Sarcelles : Nicolas Rosemain né à Sarcelles
Certains jeunes avaient leur famille dans l’autre quartier et ne pouvaient pas y aller
À une époque, être sarcellois a servi pour draguer ; se dire Sarcellois était aussi une arme. C’est arrivé que l’on aille à la patinoire avec des amis à Franconville et de tomber sur un groupe de jeunes, que ça finisse par se castagner et dès que l’on disait que l’on venait de Sarcelles, ils s’arrêtaient ! La renommée nous a servi à chaque fois pour éviter un certain nombre de problèmes.
Nicolas Rosemain
Je suis né en 1975 à Dugny (93) mais j’ai grandi à Sarcelles, à Lochères, le grand ensemble. Mes parents se sont rencontrés en Martinique, mais ils se sont mariés en France, non pas en France, ils se sont mariés en métropole ! Je fais souvent cette erreur mais c’est dans le langage courant. On essaye de rattraper le truc. Nous sommes français d’origine martiniquaise, on vient de la Martinique, c’est un département. Il n’y a pas de problème. Ils ont d’abord habité Boulogne, puis sont venus à Sarcelles. C’était déjà le grand ensemble.
Profession des parents
Mon père a passé un concours pour entrer à la Poste, où il était fonctionnaire en métropole. Ma mère l’a rejoint et elle a travaillé dans les cuisines, je ne sais pas où exactement, avant de devenir opératrice en montage, chez Porcher (tout ce qui est robinetterie). Elle a payé son billet mais mon père a dû bénéficier de la fonction publique. Ils sont arrivés dans un bâtiment de la Poste à Sarcelles.
Le grand ensemble dans la fin des années 70
Sarcelles pour un enfant, surtout au grand ensemble, il n’y avait pas ce problème de sectorisation des quartiers. On pouvait circuler un peu partout sans avoir de problèmes. On avait toujours des amis à droite, à gauche. On était tous aussi un peu mélangés avec des nationalités différentes. Il n’y avait pas de quartier correspondant à telle nationalité.
Les Sablons, au jour d’aujourd’hui c’est les DOM-TOM ! J’habitais aux Sablons. C’est une longue histoire. Il y a eu beaucoup d’Antillais aux Sablons. Un bâtiment du quartier s’appelle « Afro », avec aussi un bâtiment de la poste où il y a pas mal d’Antillais qui travaillent pour l’administration. Aujourd’hui personne ne se parle, ça a changé. Je suis arrivé à l’époque où il y avait plein d’enfants. C’étaient une vie dans les cages à poules, les tourniquets, les bacs à sable, ce qu’il n’y a plus maintenant. J’ai eu cette chance. Maintenant ce sont d’autres jeux. Il y avait encore pas mal d’espace où l’on pouvait jouer.
La parenté
Si j’ai une parfaite maîtrise du français, c’est dû à mon cursus et à mes parents. Mes parents n’avaient pas fait de longues études. Apprendre à lire et à compter, sans plus. Mon père venait de Ste Anne, toujours en Martinique. Je n’ai pas connu mes grands-parents, aucun des deux. Ils étaient décédés. Je ne sais pas quelle profession ils exerçaient. Je n’ai jamais posé la question, mes parents n’en parlaient pas trop. Ça n’a jamais été un sujet de discussion. C’est vrai que je ne me suis pas intéressé et je n’ai pas posé la question. Ils sont partis très, très jeunes. Ma mère a dû perdre sa mère à l’âge de treize ans, et son père peu de temps après. Mon père c’est la même chose ; mais ils étaient issus d’une famille nombreuse, treize chez mon père et huit chez ma mère. Je n’ai plus d’oncles et tantes en métropole. Ils sont tous retournés en Martinique. Mes parents également sont partis vivre aux Antilles, à la Martinique. C’est pourquoi, j’ai vécu deux ans aux Antilles dans mon parcours.
Nous avons encore toute notre famille là-bas Mes parents sont partis à la retraite. Comme je n’étais pas encore majeur, j’ai dû partir deux ans avec eux. J’ai passé mon bac là-bas. Je suis retourné en Métropole à Sarcelles parce que j’avais ma petite copine. On faisait des allers-retours, ça a tenu deux ans ; je suis retourné à Sarcelles. J’ai fait mes études à la fac de St Denis.
