Sarcelles : Zico Cap né en 1981
« des conseillers de désorientation ». Je voulais faire du dessin et ils m’ont mis en truc technique !
L’album 95200 de Ministère A.M.E.R était le seul truc que l’on écoutait et que l’on comprenait
Nous sortions de Sarcelles le weekend. J’allais à Paris sur les Champs-Elysées. C’était choc ! Les filles de là-bas, elles kiffaient les banlieusards ! Les mecs avaient une petite rage ! Ça m’a beaucoup appris. J’ai vu comment c’était en dehors de Sarcelles. Les week-ends on allait à Paris à plusieurs, parce qu’il y avait des embrouilles et il ne fallait pas que tout s’ajoute. Pour prendre le train tout seul, soit vous étiez armé, soit vous étiez à dix ! Je vous parle de l’an 2000 ! Ça s’est beaucoup calmé. Un jour, à la gare, un mec a fait l’erreur de se promener tout seul, il avait cherché des problèmes. Il a vu les mecs lui arriver en face. Ils l’ont frappé. Il a perdu l’usage d’un œil. Il était dans les histoires. Il n’aurait pas été tout seul, ça ne serait peut-être pas arrivé ! Il aurait pu se débattre, mais là il était tout seul. Il se met dans les trucs. Il n’a pas assumé.
ZICO CAP
Je suis né en 1981 à Paris 18e. Je suis le troisième dans la famille. Mes parents ont dû arriver avant, puisque mon grand frère, qui a six ans de plus que moi, est né en France. Tous mes frères sont nés en France.
Des origines Cap-Verdiennes
Mon père a été marin et a habité à Rotterdam en Hollande avant de venir ici. Il est originaire du Cap-Vert, anciennement colonie portugaise, aujourd’hui indépendante. Il a rencontré ma mère au Cap-Vert. Ils sont venus en France à Paris pour le travail. On n’a pas parlé plus que ça.
Ma mère a fait des ménages et du repassage chez des personnes un peu plus riches à Paris. Mon père était menuisier dès qu’il est arrivé en France. Il est resté longtemps dans la même boîte, dix ans. Après il a changé, mais à chaque fois pour longtemps. On était à Charcot. On est arrivé aux Chardo, j’avais trois ans, dans les années 80.
Nous aussi, on avait choisi Sarcelles parce que l’on y a de la famille. Il y a une toute petite communauté Cap-Verdienne. Je ne suis même pas allé au Cap-Vert. Mes parents ne voulaient pas envoyer un seul enfant. Soit tout le monde y va, soit personne n’y va !
La musique pour s’exprimer
J’ai commencé en 1998, j’avais quatorze ans. J’ai toujours cherché la musique. J’étais tout petit. Dans ma famille, il y a beaucoup de musiciens : guitariste, batteur, chanteur. J’ai des cousines qui chantent, des oncles. Mes parents connaissent Cesaria Evora au Cap-Vert…
L’album 95200 de Ministère A.M.E.R était le seul truc que l’on écoutait et que l’on comprenait. On savait de quoi ils parlaient, parce qu’ils parlaient de la vie. C’était la vie d’ici. Ça nous touchait. Ça nous concernait. On savait ce qu’ils disaient parce qu’on le vivait tous les jours. On écrivait sur le quotidien, les bons moments comme les moments les plus galères ! Ça pouvait être des trucs festifs. J’étais fort dans ce qui était français. Je pouvais écrire des pages et des pages. On te donne un thème, après c’est à toi d’écrire thèse, antithèse, synthèse ! Et toi t’as le droit de t’exprimer ! A partir de ce moment là, on peut mettre ça sur instrumental. Je suis auteur interprète. J’avais des cassettes avec des morceaux et ensuite juste l’instrumental. Seulement pour que les jeunes puissent rapper dessus, s’entrainer !
Au début j’avais du mal à être dans les temps, mais ça se travaille. J’enregistrais sur K7 magnétophone. Il y avait un lieu, mais c’était pour les enfants. A l’époque on n’enregistrait pas énormément. Quand tu as douze ans, que tu viens et que tu dis : « je veux rapper », à treize ou même quatorze ans, tu es un petit, les autres n’ont pas envie de te calculer.
On a eu des critiques. Aujourd’hui ça me fait rire, parce que les gens qui nous voyaient et ne croyaient vraiment pas en nous, nous soutiennent maintenant. Ils nous encouragent. C’est déjà une étape, mais une bonne étape où je voulais arriver.
