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Chaldéen : Şikaraï, village chrétien en pays musulman

Mr Marogil Yabas

samedi 10 avril 2010, par Frederic Praud

Texte Frederic Praud


Je suis né en 1963 dans le village d’Uludere ( Şikaraï en chaldéen), situé au sud-est de la Turquie, près de la frontière avec l’Irak. Les maisons était construites en pierre sur les côtés, avec du bois et de la terre par-dessus. L’hiver, lorsqu’il neigeait trop, mes parents étaient obligés de monter dégager la neige pour qu’elle ne pénètre pas à l’intérieur. Quand il pleuvait, ils déposaient des pierres sur le toit pour que la terre soit bien dure et empêche ainsi la pluie de couler dans la maison.

Au village, nous n’avions ni électricité, ni eau courante, rien du tout… On utilisait l’eau de source que nous allions chercher au puits. Pour les toilettes, c’était pour tout le monde pareil ; à l’extérieur. Nous n’avons pas eu de voiture avant 75. Jusque-là, on se déplaçait avec les chevaux. Nous vivions essentiellement de l’élevage du bétail : chèvres, moutons, etc. Nous n’avions pas d’autres ressources…

En fait, Şikaraï était constitué de deux villages distincts, face à face : celui de Şi, avec l’église, qui était complet et le notre, Karaï, construit plus tard un peu plus loin, à environ dix minutes à pied. Mes parents s’étaient installés là-bas avec d’autres habitants. Si on considère les deux villages à la fois, il y avait plus de six cent cinquante personnes à mon époque. Par contre, le nôtre pris isolément devait compter environ soixante-dix habitants.

Á Şikaraï, nous étions tous chrétiens. Il n’y avait pas de Musulmans. Mais, il y avait parfois du passage comme par exemple, lorsque des bagarres éclataient entre deux villages musulmans. Certains venaient alors se cacher et à ce moment-là, on sentait une réelle pression. Il ne fallait pas trop se montrer, ne pas parler… Mais moi, personnellement, je n’ai pas vécu de vraies misères infligées par les Musulmans, contrairement à mes parents…

Dans notre village, les gens étaient de vrais travailleurs. Mes parents avaient pas mal de bétail : des moutons, des chèvres, etc. Et lorsqu’ils montaient sur les plateaux en été, des Musulmans qui n’avaient pas beaucoup de moyens leur volaient parfois des moutons par la force, les égorgeaient et les mangeaient… Toujours en été, ils venaient du village d’à côté, à une demi-heure de marche, pour nous prendre les fruits au moment de la récolte… On ne pouvait rien faire ! Porter plainte ne servait pas à grand-chose car l’Etat ne considérait pas ça comme un vrai délit… En plus, la personne incriminée menaçait ensuite le reste de la famille… Il était donc plus prudent de ne rien dire, afin d’éviter les problèmes…

Pour moi, il était plus difficile d’écouter mes parents que de vivre là-bas. Un jour par exemple, ils ont perdu des moutons et savaient qui les avait pris. Ils sont allés voir le chef du village concerné pour se plaindre : « Voilà, untel nous a volé des moutons et nous sommes très inquiets car il nous faut du lait et du fromage pour l’hiver… » Il leur a répondu : « Je vais me renseigner et si c’est effectivement lui qui les a volés, ils vous seront rendus. » Mais, ils ne les ont jamais revus… Ça s’est arrêté là… On leur a expliqué qu’ils s’étaient trompés, qu’ils avaient confondu les personnes… Mes parents parlaient souvent de ce genre de choses à la maison et souvent, c’était très très dur… Nous avions peur des représailles…

Partir…

J’ai été scolarisé à l’école du village ouverte en 63. J’ai terminé le primaire là-bas, à l’âge de onze ans. C’était une école laïque car il n’y avait pas de cours de religion mais chrétienne parce qu’il n’y avait pas de Musulmans. On y apprenait seulement à lire et à écrire.

