Camps du Lot-et-Garonne : Sainte-Livrade sur Mékong
les mamies rapatriées d’Indochine
Le département rural du Lot-et-Garonne (capitale Agen, au sud-ouest de
la France) a connu, dans l’après-deuxième-guerre mondiale,
l’installation de divers camps d’étrangers dont l’opinion a ignoré
l’existence ou qu’elle a oubliés, notamment dans la proximité de
Villeneuve-sur-Lot et de Sainte-Livrade : camps de harkis (Algériens
qui s’étaient faits supplétifs de l’armée française) après
l’indépendance de l’Algérie en 1962, et puis, après 1954 (débâcle
française au Vietnam à la suite de la défaite de Diên Biên Phu devant
les forces nationalistes de Hô Chi Minh), camps de Vietnamiens qui
s’étaient laissé entraîner du côté du colonisateur.
Ci-dessous 1) un article sur la situation actuelle des dernières
Vietnamiennes nonagénaires qui habitent toujours le camp de
Sainte-Livrade, et 2) leur lettre-pétition à la maire de la ville.
jp
"Courrier International", 20 août 2009
Camps du Lot-et-Garonne : Sainte-Livrade sur Mékong
Un camp de “rapatriés” d’Indochine s’étiole peu à peu au cœur du
Lot-et-Garonne. Les quelques “grands-mères de Saigon” qui y vivent
encore perpétuent la mémoire douloureuse de leur relégation.
Le Centre d’accueil des Français d’Indochine (CAFI) de Sainte-Livrade
a été créé après la défaite de Diên Biên Phu, en 1954. Ce camp composé
de 26 baraquements militaires préfabriqués a accueilli à partir de
1956 un total de 1 160 personnes, parmi lesquelles un grand nombre
d’enfants (60 % du total). Ces “logements” ne comportaient ni salle de
bains, ni eau chaude, ni WC et le règlement intérieur interdisait de
sortir du camp sans autorisation administrative
par Tommaso Basevi
Elles s’en vont l’une après l’autre. Comme de petites lucioles
attrapées par la poussière du temps, elles s’éteignent dans leurs
maisonnettes entourées de jardins bonsaïs, emportant avec elles une
histoire demeurée secrète et laissant une ultime trace lumineuse sur
le seuil. Comme par enchantement, la vieillesse a balayé la peur.
Aujourd’hui, les dernières “grands-mères d’Indochine” de France ont
enfin envie de faire connaître ce qu’a été leur vie. Mais l’endroit où
elles ont vécu pendant plus de cinquante ans, le camp d’accueil pour
les rapatriés de la guerre d’Indochine, près de Sainte-Livrade, dans
le Lot-et-Garonne, est maintenant presque vide. La plupart des
“résidents” se sont dispersés aux quatre coins de la France.
Pendant un demi-siècle, elles ont gardé pour elles leurs rancœurs et
aujourd’hui elles disent enfin leur sentiment de s’être fait voler
leur vie. Dans l’illusion d’éphémères amours coloniales, veuves ou
épouses abandonnées et trahies par des militaires ayant une double
vie, elles avaient été précipitamment embarquées avec leurs enfants
après la “débâcle” française en Indochine, puis envoyées loin des
regards indiscrets, dans une région oubliée de tous, parquées dans un
camp contrôlé par d’anciens fonctionnaires de police, entouré de
barbelés. Joséphine Le Crenn est une petite silhouette fragile,
recroquevillée sur son divan. Mais sa voix est limpide, comme ses
pensées. Elle se lève en s’aidant de deux cannes et regarde en
arrière. “Le premier jour, quand on nous a amenées ici, au Petit
Saigon, j’ai voulu mourir. Mon fils, qui avait 4 ans, ne voulait pas
descendre du car et m’a demandé : ‘Maman, c’est ça la France ? — Oui,
mon fils, c’est ça la France’, lui ai-je répondu. Il faisait froid,
l’herbe était haute entre les baraques. On nous a donné une écuelle et
deux couverts, et on nous a laissés comme ça.”
Couvre-feu à 22 heures et paternalisme au quotidien
Joséphine a 98 ans. Elle est née dans la région de Hanoi et parle un
français parfait. Elle l’a appris à l’école des colonisateurs. Ses
yeux, qui ne sont plus maintenant que deux minces fentes, me scrutent
intensément. Pourquoi cette attention soudaine après des décennies
d’indifférence ? “Nous avons été invisibles, des ‘choses’ qu’on a
exploitées, des naïves qu’on abusait. On nous décrivait Hô Chi Minh
comme un monstre et nous, nous avions peur de lui. Maintenant,
savez-vous ce que j’en pense ? Je le respecte. Il a redonné sa dignité
à un peuple réduit à la misère.” Les longues heures de solitude
passées dans le camp, qui n’est plus peuplé aujourd’hui que de
souvenirs, l’ont aidée à penser, à renouer les fils de son existence.
