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Enjeux du dialogue de réconciliation en Guinée.

Docteur Thierno Bah - Paris 01/01/08.

jeudi 21 février 2008, par Frederic Praud

Enjeux du dialogue de réconciliation en Guinée.

1-. Préambule.

Un grand nombre d’Etats africains ayant accumulé des fautes politiques et de gestion des biens publics ont été contraints, par la révolte populaire, de convoquer des conférences nationales pour renouer le dialogue et redéfinir un contrat social pour reconstruire le tissu social. C’était dans les années 1990. En Guinée les uns et les autres ont toujours déclaré que des situations de ce genre ne se produiraient pas parce que selon eux les Guinéens sont des citoyens mûrs politiquement !

Voilà pourquoi chez nous aucun dialogue national libre, souverain et sincère n’a pu se tenir depuis notre indépendance, il y a cinquante ans. La société est écrasée par une misère alimentaire, une pauvreté matérielle et morale qui interdisent tout sentiment de solidarité qui est pourtant la troisième valeur de notre devise nationale.

Les grèves de mars 2006 et de janvier 2007 et les révoltes populaires qui ont amplifié la colère des Guinéens sont un démenti cinglant à la légitimité des dirigeants en place. Elles montrent que les présidences à vie ne sont pas une fatalité à la condition qu’il y aient des leaders politiques crédibles pour capter et canaliser le changement réclamé par le peuple.

2-. Observations préalables.

A*-. Le manque de dialogue national.

Depuis 1984 aucun échange national n’a été organisé pour regarder le chemin parcouru par le pays sous la direction douloureuse et triste du PDG. Aucun regard critique n’a été porté sur la gestion politique, économique, sociale, culturelle et morale des militaires. Un embargo puissant empêche de reconnaître les plaies indélébiles provoquées par la mauvaise gouvernance de notre pays depuis 1958. Les victimes en chair et en os des répressions politiques ruminent en silence leurs souffrances, rancœurs et frustrations inexprimées de leurs vies brisées.
René Gomez, qui a passé huit ans au camp Boiro avant de passer huit autres années dans les gouvernements de Lansana Conté, le dit mieux que moi dans son poème « Libération »( page 84 de son livre Camp Boiro : parler ou périr) : « … Demain, tu seras libéré
Et alors tu comprendras qu’après tant d’années d’absence
Tous ceux pour lesquels tu avais souhaité cette libération
Te sont devenus inaccessibles s’ils n’ont pas totalement disparus
Alors et alors seulement tu comprendras
Que la libération n’est pas réellement la liberté. »

Ce poème d’un témoin, victime en chair et en os de la répression, ayant occupé des postes stratégiques privilégiés très importants dans la vie de notre pays de 1964 à nos jours, illustre éloquemment le vécu psychologique de tout citoyen, détenu politique sans raison, arrêté sans raison, libéré sans raison après avoir été emprisonné sans raison pendant de nombreuses années comme tous ses compagnons d’infortune. C’est une des raisons de notre insistance à plaider inlassablement depuis 1984 pour un dialogue national de réconciliation.

B*-. Ignorance ou mépris de notre histoire.

En allant à la rencontre des Guinéens nés le 2 octobre 1958, aujourd’hui âgés de 50 ans, devenus adultes et parfois chefs de familles, chefs de services, hauts fonctionnaires, ministres, nous avons noté leur ignorance ou leur mépris de notre histoire contemporaine. La majorité de cette génération, formée à l’école de la pensé unique du PDG qui a étouffé toute autre expression publique et professionnelle que celle de son chef, ne reconnaît pas l’existence des Guinéens étiquetés hier « agents de la 5e colonne » ni ceux qui se sont soustraits de la dictature. Voilà pourquoi le discours unique du PDG, devenu programme scolaire officiel unique, repris et diffusé dans tous les actes politiques de la Guinée, a été reconduit sans concertation et sans transition par le régime militaire.

C*-. La gestion militaire de 1984 à nos jours.