J’ai quitté le village en 1979, à quinze ou seize ans. Cette année-là, une jeune fille de chez nous a été enlevée de force par des Musulmans d’un village d’à côté et tous les habitants se sont rassemblés pour protester. Ils sont allés porter plainte contre la personne avec les chefs des villages alentours, mais la jeune fille n’est jamais revenue… Ils n’ont pas voulu la rendre… Alors, tout le monde a dit : « Voilà, si c’est comme ça, nous allons partir vivre ailleurs… »

De toute façon, des gens étaient déjà partis, notamment à Istanbul pour étudier ou travailler. Par exemple, le frère de ma mère s’y trouvait déjà depuis deux ou trois ans, pour étudier dans les bonnes écoles. Mais, j’ai été le premier enfant de ma famille à quitter le village. J’étais jeune. Mes parents m’ont donné un petit peu d’argent et normalement, je devais aller à Istanbul pour étudier. Mais, comme sur place je n’avais pas de moyens suffisants, j’ai commencé à travailler à l’âge de seize ans. Je suis resté là-bas jusqu’en 82, date à laquelle je suis venu en France.

Á Istanbul, j’étais employé dans la confection mais ce n’était pas comme ici. On faisait plutôt de la haute couture. Il fallait que tout soit nickel ! Au début, j’ai commencé par livrer des vêtements au pressing, pour le repassage. Après, j’ai commencé à faire du filage et ainsi de suite. Je suis allé d’étape en étape.

Je vivais très mal à Istanbul car j’étais jeune et j’habitais chez des particuliers. Les logements étaient beaucoup plus petits qu’ici et souvent, il n’y avait pas de douche. Dans les grandes villes, ce n’était pas possible… Et puis, les WC étaient sur le palier. Comme je n’étais pas chez mes parents, je n’étais pas bien traités… J’étais dépendant d’une autre famille… L’argent que je gagnais, je le gardais pour moi mais chaque semaine, je payais pour mon hébergement et pour la nourriture…

Le rêve de l’Europe

Dans ces années-là, l’Europe, la France, c’était un rêve pour tout le monde ! Les gens pouvaient venir facilement car en 78-79, il n’y avait pas encore de visas. S’ils ne venaient pas, c’est parce qu’ils n’en avaient pas les moyens, parce qu’ils ne pouvaient pas acheter le billet d’avion, etc. Mais, c’était un rêve pour tout le monde… Les gens qui revenaient en Turquie donnaient une bonne image d’ici, disaient que tout allait bien, qu’ils n’étaient emmerdés par personne…

Il y avait du racisme à Istanbul. Je travaillais chez un jeune patron qui avait à peu près mon âge. Un jour, il m’a demandé : « Quelle est la différence entre Catholiques et Musulmans ? » Moi, j’allais à la messe le dimanche mais je n’avais pas étudié l’histoire. Je lui ai répondu :
« - Mes parents m’ont toujours dit qu’il ne faut faire de mal à personne. C’est ça la religion catholique.
  Et bien, je crois que vos parents se trompent. Il vaut mieux trouver le bon chemin.
  De toute façon, vous, vous êtes musulman et rien ne vous en empêche ! Moi, je peux être musulman mais ce n’est pas à vous de me le dire ! »
Et j’ai été obligé de quitter cet endroit parce que j’étais catholique… Dire que je n’avais pas d’avenir à Istanbul est peut-être un peu fort mais je ne pouvais pas vivre et travailler à la fois avec cette personne-là… La meilleure solution était donc de partir car ça réglait le problème…

Pour toutes ces raisons, la plupart des jeunes Chaldéens comme moi voulaient venir vivre en Europe. Mais, dans les années 79-80, la France n’était pas l’unique destination ! Quelques familles partaient par exemple en Allemagne. Le projet, c’était donc l’Europe ; pas seulement la France. Mais, comme la majorité des gens s’y sont peu à peu installés, les autres les ont suivi car les choses étaient plus faciles. La route était déjà ouverte…

