Le débarquement eut lieu le jour de mon Certificat d’Etudes
Mr Clouard né en 1930 à Paris
texte Frederic Praud
Je suis né en 1930 à Paris, gare de l’Est. Mes parents habitaient dans le 13ème dans les premiers HLM, des maisons neuves… avec des cabinets mais pas de salle de bain. Nous avions l’eau courante et le chauffage individuel.
C’était une vie de famille : le dimanche, on allait chez les uns, chez les autres… Une tante et un oncle habitaient à Vincennes. On y partait à pied quand il faisait beau. On traversait le bois de Vincennes jusqu’au château puis on revenait de la même manière. C’étaient nos sorties : chez l’un, chez l’autre ou alors au patronage religieux.
On n’a pas vu la guerre venir. Quand ma grand-mère a été malade, on l’a gardée. Mon frère s’est engagé dans la marine. Il a fait ses classes à Orly où il y avait une base militaire.
La montée du conflit
Des Sénégalais étaient installés dans les forts autour de Paris. Un ami en a ramené à la maison. On les embrassait comme des parents. Ils étaient bien. Là, nous nous sommes dits : « Tiens, c’est marrant, ça change un peu. »
La mobilisation générale était annoncée. Des gars sont arrivés. On a vu des troupes passer sur le boulevard et partir à la gare pour embarquer. Puis, dès le début de la guerre, mon père nous a envoyés dans la maison de ma grand-mère dans l’Yonne. Nous y sommes partis en 1939 avant l’exode. Je suis allé à l’école là-bas pendant un an.
Le début de la guerre
Dans les maisons, il fallait cacher les vitres, fermer les fenêtres… Si on voyait un petit trait de lumière, nous avions droit à un coup de sifflet.
Je n’ai pas vu les bombardements à Paris en 1939 puisque j’étais parti. Mon père était avec mon frère (marin). Ils venaient coucher la nuit à la maison. Nous, nous étions dans l’Yonne en pleine campagne. Nous n’avions pas de poste radio donc pas de nouvelles, que des lettres. On ne se rendait donc compte de rien. Nous avons su en mai 1940 qu’on reculait et que les Allemands avançaient
Nous sommes alors partis trois jours en exode. Mon père est venu nous rejoindre. Il travaillait à la Banque de France qui déménageait sans savoir où elle partait. Quand la direction de la banque a pris la décision de vider les coffres, mon père a dit : « Moi, je vous quitte. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu ma famille. » Il est venu à Montargis, à côté de Joigny et il est resté avec nous.
Nous sommes allés voir un fermier qui avait des chevaux. Ils ont chargé une voiture à cheval de fourrage, une autre voiture avec des paquets, une autre avec des enfants et des personnes et nous sommes partis… trois jours. Nous n’avons même pas quitté le département de l’Yonne ! Les Allemands nous ont rattrapés et nous avons dû revenir sur nos pas… Nous sommes remontés sur Paris bien après. Nous n’avions pas de restriction au début de la guerre. Il y avait encore à manger.
L’occupation au quotidien
Les Allemands avaient barré les rues tout autour de la porte d’Ivry où nous habitions. Aucune circulation n’était autorisée. Un monsieur, qui conduisait une voiture à cheval, venait tous les jours pour m’emmener à l’école.
S’il était du bon côté de la rue, il m’emmenait en direction de l’école, s’il était du mauvais côté, je partais à pied ! Je traversais la zone des romanichels, avec leurs roulottes, qui étaient tout autour de Paris, puis les jardins. Les Allemands ont rasé tout ça ! Ils ont éliminé toutes les roulottes ! Ils venaient alors faire leurs exercices dans le terrain vague là, et nous n’avions plus le droit de passer. Alors, il fallait faire des grands détours !
La grosse kommandantur de Paris était place de l’Opéra, là où il y a maintenant une banque, au coin de la rue du Quatre Septembre et de l’avenue de l’Opéra. On n’avait pas le droit de passer par là ! On ne pouvait pas non plus passer devant les grands hôtels rue de Rivoli, et c’était la même chose place de la Concorde.
Comme j’habitais dans le 13ème, j’allais au cinéma à Ivry. Il n’y en avait qu’un ! Sinon, il fallait aller place d’Italie… De temps en temps, nous allions jusque dans le bois de Vincennes en famille, pour dire « On va respirer un petit peu d’air ». On ne partait pas en congés. On restait chez nous. Même pour les vacances scolaires, on ne partait pas.
Le couvre-feu
Nous avions assisté à un gala avec mon frère. Ayant loupé la correspondance du métro, nous sommes allés directement de l’Opéra jusqu’à la porte d’Ivry, à pied, en longeant les murs parce c’était le couvre-feu. On a rencontré des agents qui nous ont braqué leurs lumières. Lorsqu’ils ont vu que nous n’étions que des gosses, alors ils nous ont averti : « Dépêchez-vous de rentrer chez vous ! » On devait être à cinq cents mètres de la maison quand on les a rencontrés. Mais chacun de nous a eu très peur d’être arrêté. On disait qu’ils faisaient cirer leurs bottes par les gosses qu’ils prenaient.