La république des militaires n’a pas et ne pouvait pas redresser la gestion politique, économique sociale et culturelle et morale héritée de la révolution tout simplement parce qu’elle ne s’en est pas donné les moyens. Ses dirigeants n’en avaient pas la volonté politique. Ils ont aggravé le déclin du pays. Ayant limité leurs ambitions au pillage illimité et impuni des biens publics, ils ont placé la Guinée à la dernière place des pays les plus pauvres selon l’indice de développement humain de l’ONU en 1993 et 1994. Leur mauvaise gestion a provoqué la banqueroute du pays qui a nécessité la nomination de plusieurs premiers ministres « technocrates » pour renouer le dialogue avec les institutions financières internationales. Ces changements n’ont entraîné aucune amélioration du fonctionnement de l’Etat. Ces heureux « élus », sans poids politique dans le pays, ont fait décor dans le paysage chaotique ambiant. Cette gestion désastreuse a conduit aux révoltes populaires de 2007. Même si la victoire des syndicats, amplifiée par la révolte de la jeunesse, reste inachevée, le changement amorcé restera irréversible.

D*-. Conséquences de la mauvaise gestion.

La légalisation d’une forêt des partis politiques, l’impossibilité de ceux-ci de trouver la moindre unité d’action pour peser, la systématisation des mascarades électorales, gagnées par les gouvernants avant même la fixation des dates des scrutins ont décrédibilisé la classe politique. Ces tares ont démobilisé les populations qui boycottent massivement les élections qui n’ont jamais été fixées aux dates légales de fin de mandat des précédentes échéances. Ce divorce entre le peuple souverain et les acteurs politique a tué la démocratie balbutiante née en 1990.

Impuissants devant l’armada de moyens financiers détournés des caisses de l’Etat et la docilité des militaires réprimant les adversaires politiques des gouvernants et intimidant les populations, les Guinéens s’enferment chez eux le jour de chaque élection parce qu’ils ne supportent plus les fraudes électorales et les bastonnades des badauds raflés même dans leurs domiciles. La répétition des ces pratiques enracinent une culture de confiscation du pouvoir et la multiplication des tyrans

3-. Notre invitation.

Nous sommes de ceux qui souhaitent que la Guinée évite de s’enliser dans la voie des deux premières républiques noires, proclamées en 1804 et en 1847. Notre pays, dès sa libération, a entraîné les autres pays francophones du continent dans la voie de l’indépendance, créant une dynamique qui avait échappé à nos deux devanciers. Les gouvernants actuels n’ayant créé aucune dynamique de redressement de la gestion héritée de la révolution, nous invitons les acteurs politiques, témoins du parcours de notre pays de 1958 à nos jours, à s’associer à notre démarche pour exposer leurs expériences et leurs témoignages pour écrire la vraie histoire de la décolonisation grâce à la confrontation des points de vue des camps en présence. Le cinquantième anniversaire de notre indépendance nous paraît être une opportunité psychologique et un repère historique favorable à une rencontre de cette dimension. Elle permettrait de dissiper les montagnes de frustrations et de méfiance enfouies en chaque compatriote. Si nous ratons ce virage, nous aurons failli à notre devoir de vérité envers les générations futures qui serons privées ainsi des points de vue des victimes des complots. La version officielle des gouvernants deviendra ipso facto la vérité historique. Ces générations n’auront ainsi aucun document contradictoire restituant le contexte de la décolonisation.

4-. Quels enjeux pour notre dialogue ?

Si par calculs personnels, par lâcheté, par peur des pouvoirs établis, nous ne parlons pas des dégâts politiques, économiques, sociaux et culturels provoqués par les héritiers de l’administration coloniale qui ont conduit nos Etats de la décolonisation aux présidences à vie, nos descendants n’auront aucune chance de vivre mieux, quel que soit le changement de personnel politique qui émergera de toute concertation. L’évolution des deux premières républiques noires nous montrent en grandeur nature comment évoluent les Etats dirigés par des femmes et des hommes sans boussole autre que leur enrichissement personnel, sans repères culturels et sans références éthiques et morales. Pour se maintenir au pouvoir, ces personnes détruisent les valeurs traditionnelles d’entraide et de solidarité. Ils coupent la société en deux camps : les gouvernants vivant dans l’opulence, l’arrogance et le mépris des autres citoyens qu’ils réduisent à la misère, la pauvreté et la mendicité parce qu’ils n’ont aucune relation avec les ministres.

Le principal enjeu du dialogue que nous proposons est l’analyse des causes de notre déclin pour tirer les leçons de notre échec collectif à nourrir les habitants. L’examen de ces causes pourra permettre de corriger les comportements mettant fin à la fatalité des présidences à vie qui sont la principale source du malheur de nos peuples. L’enjeu secondaire est la publication des témoignages de tous ceux qui ont quelque chose à dire, en bien ou en mal, sur la gestion du pays depuis le 2 octobre 1958 pour confronter les points de vue. Nous écrirons ainsi ensemble le livre noir de la décolonisation.