Aujourd’hui, j’ai un fils de quatorze ans et la jeunesse qu’il est en train de vivre n’a aucun rapport avec celle que j’ai vécue… Quand je l’entends se plaindre, je lui dis : « Tu sais, je n’avais même pas seize ans lorsque j’ai quitté mes parents et j’ai fait trois mille kilomètres pour aller vivre chez des gens et travailler ! » Lui ici, il a tout ! Et il trouve encore le moyen de ne pas être satisfait ! « Oui mais là-bas, c’était en Turquie ! » Je pense que ce problème concerne l’ensemble des jeunes. Ce n’est peut-être pas de leur faute mais ils en veulent toujours d’avantage alors qu’ils ont tout ce dont ils ont besoin…

Arrivée en France et condition d’accueil

En 82, je suis arrivé en France clandestinement, en passant par Rome, par l’Italie. Ensuite, de la famille est venue nous chercher à Vintimille et nous a laissés à la frontière, où nous avons continué à pied, par un sentier à travers la montagne, tandis que la voiture est passée devant nous, avec les bagages. Nous avons réussi à traverser du premier coup. Franchement, tout s’est très bien déroulé car c’était la nuit et personne ne nous a aperçus.

Nous sommes ensuite remontés vers Paris en voiture et dès notre arrivée, la famille nous a pris en charge, a récupéré les pièces d’identité, etc. Les premiers arrivés aidaient les nouveaux venus. C’était très bien organisé et tout était fait pour que les autres membres de la famille puissent être sauvés… Les gens d’ici faisaient donc la plupart du travail… Si là-bas, quelqu’un n’avait pas les moyens, ils lui envoyaient de l’argent et après, ils venaient le chercher à la frontière…

Ma sœur habitait dans le Xème arrondissement et j’ai été hébergée chez elle, avec mon frère. Elle avait quatre enfants et en tout, nous étions huit dans une chambre de bonne, tout en haut, au cinquième étage. Il n’y avait même pas de vraies fenêtres, seulement des vasistas… Nous sommes restés là-bas pendant trois mois et lorsque mon beau-frère est arrivé à son tour, nous avons dû partir nous installer ailleurs.

Je n’ai pas été déçu par la France que j’ai trouvée. C’était exactement celle dont on m’avait parlé, celle que j’imaginais… Ce qui m’a le plus étonné au début, c’est la générosité dont on faisait preuve envers nous… Nous n’avions rien en venant ici ! Seulement un bagage à main ! Mais chaque fois qu’on se présentait pour réclamer quelque chose au bureau d’aide sociale, les portes étaient toujours ouvertes. Nous avons vraiment été très bien accueillis… Par exemple, mon frère était marié avec un enfant et il percevait une allocation mensuelle. Moi, comme j’étais tout seul, on me donnait des tickets de restauration et je mangeais là-bas tous les midis. Nous nous sentions très très soutenus… Quelle que soit notre demande, on ne nous disait jamais non ! On nous aidait…

Lorsque je suis arrivé, je ne parlais pas un mot de français. Alors, j’ai dit à l’assistante sociale : « Je voudrais prendre des cours du soir pour apprendre le français » et elle m’a indiqué plusieurs endroits. Avec mon frère, j’ai donc suivi des cours pendant quinze jours. Á partir du moment où nous avons commencé à travailler, nous n’avons plus rien demandé mais jusque-là nous n’avions rien, aucuns revenus…

Je n’ai rencontré aucun problème pour avoir des papiers. Tout s’est très bien passé. J’ai obtenu le statut de réfugié politique. On a fait une demande auprès de l’OFPRA de Pontoise, puis de Paris, et elle a été acceptée dès le début.

