La résistance à la SNCF

Madame MALHERBE née en 1925 dans un petit village de Grouches-Luchuel dans la Somme

Témoignage de Madame MALHERBE

Je suis née en 1925 dans un petit village de Grouches-Luchuel dans la Somme. Mon village n’a pas connu les batailles de la guerre, mais il y eut beaucoup de dégâts dans les villes alentours. Je ne pense pas que mon village ait été occupé par les Allemands en 1918. Mes parents ne m’ont jamais rien dit à ce sujet. Et, je n’ai pas été élevée dans le rejet de tout ce qui évoque l’Allemagne, mais mon père en parlait. Il a tout d’abord participé à la bataille de la Somme, et ensuite à celle de Verdun avant d’être envoyé en Orient, aux Dardanelles.

Une scolarité poussée

On vivait alors heureux. Je n’avais pas de rêve précis. J’habitais encore dans le village où je suis née, à Grouches-Luchuel. Nous passions le certificat d’études à douze, treize ans. Nous faisions une année commune. Tout le monde effectuait la même année qui s’apparentait au cours complémentaire, mais ce n’était pas encore cela mais correspondait plutôt au collège. On dispensait ces cours dans les communes. Et, il fallait suivre les cours jusqu’à quatorze ans. Peu d’enfants arrêtaient l’école à douze ans, puisque c’était obligatoire jusqu’à l’âge de quatorze ans. Après, certains partaient en apprentissage, et travaillaient directement. Et, les autres continuaient les études. Moi, j’ai poursuivi mes études jusqu’au baccalauréat, mais, je n’ai pas pu le passer à cause d’un terrible bombardement qui eut lieu à Amiens, en cette période. Mes parents n’ont donc pas voulu que je reste. On passait le brevet à seize ans, par conséquent l’incident a dû se produire en 1941. Il était rare à cette époque que les filles poussent leurs études loin, mais mes parents voulaient que je continue, donc je l’ai fait. Moi, je souhaitais être infirmière, et ma mère voulait que je sois institutrice. Ce métier me plaisait.

J’avais treize ans en 1938. Mon père travaillait comme artisan. Il exerçait la profession de menuisier- charron. J’entendais mon père discuter de la guerre avec ma mère.

Pendant l’été 1939, je suis restée au village pour les vacances. La rentrée des classes s’effectuait le 1er octobre, et non pas le 1er septembre comme à présent. Je devais rentrer à Doullens. Le cours complémentaire se passait à Doullens, la ville voisine de mon village. Je me rappelle du jour de la rentrée, car la veille tous les habitants de la rue s’étaient réunis, et tout le monde en discutait. Et, le lendemain, on s‘est encore tous retrouvé à la nationale, et chacun d’entre nous bavardait encore, et c’est là que l’on a appris que la guerre avait été déclarée, car on a entendu le tocsin. Les hommes se sont préparés, du moins, ceux qui partaient tout de suite.

La guerre arrive, une période de trouble commence !

Mon père qui avait connu la guerre de 1914-18, était tourmenté depuis un bon moment. Ma mère aussi d’ailleurs. Elle habitait dans le Pas-de-Calais. Son village avait été occupé, et avait connu une bataille. L’idée d’une guerre prochaine les tracassait. Ma mère est partie en 14. On l’a évacuée en Belgique. Toute leur famille a été dispersée. C’est ainsi qu’après la guerre, ils étaient un peu partout. Mon grand-père maternel a atterri à Grouches. Et, il a ensuite recherché sa femme, et ses enfants, et ils se sont tous retrouvés là-bas. Il n’y a pas eu d’appels à la population, ça s’est fait avec des affiches. A l’époque, je ne réalisais pas tellement ce qui se déroulait. Je n’avais que quatorze ans ! Tout ça semblait un peu flou pour moi.

En 1939, nous n’avons pas eu de réfugiés que l’on avait déplacés des frontières de l’Est pour aller vers l’Ouest. Non ! Quelques jours après l’annonce de la guerre, des soldats français sont venus dans le village. Ils sont restés un certain temps, et vers octobre des soldats anglais sont arrivés, et ils se sont installés jusqu’à l’occupation allemande. Au mois d’octobre, j’ai repris normalement l’école.

