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LE MAGNIFIQUE DICTATEUR....
samedi 13 juin 2009, par
Extrait
Prologue
Du balcon de la chambre du Dictateur, des fleurs descendent du sept cent soixante-seizième étage et tendent leurs pétales vers la foule. Des gouttes jaunes et vertes gélatineuses dégoulinent de la plante, coulent et se répandent en douceur dans le caniveau. De l’autre côté de la scène, les spectateurs s’agitent. Le Dictateur se tient à sa fenêtre, la seule ouverte sur le monde. Il lève la main et envoie des baisers vers l’horizon.
Ici, rien n’est assez beau. Depuis l’arrivée du Dictateur, il règne un sentiment de gaieté et de fierté.
Une nouvelle ère commence : le Dictateur a de la prestance, son sourire charme les spectateurs, sa détermination est une leçon de courage et ne parlons pas de son programme ! Il est élu ! Le Dictateur chante la liberté.
Jean, le plus grand comédien de tous les temps, et par la même occasion le plus fauché parmi tous ses confrères, accompagné de sa maigre troupe, assure le spectacle.
Petit et habile, Jean incarne le rôle du Dictateur, tandis que la ravissante Natacha, la seule comédienne de la troupe, joue celui de Pépète. Élégante, elle porte un ensemble en soie couleur crème, dont le chemisier est finement brodé. Ses cheveux châtains sont rassemblés sur sa nuque, et quelques mèches tombent le long de son cou.
Dans l’arrière-scène, le divin Max, un œil sur le spectacle, mémorise ses répliques et prépare son entrée.
En face, enthousiaste, la foule s’apprête à savourer un moment délicieux et d’enfer.
Extrait -
La scène se déroule au palais.
Acte I
Vêtu de son costume royal, l’acteur principal descend quelques marches et entre en scène. Le décor est majestueux : les murs sont ornés de traits dorés, de magnifiques tableaux sont accrochés aux murs et une moquette rouge recouvre le sol. Sous la lumière des lustres, les rideaux en velours rouge encadrent les portes-fenêtres. À gauche de la scène, un gramophone d’époque est posé sur un petit guéridon entre un fauteuil et une chaise.
LE DICTATEUR : Alors, ma chère, avez-vous cousu mon mouchoir ?
PÉPÈTE : Non, Sire, puisqu’à notre époque, il existe des mouchoirs jetables en soie.
LE DICTATEUR : Vraiment ?! Le royaume est donc prospère !
PÉPÈTE : Évidemment ! Ils sont en vente libre partout dans notre pays. D’ailleurs, j’en ai commandé mille deux cent soixante et une boîtes. Pour éviter le moindre gâchis, j’ai prévu d’utiliser le restant pour nettoyer le sol du palais.
LE DICTATEUR : Bien, et bravo pour votre précision, sans oublier votre sens du devoir envers moi et mon peuple.
PÉPÈTE : Il n’y a pas de plus grand honneur que de vous servir, Sire.
LE DICTATEUR, en s’installant dans son fauteuil : Dites, ma chère Pépète, quoi de neuf ?
PÉPÈTE : J’ai entendu dire qu’en province, on manque de respect et d’enthousiasme à votre égard ainsi qu’envers vos lois votées sans hésitation.
LE DICTATEUR : Ce n’est pas possible ! Comment de pareils crimes peuvent-ils rester impunis ? Qui est le responsable de ce délit abominable ?
PÉPÈTE : Rassurez-vous, rien de grave. Ce sont encore ce Léo et ses amis !
LE DICTATEUR : Même ce nom présage le malheur ! Désormais, telle est ma décision : tous les Léo devront s’appeler Léa.
PÉPÈTE : Mais, majesté, des milliers de personnes portent ce prénom. Par ailleurs, je ne crois pas que tous ces hommes seront d’accord pour qu’on les affuble d’un prénom féminin, aussi joli soit-il !
LE DICTATEUR, intrigué : Je me demande qui a pu choisir un prénom aussi ridicule ?
PÉPÈTE : C’est votre prédécesseur, Sire.
LE DICTATEUR, à voix basse : Dans ce cas, je suis content qu’il soit mort.
PÉPÈTE : Oui, Sire ! Quelle terrible tragédie ! Nous avons subi une vraie perte et vécu un immense chagrin ! Je dois vous rappeler que c’est vous-même qui avez découvert son corps inanimé, étouffé dans son lit ! C’était votre père, celui-là même qui a choisi le prénom de Léo pour le donner à votre fils bien-aimé.
LE DICTATEUR, d’un air tragique, tout en se levant : Le souvenir du passé vient de commettre un nouveau crime ! Il émerge à la surface et nous frappe durement. Sans pitié ! (Un moment de silence, puis continuant sur un autre ton.) Puisque la souffrance est la rançon du pardon et qu’il faut bien régler ses dettes, Léo doit subir un désaveu de notre part. Quant à ses amis, ils seront sévèrement châtiés.
PÉPÈTE : Mais, Sire, c’est votre fils naturel,l. et i Il ne porte même pas votre nom et ne présente aucune menace. Quant à ses amis, ce sont vos nouveaux alliés. Comme vous le dites bien souvent : « Lorsqu’on n’arrive pas à tuer un gros serpent, il vaut mieux savoir s’en servir. »
LE DICTATEUR, épaté et étonné à la fois : C’est vrai ?! Sont-ce vraiment mes propres paroles ? En êtes-vous certaine, ma petite Pépète ?
PÉPÈTE : Absolument, Sire.
LE DICTATEUR : C’est grandiose, comme je suis intelligent ! Je suis presque pétrifié par mon propre talent. Désormais, je suis convaincu que le chemin de la splendeur est tout tracé devant moi. Quelle bénédiction pour ce siècle que je sois né et élu !
PÉPÈTE : Sire, ce matin, à huit heures quarante-six minutes et soixante-sept secondes, l’opposition sera au palais, nous attendons vos directives.
LE DICTATEUR : Vous avez bien dit : « huit heures quarante-six minutes et soixante-sept secondes » ! Il y a certainement une erreur dans l’heure !
PÉPÈTE : Non, Sire. Selon vos indications, pour ne pas abuser du précieux temps du palais, j’ai dû allonger l’espace-temps.
LE DICTATEUR : Bravo, ma Pépète ! ...