Regroupement familial

Mes parents sont arrivés un an après, en 83. Je les avais quittés à l’âge de seize ans pour aller à Istanbul et nous nous sommes retrouvés ici, en France. Leur voyage a été plus compliqué que le mien car en tout, ils étaient dix personnes. Avec eux, il y avait le reste de mes frères et sœurs ainsi que ma grand-mère, âgée de quatre-vingt dix ans. Parvenus à Rome, on n’a pas voulu les laisser sortir de l’aéroport parce que ma grand-mère était fatiguée. Alors, quand on leur a demandé : « Mais où allez-vous comme ça ? », ils ont menti :
« - Nous venons voir nos enfants qui sont en Italie !
  Oui mais la vieille, vous allez l’amener où ? Elle n’a pas besoin de voir ses petits-enfants ! Elle est fatiguée !
  Elle va les voir pour la dernière fois avant de retourner et mourir… »

Ensuite, lorsqu’ils sont arrivés à la frontière, au même endroit que nous, leur voiture est tombée en panne, juste devant le grillage. La personne qui les avait embarqués est donc retournée en Italie pour louer un autre véhicule. Ils ont finalement réussi à passer mais le voyage aura été plus dur pour eux que pour moi…

Á l’époque, nous n’avions pas de logement. On habitait chez mon cousin à Clichy-sous-Bois, dans un deux pièces, où nous étions plus de quinze personnes, entre sa famille et celle de mes parents. Nous sommes restés là-bas pendant deux ou trois mois, puis il a trouvé un appartement pour mes parents et je suis allé vivre chez eux.

Beaucoup d’Assyro chaldéens sont passés par Clichy ! Mais à ce moment-là, ils n’étaient pas encore très nombreux car la grande majorité est arrivée entre 84 et 88. Au début, les gens sont venus un par un et ensuite, tous à la fois. Par exemple, en ce qui nous concerne, c’est ma grande sœur qui est partie la première, avec son mari. Puis, ce fut le tour de mon grand frère, marié lui aussi, le mien et enfin, celui de mes parents avec le reste de la famille. En tout, nous sommes dix frères et sœurs. Nous n’avions pas les moyens de venir tous ensemble ! C’était impossible !

Un aller sans retour

Les habitants du village ne l’ont pas tous quitté en 79. Certains ne sont partis qu’en 88. Là-bas, il n’y avait plus d’avenir ! Tout avait été tenté sans succès pour récupérer la fille, pour que les autres ne puissent pas profiter du village… Alors, le prêtre a fini par dire : « Voilà, maintenant, on ne peut plus retenir celui qui veut partir… On ne peut plus protéger personne… » Il a laissé le champ libre…

Depuis, le village est vide, déserté… Les derniers habitants sont venus en 88 et la plupart vivent aujourd’hui à Sarcelles, ou ailleurs en Ile-de-France. Notre vie est ici désormais, comme l’indique la francisation des prénoms. Tous les enfants chaldéens s’appellent Paul, Jacques, etc. Ils ne portent plus les prénoms donnés en Turquie. Et puis, la plupart des Chaldéens ont acheté un logement, ce qui montre bien qu’ils n’ont pas l’intention de repartir…

Je ne sais pas s’ils ont tous pris la nationalité française mais en tout cas, une grande majorité d’entre eux. Par exemple, dans ma famille, tout le monde a été naturalisé. Les derniers en date sont mes parents, devenus français il y a cinq ou six ans. Aucuns de nous n’a la double nationalité.

Être chaldéen

Sur nos cartes d’identité, il est indiqué que nous venons de Turquie. Mais, expliquer aux gens ce qu’est un Chaldéen est difficile pour moi car je n’ai pas fait beaucoup d’études. C’est ça le problème ! Alors, la plupart de temps, quand on me demande, je réponds que c’est une question de religion. Moi, je n’ai jamais approfondi les choses… Mes parents ne sont jamais allés à l’école et ne m’ont jamais parlé de ça… Ils ne se connaissent pas… Eux, tout ce qu’ils savent, c’est qu’ils sont catholiques…

Pendant la guerre de 14-18, les Chaldéens ont subi des persécutions comme les Arméniens. Pour les Turcs, il n’y avait pas de différences ! Les uns comme les autres n’étaient pas musulmans… D’ailleurs, à Sarcelles, une stèle à la mémoire des Chaldéens a été dressée récemment.