Tout devient plus clair et se teinte d’amertume, de regrets pleins de
dignité. “Aujourd’hui, il est trop tard et c’est vraiment dommage.
C’est aussi notre faute. Nous n’avions pas le courage de nous
rebeller, nous avions peur qu’on nous enlève nos enfants, qu’on les
place dans des orphelinats. Et puis il n’est pas facile de raisonner
lorsqu’on passe toutes ses journées courbées dans les champs à
ramasser des haricots et des tomates payées au cageot, le dos brisé
quand on rentre à la maison, avec quatre enfants à nourrir.”
On me raconte la bataille épique de Diên Biên Phu, qui scella dans le
sang la fin de l’aventure coloniale française en Extrême-Orient, et la
fuite éperdue devant l’avancée du Vietminh ; les tribulations du
voyage transocéanique, les baptêmes forcés, le débarquement à
Marseille et les autocars qui, en 1954, déversaient les jeunes femmes
et leurs enfants dans les campagnes désolées du Lot-et-Garonne. On me
montre la pagode et le terrain de football, aujourd’hui à l’abandon,
aux grillages arrachés, où dans les années 1960 et 1970 leurs fils
disputaient des matchs contre les équipes des villages voisins. Les
images et les souvenirs défilent et, aujourd’hui, après tant de
souffrances, l’Histoire prend des airs de farce amère. L’autorité
exercée par les Français “de souche” qui leur faisaient si peur
apparaît aujourd’hui pour ce qu’elle était : l’imbécile coup de patte
du “tigre de papier” vaincu sur le champ de bataille et incapable de
renoncer à ses prérogatives racistes. On évoque le visage dur et fermé
du directeur du camp, le sévère M. Bouchet, sélectionné en raison de
son long “apprentissage” au Tonkin. Avec ses méthodes autoritaires et
paternalistes – et pour le compte du ministère de la Défense –,
Bouchet administrait la vie de plus d’un millier de personnes parquées
à partir de 1956 dans ce coin de France isolé au milieu des champs.
“Je ne pourrai jamais oublier le regard plein de terreur qu’avait ma
mère quand elle était convoquée au bureau de l’administration”,
raconte Mathieu Samel, qui a passé son enfance dans ce camp et est
aujourd’hui réalisateur de télévision. “Quand nous étions enfants, le
couvre-feu était sonné à 22 heures. La seule fois où nos parents, qui
pendant des années avaient baissé la tête, décidèrent de former une
association, le préfet envoya une garnison de gardes mobiles qui
restèrent pendant des années à surveiller l’entrée du camp. Ceux qui
ne rentraient pas chez eux à temps étaient forcés de rester dehors
pendant toute la nuit. Les signes extérieurs de richesse n’étaient pas
admis. Pas de voitures, pas même une Mobylette pour aller travailler.
Si au cours d’une inspection on en trouvait une en notre possession,
on était chassé du camp et on n’avait plus le droit d’y revenir”,
explique Jean-Claude Rogliano, qui aujourd’hui, comme Hélène, est
revenu habiter au lotissement N et a installé une petite caméra vidéo
artisanale à l’entrée, pour protéger son jardin exotique,
méticuleusement entretenu.
Les enfants des grands-mères du camp ont aujourd’hui entre 50 et 60
ans et habitent Toulouse, Bordeaux, Paris. Quelques-uns sont revenus,
à la suite d’un divorce, d’une séparation ou d’un licenciement, mais
la plupart “s’en sont sortis”, ont fondé une famille et ont
aujourd’hui un métier respectable. Ils reviennent au camp à la mi-août
ou pour la fête du Têt, le nouvel an chinois. Ils viennent avec leurs
petits-enfants retrouver les mères et les grands-mères, à qui ils
demandent de leur préparer le bun chan, le porc laqué accompagné de
nuoc mâm et de feuilles de menthe et de persil vietnamien, qu’elles
cultivent en pot et qui égaient les façades. Ils viennent aussi
s’approvisionner à l’épicerie de la famille Gontran, qui a des
produits introuvables ailleurs. Mais la municipalité, ainsi que
diverses commissions ministérielles ont déclaré les baraquements
insalubres. Pendant plus d’un demi-siècle, rien n’a été fait pour ses
habitants, sinon au nom de l’assimilation forcée et de la négation
d’une culture qui n’était pas conforme aux valeurs rigides de la
république. “Je me demande ce qui pouvait bien passer par la tête de
notre institutrice quand elle nous expliquait au cours d’histoire que
nos ancêtres étaient des Gaulois”, ironise Mathieu Samel, le
documentariste.