Je ne peux pas décrire précisément ce que j’ai vécu, et ce que j’ai ressenti durant cette période. Mais, ce qui m’a marquée : on nous amenait dans le silo, de grands bâtiments en béton, quand il y avait une alerte dans le but de nous protéger. On nous faisait mettre des masques à gaz, des petits carrés sur la bouche. On parlait beaucoup de gaz, vu qu’il avait été utilisé en 1914. A l’école, l’instituteur ne parlait pas de la guerre. Et, on n’avait pas de radio. On était informés de ce qui se passait par les journaux.

Il n’y avait pas réellement d’inquiétude chez les enfants, car on ne réalisait pas tellement l’ampleur de la situation. Les grandes personnes, celles qui étaient beaucoup plus âgées, ou qui avaient vécu la guerre se rendaient compte de ce qui se déroulait sous nos yeux. On ne peut pas imaginer ce qu’est réellement une guerre, si on n’en a jamais connue. On ne voyait pas la gravité des évènements.

Le Noël de 1940 s’est déroulé comme tous les autres Noëls parce qu’il n’y avait pas encore de privation. Je n’ai pas de frère et sœurs, je suis fille unique. On m’offrait un jouet, des oranges, puis des chocolats, et c’était tout !

Exode printemps 1940

Pendant l’exode, nous ne sommes pas partis car nous n’en avons pas eu le temps. Je me rappelle de toutes ces personnes qui passaient à pied, en vélo. Tout le monde descendait. Tous les jours en rentrant du collège, je montais jusqu’à la départementale, et je regardais. Il y avait ces fameux prêtres, ce couple à vélo, et on disait à l’époque que c’étaient des espions. Il y en avait pas mal qui passaient dans la foule. Ils avaient leur vélo, mais pas de bagages. On n’a pas suivi de groupe, car on hésitait à partir.

Nous étions amis avec des cultivateurs qui nous avaient prêté des chariots. Chacun disposait d’une charrette que nous avions remplie. La veille, nous sommes allaient dormir chez le cultivateur pour pouvoir partir le lendemain vers midi. A midi, au moment de partir, nous avons vu arriver des Allemands partout. Dans un sens, je crois que mes parents étaient plutôt contents de ne pas avoir bougé. Au moment de partir, mes grands-parents étaient en retard, alors mon père est descendu, et lui qui connaissait bien le village est passé à travers champs. Je suis alors descendue en vélo par le chemin, par la route, c’est là que j’ai été mitraillée. Les tanks des Allemands se suivaient, et il y avait plein d’avions qui volaient au ras des maisons. Ils m’ont aperçue à cet instant, et m’ont mitraillée. Je n’ai pas été heureusement touchée. J’ai abandonné mon vélo. Il y avait une haie juste en face et je suis allée m’y réfugier. Beaucoup de chevaux se sont fait tuer, car ils avaient peur du bruit des avions et s’affolaient. Les tanks n’ont pas circulé par les départementales, ils descendaient tous à travers champs. Il y en avait des quantités… C’était incroyable ! Or, il y avait encore des Anglais et la Croix Rouge. Ils se sont installés au cimetière qui donnait sur la route pour mitrailler les tanks. Bien sûr ça n’a servi à rien mais, enfin, ils se sont battus. Des Anglais sont morts. Trois d’entre eux sont restés sur le bas côté pendant une semaine.
Je voyais des morts pour la première fois de ma vie.
Les tanks ne se sont pas arrêtés, mais les soldats, arrivés derrière, ont campé à proximité de notre maison. Pour moi, à quatorze/quinze ans, c’était tout nouveau cela ! J’observais, mais de toutes façons on ne pouvait rien dire.

La véritable occupation

Quand j’ai décidé d’aller à Amiens j’avais seize ans, en 1941. J’y vais uniquement pour passer le brevet mais on ne pouvait pas aller à Amiens. La Somme était la frontière, la ligne de démarcation. Il nous fallait donc un laissez-passer pour traverser le fameux pont. Il y avait deux zones au début, en mai 1941. Celle occupée par les Allemands, et la zone libre. Les Allemands ont ensuite tout envahi, ils sont descendus partout !

