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Histoire La charte du Mandé ou la naissance de l’Empire du Mali

Entretien avec le Professeur Youssouf Tata Cissé, ethnologue

jeudi 16 septembre 2010, par Claire Gueny

Claire Guény - Entretien avec le Professeur Youssouf Tata Cissé, ethnologue

Bien qu’ils soient confrontés depuis longtemps à l’influence de l’Islam et aux valeurs de la colonisation civilisatrice chrétienne, que certains se targuent encore de prôner en Afrique noire, niant ainsi l’histoire et la culture de ses peuples, dont celles des Malinkés et Bambaras, ainsi que les groupes ethniques qui leur sont apparentés ; les membres de la confrérie des chasseurs, leurs premiers héros civilisateurs, fondateurs de la plupart des villages de l’ouest africain, n’en continuent pas moins d’enseigner des valeurs morales et spirituelles universelles. Leur enseignement porte essentiellement sur la fraternité, l’amour du prochain, la protection des faibles et des orphelins, la lutte contre la tyrannie et l’arbitraire, d’où qu’ils viennent. Tout postulant à cette confrérie doit prononcer les vœux suivants : « les chasseurs n’ont de mère et de père que Sanèné et Kòntròn et de frères que les chasseurs, quelque soit leur race, leur religion ou leur rang social ; ils ne sont d’aucun pays, ne reconnaissent aucune frontière, leur patrie étant la brousse, c’est-à-dire partout où se trouvent le gibier. » C’est au nom de ce credo qu’ils vont, devant les progrès de l’Islam à partir du début du XIII° siècle, organiser la lutte sans merci contre l’esclavage et la traite des non musulmans, notamment noirs, vers le nord musulman, le Maghreb et le Proche-Orient.

Tout commence pour le Mandé, berceau du futur empire du Mali (1212-16..), à la suite de la conversion à l’Islam du roi Baranadama, et ce à la suite d’une grande sécheresse qui avait éprouvé son pays, le Mandé. Celui-ci est alors devenu pour les musulmans, le champ de capture par excellence des esclaves. Ce fut la chasse aux non musulmans, la mise à mort de plusieurs prêtres de la religion traditionnelle et la destruction des fétiches. Ainsi l’esclavage va s’étendre et atteindre son paroxysme avec l’arrivée massive des musulmans et surtout des Maures, se disant aussi marabouts. Auparavant, le prisonnier de guerre, djòn ou esclave, devait pour payer son crime travailler au profit des veuves, enfants et parents de ceux morts par sa faute à la guerre. Les descendants de tels prisonniers ne pouvaient être ni battus, ni humiliés, a fortiori vendus ou mis à mort. Cet état de servage communément appelé « esclavage domestique », constituait la réparation institutionnalisée en pays mandingue. L’esclavage dit « rouge », inhumain, instauré par les musulmans, notamment arabes et berbères et plus tard par les européens, jurait avec cette loi-là. C’est pour mettre fin à ce crime odieux devenu un fait banal avec l’expansion de l’Islam, que les chasseurs et les tenants de la religion traditionnelle vont se mobiliser pour l’abolir. Avant eux, Soumaworo Kanté, né au Mandé, de la caste des forgerons du Sosso, voyant les caravanes d’esclaves enchaînés remontant vers les pays arabes, alla trouver les nobles malinkés qui étaient tous des esclavagistes invétérés pour le suivre dans son combat pour l’abolition de l’esclavage. Devant leur refus de s’associer à un forgeron, « un homme de peu de valeur » selon eux et dont la raison d’être est de fabriquer les armes leur permettant de défendre leur pays contre les prédateurs, Soumaworo devint le plus grand esclavagiste que le Mandé ait jamais connu. Il revint du nord avec une très grande cavalerie –jusque là inconnue des Malinkés- et détruisit les plus grandes métropoles de ce pays, dont Sòbè, Bali, Niani-Kouroula, Dakadjalan et surtout Karatabougou, la cité aux soixante quartiers fortifiés, patrie de son neveu Fakoly Doumbia, le général en chef de ses armées.

Devant ce désastre, Soundjata Keïta, un simbo ou maître chasseur, qui vivait dans le nord en exil depuis son jeune âge, voyant que les esclaves transitaient entre les mains des berbères, des maures et des soninké musulmans pour aller vers le Maroc, en Libye et en Egypte, conçoit d’éteindre l’esclavage jusque dans son essence. Nourri par l’éducation de sa mère, Soundjata s’écriait souvent : « Pour qu’un pays vive et s’ouvre à la prospérité, il doit contenir des hommes, sinon il connaîtra la désolation et la tristesse. L’homme est le joyau de la terre, donc il doit être protégé ». Pendant plus de cinq ans, Soundjata va mobiliser la grande majorité de ses confrères chasseurs du Wagadou, du Sahel, des rives du lac Débo et du Sénégal, constituant ainsi La grande armée de libération du Mandé de la tyrannie de Soumaworo. Les batailles et les victoires se succèdent, dans la grande plaine de Krina d’abord, puis à Sibi, Kri et Naréna où l’armée du Sosso est anéantie. De retour à Dakadjalan en 1212, Soundjata et ses confrères élaborent le serment des chasseurs, communément appelé Charte du Mandé, visant à abolir à tout jamais l’esclavage et la traite. « Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc, jurèrent-ils au triangle dankun, lieu de culte par excellence des chasseurs, aucun Malinké ne sera désormais vendu ou troqué contre du sel gemme ou des chevaux. » Dix ans durant, ils vont mener une lutte sans merci contre les esclavagistes de tout pays. C’est alors qu’ils intronisent en 1222, date à laquelle la comète dite de Halley apparut dans le ciel du Mali, Soundjata comme Mansa ou empereur du Mandé tout entier. A cette occasion, on déclama solennellement la Charte du Mandé, qui stipule le respect de la vie et de la personne humaine, la lutte contre toute discrimination ethnique et raciale, la liberté d’entreprendre, d’aller et de venir, et le respect des lois du Mandé nouveau.

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