Accueil > MÉMOIRES CROISÉES : La Mémoire source de lien social > Mémoires Croisées de Sarcelles > Le maquis de Cévolle

Le maquis de Cévolle

monsieur Bousquet né en 1928 à Mende

dimanche 9 décembre 2007, par Frederic Praud

texte : Frederic Praud


Je suis né en 1928 à Mende pour habiter ensuite à Ilinies et dans la Vienne. Mon père voulait acheter une maison dans l’Est mais devant la montée en puissance d’Hitler, il a préféré s’installer à la campagne plutôt qu’en ville, en 1938. On parlait alors du couloir de Dantzig. Malgré l’action des politiques, la guerre était inévitable.

Mon père était carrier chef de chantier. Il travaillait essentiellement avec des Portugais et des Espagnols, les Français travaillaient peu dans les carrières. Il s’occupait des routes nationales qui s’empierraient et se goudronnaient. Nous le suivions comme des nomades. Toute la famille s’en allait à chaque fin de chantier.

Des étrangers au village

Le bourg comptait cent cinquante, deux cents habitants. Les gens ne voyageaient pas beaucoup. Arrivant du midi, nous "gasconnions". Nous étions des étrangers pour les gens du village où nous arrivions. Quand il fallait lire à l’école, j’entendais, « C’est Bousquet qu’il faut faire lire… » car je parlais avec l’accent du midi et tous les copains étaient pliés de rire ! Je parlais en chantant… On me demandait :
« Tu es d’où toi ?
  je suis né à Maaande
  ha, tu es né à Mante !
  non je suis né à Maaande »…
Ils m’énervaient et j’en attrapais un par le col et criais : « Je suis né à Maaande !! » Ils rigolaient ! Je courrais après deux ou trois et cela passait.

Mon père, né en 1888, me racontait sa guerre de 14-18. Il avait fait son service militaire qui durait trois ans et avait été mobilisé immédiatement pour quatre ans de guerre. Il ne nous a pas inculqué de haine particulière. Les Allemands avaient seulement été nos adversaires. Mon père était alors téléphoniste d’Etat Major.
Il devait réparer rapidement les liaisons téléphoniques sur la ligne du front malgré les obus qui tombaient sur les tranchées.

Les Noirs montaient à l’assaut avec des machettes et coupaient les oreilles des Allemands tués sur le champ de bataille pour en faire des trophées. Mon père disait d’eux qu’ils étaient des combattants valeureux, faisant extrêmement peur aux Allemands. Mon père était contre la guerre… Les soldats étaient couverts de boue de la tête aux pieds après un séjour dans les tranchées. Mon père les voyait revenir des combats tellement exténués que certains tombaient dans des trous d’obus pleins d’eau et s’y noyaient sous le poids de leur barda avant de pouvoir être secourus.

Déclaration de guerre, 1939

J’avais douze ans à la déclaration de guerre. C’était bien loin pour moi, de notre campagne. Au début de la guerre, quand les Russes ses sont alliés aux Allemands, un communiste du village a été arrêté. Il est venu dans la classe, encadré entre deux gendarmes, dire au revoir à son fils. Il l’a embrassé. Cela nous a marqué. Il a été mis en prison parce qu’il était communiste… Il a ensuite été libéré mais après cinq ou six mois de prison.

Nous n’avons pris conscience de la guerre qu’à la débâcle quand les routes étaient encombrées de gens avec des charrettes attelées de chevaux ou de boeufs, ou à bicyclette ou à pied. Certains emmenaient leurs vaches pour avoir du lait. Les troupes françaises étaient mélangées avec des civils… un véritable capharnaüm. Un militaire a volé le vélo de ma mère pour rentrer chez lui. Les fausses rumeurs couraient. Des militaires ont tiré en l’air et les gens du village se sont fâchés, protestant, craignant d’éventuelles représailles.

Les avions allemands mitraillaient les gens sur la route. Dès qu’ils piquaient, ils mettaient une sirène en route ce qui effrayait tout le monde. Il y eut quelques blessés autour du village.
Un soldat français, à quelques kilomètres de chez nous, a arrêté pendant une demi-journée une colonne allemande. Il n’avait qu’un fusil-mitrailleur ; les Allemands l’ont tué. L’officier allemand qui commandait le détachement a fait présenter les armes devant la dépouille du soldat mort. Ils avaient reconnu en lui un valeureux soldat, un combattant.