Mais aujourd’hui, les Arméniens ne nous considèrent pas comme faisant partie des leurs. Chaldéens et Arméniens sont deux peuples à part, même si nous sommes souvent originaires de la même région. Nous ne partageons aucune fête commune. Elles ne tombent jamais au même moment et certains rites comme le baptême ne se déroulent pas de la même manière. Et il y également des différences de croyances : nous croyons au même Jésus mais pas de la même façon. Enfin, au niveau de la langue, ce n’est pas du tout pareil. Ils parlent l’arménien alors que nous parlons l’araméen.

Vivre à Sarcelles

Je suis arrivé à Sarcelles en 86 et toute ma famille y réside actuellement. Moi, je travaille avec mon grand frère dans la confection, à la retoucherie. Deux de mes petits frères travaillent dans un café. Un autre va encore à l’école. Ma petite sœur, qui a fait de bonnes études, est employée dans un cabinet d’avocats à Paris. Quant à mes autres sœurs, elles sont femmes au foyer. Elles s’occupent de leurs enfants.

Dès le départ, nous nous sommes installés aux Chardonnerettes, rue des Rouges-Gorges, dans un pavillon. Á l’époque, le petit Chardo venait juste d’être construit et c’était très très beau… Nous avons volontairement choisi d’habiter en pavillon plutôt qu’en immeuble car il y avait une aide à ce moment-là. On pouvait directement emménager sans rien payer et le bail suivait la personne. Le remboursement du prêt tombait chaque fin de mois mais il n’y avait rien à verser d’avance. Comme nous n’avions pas beaucoup d’argent, nous avons choisi cette solution…

Aujourd’hui, la communauté est plus soudée qu’avant car en 86, lorsque nous sommes arrivés, il y avait plus de Chaldéens à Clichy-sous-Bois qu’à Sarcelles. Mais actuellement, la tendance est en train de s’inverser. Des Chaldéens d’Irak sont arrivés à leur tour mais leur cas est assez différent. Ils sont venus ici dans les années 90s, après la guerre du Golfe. Ils ne sont pas comme nous ! La plupart des Chaldéens originaires de Turquie vit en Ile-de-France alors que beaucoup de Chaldéens d’Irak sont installés en Australie, au Canada, etc.

Franchement, je trouve que Sarcelles c’est très beau… J’ai toujours eu une bonne image de la ville… Au début, il n’y avait pas autant d’habitants que maintenant mais, j’ai toujours aimé Sarcelles… Je ne vois pas de changements… Pour moi, c’est pareil… C’est comme ça que je vois les choses… Certains disent que c’est bien, d’autres que ça ne l’est pas mais personnellement, je trouve que c’est aussi bien qu’avant…

En fait l’image de Sarcelles dépend du point de vue des personnes. Mais, je trouve que les émeutes de novembre derniers sont assez significatives. Ici, il y a davantage de population mais il y a eu moins de problèmes. Cela montre à ceux qui cassent l’image de la ville qu’il faut d’abord voir la réalité des choses. Ici, tout n’est pas parfait mais ce n’est pas pire qu’ailleurs ! Je pense même que Sarcelles est bien mieux que d’autres endroits en Ile-de-France.

Il y a beaucoup de Chaldéens aux Chardonnerettes et certains ont l’impression que notre communauté se concentre volontairement dans ce quartier pour ne pas se mélanger aux autres, mais ce n’est pas mon point de vue. Pour moi, ce n’est pas la réalité. Par exemple, je sais qu’une dizaine de familles chaldéennes sont parties après avoir vendu leur logement à des membres d’autres communautés, ce qui montre que les gens ne tiennent pas absolument à rester entre eux. Qu’ils soient Chaldéens ou non, ceux qui ne se plaisent pas ici sont libres d’aller s’installer ailleurs !

