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THENESY - on était dans un petit village

MADAME LEROUX Fernande

mercredi 21 novembre 2007, par Frederic Praud

Je suis née en 1915, au 4 rue de Provins à Thénisy, dans cette ferme qui venait de mes grands-parents. Ils étaient propriétaire d’une grosse ferme. Je crois qu’ils étaient les fermiers les plus riches du pays. Ils avaient six maisons dans le village de Thénisy qui correspondaient à des petites exploitations. Ils ont eu onze enfants dont neuf ont survécu. Ils ont équitablement réparti les biens entre tous leurs enfants : ceux qui n’ont pas hérité d’une ferme ont eu des terres à la place. Ils avaient du bien mais pas d’argent. Mon père avait eu la maison, deux chevaux et deux ou trois hectares ainsi que deux ou trois vaches.

Une famille marquée par la guerre de 1914

Ma mère était née en 1889 et mon père en 1885. Il avait donc 29 ans quand il est parti à la guerre. Il est décédé en 1916. Il a été tué vers Verdun.

Ma mère a gardé un cheval pour commencer. Un oncle nous a aidés. J’avais une sœur née en 1911. Ma mère ne s’est jamais remariée et elle est morte à 40 ans en 1929. Ma mère élevait des poules et des lapins. Elle n’a touché sa pension de veuve de guerre qu’à la fin de la guerre. Elle a vendu les vaches, les terres et les deux chevaux. Elle travaillait dans les fermes, elle soignait les vaches à la belle saison. L’hiver, elle faisait de la couture.
Elle a même fait de la broderie pour le Bon Marché. Nous n’avons jamais eu faim. On était heureuse tant que nous avons été avec elle.

D’autres familles ont souffert comme nous. De nombreuses familles ont été marquées parce que le père avait disparu. Thénisy était un petit village et six ou sept soldats ont été tués pendant la grande guerre.

Ecole

Je suis allée à l’école à Thénisy. On commençait à cinq ans pour finir au certificat d’études. L’école n’était pas mixte. Le certificat d’études n’était pas limité à l’âge. Je l’ai eu à 11 ans et demi. En principe, on le passait à 12 ou 13 ans. Mais comme maman est morte, j’ai quitté aussitôt l’école. J’aurais pu avoir le droit de devenir pupille de la nation et ainsi suivre des études comme je n’étais pas en retard. Ma mère, avant sa mort, pensait me faire poursuivre un peu mes études. Je suis restée un peu plus longtemps à l’école. J’apprenais l’algèbre et en même temps, je faisais travailler les petits.

La discipline était sévère mais nous n’étions pas malheureux. On pouvait être puni mais on ne se plaignait pas. Je n’ai eu qu’un instituteur. Nous étions 27 ou 28. Les punitions : on se faisait taper sur les doigts ou mettre au cachot. Le cachot était le local sous l’estrade. Une fois, j’ai été punie après l’école. L’instituteur m’a oubliée parce qu’il allait manger avec sa femme institutrice à Parois. J’avais envie de faire pipi, j’ai fait sous le bureau. Je lui ai avoué mais il ne m’a pas fâchée.
Ma mère n’était pas venue me chercher. En plus, elle m’a privée de dessert. Le dessert était primordial même si ce n’était qu’un fruit. On ne se nourrissait que de ce que l’on produisait.

Thénisy

Le village comptait huit ou neuf cultivateurs. Il y avait la mine de glaise à Cessoy. Beaucoup d’hommes travaillaient dans les fermes. Les femmes travaillaient à la glaise. Deux Polonais se sont installés. Ils travaillaient à Preuilly. Les Italiens sont arrivés pour faire l’installation du service des eaux de la ville de Paris en 1936. Les Belges venaient pour la saison des betteraves.

Il y avait à peu près 230 habitants à Thénisy comme aujourd’hui. La glaisière était le gagne-pain du pays.

La fête du village était au mois de juin avec des chevaux de bois et des musiciens. On montait une rotonde. Il n’y avait plus tout ça pendant la guerre.

Le curé de Luisetaines faisait la messe tous les dimanche.