Le débarquement en Algérie
J’ai entendu parler du débarquement en Algérie car mon frère était dans la marine à Toulon. Quand les Américains ont débarqué en Algérie, la France était encore une puissance militaire navale assez importante. Toute la flotte française mouillait à Toulon, là où elle s’est sabordée pour éviter que les Allemands ne récupèrent les bateaux. On l’a su et mon père et ma mère m’ont dit : « Mais ton frère, est-ce qu’il va revenir ? Est-ce qu’il est mort ? »…
Darlan est parti en Afrique du Nord pour représenter Pétain au moment du débarquement, les bateaux de la marine à Toulon étaient sous pression. Darlan n’avait qu’à dire : « On s’en va », et tous les bateaux seraient partis. Mais il n’a pas voulu, alors ils ont baissé les feux.
Il y avait trois zones en France au début : la zone nord occupée par les Allemands, la zone sud sous le gouvernement de Vichy, l’Alsace-Lorraine et tout le nord de la France qui était sous la domination du régime allemand de Belgique. Mais quand les Américains, les Anglais, les Canadiens, toutes les troupes alliées, ont débarqué en Afrique du Nord, les Allemands ont envahi ce qu’on appelait la zone libre. Il n’y avait plus de zone. C’est comme ça que nous avons su pour le débarquement en Algérie. Nous nous sommes dits : « Tiens, ça y est ! ». Puis mon frère et les autres ont été démobilisés. Il a commencé à retravailler sur Paris chez Jacquin, une chocolaterie. Pas longtemps, car les Allemands sont venus le chercher pour le STO mais, il a réussi à leur échapper. C’est ainsi qu’il s’est engagé dans la gendarmerie maritime qui existait encore, et qu’il s’est retrouvé dans le Lot. Là-bas, il a fait de la résistance. Il est parti dans le maquis, puis il a participé à toute la libération du Sud-ouest et enfin, il est remonté jusqu’à Paris.
La déportation
Nous avions des amis juifs dans la maison. Ils ont porté l’étoile, alors que de l’autre côté de chez nous une femme a été rasée après la Libération. C’était terrible ! Il y avait la famille juive, des amis d’un côté, elle de l’autre, et nous au milieu. Nous avons eu peur qu’elle les dénonce, surtout que des Allemands venaient chez elle…
On voyait des gens avec les étoiles, mais on n’en savait pas la signification. Étant dans une école libre, on avait quand même une notion : « Tiens, ce sont des juifs. Ce sont des pauvres malheureux ! Il faut qu’ils se baladent avec ça. Heureusement que nous catholiques, on ne se promène pas avec une grande croix ! » Ils auraient pu nous en faire porter une ! Ils ont emmené les tableaux, les meubles, tout ce qui appartenait aux juifs. Quand les Allemands sont partis, on voyait les camions chargés de meubles.
Les gens ne savaient pas pourquoi ils étaient arrêtés, mais ils ne sont pas les seuls à avoir été arrêtés ! Il y a eu de tout : des Français, des résistants, des Tziganes… On a su qui étaient les déportés quand ils ont libéré les camps. Ils portaient leurs tenues rayées mais derrière ils avaient un triangle rose s’ils étaient homosexuels, jaune si c’était ceci, blanc si c’était autre chose. On les avait classés comme ça.
J’ai fait ma demande pour rentrer à la Banque de France à quatorze ans, en 1944, un peu avant la Libération et avant de sortir de l’école. Mais quand j’ai fait ma demande, mes parents et moi avons dû signer un papier comme quoi nous n’étions pas juifs. Mon père travaillait déjà là ! Ils le connaissaient, mais il a fallu qu’on signe ce papier. J’ai travaillé boulevard Raspail, face à l’hôtel Lutecia qui avait été réquisitionné pour l’arrivée des déportés. Au début, il avait été occupé par les Allemands, puis après la libération des camps, il a été réservé aux déportés. Nous étions là et sitôt qu’on voyait un convoi de bus, on était tous aux fenêtres pour les voir arriver.
On voyait des gars avec leurs bombes pour tuer les microbes… et des gens qui étaient là pour savoir s’ils étaient de leur famille. Le boulevard était bloqué. Il fallait que la police ouvre la marche du convoi pour les faire descendre.
Nous n’avons connu l’existence des camps de concentration seulement quand les Américains ou les Russes ont libéré les camps. On ne le savait pas encore à la Libération …
Le débarquement
Le jour du débarquement fut également pour moi le jour de mon certificat d’études. La première chose que l’on nous a apprise quand nous sommes rentrés dans les classes, c’était « En cas d’alerte, vous suivez le professeur ». Le certificat d’études a été coupé à moitié : nous n’avons pas eu de chant, pas d’oral… Nous avions passé le français, l’arithmétique, la dictée, la conjugaison, et à midi on nous a dit : « Maintenant vous êtes libres ! Vous aurez les résultats ce soir. On va les corriger tout de suite. ». Et là, on a appris que les Alliés avaient débarqué. On entendait des avions… mais cela ne nous a pas tellement changés.