Souvenirs d’enfance
Les Sablons, c’était un quartier bien où il faisait bon vivre. II y avait une bonne ambiance. Je n’ai pas de mauvais souvenirs dans mon enfance, d’avoir vécu des choses dramatiques. Mon enfance, c’est de très bons souvenirs. C’était la fête tous les jours. C’était une vie familiale car tout le monde se connaissait. C’était magnifique !
Il y avait un seul cinéma dont j’ai pu profiter quand j’étais beaucoup plus jeune. Mes premiers Superman. C’était un lieu de rencontre, la sortie du week-end. C’était très bien. Il y a eu des inondations, ils ont fait des travaux mais ça n’a pas tenu. Mais heureusement il y a pas mal d’autres complexes de cinéma autour.
Être ado à Sarcelles
Être ado à Sarcelles n’est pas forcément facile, ça pouvait très, très bien se passer comme ça pouvait très, très vite emprunter le mauvais chemin ! Avec le recul, le sport m’a évité le mauvais chemin. J’ai fait du tennis de table, à « Henri Guigoz » ; ça m’a permis de ne pas traîner et faire les conneries que les copains ont pu faire et qui ont mal tournées. C’est mon vécu. Je sais que ce n’était pas forcément facile, si vous n’aviez pas de sport ou quelque chose qui vous attirait vraiment. Vous pouviez vite dévier. Il suffisait que les parents soient un peu plus relaxes et ça pouvait très mal se terminer.
Règles de vie
Dans la vie d’un immeuble à Sarcelles, il y a quand même un certain nombre de règles de vie à respecter en société. C’est vrai que notre ascenseur, on essaye de pas trop le salir, parce qu’il est emprunté par nos parents, par nous-mêmes. Quand il y avait une fête de prévu, les parents prévenaient, ça se passait généralement très bien. Il y avait un mélange. J’avais des voisins marocains. Je savais que je pouvais aller en face, il y avait des échanges, j’avais des Asiatiques aussi, ça se passait très bien. J’ai bien vécu la vie de l’immeuble. Le hall d’immeuble, j’y récupère mon courrier !
Carte scolaire
Au niveau de la tour où j’habitais aux Sablons, je dépendais de l’école primaire Henri Dunant. Mes parents ne voulaient pas que je sois avec tous les copains de la tour, donc ils ont fait en sorte que j’aille à Pasteur. Après quand il a fallu partir au collège, on m’a expliqué que par rapport à mon adresse, je dépendais d’Anatole France. Mais je ne voulais pas quitter mes copains de classe ! La seule solution pour moi de réussir à aller à Jean Lurçat, était de faire allemand première langue. C’est ce que j’ai fait ! J’ai eu cette chance quand il y a eu les problèmes de quartier entre Coop, Koenig et les Sablons car j’allais à l’école chez eux, même si j’habitais un autre quartier. C’était vraiment des clans tribaux qui n’arrêtaient pas de se taper dessus ! Au niveau de mon collège, les jeunes se tapaient avec le quartier où j’habitais ! On me connaissait dans le collège, donc il n’y avait pas de problèmes, et pourtant j’étais des Sablons. J’ai pu circuler sans problèmes. Le marché était la frontière. Ils pouvaient traverser, mais c’était à leurs risques et périls ! Certains jeunes avaient leur famille dans l’autre quartier ou des cousins, cousines, et ne pouvaient pas y aller !
Loisirs
Ça s’est enchaîné très, très vite, à partir de quinze ans. J’avais ma petite vie de sportif, je faisais mon petit bonhomme de chemin au niveau national. Je n’étais pas à Sarcelles presque tous les week-ends. Pendant les vacances, j’étais en stage donc je n’étais vraiment pas là. Soit j’étais en stage, soit j’étais en Martinique, soit j’étais à Biarritz.
La Martinique
J’allais tous les trois ans en Martinique. On me considérait comme un « négropolitain » ! C’est comme ça que l’on nous surnomme là-bas ! On est considéré come ceux qui ont beaucoup d’argent. C’est vrai qu’au début ils sont un peu froids. Après ça passe. La première année quand j’ai vécu là bas, j’ai été un peu cueilli à froid ! Ça va beaucoup plus lentement. J’étais un peu trop speed pour eux. Déjà ne serait-ce que pour aller à l’école, j’allais beaucoup trop vite pour eux ! Eux c’était vraiment tranquille et puis c’est une autre mentalité, une autre façon de vivre, plus détendue. On me demandait : « t‘es de Sarcelles ? On connaît Sarcelles. On connaît surtout le marché ». Il est très connu au niveau des Antillais. J’avais une certaine fierté d’être de Sarcelles.