L’occupation au village

Les premiers Allemands que j’ai vus étaient dans une patrouille motorisée… Une grosse moto, le soldat nous demande : « Irun ? (Erun ?) ». Ce village était situé pas très loin du nôtre mais toutes les plaques de direction avaient été changées. Les Allemands étaient perdus et demandaient aux gens. Ce fut notre premier contact avec les Vert-de-gris, les Doryphores comme on les appelait. Mon père, pendant sa guerre de 14, avait côtoyé des troupes allemandes qui partageaient le même point d’eau que les français. Ils se croisaient pendant les trêves pour relever les blessés sur le champ de bataille.

Une section de Sénégalais est venue au village. C’était la curiosité ! Ils avaient été faits prisonniers et sont restés sous la garde de vétérans allemands, des soldats de quarante-cinq/cinquante ans. Les hommes valides qui pouvaient exploiter les terres n’étaient plus là, les Africains furent les bienvenus pour remplacer les paysans prisonniers en Allemagne. Ils travaillaient dans les champs, dans les fermes. Ils étaient bien nourris et cantonnés dans des granges le soir. Nous, les enfants du village, n’avions jamais vu de Noirs. « Ils sont tout noir ! On va aller voir les Sénégalais pour parler avec eux. »

Nous discutions avec eux. Ils souriaient. Leurs dents blanches contrastant sur ces visages noirs nous surprenaient ! Nous étions émerveillés. Ce furent nos premiers contacts avec les africains. Ils sont restés environ un an dans le village.

La défaite française laissa la population du village sans réaction, comme sonnée !

Mon père considérait Pétain comme le vainqueur de Verdun. Pour les gens, il fallait quelqu’un pour prendre les rênes de la France. Les gens vivaient sans autre information, en vase clos, avec uniquement ce qui se passait à proximité ! Nous devions chanter les louanges de Pétain à l’école…

Nous étions une famille unie et suivions les conseils de nos parents, « Vous ne fréquenterez pas les Allemands ; ce sont nos envahisseurs et pas nos amis… mais ils sont là ! » Mon père ne voulait pas reprendre les armes après avoir déjà fait sept ans de service militaire. Il en avait trop vu.

Il était athée et contre toute forme de religion. Il me confiait, devant un couple qui passait tous les matins devant la maison :
« Tu vois ce couple-là. Ils vont à la messe tous les matins parce qu’ils doivent avoir beaucoup de péchés à faire pardonner ! Moi, je ne fais pas de mal à mon voisin. Je n’ai pas besoin de me confesser. Le prêtre est un homme comme moi ! »
Nous vivions dans cet état d’esprit d’indépendance.

Nous n’avions pas le droit de circuler la nuit. Par provocation, nous allions, parfois, autour de l’état-major installé dans le village et gardé par des SS ou les soldats de la wermarcht. Ces derniers étaient vêtus d’uniformes vert-de-gris ; les SS étaient habillés en noir avec une tête de mort sur le col des vareuses. Quand ils nous disaient : « Raus, schnell ! » Nous avions intérêt à déguerpir rapidement.

J’ai continué l’école jusqu’à mes quatorze ans, jusqu’à mon certificat d’études. Puis, j’ai passé un CAP de menuisier ébéniste. Pendant mon apprentissage, je faisais deux fois par semaine le trajet à pied de chez mes parents à chez mon patron. Vingt et un kilomètres en trois heures, c’était du sport !

Le maquis de Cévolle

Le maquis du coin était assez actif. Entre Châtellerault et Loudun, la forêt de Cévolle est immense avec plusieurs clairières qui servaient pour les parachutages d’armes la nuit. Un ami plus âgé que moi était dans ce maquis. Il faisait l’agent de liaison. Il allait traverser une route où les Allemands étaient postés en embuscade fumant leurs cigarettes grâce auxquelles il a remarqué leurs présences. C’est ainsi qu’il a eu la vie sauve. Le maquis était très actif : des voitures allemandes avaient été mitraillées, incendiées. Le maquis se battait avec des armes légères alors que les Allemands avaient des mitrailleuses, des grenades etc.

Des bals clandestins avaient lieu dans la campagne, bals infiltrés par la gestapo, par la milice… des gens que les allemands avaient sortis de prison pour travailler pour eux. Une équipe de jeunes maquisards s’était vantée d’avoir fait sauter des rails, d’avoir attaqué des Allemands. Cela a duré six mois environ avant qu’ils ne soient tous arrêtés par la Gestapo. Ils furent battus sauvagement sous nos fenêtres, avant d’être mis en prison, torturés et fusillés. Ils avaient trop parlé ! Ils avaient entre dix-sept et vingt ans…et manquaient d’expérience.