Le travail dès l’enfance

J’aurais aimé continuer l’école. Ma sœur avait commencé à travailler dans les fermes. Ma sœur s’est mariée à 20 ans moi à 18.

A 13 ans, on se levait à 5 heures et demi pour aller travailler dans les fermes. On trayait les vaches, faisait le mélange, décrottait les betteraves. Ma sœur rentrait ici et je rentrais le soir avec elle jusqu’à ce qu’elle se marie. Après je restais chez Mme Jaquelin, à la ferme. J’ai toujours été bien traitée.

Mon tuteur, mon oncle Alfred, ne voulait pas que je reste dans les fermes. Il m’avait mise chez Pagot à Provins, une grande entreprise de maçonnerie. Il y avait au moins trois ou quatre gosses là-dedans. J’avais eu la fièvre typhoïde et je n’ai marché qu’à cinq ans. J’avais gardé les jambes arquées. Cela ne me plaisait pas d’être domestique en maison bourgeoise, j’étais habituée à la vie de la ferme. J’y suis restée un an et suis tombée malade. Le médecin a demandé à mon oncle s’il voulait me faire crever. Il lui a dit que ma place n’était pas là.

Travaux de la ferme

J’ai appris à traire chez Mme Jaquelin. Je savais déjà traire les chèvres. Les femmes faisaient tout dans la ferme. Je fauchais pendant les moissons mais, les gros travaux avec les chevaux étaient plutôt destinés aux hommes. J’ai, pourtant, vu des femmes mener le brabant. Les femmes allaient ramasser le fourrage à la fourche et faire les bottes. J’ai connu la javeleuse. On faisait des gerbes. J’ai connu la moissonneuse longtemps après mais il fallait détourer les coins de champs à la main c’est pourquoi j’ai appris à faucher avec un vieux monsieur.

A l’époque, les vaches ne mangeaient que des betteraves et du fourrage. Les femmes arrachaient les betteraves et les chargeaient dans les tombereaux. Les hommes faisaient les bottes de pailles pendant que les femmes étaient sur les voitures pour les tasser. La voiture renversait si tout n’était pas bien tassé.

L’hiver, il fallait décrotter les betteraves et soigner les vaches à l’écurie. Dans la ferme où j’étais, la paille était mise dans un bâtiment à une vingtaine de mètres. Les betteraves étaient nettoyées et coupées avec un coupe-racine dans la cave et le soir il fallait les remonter avec la paillote. Il y avait sept marches pour remonter de la cave. On en bavait.

J’ai continué à travailler un peu après mon mariage mais pas longtemps parce que j’étais enceinte. On travaillait dur, j’ai perdu trois gamins en trois ans. J’allais biner les betteraves avec mon mari. Il travaillait encore comme ouvrier agricole à la ferme à Preuilly. Il n’était pas encore cantonnier.

La maison et les travaux domestiques

J’ai vendu la grange pour payer sa part à ma soeur et je lui ai donné un hectare de terre. J’ai pu ainsi garder la maison. Je lui ai ensuite donné de l’argent. Nous n’avions que deux pièces : une grande cuisine (30m²) et une petite chambre.

On faisait bouillir le linge à la lessiveuse. J’allais aussi souvent chez ma grand-mère qui faisait le linge dans un cuvier, un grand chaudron en bois. On ne lavait le linge qu’une fois par mois. On mettait du Christo de soude et des feuilles de laurier et en dessous de la cendre de bois. J’allais aussi au lavoir toutes les semaines. Toute la vie du pays s’y racontait. J’y allais le jeudi parce que ma tante Louise me gardait mes gosses. Jeannine est née en 1937. La deuxième Bernadette est née le 25 mai. On est parti en exode le 3 juin.

Exode

Ils ont bombardé Montereau et Les Arches de Longueville. On pensait que les Allemands allaient arriver à Provins. M. Guérin a été tué par les bombardements allemands. Nous sommes donc parties en exode avec les gens de Preuilly. Ils sont venus avec des chevaux, nous avons emmené du linge, de la nourriture, de la literie. J’avais au moins quatre-vingts lapins que j’ai lâchés dans la cour. Il y avait des poules partout. Nous n’avons rien retrouvé à notre retour. Les Belges sont arrivés après notre départ.