Nous avons toujours été occupés, car nous avions deux Allemands chez nous, du début jusqu’à la fin de la guerre. Ils dormaient chez nous, deux gradés. Un jour, l’un avait bu, et le lendemain, deux gradés sont venus. Deux supérieurs qui lui ont tout arraché et il est finalement parti. Les Allemands venaient seulement pour dormir, dans la journée, ils n’étaient pas présents, sauf le dernier. Ils partaient le matin et ne revenaient que le soir. On en a eu ensuite plusieurs. Ils ne parlaient pas français. Dans tout le village, chacun devait loger des Allemands. C’était obligatoire. On nous l’avait imposé. Certains étaient plus humains que d’autres. Notamment, les premiers que l’on a eus. Ceux-là essayaient de parler avec nous. Mais les suivants, des grands, qui s’occupaient du ravitaillement, ne discutaient jamais. Après, les derniers que l’on a reçus étaient des vieux. Ceux-là ça allait. Quand ils recevaient des colis, ils partageaient leurs gâteaux… Ceux-là étaient vraiment bien. C’étaient les derniers. Ce n’étaient pas des purs et durs.

Le ravitaillement, surtout dans les premiers temps, n’était pas évident car on se trouvait en ville. Dans les premiers jours, on n’avait plus de pain, plus rien du tout. Comme mon père connaissait un ami boulanger, on allait chercher du pain. Mais sinon, on en avait plus. Après, les Allemands nous ont donné du pain, mais un pain rectangulaire, pas cuit, noir. Les jeunes ne parlaient pas aux Allemands, personne ! D’ailleurs, je crois que les Allemands avaient reçu l’ordre de ne pas nous adresser la parole.

Défendre son pays, entrer en résistance

Dans les villages occupés, la résistance s’est formée. Quand je suis revenue d’Amiens, j’ai travaillé à la SNCF. Les hommes étaient partis à la guerre, il fallait les remplacer. Ce qui fait que j’ai travaillé pour la SNCF. Je m’occupais d’expédier et de recevoir les livraisons de marchandises. Les jours où les wagons arrivaient, il y avait des trains entiers d’essence puisque les Allemands recevaient de l’essence. Les deux chefs de gare allemands, encore plus mauvais que les SS, portaient toujours leur revolver au poing. Ils venaient, et ils me remettaient une lettre que je devais porter dans la forêt de Lucheux, aux commandants allemands pour les prévenir.

Alors, je mettais mon brassard, j’allais jusqu’à la forêt de Lucheux. Là, un garde m’attendait qui gardait ma bicyclette, et deux autres gardes avec leurs chiens m’escortaient dans la forêt au bureau du commandant. Justement, à ce moment, un résistant venait chez nous. Je lui rapportais tout ce qui transitait : les trains, les camions… J’étais à la gare de Doullens. Et, je n’ai jamais su comment s’appelait ce résistant. C’est une gare importante. Peut être y avait-il des résistants parmi les gens de la SNCF. Ils se connaissaient plus ou moins entre eux. Des trains de déportés sont passés. C’était affreux. Vous voyiez toutes ces personnes hagardes, pas rasées, sales. C’était abominable. Nous ne connaissions pas leur destination. C’était secret. Certaines choses restaient confidentielles, les Allemands ne nous disaient pas tout non plus.

Ces trains faisaient escale. Les premiers que j’ai vus transportaient des Russes escortés par des Allemands, et les derniers des Allemands qui voyageaient dans les trains de marchandises surveillés par des Canadiens. Je n’ai pas aperçu de civils, de résistants, de déportés juifs. Les premiers prisonniers français que j’ai vus au début, quand les Allemands sont arrivés, parce qu’ils en avaient mis dans une maison pas loin de chez nous, étaient situés dans l’auberge. Ils les parquaient là. Puis, un beau jour, en partant au collège, comme je montais la côte, je reçois un paquet et j’ai failli tomber. J’ai ramassé le paquet, puis j’ai compris que c’étaient les prisonniers qui m’envoyaient des lettres pour aller les poster. Puis, après, tous les jours en montant la côté à vélo, je m’arrêtais, je ramassais leurs paquets pendant que les Allemands étaient occupés ailleurs, et je les postais chaque jour. Et, un jour, ils sont partis.

On les a emmenés jusqu’à Doullens, dans un pré pendant une dizaine de jours. Puis ils sont partis en Allemagne. C’étaient des soldats français qui avaient été faits prisonniers. On les amenait en Allemagne. J’aurais pu être prise, mais j’attendais, et j’arrivais. Deux Allemands montaient la garde sur la route. Je m’approchais, quand je les voyais revenir vers les champs, je ramassais le paquet, et je m’en allais. J’ai été à la SNCF de 1942 à 1945. Quand les Allemands ont perdu à partir de 1943, j’en ai vus habillés tout en blanc. A ce moment-là, ils allaient se battre contre les Russes. Ils portaient un pantalon blanc, une veste blanche, des chaussures blanches, tout vêtus de blanc !