Nous avions des terrasses sur les maisons et un peu après le débarquement, ils y ont mis des canons anti-aériens. Les établissements Panhard n’étaient pas loin. On a commencé à se dire : « Si les Américains viennent bombarder Panhard et qu’ils se mettent à tirer de là-haut, on pourrait peut-être voir nos maisons s’écrouler ! » Alors là, nous descendions dans la cave… parce qu’avec les Allemands là-haut…
Nous n’étions pas loin du chemin de fer. Une matinée, un train de munitions était garé et d’un seul coup, nous avons vu les Américains arriver pour le mitrailler. Ils l’ont loupé. C’est une chance parce qu’on aurait sauté !
Les Allemands avant la Libération
Dans l’attitude des Allemands, on sentait qu’ils savaient que c’était la fin. Ils étaient mauvais. On les voyait quand même reculer dans Paris. On les voyait passer… Certains repartaient sur le front et d’autres revenaient.
La Libération
Ils avaient décrété la grève générale à la Libération. Il n’y avait plus rien : ni cheminot, ni train, ni métro… Nous habitions toujours à la porte d’Ivry. D’un seul coup, on nous a annoncé : « Ils arrivent ». La Résistance avait monté des barrages autour de Paris, mais il y avait une caserne de pompiers dans la rue Nationale. Ils avaient donc laissé un passage dans la rue pour pouvoir venir au centre d’incendie. Là, nous avons vu les premiers chars Leclerc du régiment du Tchad rentrer pour aller à l’Hôtel de Ville. La police, les motards les ont même conduits jusqu’à la mairie. Ils sont passés d’un côté. Quand on les a vus, tout le monde s’est précipité : « Les Américains ! ». Manque de pot, plus bas, des Allemands remontaient avec des tanks. Nous étions dans notre maison, quand un éclat de balle a traversé. Un bidon d’encre l’a arrêté… mais, ça a cassé les deux pieds du petit buffet dans la maison. Des gens sont restés pour aider à remonter le barrage.
Les Alliés sont arrivés à la porte d’Italie le lendemain. Il y en avait de partout ! Mais il fallait quand même se cacher car les Allemands continuaient encore de bombarder…
Nous sommes allés acclamer les Alliés. On ramassait des chewing-gums, des bonbons… Mais les enfants ne restaient pas sur les barricades. Plus tard, le génie est d’ailleurs venu avec des bulldozers pour casser les barricades, dégager et refaire les routes. Le lendemain nous sommes tous retournés dans les rues.
A la Libération, la banque a appelé mon père par téléphone – parce que les téléphones n’avaient pas été coupés, pas plus que l’électricité ou le gaz d’ailleurs– pour qu’il vienne de la porte d’Ivry jusqu’au boulevard Raspail mettre des drapeaux tricolores sur la Banque de France, tout ça pour pavoiser !
De Gaulle est arrivé à Paris et tout le monde était là pour l’acclamer quand bien même il y avait encore des coups de feux et des miliciens. Le soir, il y a eu les premiers bals. « Paris est libéré ! » Toutes les cloches se sont mises à sonner ! …partout dans le monde… aussi bien au Brésil qu’aux Etats-Unis, partout…
Le 8 mai 1945, le jour de la signature, les banques travaillaient le matin. On nous a dit : « On ferme à midi. » Il fallait qu’on fasse toute la comptabilité, ce qui était normal, mais j’avais quand même hâte de rentrer pour m’amuser.
L’après Libération
J’ai commencé à travailler en janvier 1945. Je travaillais donc au moment de l’armistice. On commençait de bonne heure à cette époque, puisque je n’avais que quatorze ans. Mon père m’a dit : « Tu rentres à la banque et puis c’est tout ». Et on obéissait. J’y suis rentré comme groom et j’ai fini de travailler en 1998. J’y ai fait toute ma carrière : quarante-trois ans.
La Libération, c’était un peu la liberté. Des cinémas se sont rouverts avec des films américains ! Avant, si j’avais rencontré quelqu’un dans la rue, on aurait évité de parler car quelqu’un aurait pu passer, écouter et nous aurions pu nous faire arrêter…
Message aux jeunes
Aujourd’hui, après cette guerre, on se sent mieux. Mais qu’est-ce qu’on entend dès qu’on allume le poste ? Eh bien, « Il y a eu un attentat là, il y a ceci, cela » C’est tout le temps pareil, Il faudrait que les jeunes s’entendent déjà entre eux, entre copains… qu’ils s’entendent bien et même qu’ils s’aident. Mais c’est dur. C’est très dur. Quand on voit les bagarres entre religions, entre quartiers, entre bandes.... Ça fait mal.