Rêves d’ado
A treize, quatorze ans, je ne voulais pas être pompier ou policier. Ça c’est sûr ! Je voulais être dessinateur. A partir du moment où j’ai écrit mon premier texte, je n’ai presque plus dessiné. Je passais mon temps à écrire. J’ai des cahiers remplis de textes, des trucs qui ne veulent rien dire.
Il n’y avait pas de rêve d’aller à l’extérieur, d’être reconnu. C’était pour s’amuser. On mettait notre magnétophone, on rappait et puis on rigolait. C’était entre nous. On n’était pas prêt à envoyer tout ça à des maisons de disques, d’aller faire une démarche ou quoi que ce soit. On était conscient que seul le travail nous amènerait à faire quelque chose avec ce que l’on faisait. Après on commence à croire en nous, on commence à se montrer, on produit, on évolue avec l’âge. Petit à petit ça vient, mais au début on ne pense pas à s’exporter. Les gens ne savaient pas forcément. J’écrivais parce que j’en avais envie.
La bagarre pour s’imposer
A l’école, on s’imposait. C’était la bagarre. Il ne fallait pas se laisser faire ! Les mots, c’étaient des trucs de bagarre ! Ils n’ont pas plus de poids qu’un coup de sac. L’action parle plus que les mots ! Les dessins animés qu’ont les petits en sortant de l’école, c’est lourd. C’était surréaliste par rapport au quotidien. Les petits jouent, rigolent, nous ce n’était pas comme ça. Un petit qui se laisse faire, se laissera faire aussi après quand il sera grand. Si tu ne te débrouilles par toi-même, c’est là que tu apprends à résoudre tes problèmes et à t’émanciper, comme on dit. Si j’avais le choix de revenir en arrière, je continuerais l’école, parce que je sais l’importance que cela a. Mais quand tu es petit, si tu veux que les gens s’intéressent à toi, il faut que tu te battes avec, même si ce n’est pas toi le plus fort. Il faut que les gens sachent que tu es capable d’aller te battre ! Voilà c’est comme ça !
Orientation
A la fin de la troisième nous avions des conseillers pour nous aider. Comme ils disent, « des conseillers de désorientation ». Je voulais faire du dessin et ils m’ont mis en truc technique ! Ils se focalisaient sur ce que serait l’avenir, soi-disant : « Tu vas aller dans le commercial ! Vas dans le technique ! C’est là que tu auras du taf et tout ! ». Les commerciaux sont en train de faire du genre et de l’argent !
Le lycée, un mélange de quartiers
Le lycée, c’est tout Sarcelles. C’est vraiment la fosse ! A la Tourelle, on se mélange avec tout le monde. Là il n’y a que des mecs, et Rousseau est juste en face pour aller voir les filles. Il y a beaucoup d’altercations pendant la pause. Il y avait des conflits bien avant que je ne sois là. C’était plus entre quartiers. On est tous obligés de se côtoyer. Si un mec ne vous aime pas, vous allez tout de suite le ressentir et voilà, les autres sont là. Chacun traîne dans son coin ; à Rousseau c’était pareil, chaque quartier entre eux.
Sortir à Paris
Nous sortions de Sarcelles le weekend. J’allais à Paris sur les Champs-Elysées. C’était choc ! Les filles de là-bas, elles kiffaient les banlieusards ! Les mecs avaient une petite rage ! Ça m’a beaucoup appris. J’ai vu comment c’était en dehors de Sarcelles. Les week-ends on allait à Paris à plusieurs, parce qu’il y avait des embrouilles et il ne fallait pas que tout s’ajoute. Pour prendre le train tout seul, soit vous étiez armé, soit vous étiez à dix ! Je vous parle de l’an 2000 ! Ça s’est beaucoup calmé. Un jour, à la gare, un mec a fait l’erreur de se promener tout seul, il avait cherché des problèmes. Il a vu les mecs lui arriver en face. Ils l’ont frappé. Il a perdu l’usage d’un œil. Il était dans les histoires. Il n’aurait pas été tout seul, ça ne serait peut-être pas arrivé ! Il aurait pu se débattre, mais là il était tout seul. Il se met dans les trucs. Il n’a pas assumé.
Nous n’étions pas encore ensemble dans le collectif Connexion Impossible. C’était chacun de son côté. Je sortais très peu en dehors de la région parisienne. On n’allait nulle part. On est allé quatre jours à New-York avec la mairie en 1998.