J’ai vu partir des résistants. Certains ont été tués à Vitry-en-Artois. Ils ont attrapé les Allemands là-bas, et ils ont fait sauter le train en 1943. Avant, les Allemands étaient alliés avec la Russie, et après inversement. On ne m’a jamais soupçonnée, je n’ai jamais eu de problèmes.

J’ai également été bombardée à la gare. Bien avant 1944. Un chasseur anglais a donné l’alerte. Il est passé pour se rendre à Méaulte, une ville d’aviation. Il venait toujours pour bombarder Méaulte. En revenant, l’avion passait par Doullens. Mais, la DCA allemande était à la gare, et ils ont commencé à tirer. Moi, j’étais dans un pré en face, il était midi. On allait manger, et j’attendais mes copines. Puis, il est passé. La DCA a tiré. Il a riposté. Moi j’étais dans mon trou. Je mangeais, puis je regardais en même temps, car c’étaient jolies ces balles qui se croisaient. Puis, en sortant de mon trou, tout était fini. Et, je veux redescendre, mais impossible. Il faisait tout noir. On ne voyait plus la gare, on ne distinguait plus rien du tout. Alors, j’étais étonnée, car je ne savais pas qu’après un bombardement ça laissait des nuages de terre comme ça. J’ai voulu descendre mais impossible. J’ai dû faire un kilomètre pour descendre. Tout avait été bombardé sous mes pieds. Il avait envoyé des petites bombes. Tout du long ! Moi, j’étais au-dessus. Aucun mort. Ils se sont abrités sous des tables, un peu partout.

En 1944, un bombardement a essayé de détruire le pont du chemin de fer. Ils nous ont bombardés avec les forteresses volantes pendant un bon moment. Juste au moment, où je finissais le travail, je rentrais avec ma camarde, et on a entendu l’alerte. On a malgré tout continué notre chemin. En un instant, des bombes sont tombées. Elles n’étaient pas de petites tailles. Elles devaient peser 500 kilos.

Et, elles tombaient tout autour de nous, donc nous nous sommes réfugiées dans une maison. Et, on a attendu. J’ai dit à ma copine : « Ecoute, comme les avions mettent longtemps à revenir pour faire leur circuit, tant pis on va partir. » Alors, on est parties toutes les deux. Seulement, il y avait des trous. Là, j’ai vu des morts bien sûr, puisque de nombreuses personnes ont été tuées. Il y avait une dame recroquevillée dans sa cave, qui criait, criait, et qui est morte d’épuisement.

A l’époque, des opposants politiques étaient enfermés dans la citadelle. Certains ont été envoyés en Allemagne, par les derniers trains en 1944. Quand ils lançaient une offensive, nous n’étions pas informés. Cependant, on le devinait parce que quand les trains passaient, ils nous ordonnaient de partir de la gare le temps de l’opération.

Après 1944, je n’ai plus jamais eu de nouvelles du résistant qui venait chez nous. Pendant deux ans, il est venu chez nous glaner des informations, et puis plus rien. Je n’ai jamais rien su de lui, sauf son numéro. Je ne connaissais que lui, et c’était toujours lui que l’on voyait. Il s’habillait comme un ouvrier. Il portait un pantalon de velours, une veste ordinaire, puis sa musette. Il arrivait en vélo. Il devait venir du Nord, sûrement d’un département voisin. En tout cas, il n’était pas de chez nous. Ce n’était pas non plus un Polonais.

Le débarquement, la libération du village

A la libération, j’avais 19 ans. On n’avait plus rien du tout, et pour se ravitailler on devait troquer du beurre ou du lard contre des bons de ravitaillement. Heureusement, on n’a pas subi de bombardements, car le village étant situé dans un creux, sur la colline au-dessus des Américains étaient postés, et sur l’autre versant aussi, bien que les Allemands étaient toujours présents. Ils avaient installé des canons dans tout le village, et c’est grâce à une anglaise qui a été prévenir les Américains de chaque côté, que le village n’a pas était détruit, et nous non plus par la même occasion. Il n’y a pas eu de fête ce jour-là. Mais à la Libération de la France, oui.

On a été libérés à six heures du soir, le 1er septembre 1944.

Message aux jeunes

Aujourd’hui, je voudrais pour les jeunes une vie meilleure, sans guerre. Et, je souhaite que mes petits-enfants trouvent du travail d’abord. Et, que tout cela ne se reproduise plus.