Aujourd’hui, sur Sarcelles, notre communauté est grande. Elle représente à peu près cinq ou dix pourcents de la population. Et ici ou là, dès qu’un Assyro chaldéen fait quelque chose, ça fait parler les gens et je trouve qu’il est assez choquant de dire que nous pratiquons le communautarisme. Par exemple, certains endroits de Sarcelles ne sont occupés que par des Juifs et on n’a jamais posé cette question-là ! On ne dit pas qu’une personne qui n’est pas juive ne peut pas y habiter ! Si une communauté se trouve plutôt dans tel ou tel quartier, ce n’est pas pour se l’approprier. C’est simplement pour vivre et travailler comme tout le monde, sans se faire remarquer. Seulement nous les Chaldéens, on est tout de suite montré du doigt…

Á mon avis, la population à Sarcelles a trop augmenté et je me demande si ce n’est pas déjà un problème en soi. Ensuite, je trouve que maintenant, il y a trop de communautarisme, du moins beaucoup plus qu’avant et, à mon avis, c’est très dangereux pour l’avenir… Nous vivons tous à Sarcelles et nous ne devons pas rester entre Antillais, Chaldéens, Juifs, etc. Il faut faire d’avantage de choses tous ensemble plutôt que de rester chacun de son côté. Pour le moment, tout va bien, mais dans quelques années, si les gens continuent à se refermer sur eux-mêmes, sur leur propre culture, j’ai peur qu’apparaissent de véritables guerres intercommunautaires…

Message aux jeunes

Je crois que les jeunes devraient être indépendants un peu plus tôt. Il ne faut pas attendre d’avoir vingt ans pour prendre des conseils ! Á mon époque, ce n’était sans doute pas pareil mais nous, après l’âge de dix ans, on était obligés d’être autonomes ! Aujourd’hui en France, les jeunes sont privés de tout jusqu’à dix-huit ou vingt ans et je me demande s’ils ne sont pas retardés à cause de ça, car pour atteindre l’indépendance, il faut déjà avancer dans la vie. Par exemple, dans trois mois, ce seront les grandes vacances et la plupart des gamins de quatorze ans n’iront pas travailler pour avoir de l’argent de poche. Je pense donc qu’il faut que les jeunes soient indépendants plus tôt.

S’ils attendent vingt ou vingt-cinq ans pour dire : « Voilà, je veux faire ça ! », je me demande si ce n’est pas trop tard… Je trouve que l’Etat fait beaucoup de choses pour eux au début mais après, certains déraillent et c’est trop tard pour eux… Par exemple aux Chardo, je vois pas mal de jeunes qui ont quatorze ou seize ans et qui ne font rien, alors qu’on devrait les occuper en travaillant. C’est la meilleure façon de les sensibiliser aux difficultés de la vie et de leur assurer un avenir…

Je ne sais pas si le fait de leur raconter les difficultés que nous avons rencontrées est suffisant. Pour leur montrer vraiment la réalité, il faudrait pouvoir leur faire vivre ne serait-ce que pendant une semaine, ce par quoi nous sommes passés ! Quand j’explique à mes enfants que mes parents et moi, nous avons vécu telle ou telle chose, ils ne se rendent pas bien compte… Ils me croient mais ils me disent : « Oui, mais c’était en Turquie ! »

Alors, le message que je voudrais faire passer, c’est qu’il faut être respectueux et plus indépendants… Il faut que les jeunes apprennent à connaître les autres car l’ignorance crée beaucoup d’incompréhension et qu’ils essaient de se débrouiller tout seuls, sans jamais se décourager. Dans la vie, il faut toujours rester positif, même quand c’est difficile… Il faut les aider à prendre conscience qu’aujourd’hui, ils ont tout pour réussir…


Voir en ligne : La Bande Dessinée : Les Migrants

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