Les jobs et la musique
Je suis resté trois ans au Mac Do, jusqu’à vingt ans. Après je suis parti. J’ai fait bagagiste six mois. J’ai fait sécurité, sureté, chauffeur-livreur… Sarcelles, on n’en parlait pas trop pendant les entretiens. Mais je sais que certains se sont bien passés et je n’ai pas été pris dans le travail... Le dernier truc que j’ai fait était chauffeur-livreur. Il y a des périodes où je ne travaille pas, où je ne fais que de la musique. Autrement je travaille, je mets de l’argent de côté. J’écris et je rappe. Je suis auteur et interprète. J’essaye de sortir des albums, de participer à plusieurs aventures. J’ai fait pas mal de compilations. En ce moment, je ne fais que de la musique.
J’ai fait mon BTS à la Tourelle. Une fois sorti de l’école, je faisais du son, mais je me suis dit : « Il faut que je me donne un travail. Il faut de l’argent ». Je me suis donné un certain laps de temps. J’ai galéré quatre, cinq mois. Je passais des entretiens jusqu’à Créteil. Ça se passait bien, moins bien… Je prenais ça comme un plus, parce que à force de rester dans le quartier, on avait un certain langage, c’est un peu galère pour s’exprimer pendant les entretiens. Je me perfectionnais, ça m’apprenait à ne pas faire deux fois la même erreur. Dans un de mes derniers entretiens, j’ai scratché comme les DJ ; je suis passé avec quelqu’un d’assez cool, donc je suis resté ; ça fait deux ans, dans un laboratoire d’optique. Je fais fabrication et contrôle qualité de lentilles de contact. Ça sortait aussi un peu de l’ordinaire. J’ai aussi fait des emplois saisonniers, l’aéroport est juste à côté. Mais les gens ici sont trop chiants. Tous les aéroports, les villes d’à côté elles en profitent. C’est bien pour une certaine période.
La coupe du Monde 98
En 98 pendant la coupe du Monde, c’était le bordel dans tout Sarcelles ! Ce jour-là, c’était la France, il n’y avait pas de différences. Il y avait seulement trois couleurs le bleu, le blanc, le rouge. On était tous d’accord ! Après la routine a repris. On était content. Des gens avaient une certaine méfiance : « ça ressemble pas une équipe de France, ça ! ». Mais comme l’équipe de France a gagné, alors on était français. Beaucoup de faux-culs ne disent pas ce qu’ils pensent et ne pensent pas ce qu’ils disent.
Moi, je ne suis pas trop foot et je ne suis pas allé sur les champs. Mais moi aussi j’étais au quartier. C’était aussi le bordel ! Je ne voulais pas me risquer à aller sur les champs. On allait voir tous les matchs sur l’écran géant du Champ de Mars. Tous les soirs. En 2006, on est allé en finale. Quand on a perdu… il n’y avait pas un bruit dehors !
Festival hip-hop
Lors du festival hip-hop en 2005, la population de Sarcelles était sortie. J’avais participé. Tous les quartiers étaient là. Ça a mal fini. Il y a eu des bagarres au couteau. A Sarcelles, ils ont vraiment une sale mentalité ! Nous sommes allés faire un concert à St Denis, les gens sont vraiment hip hop. Ils respectent la culture et ne sont pas là pour foutre la merde. A Sarcelles, ils ont beau aimer le truc, ils sont obligés de foutre la merde ! Les Sarcellois foutent la merde. Il y a tellement peu de choses, que lorsqu’il y en a une, ils sont obligés de se faire remarquer !
Le studio de Sarcelles
On a enregistré quelques morceaux au studio de Sarcelles. C’est le studio de la mairie. C’est de la merde leur truc ! Ça ouvre de quatorze à dix-huit heures, sauf le samedi. Moi je travaille de quatorze à dix-huit heures ! Au début ils ont dit : « on paye deux euros de l’heure », un mois après c’est passé à trois euros cinquante, l’année prochaine ça sera dix euros ! Ce n’est pas normal ! On ne demande rien à personne. On sort le truc, le cd, tout seul ! On parle de nous dans les journaux. On fait un travail indépendant. On montre que l’on en veut, mais on ne nous donne pas l’appui !
Là, on a eu l’appui, par rapport à l’article du parisien. On a eu la salle le 1er juillet à Sarcelles. Mais, autrement, « débrouillez-vous ! Occupez-vous de la sécurité, des flyers » ! Une manière comme une autre de partir au casse-pipe et de ne pas avoir la salle la prochaine fois ! Maintenant, nous, on se connaît, on sait comment on fait nos affaires, on est plus carrés que ça. On sait ce que l’on fait !