“Nous sommes pour toujours ceux du petit Saigon”
Aujourd’hui, le camp semble végéter dans l’attente interminable d’une
improbable décision communale de “réhabilitation”. Les lettres
recommandées ont dissuadé les efforts des grands-mères, des enfants et
des petits-enfants pour sauvegarder ces quelques hectares oubliés
auxquels les attache un fort sentiment d’appartenance cimenté par les
souffrances. Mais la colère pudique de “ceux du Petit Saigon” survivra
aux pelleteuses qui ont déjà commencé à creuser. Le camp n’est pas
fait seulement de murs et de baraques. “Au fond de nous, nous ne
sommes ni français ni vietnamiens, nous ne sommes même pas
eurasiatiques comme d’autres métis. Nous sommes ceux du Petit Saigon,
ceux du centre d’accueil. Et nous le resterons toujours, quoi que nous
fassions”, me dit un garçon de la troisième génération.
Comment est-il possible, alors, qu’un camp qui était un symbole
d’exclusion, dont les habitants étaient stigmatisés, se transforme en
un hybride atemporel, au fort pouvoir d’attraction ? Au siècle
dernier, Hannah Arendt expliquait à propos des camps réservés aux
apatrides des démocraties libérales que ceux-ci constituaient “le seul
lieu possible pour qui est sans appartenance”. Peut-être le Petit
Saigon est-il cet entre-deux, ce succédané d’une patrie impossible,
que les enfants héritiers de l’exode indochinois viennent chercher
chaque été. Les hésitations des institutions qui ne se résolvent ni à
laisser le camp survivre jusqu’à ce qu’il meure, ni à intervenir pour
accélérer sa mort montrent peut-être qu’il s’est réapproprié son
destin.
http://www.courrierinternational.com/article/2009/08/20/sainte-livrade-sur-mekong
Sainte-Livrade (Lot-et-Garonne), 5 juin 2008
Lettre ouverte des "mammies" à Mme PASUT, Maire de Sainte-LIvrade sur Lot
Madame le Maire
Tout d’abord, nous tenons à vous adresser toutes nos sincères
félicitations pour votre élection, en qualité de premier magistrat de
la commune de Sainte-Livrade sur Lot.
En second lieu, nous sollicitons toute votre bienveillance pour
examiner notre requête ci-après exposée :
Nous sommes les derniers témoins, des rapatriés d’Indochine de la
première génération, et nous habitons le CAFI depuis plus de 52 ans où
nous avons socialement organisé notre mode de vie autour d’un
quartier, créé notre propre environnement d’entraide et de solidarité,
de soutien mutuel où les plus jeunes et les plus valides aident leurs
aînés plus âgés, et pour la plupart invalide ou malades. Nos logements
actuels, même par leur inconfort, restent le seul lieu où nous nous
sentons en sécurité, où nous avons nos marques et nos repères, nos
habitudes, nos souvenirs : nos racines.
Déménager dans de nouveaux logements serait, pour nous, un crève
coeur, une nouvelle déchirure, voire un drame où nous perdrons tous
ces repères qui sont notre quotidien aujourd’hui et qui nous aident à
vivre.
La plupart d’entre nous, de par leur âge, sont à la veille du Grand
Départ, et nous souhaitons pouvoir le faire dans la sérénité et la
dignité dans nos logements actuels qui restent, pour nos coeurs, un
lieu "sacré" qui a atténué nos soufrances du rapatriement, qui a vu
grandir nos enfants et nos petits-enfants, qui est aussi le témoin de
nos propres mémoires familiales faites de drames et de joies :
l’histoire d’une vie.
Nous faisons appel à vos sentiments d’humanité et de générosité pour
nous aider à rester dans ce lieu de mémoires, qui est notre seule
richesse.
Nous vous prions de croire, Madame le Maire, en l’expression de notre
parfaite considération.
signé : les Mammies
Messages
1. les mamies rapatriées d’Indochine, 2 février 2010, 23:48, par KimAnh
Bonsoir
j’aimerai connaitre les noms des mamies qui sont restées au camps j’ai habité pendant une dizaine d’année avant de partir pour bordeaux, paris puis maintenant gujan mestras (arcachon)
en attendant recevez mes remerciements