La violence
À une époque, être sarcellois a servi pour draguer ; se dire Sarcellois était aussi une arme. C’est arrivé que l’on aille à la patinoire avec des amis à Franconville et de tomber sur un groupe de jeunes, que ça finisse par se castagner et dès que l’on disait que l’on venait de Sarcelles, ils s’arrêtaient ! La renommée nous a servi à chaque fois pour éviter un certain nombre de problèmes. Mais au niveau discipline, au collège, on savait qu’il fallait s’arrêter, parce que ça pouvait prendre des proportions. Heureusement, nous avions les parents derrière, on savait qu’il y avait des limites à ne plus franchir.
Aujourd’hui il n’y a plus de limites. Ne serait-ce que passer en conseil de discipline était quelque chose d’énorme pour nous ! Aujourd’hui, c’est à celui qui se fait le plus renvoyer ! Déjà avec un conseil de discipline, il fallait arrêter le truc. Ils en sont maintenant à cinq, six renvois ! Ils se font renvoyer sept fois dans l’année ! Nous, on n’allait pas à l’exclusion définitive. Il y avait deux ou trois cas, mais aujourd’hui c’est monnaie courante. Par classe, sept ou huit se font virer chaque année. Ils n’ont plus peur de rien ! Personnellement, j’avais peur de mes parents. Ramener une heure de colle était pour moi un problème qu’il fallait éviter, parce que je savais que mes parents étaient derrière !
C’était tout calme Sarcelles au début, puis il y a eu ce film « warriors » (les guerriers de la nuit) qui est passé sur la fameuse 5. Le lendemain je suis sorti et j’ai vu deux petits jeunes en veste de jean coupé, une batte de base-ball, qui reproduisaient un peu ce qu’ils avaient vu la veille. Après, tout a été un enchaînement, la création des bandes ce qui n’existait pas avant, des noms leur ont été donnés. C’était notre ressenti.
Repartir de la Martinique
Je ne voulais pas rester à la Martinique. Je pense que c’est ce qui a fait que j’ai fait ma terminale d’un coup. Je n’ai pas redoublé. J’ai eu mon bac et je suis parti. C’était ça le contrat avec mes parents : « T’as ton bac, tu repars, et on t’aide pour la suite de tes études ». J’ai tout fait pour revenir là. J’aurais pu aller en Guadeloupe, faire des études là-bas, mais j’avais ma copine et tous mes amis encore ici.
Emploi
J’ai été embauché en 1998 comme tous les animateurs, pour un emploi jeune. J’avais travaillé à Paris. Je l’ai pris comme un avantage question transports en commun. C’était un plus de qualité, me retrouver avec des gens que j’allais connaître. C’était excellent. C’est un privilège de travailler là où l’on habite. Nous sommes plusieurs à Sarcelles à travailler là où on a grandi.
Animateur de quartier à Sarcelles
Le travail d’animateur de quartier à Sarcelles a changé. Pendant une période, on a eu une époque avec pas mal de problèmes, des jeunes restaient dans leurs quartiers, dans leurs porches. Ils gênaient les habitants. La municipalité a créé ce que l’on appelle une structure antenne jeune, ce qui a permis de fédérer tous ces jeunes installés dans les porches et de pouvoir les accueillir sur une antenne, un lieu d’accueil. Cela a été une de nos premières missions, enlever les jeunes des porches. Nous sommes allés au-delà de tout ça, avec des activités inter-quartiers, pour décloisonner les quartiers, permettre à des jeunes de différents quartiers de pouvoir se rencontrer au cours d’activités de séjour, de sorties, de tournois de foot. Les porches sont aujourd’hui beaucoup moins utilisés. Bien sûr, on ne peut pas toucher tout le monde. Ceux qui restent encore dans les porches, ce n’est plus de notre ressort.