Nous avons été bombardé dans l’Yonne à Chéroy. Nous avons été canardés tout le long de la route. Il fallait voir le défilé, on était en file indienne sur les routes.

Nous nous sommes garés juste en face d’un Etat Major puis nous nous sommes réfugiés dans une cave. Quand nous sommes ressortis dans la rue, les Italiens avaient mitraillé. Tous les chevaux étaient morts et ma chienne avait été mitraillée. Une femme a voulu sortir plus tôt avec un bébé dans les bras. Elle a été mitraillée son gamin n’avait plus de tête.

Les chevaux étant morts, nous n’avions plus de moyen de locomotion. Nous avions voulu emmener une vache mais elle n’avait pas été loin. Nous avions du cochon salé dans des pots et pour le faire cuire nous nous mettions à l’abri sous les arbres. Les gens de là-bas nous donnaient des bâches. Nous sommes revenus le 25 à peu près.

Quand nous sommes revenus les ponts de Montereau n’étaient pas refaits. A mon retour, il ne me restait qu’une mère lapin et cinq ou six poules mais je ne me suis pas plainte. Les gens qui s’étaient servis en avaient certainement besoin.

Présence allemande pour une femme seule

Les Allemands sont restés à Thénisy au moins une quinzaine de jours. Ils ont réquisitionné dans les fermes. A Sigy, il y en avait également. Mon mari a été mobilisé comme auxiliaire parce qu’il avait eu un accident. Il était à l’Etat Major à St Souplé. Il est parti avec les chefs parce qu’il savait conduire un camion. Ils ont eu le temps de passer la ligne de démarcation. Il n’était pas là que quand j’ai eu ma gamine. Il n’est rentré qu’en septembre. Ma sœur aussi était toute seule avec ses deux enfants heureusement qu’il y avait ma grand-mère.

Les Allemands enquiquinaient les femmes seules. La grande Raymonde, sœur de mon beau-frère, venait dormir avec moi parce que j’avais peur. Ils venaient cogner aux portes la nuit. J’avais une chienne que je laissais dans la cuisine. La chienne avait mangé le bas de la porte en bois à cause du bruit qu’ils faisaient. Mais, nous nous sommes plaintes parce que nous en avions le droit. Ils ont arrêté. C’était angoissant, on ne sortait plus le soir. Il y avait également le couvre-feu.

Vie pendant la guerre

Pendant la guerre, j’allais travailler dans les champs l’été et l’hiver je raccommodais du linge. Nous avons eu des moments durs. Au début, j’avais une chèvre puis on s’est mis à avoir deux vaches. Grâce à ça, nous nous sommes sauvés. On avait droit qu’à un cochon par famille. On avait essayé d’en faire deux.

Mon mari avait commencé à travailler dans les fermes à 13 ans. Il avait 25 ans quand on s’est marié. Il avait 35 ans en 1943. Il a demandé à travailler aux ponts et chaussées en rentrant de la guerre.

J’ai eu tous mes enfants à trois ans d’intervalle. Mes gosses n’ont rien eu par la Croix Rouge. On a bénéficié de cartes d’alimentation. Une chèvre nous a une fois bouffé une carte d’alimentation et ce n’était pas du gâteau pour en avoir de nouveaux !

Il y avait une réelle solidarité pendant la guerre.

On n’avait pas l’électricité. On s’éclairait à la lampe à pétrole notamment le soir quand je cousais. On tirait l’eau au puits et il faisait 34 mètres de profondeur. C’était pareil pour donner à boire aux bêtes, on tirait l’eau du puits…

On a eu la radio, un vieux poste que M. Amélie nous avait donné. On écoutait Radio Londres.
Quand la glace faisait 10 cm d’épaisseur au lavoir et que l’on faisait tomber le savon dedans, on allait chercher un râteau pour essayer de le rattraper. On y arrivait rarement mais, la solidarité existait, les voisines nous passaient leur morceau de savon.

On nourrissait les enfants et on essayait de les tenir propres. Les couches n’étaient pas jetables comme aujourd’hui. L’école a toujours continué.

Résistance

On était au courant par des gens proches de nous mais on ne voulait rien dire.