5-. Comment briser le face à face mortel des deux camps ?

Depuis 1958 le fossé qui sépare les Guinéens n’est ni ethnique ni géographique comme le proclament beaucoup de professionnels de la politique de division. Il est entre les profiteurs de l’impunité des détournements des biens publics et ceux qui en sont exclus. Ce face à face a disloqué la société et dispersé les citoyens aux quatre coins du monde. Cet exode a entraîné l’exil de trois millions de personnes qui ont donné naissance à plus deux millions de Guinéens binationaux.

Les grèves de mars 06 et janvier 07 ont montré que les Guinéens ne se résignent plus à la présidence à vie. Une analyse plus approfondie des faits, découlant de l’écoute des acteurs qui ont mis en échec le pouvoir en place, révèle que la génération Lansana Conté née en 1984 a vaincu la génération Sékou Touré qui est au pouvoir. Cette évolution sociologique naturelle implique un changement profond de la stratégie de lutte pour redresser la gestion du pays. Le dialogue de réconciliation que nous proposons peut amorcer une dynamique capable de prévenir toute nouvelle confrontation entre le pouvoir et le peuple, entre la jeunesse et l’armée. Nous appelons ce dialogue depuis plus de vingt ans.

6-. Que proposons-nous ?

Nous souhaitons rassembler des femmes et des hommes capables et voulant construire une société guinéenne de partage et de solidarité pour réhabiliter la sagesse de nos Aînés. Pour cela nous suggérons les actions suivantes que nous pouvons réaliser par nos propres moyens sans aucune aide extérieure.

A*-. Condition initiale : Nous invitons les bonnes volontés qui s’engageront dans le dialogue à respecter des principes et des règles de bonne conduite connues de tous ceux qui veulent conduire des personnes à bon port.

B*-. Privilégier, dans leurs discours et leurs actes, l’intérêt général pour briser les carcans politiciens qui ont montré leur inefficacité.

C*-. Il est souhaitable de restructurer les tendances politiques en convergences capables de rapprocher, voire de fusionner les partis politiques qui se neutralisent depuis 1993 tout en délivrant un seul et même discours.

D*-. Pour rétablir les liens entre les partis politiques et les électeurs lassés des
échecs enregistrés par les bourrages des urnes, les leaders doivent revoir leur stratégie, les populations ne voulant plus supporter les sévices des militaires. Les électeurs se mobiliseront si leur sécurité physique leur sont garantie par l’entente des partis grâce à l’union des candidats. Une telle orientation réconcilierait les Guinéens avec la politique.

7*-. Concernant les élections.

Il faut arrêter la tradition d’aller à l’abattoir d’élections dont les résultats sont fixés à l’avance. Pour s’assurer des élections propres, il faut créer des outils que le pouvoir ne pourra pas briser.

D’abord des réseaux de communication pour diffuser des mots d’ordre précis et compris par les électeurs. Les informations doivent les mobiliser et empêcher l’armada du pouvoir chargée d’organiser les fraudes. Pour cela, il faut former et mobiliser les membres à tous les stades des opérations. Il ne faut jamais laisser les officiels avec les urnes quel que soit le prix à payer pour cette mission.

Ensuite et enfin, cette surveillance permanente du processus exige, pour être stricte et sincère, l’entente solide entre les partis pour désigner leurs délégués pour empêcher les manœuvres du pouvoir.

8*-. Conclusion.

L’ambition du dialogue de réconciliation que nous souhaitons est l’accouchement d’une convergence forte autour de mesures concrètes pour réformer en profondeur la gestion du pays, en comptant d’abord sur nous-mêmes. Nous voulons doter l’école guinéenne d’un budget capable de former des femmes et des hommes d’Etat imprégnés des valeurs que le PDG a détruites pour remplacer « l’homme nouveau » que le même PDG a formé et installé à la tête du pays depuis 50 ans et qui responsable de notre déclin. Nous voulons rétablir un service public et privé de santé totalement rénové, une justice réhabilitée pour effacer les méfaits des services judiciaires aux ordres de la révolution et les parodies de justice instaurées par les Lamine Sidimé et consorts. Nous voulons une administration impartiale et protectrice des usagers. Nous souhaitons enfin que des leaders de cette trempe, fidèles au service des populations, émergent de notre dialogue. Merci de votre écoute.

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