Rencontre, Connexion
Vous habitez dans un quartier, forcément vous connaissez les deux qui sont dans le rap. Chacun avait ça dans sa tête depuis longtemps. Chacun rappait de son côté, écrivait, composait. Chacun a imaginé une fois : « on se regroupe et tout : Connexion impossible » ! On n’est pas tous de la même génération. De dix-neuf à vingt-huit ans. On n’a pas tous le même âge. On n’a pas fréquenté les mêmes écoles, certains sont arrivés après. Mais si on fait du son dans le même quartier, je vais entendre parler de lui, il va entendre parler de moi. Quand on parlait de rap, on voyait toujours les mêmes. On se côtoyait par petits groupes. On a appris à écouter chaque flow, chaque diversité. Des gens travaillent avec moi et travaillent avec eux. Donc ça fait une connexion. On a tous quelque chose de complémentaire dans le collectif. On l’a pas formulé comme ça, parce qu’on ne veut pas, on est !
Au niveau des textes, on parle un peu moins de politique, mais on écoute plus le son. Je ne suis pas un rappeur, je suis un compositeur. Si c’est bien dit, bien formulé, ça fait bouger la tête. Il y en a pour tous les goûts, pout tout le monde. Il y a neuf rappeurs et trois compositeurs… A Sarcelles, l’avantage, les gens te mettent la pression ! Des gens à la mairie m’ont dit : « vous voulez quelque chose, venez à quinze, vous aurez tout ce que vous voulez ! Mettez-leur la pression ! ». Plus tu fais du bruit, plus tu fais le méchant, « on va tout casser ! ». Si tu n’as pas ce discours là, on ne t’aide pas. C’est pour cela que l’on ne nous aide pas, parce qu’on n’agit pas comme ça ! Les gens qui ont ce discours là sont beaucoup plus aidés que nous. Nous on fait ça parce qu’on aime faire ça !
L’âme de Sarcelles
L’âme de Sarcelles, c’est la musique, parce que beaucoup de gens fait de la musique, de la danse, du rap. À ce niveau là, on est chargé ! On aimerait bien que les gens fassent comme nous, qu’ils se connectent entre eux.
Message à la Mairie
Il faudrait à Sarcelles des studios un peu plus carrés où l’on puisse enregistrer ! Il y a deux semaines on est allé à Grigny dans le 91. L’immense studio de la mairie ! Il y a deux studios d’enregistrement ! Des salles de répétitions partout ! Quand tu rentres là dedans, les gars sont en train de répéter. Ils ont de quoi faire ! Ils ont cet argent sous la main, ils vont y aller ! C’est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Des gens sont payés pour être là !
Il faut avancer avec nous parce que nous, on y croit. Notre premier concert, on a été aidé par la mairie de St Denis. Ils nous ont mis les affiches, la sécurité, à manger, les loges, les répétitions aussi. Comment se fait-il que des comédiens, des clowns soient payés trente mille euros de la prestation par le service culturel de la mairie, alors qu’un groupe de la ville est obligé d’aller se produire dans un autre département ! Parce que ces mecs ne mettent pas la pression ! Eux, ont cru en nous, et nous, on leur a rendu la pareille ! On leur a rempli leur salle, sachant que c’était payant ! Eux ont gardé l’argent et nous on a rien demandé de plus ! Ils nous ont mis en avant dans leur ville dans le 93. Lorsque les mecs du 95 viennent dans le 93… Trois mois de répétition et ils ont cru en nous !
On est artiste dans Connexion Impossible. Une population nous appelle. Ils nous demandent un morceau. J’ai prévu le morceau pour après-demain. Je vais aller voir la personne du studio de la mairie demain, car j’en ai besoin pour enregistrer mon morceau. Il va me dire : « il fallait réserver, il y a trois semaines ! ». Franchement, ça ne se passe pas comme ça ! Il sait très bien que cela ne se passe pas comme ça !
Message pour les jeunes
S’accrocher. Ne pas lâcher l’affaire. Ne pas baisser les bras avant d’avoir essayé. Vas à l’école !
Le bon exemple
J’habite toujours aux Chardo chez mes parents. On ne peut pas se permettre de passer pour des rigolos ! On est conscient que des petits vont nous écouter, vont écouter ce que l’on va dire. Des petits habitent par chez moi. On leur donne des CD, comme on est des stars ! Ces petits là nous voient comme des grands frères. Ces petits là, je les connais mieux que des petits cousins à moi ! Il faut que l’on donne le bon exemple, même politique. D’autres gens vous diront : « Ouais, c’est la merde ! Je n’en ai rien à foutre ! Moi, le code, je n’en ai rien à foutre ! ». C’est bien beau de dire ça ! Mais tu as quoi comme ça ?