On oriente aussi beaucoup. On a trouvé du travail et des écoles à pas mal de jeunes. C’est un travail d’éducateur, mais ce n’est pas reconnu comme tel. On le voit sur la fiche de paye ! Les jeunes faisaient un CAP en trois ans, aujourd’hui il y a l’appât du gain et ils veulent avoir de l’argent rapidement. A partir de quinze ans la consommation constituait un véritable danger. Le phénomène se retrouve aujourd’hui à neuf ans. À onze ans ils veulent un portable ! Là-dessus on ne peut rien faire, sinon inculquer ce principe : « voler, ce n’est pas bien. Cela pourrait être aussi bien ta mère qui sorte avec son portable. Des mecs arrivent et lui arrachent. Tu le prendrais comment ? ». A part des exemples comme cela, on essaye de travailler.
A l’école on démontre par A+B, après avec nos termes, et la démo qu’ils peuvent comprendre, on leur dit « tu ne vas pas porter des cartons toute ta vie ! ». Je n’ai rien contre le fait de faire de la manutention, mais quand je sais que le gamin a un petit potentiel, on essaye de trouver quelque chose qu’il aime bien : la mécanique, la pâtisserie. On essaye de l’orienter. Il y a peut-être un truc à faire, un créneau à prendre mais après, chacun a sa méthode et c’est vrai qu’il faut que le petit soit réceptif par rapport…et là c’est autre chose !
Les parents ne nous voient pas. On ne les voit pas. Je suis dans les Sablons mais notre antenne est très mal placée, et là les parents ne vont pas y entrer ! C’est très rare. Par contre, on voit la génération des parents, âgés de trente et quarante cinq ans. Elle a des enfants de dix, onze ans et s’intéressent un peu plus à eux. Mais on ne voit pas les parents de la génération des treize, quatorze, quinze ans et seize ans.
Je suis père de famille. J’ai un fils qui va avoir dix ans. Je m’intéresse à tout ce qu’il fait, quand il a un voyage, etc. Alors que nous, lorsque l’on organise des voyages pour le quinze, dix-sept ans, aucun parent ne vient. À la limite je me demande si ce ne sont pas les enfants qui signent la feuille d’autorisation parentale ! On en a pris au hasard, les parents n’étaient pas au courant qu’ils partaient avec nous, alors que tout était payé ! Les enfants avaient tout fait ! « Mais comment tu l’as payé ? Comment tu as été prendre ton certificat médical ? Qui a signé et ta combinaison de ski qui l’a payée ? », réponse : « Je me suis débrouillé ! ». Il y a des trucs assez hallucinants.
L’âme de Sarcelles
L’âme de Sarcelles, c’est tout ce mélange. À un moment, on a du mal à partir de Sarcelles. On va partir, mais on va y revenir. Il y a un truc invisible qui fait que l’on est raccroché à cette ville et que l’on a du mal à partir ; si on part, on y revient. Si on veut partir quelque part, dans un endroit un peu plus tranquille, mais où ça bouge un peu, pas à la campagne, mais une autre ville, soit c’est beaucoup plus cher, soit il faut retourner dans une cité. Il faut recommencer à zéro. On va se reprendre la tête, parce qu’ils vont essayer de nous tester et on n’a peut-être plus envie de ça. On reste là parce que l’on ne veut pas affronter à nouveau les mêmes problèmes d’intégration, de prouver telle ou telle chose et repartir au charbon.
J’ai cette chance de pouvoir aller m’installer dans n’importe quel quartier, je n’aurai pas de problèmes. J’aurai toujours quelqu’un que je connais, pour faciliter mon intégration dans le quartier. J’emploie le mot intégration par rapport à un quartier.
Sarcelles, c’est une solidarité
Il faut laisser passer une génération de jeunes. C’est elle qui est vraiment dure, dure… C’est très difficile de les intéresser à quelque chose en ce moment. Ils sont dans leur truc. Mais on a remarqué que généralement il y a un déclic, il en suffit d’un qui commence à travailler et ça entraine le groupe.
Sarcelles, c’est une solidarité. Il y a beaucoup de choses à faire. Il y a de très bonnes surprises à avoir. Il ne faut pas avoir peur d’aller au contact des autres Sarcellois, de communiquer et de faire des choses ensemble, monter un projet commun pour qu’ils se rencontrent.
Texte réalisé par Frederic Praud