Des gens du village devaient renseigner la milice. Nous n’avons jamais su d’où venaient les dénonciations.

Mon père ne parlait pas aux Allemands.
« Les Allemands, c’est une chose. Nous les français, c’est autre chose ! On ne fréquente pas l’armée d’occupation. »

Nous avons surtout senti les conséquences de l’occupation à travers les restrictions, les tickets de rationnement. Un jeune n’avait pour la journée qu’un morceau de pain pas plus grand qu’une main, pour les trois repas ! Nous avions peu de viande, peu de beurre.

Une adolescence en pleine guerre

Dès douze ans, nous allions travailler le jeudi, jour sans école, et le samedi chez les paysans. Il ne nous était pas possible de rester à ne rien faire ! Les gens ne toléraient pas de voir un jeune oisif. Le dimanche était le seul jour de repos.

J’allais faire les moissons chez mes grands-parents pendant mes vacances. Mon arrière grand-père fauchait les blés avec une moissonneuse lieuse tirée par des chevaux ou des bœufs. Pour ne pas écraser les céréales sur le bord du champ, la largeur d’un passage d’animaux devait être fauché à la main. Nous faisions les liens des gerbes avec de la paille de seigle beaucoup plus souple que le blé.

Vers 14/15 ans nous commencions à aller aux bals clandestins, dans un champ, dans une grange sur la terre battue. Je ne dansais pas mais j’y allais avec mes copains pour retrouver les filles. Nous n’avions pas d’activités sportives encadrées comme aujourd’hui. Le travail à la ferme faisait office de sport.

Les garçons étaient en bande comme les filles. J’avais une sœur ce qui me permettait de rencontrer ses copines.

Nous ne subissions pas la pression de la guerre à part le défilé des Allemands dans le village, une fois par semaine, où ils chantaient leur chanson de marche, "Heili. Heilo." aux pas de l’oie. Ils passaient dans la rue principale.

Nous écoutions radio Londres où nous avons entendu parler de la libération de l’Afrique du Nord par les Américains. Le brouillage allemand essayait de couvrir la radio et les messages venant d’Angleterre. « Ici Londres, les français parlent aux français. » Tous les messages étaient codés à destination de la Résistance.

Une libération sans combat

Les habitants des villes venaient de Poitiers se ravitailler chez les paysans, par connaissance, par cousinage, ou appartenance familiale. Les paysans leur faisaient quand même payer plus cher les produits de la ferme.

Il n’y a pas eu de combat à la Libération car les Allemands étaient déjà partis vers la Normandie. Nous n’étions pas sur leur lieu de passage quand ils ont quitté la région. Les maquisards devaient leur couper la route pour retarder leur arrivée sur les lieux de combats.

Nous étions contents de savoir que les Américains avaient débarqué sur les côtes normandes.

Une fois les Allemands partis, nous avons vu des maquisards de la dernière heure, des gens peu fréquentables porter le brassard FFI et parader dans le village avec voiture et mitraillettes. Mon père commentait : « Qu’est ce que c’est que ces mecs-là ? On ne les a jamais vus ! »
Les résistants furent souvent des jeunes qui n’ont pas voulu partir pour le service du travail obligatoire en Allemagne. Ils se sont donc retrouvés dans la Résistance sans le vouloir.

Les Américains ne sont jamais passés chez nous. Nous ne les avons pas vus. Tout cela était bien lointain. Nous vivons dans le quotidien du village une vie paisible au rythme des saisons.

La Libération du 8 mais 1945 a été une fête. Dès l’annonce de l’armistice, les cloches de toutes les églises ont sonné. Nous écoutions ces carillons qui manifestaient toute la joie d’une liberté retrouvée. Une fête formidable… tout le monde était dehors !

Message aux jeunes :

Dans la vie, il faut avoir un but pour lui donner un sens et maîtriser les événements : viser sa réussite professionnelle et familiale. Il est nécessaire de faire la part de toutes les choses sachant que la vie est faites d’aléas.
Je trouve important de connaître toutes les religions sans renier la sienne pour éviter qu’elles soient source de violence et de haine, mais plutôt de tolérance et de compréhension.
La vie de couple doit être entente et concession mutuelle pour apporter à l’enfant le calme et l’harmonie dont il a besoin pour se construire une vie adulte équilibrée.

Réconciliation franco-allemande

Cette réconciliation fut importante, premier pas vers une Europe unifiée.
Tous les Allemands n’étaient pas des bourreaux. Certains soldats n’étaient pas pour la guerre mais ils n’avaient pas le choix, comme les Alsaciens par exemple.


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.