient donné aucun ordre, et ne les aient point préposés, ils seront tenus seulement jusqu’à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; et si rien n’a tourné au profit des Maîtres, le pécule desdits Esclaves, que leurs Maîtres leur auront permis d’avoir, en sera tenu, après que leurs Maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra en être dû ; sinon que le pécule consistât en tout, ou partie en marchandises, dont les Esclaves auraient permission de faire trafic à part, sur lesquelles leurs Maîtres viendront seulement par contribution au sol la livre avec les autres créanciers.

XXX. Ne pourront les Esclaves être pourvus d’Office ni de Commission, ayant quelques fonctions publiques, ni être constitués agents par autres que leurs Maîtres pour agir et administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins, tant en matière civile que criminelle ; et en cas qu’ils soient ouis en témoignage, leur déposition ne serviront que de mémoire pour aider les Juges à s’éclairer d’ailleurs, sans qu’on en puisse tirer aucune présomption, ni conjoncture, ni adminicule de preuve.

XXXI. Ne pourront aussi les Esclaves être parties, ni être en Jugement en matière civile, tant en demandant qu’en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leurs Maîtres d’agir et défendre en matière civile, et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été contre leurs Esclaves.

XXXII. Pourront les Esclaves être poursuivis criminellement, sans qu’il soit besoin de rendre leurs Maîtres partie, sinon en cas de complicité ; et seront lesdits Esclaves accusés, jugés en première Instance par les Juges ordinaires, et par appel au Conseil Souverain sur la même instruction, avec les mêmes formalités que les personnes libres.

XXXIII. L’Esclave qui aura frappé son Maître, ou la Femme de son Maître, la Maîtresse, ou leurs enfants, avec contusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

XXXIV. Et quant aux excès et voies de fait, qui seront commis par les Esclaves, contre les personnes libres, voulons qu’ils soient sévèrement punis, même de mort s’il y échet.

XXXV. Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs et vaches, qui auront été faits par les Esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert.

XXXVI. Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, canne de Sucres, poix, manioc, ou autres légumes, faits par les Esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les juges qui pourront, s’il y échet, les condamner d’être battus de verges par l’exécuteur de la Haute-Justice, et marqués d’une fleur de Lys.

XXXVII. Seront tenus les Maîtres, en cas de vol ou d’autre dommage causé par leurs Esclaves, outre la peine corporelle des Esclaves, de réparer le tort en leur nom, s’ils n’aiment mieux abandonner l’Esclave à celui auquel le tort a été fait, ce qu’ils seront tenus d’opter dans trois jours, à compter de celui de la condamnation, autrement ils en seront déchus.

XXXVIII. L’Esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son Maître l’aura dénoncé en Justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de Lys sur une épaule, et s’il récidive un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et sera marqué d’une fleur de Lys sur l’autre épaule, et la troisième fois, il sera puni de mort.

XXXIX. Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux Esclaves fugitifs, seront condamnés par corps envers les Maîtres en l’amende de trois cent livres de Sucre, par chacun jour de rétention.

XL. L’Esclave sera puni de mort sur la dénonciation de son Maître, non complice du crime dont il aura été condamné sera estimé avant l’exécution par deux des principaux Habitants de l’Île, qui seront nommés d’office par le juge, et le prix de l’estimation en sera payé au Maître ; pour à quoi satisfaire il sera imposé par l’Intendant sur chacune tête de Nègre payant droit, la somme portée par l’estimation, laquelle sera réglée sur chacun desdits Nègres, et levée par le Fermier du Domaine Royal d’Occident pour éviter à frais.

XLI. Défendons aux Juges, à nos Procureurs et aux Greffiers, de prendre aucune taxe dans les procès criminels contre les Esclaves, à peine de concussion.

XLII. Pourront pareillement les Maîtres, lorsqu’ils croiront que leurs Esclaves l’auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges, ou de cordes, leur défendant de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres, à peine de confiscation des Esclaves, et d’être procédé contre les Maîtres extraordinairement.

XLIII. Enjoignons à nos Officiers de poursuivre criminellement les Maîtres, ou les Commandeurs qui auront tué un Esclave sous leur puissance, ou sous leur direction, et de punir le Maître selon l’atrocité des circonstances ; et en cas qu’il y ait lieu à l’absolution, permettons à nos Officiers de renvoyer tant les Maîtres que les Commandeurs absous, sans qu’ils aient besoin de nos Grâces.

XLIV. Déclarons les Esclaves être meubles, et comme tels entrer en la Communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, et se partager également entre les cohéritiers sans préciput, ni droit d’aînesse ; n’être sujets au douaire Coutumier, au Retrait Féodal et Lignager, aux Droits Féodaux et Seigneuriaux, aux formalités des Décrets, ni au retranchement des quatre Quints, en cas de disposition à cause de mort, ou testamentaire.

XLV. N’entendons toutefois priver nos Sujets de la faculté de les stipuler propres à leurs personnes et aux leurs de leur côté et ligne, ainsi qu’il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobiliaires.

XLVI. Dans les saisies des Esclaves, seront observées les formes prescrites par nos Ordonnance, et par la Coûtume de Paris pour les saisies des choses mobilliaires. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre de saisies ; et en cas de déconfiture, au sol la livre, après que les dettes privilégié auront été payées ; et généralement que la condition des Esclaves soit réglée en toutes affaires, comme celle des autres choses mobiliaires, aux exceptions suivantes.

XLVII. Ne pourront être saisis et vendus séparément le Mari et la Femme et leurs enfants impuberes, s’ils sont tous sous la puissance d’un même Maître : déclarons nulles les saisies et ventes qui en seront faites, ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sur peine contre ceux qui feront les aliénateurs d’être privés de celui, ou de ceux qu’ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu’ils soient tenus de faire aucun supplément du prix.