Raymond Bellaguer avait emmené et fusillé. Rosenthal avait été enlevé. Barrot l’avait fait revenir. Rosenthal m’avait fait accoucher de mes enfants.

J’avais caché un fusil de chasse dans un placard et un autre dans les champs mais, il a fallu les amener à la mairie.

Evénements de Donnemarie

On allait à Donnemarie le lundi à pieds pour le marché. L’histoire de la rafle des hommes de Donnemarie s’est sue tout de suite.

Un avion s’est écrasé dans la côte de Mons. Il y a un monument.

Le marché fonctionnait comme avant mais on y allait surtout pour acheter du café au « caïfa », le marchand de café.

Un village isolé

Les Américains et la 2ème DB n’ont fait que passer. En étant dans un petit village, on était un peu isolé et protégé du conflit. On ne pensait qu’aux enfants et je suis bien récompensée parce j’ai huit petits-enfants et sept arrières dont une qui a 18 ans. Mon premier petit-fils a 47 ans.

Une mère de famille récompensée

On n’avait pas beaucoup d’argent. La grande gardait les enfants de la maîtresse d’école pendant qu’elle corrigeait les devoirs. Nous avons loué une machine à écrire et elle appris la sténo dactylo chez Mme Cazeneuve à Provins. Elle a fait trois ans. En plus, elle faisait les marchés le samedi et le dimanche pour se faire un peu de sous.

Bernadette est partie à 14 ans comme bonne chez Mme de Fontenay. Ils l’ont gardée et elle est même allée en vacances avec eux. Quand elle a eu 16 ans, Mme Fontenay a proposé de lui faire prendre des cours par correspondance et l’a ensuite faite rentrer à la Sécurité Sociale. Elle y a fini chef, il y a deux ans. Elle n’a atteint ce degré que par concours.

La troisième a travaillé un peu à l’usine de corset de Donnemarie. Comme elle aimait la couture, je l’ai mise en apprentissage à Montereau. Après l’école, elle est rentrée chez Cardin comme petite main. Cardin lui a dit qu’elle était faite pour être mannequin. Elle y est restée sept ans. Il n’y a que le japon et la Russie qu’elle n’ait pas visitée. Elle a même rencontré la reine d’Angleterre en même temps que Mireille Mathieu.

La quatrième a travaillé un peu à l’usine à Donnemarie. Et après, sa sœur l’a faite rentrer dans une grosse robinetterie sur Paris, chez Zrouves et Covin.

Nous avons été bien récompensés.

Messages

  • Bonjour à tout le monde ...je suis très très émue de découvrir votre site : je suis la fille de Rollande Gendarme - elle même fille de Germaine Thérèse Fremont et Maximilien Gendarme hélas tué en 1915. l’ironie du sort veut que je vive en Allemagne depuis 30 ans - je n’ai pas connu ma famille -´et il y a six mois j’ai entrepris des recherches . je me suis rendue en Septembre dans tous les villages cités mais je n’ai retróuvé que la tombe d’un ancêtre à Sigy : Isidore Fremontx Leroy. le destin de mon grand père et de son ami Emile Legrand - m’ont bouleversés et je voulais leur rendre hommage en déposant des fleurs auprès du monument aux morts. : Amitiés à tous ceux qui se sentent concernés et merci pour ces témoignages. il ne faut pas oublier...
    Béatrice Bettoumi

  • Je suis la petite-fille aînée de M. Lucien Laurent qui est resté maire pendant 20 ans et décoré de la légion d’honneur,et votre récit m’a beaucoup émue. Née en 1937, j’ai connu les cultures du blé, les chevaux et toute cette vie rurale qui m’a énormément appris. Je connaissais bien les
    fermiers Bélaguer et Jacquelin (là où nous allions chercher du lait tout frais venant d’être trait), sans oublier le maréchal-ferrand aux belles moustaches blondes, le fermier Victor (et son cheval) qui était notre voisin d’en face et bien d’autres encore dont j’ai oublié le nom. La maison existe toujours, près du petit café d’en haut, mais notre père l’a malheureusement vendue.
    Thénisy représente pour moi mes meilleurs souvenirs d’enfance.

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