XLVIII. Ne pourront aussi les Esclaves, travaillant actuellement dans les Sucreries, Indigoteries et Habitations, âgés de 14 ans et au-dessus, jusqu’à soixante ans, être saisis pour dettes, sinon pour ce qui sera dû du prix de leur achat, ou que la Sucrerie, Indigoterie, Habitation, dans laquelle ils travaillent soit saisie réellement ; défendons, à peine de nullité, de procéder par saisie réelle et adjudication par Décret sur les Sucreries, Indigoteries et Habitations, sans y comprendre les Esclaves de l’âge susdit, et y travaillant actuellement.

XLIX. Les Fermiers Judiciaire des Sucreries, Indigoteries, ou Habitations saisies réellement conjointement avec les Esclaves, sera tenu de payer le prix entier de leur Bail, sans qu’ils puissent compter parmi les fruits et droits de leur Bail qu’ils percevront, les enfants qui seront nés des Esclaves, pendant le cours d’icelui, qui n’y entrent point.

L. Voulons, nonobstant toutes conventions contraires, que nous déclarons nulles, que lesdits enfants appartiennent à la partie saisie, si les créanciers sont satisfaits d’ailleurs, ou à l’Adjudicataire, s’il intervient un Décret ; et qu’à cet effet, mention soit faite dans la dernière affiche, avant l’interposition du Décret, des enfants nés Esclaves depuis la saisie réelle ; que dans la même affiche il soit fait mention des Esclaves décédés depuis la saisie réelle dans laquelle ils étaient compris.

LI. Voulons, pour éviter aux frais et aux longueurs des procédures, que la distribution du prix entier de l’adjudication conjointe des fonds et des Esclaves, et de ce qui proviendra du prix des Baux judiciaires, soit faite entre les créanciers selon l’ordre de leurs privilèges et hypothèques, sans distinguer ce qui est provenu du prix des fonds, d’avec ce qui est pour le prix des Esclaves.

LII. Et néanmoins les droits Féodaux et Seigneuriaux ne seront payés qu’à proportion du prix des fonds.

LIII. Ne seront reçus les Lignagers et Seigneurs Féodaux à retirer les fonds décrétés, s’ils ne retirent les Esclaves vendus conjointement avec fonds ni l’adjudicataire à retenir les Esclaves sans les fonds.

LIV. Enjoignons aux Gardiens Nobles et Bourgeois Usufruitiers, Admodiateurs et autres jouissants des fonds auxquels sont attachés des Esclaves qui y travaillent, de gouverner lesdits Esclaves comme bons pères de famille, sans qu’ils soient tenus, après leur administration, de rendre le prix de ceux qui seront décédés ou diminués par maladie, vieillesse ou autrement, sans leur faute ; et sans qu’ils puissent aussi retenir comme fruits à leur profit les enfants nés desdits Esclaves durant leur administration, lesquels nous voulons être conservés et rendus à ceux qui en feront les maîtres et propriétaires.

LV. Les Maîtres âgés de vingt ans pourront affranchir leurs Esclaves par tous actes vifs ou à cause de mort, sans qu’ils soient tenus de rendre raison de l’affranchissement, ni qu’ils aient besoin d’avis de parents, encore qu’ils soient mineurs de vingt-cinq ans.

LVI. Les Esclaves qui auront été fait légataires universels par leurs maîtres ou nommés exécuteurs de leurs Testaments, ou Tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, et les tenons et réputons pour affranchis.

LVII. Déclarons leurs affranchissements faits dans nos Îles, leur tenir lieu de naissance dans nos Îleset les Esclaves affranchis n’avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels de notre royauté, Terres et Pays de notre obéissance, encore qu’ils soient nés dans les pays étrangers.

LVIII. Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs Veuves et à leurs Enfants ; en sorte que l’injure qu’ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle était faite à une autre personne : les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs personnes, que sur leurs biens et successions, en qualité de Patrons.

LIX. Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres : voulons que le mérite d’une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres Sujets.

LX. Déclarons les confiscations et les amendes qui n’ont point de destination particulière, par ces présentes, nous appartenir, pour être payées à ceux qui sont préposés à la recette de nos revenus. Voulons néanmoins que distraction soit faite du tiers desdites confiscations et amendes au profit de l’Hôpital établi dans l’Île où elles auront été adjugées.

SI DONNONS EN MANDEMENT à nos amés et féaux les Gens tenant notre Conseil Souverain établi à la Martinique, Guadeloupe, Saint Christophe, que ces Présentes ils aient à les faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en icelles, garder et observer de point en point selon leur forme et teneur, sans y contrevenir, ni permettre qu’il y soit contrevenu en quelque sorte et manière que ce soit, nonobstant tous Édits, Déclarations, Arrêts et Usages, auxquels nous avons dérogé et dérogeons par ces dites Présentes. CAR tel est notre plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre Scel. DONNÉ à Versailles, au mois de Mars, l’an de grâce mill six cens quatre-vingt-cinq et de notre Règne le quarante-deuxième.

Signé, LOUIS. Et plus bas : Par le Roi, COLBERT. Visa, LE TELLIER. Et scellé du Grand Sceau de Cire verte en lacs de Soie verte et rouge.

Lu, publié et enregistré le présent Édit, oui et ce requérant le Procureur Général du Roi, pour être exécuté selon la forme et teneur, et fera à la diligence dudit Procureur Général, envoyé copies d’icelui aux Sièges Ressortissant du Conseil, pour y être pareillement lu, publié et enregistré.

Fait et donné au Conseil Souverain de la Côte Saint Domingue, tenu au petit Gouave, le 6 Mai 1687. Signé, MORICEAU.